Dans plusieurs articles précédents, nous avons essayé de montrer que l’histoire se construisait aussi, et surtout, dans le secret des réserves d’archives. Et c’est le plus souvent dans de modestes documents que le chercheur découvre des paillettes, bien minuscules, certes, mais qui finiront par s’allier à d’autres pour former une pépite et un lingot. Parmi ces documents, souvent d’une lecture longue et ardue, pour un résultat parfois assez mince, figurent les livres censiers et les registres de comptes.
Depuis quelques mois, j'ai entrepris de lire et de transcrire les livres censiers et livres de comptes de la maison de l’Ordre du Saint Esprit, rares documents conservés de cette vénérable institution du Rouffach ancien aux A.M.R. L’un des derniers articles mis en ligne sur obermundat.org se référait au Heülig Geist Register de 1603, tenu par Jacob Anshelm, Schaffner des heiligen Geist Ordens und Hauses zu Ruffach, receveur et comptable de l'Ordre du saint Esprit et de sa Maison de Rouffach.
Il m’a paru intéressant d’en savoir plus sur ce personnage dont les comptes, au chapitre des dépenses en particulier, sont parfois surprenants, surtout lorsqu’on se rappelle que ce sont ceux d’une institution dont la vocation première était de recueillir les enfants abandonnés et les orphelins…
Nous remercions ici François Boegly qui nous a fourni les éléments de biographie dont il disposait sur cette famille Anshelm. Le père de Jacob était greffier épiscopal (Landschreiber) et une pierre tombale à son nom est conservée dans l’église des Récollets de Rouffach.
Jacob sera receveur de l’hospice du saint Esprit et receveur du Klingertaler Hof, la cour domaniale de l’abbaye de Klingental, rue Pairis. Il a également été Meister (Maître) d’une importante confrérie de dévotion, la Reit Bruderschaft. Il est l’oncle de Maria Schlitzweck, épouse du Docteur Johann Remus Quiétanus, astronome et médecin de l’archiduc Léopold d’Autriche. Maria Schlitzweck a également une pierre tombale à son nom conservée aux Récollets.
Les sœurs de Jacob ont toutes épousé des notables : Elisabeth est l’épouse du Burgermeister de Rouffach et en secondes noces du receveur épiscopal de Rouffach, Anne est l’épouse de Tillmann Nevel, greffier de la ville de Rouffach et Catherine est l’épouse de Georges Guillaume Schlitzweck, greffier de la ville d’Ensisheim.
Jacques Anshelm épousera Madeleine Cuentz, qui sera condamnée pour sorcellerie et exécutée sur le bûcher en 1613. Les deux sœurs de Madeleine, Odile, épouse de Melchior Knechtlin, conseiller au Magistrat puis Burgermeister à Rouffach, ainsi que Anna, épouse de Jean Köbler de Wasselone seront, elles également, brûlées vives pour sorcellerie.
Comment et pour quelles raisons trois membres d’une famille de la grande bourgeoisie dirigeante de Rouffach ont-elles pu être compromises dans une affaire de sorcellerie, emprisonnées, torturées, condamnées et exécutées sur un bûcher ?
Je propose au lecteur une transcription et une traduction des pages mentionnant les dépenses de l’année 1608 / 1609, enregistrées dans le livre de comptes de l’ordre du saint Esprit (A / GG 58) . Certains items ne manqueront pas de surprendre... Nous y reviendrons…
Fig.1 : Bifeuillet 41v-42r du Liber Vitae de Rouffach, A.M.R. A/GG77 © Marie RENAUDIN
« Du parchemin, de la plume , de l'encre… ou la fabrique du Liber Vitae de Rouffach [1] »
Dans un précédent article, Gérard MICHEL m’avait invité à partager avec vous mon expérience au contact du Liber Vitae , ce trésor des archives municipales de Rouffach ; nous avions alors parlé du support parchemin, l’un des composants principaux de certains manuscrits. J'avais alors évoqué la première découverte intrigante, qui nous pousse à nous interroger sur les raisons de l’utilisation d’un type de parchemin précieux, le vélin, pour la réalisation d’un « simple » obituaire.
Dans cette deuxième partie, nous aborderons l’étude des encres qui ont permis de rédiger ce manuscrit.
Fig.1 : Bifeuillet 41v-42r du Liber Vitae de Rouffach, (A GG 77), archives municipales de Rouffach © Marie RENAUDIN
Dans un article précédent, Gérard MICHEL nous avait déjà parlé de cet ouvrage singulier, trésor bien gardé des archives municipales de Rouffach qui a successivement été utilisé pour sa fonction première d’obituaire [1], puis détesté parce qu’il représentait la toute puissance de la classe aisée, délaissé ensuite à une époque où chacun fait son affaire de sa croyance en l’au-delà et à la mémoire des disparus, mais malgré tout aimé par une poignée d’historiens, d’archivistes, de conservateurs ou de passionnés, très attachés au patrimoine écrit et qui ne pourront jamais se résoudre à abandonner une bataille… celle de l’oubli et du temps qui passe.
Ce qui me fascine toujours en tant que restauratrice, c’est l’intérêt multiple que présente un même ouvrage en fonction de la personne qui le consulte.
Pour l’historien, la richesse de cet ouvrage se trouve avant tout dans le texte qu’il contient, en effet le Liber Vitae ne dresse pas uniquement la liste des défunts et des donations faites à la Paroisse Notre-Dame de Rouffach entre 1250 et 1370 ; il contient également une formidable variété de renseignements qui nous permettent de mieux comprendre ce que pouvait être la vie quotidienne à Rouffach à cette époque. De nombreux détails nous éclairent sur la vie économique, politique et religieuse de la ville. On y découvre ainsi les métiers qui étaient exercés, les lieux-dits qui existaient déjà ou le nom de personnes qui vivaient dans l’enceinte de la ville.
Avec autant de richesses contenues dans le Liber Vitae, obermundat.org a encore beaucoup de merveilles historiques à nous faire découvrir.
En parallèle de l’étude des textes faite par les historiens sur les ouvrages anciens, il existe un autre domaine de recherche moins connu du grand public mais tout aussi passionnant à mon gout, celui de la codicologie [2] et de l’étude des matériaux.
Jusqu’à ce jour, le Liber Vitae, est sans aucun doute le plus bel ouvrage qu’il m’ait été donné d’étudier et de restaurer pendant deux années et j’aimerais partager avec vous mes modestes observations du point de vue codicologique.
Après l’étude historique, place à l’étude des matériaux !
Marie Renaudin
La sainte famille au repos pendant la fuite en Egypte (Musée Unterlinden Colmar)
Un paragraphe de l’article publié le 29 décembre 2020, Le clocher tors de l’église Notre-Dame de Rouffach, dont le sujet était la flèche de la tour sud, démolie avant les grands travaux du XIXème siècle, a suscité des remarques de lecteurs qui m’ont permis de revoir et corriger ma copie. Voici le paragraphe en cause :
Ce clocher de la tour Sud de Rouffach n’a pas été conservé et pour cause : s'il était vrillé, cela ne devait rien à la volonté et à l'art d’un maître charpentier qui aurait voulu réaliser là son chef d’œuvre, mais à sa mauvaise construction et à sa vétusté : il représentait même un danger permanent et il était plus qu'urgent d'intervenir !
C'était là une conclusion hâtive, en commentaire du rapport de l’architecte colmarien P.F.Janinet sur l’état de l’église, dressé le 2 juillet 1816 :
La tour dont il vient d’être question est surmontée actuellement par une flèche couverte en tuiles, dont la charpente est en sapin : font craindre à chaque instant qu’elle ne vienne à s’écrouler. Les pièces principales qui la soutiennent sont entièrement pourries par leur pied, leur inégale résistance a fait éprouver à toute la charpente un mouvement de torsion, en sorte que la flèche a perdu son aplomb et penche considérablement du côté de la place où se tiennent les marchés publics.
Albrecht Dürer Die Hexe (vers 1500) Staatsbibliothek Bamberg
Traduction G.M.
" Marie WEINGANT, veuve de Jacob LAUR, bourgeois de Rouffach et ancien Werckmeister, en raison de toutes sortes d’indices retenus contre elle et des fortes présomptions de sorcellerie, aussi parce qu’elle avait été dénoncée comme leur compagne et complice, Gespillin, par plusieurs personnes depuis exécutées par le feu, a été arrêtée et incarcérée le 25 février 1631 et lors de son interrogatoire, elle a avoué, d’abord spontanément puis sous la torture, ce qui suit :
Malefiz Urthe(i)l: sentence à l'issue d'un procès criminel
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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