Couverture en parchemin d'un livre censier de l'hôpital Saint Jacques de Rouffach
Les rondes des fêtes à l’affiche des offices de tourisme offrent aux vacanciers et aux amateurs de fêtes de nombreuses manifestations organisées par des confréries de tout genre : confréries viniques en majorité, mais aussi d'autres, confrérie du chou rouge, de l’élixir de la sorcière, des gardiens de la météorite, de l’asperge, de la tarte flambée, du presskopff, etc. Convivialité, échange et partage sont les objectifs de ces rassemblements qui drainent un nombreux public, souvent familial, de tout âge.
Si le nom est le même, on reste tout de même assez loin des idéaux qui inspiraient les confréries de l’époque médiévale et du début des temps modernes dont ces nouvelles confréries se veulent pourtant souvent les fidèles continuateurs, si l'on se réfère aux costumes "médiévaux" portés par leurs membres et par le cérémonial dont ils s'entourent...
Pour comprendre ce qu’est une confrérie, il suffit de se souvenir de l’étymologie du mot : le mot confratria est attesté dès le 9ème siècle et a donné au 13ème siècle le mot confrarie puis confrérie sous l’influence du mot frère, issu également de frater.
1. Les confréries, timides ancêtres de nos caisses d'entraide mutuelle et des conventions-obsèques...
La réalité des premières confréries doit se comprendre effectivement comme on comprend fraternité, un groupe humain que réunissent le souci de l’autre, l’esprit d’entraide. On confond fréquemment corporation de métier et confrérie : pour rester simple, on dira que les confréries ont un caractère religieux avec un but spirituel et un saint patron, tandis que les corporations sont laïques, avec un but économique et politique. Mais la réalité est plus complexe, et le religieux reste, comme nous avons pu le constater dans d’autres articles, toujours très présent dans les règlements des corporations de métier. A cette époque, rien d’ailleurs n’est vraiment laïque…
Les confréries rassemblent la classe des compagnons et ouvriers et organisent la solidarité entre les petites gens de situation plus précaire : elles sont, si on peut se permettre cet anachronisme, les timides ancêtres de nos caisses d’entraides mutuelles et des conventions-obsèques…
Le document que nous avons choisi de présenter au lecteur permettra de pénétrer l'esprit qui anime ces confréries: il s'agit d'un article ajouté par Walther d'Andlau au règlement d'une confrérie plus ancienne, celle qui réunit les compagnons boulangers, cordonniers et meuniers. Cet ajout institue une chambre réservée à l'hôpital saint Jacques de Rouffach pour l'usage exclusif de confrères malades qui bénificient en outre de la nourriture et boisson et des visites et soins par un membre désigné par la corporation, et par un Maître de l'hôpital! Et tout cela sans contrepartie financière...
Un lit, c'est peu pourra-t-on dire... mais il faut se souvenir que dans les hôpitaux (et les maisons également) on pouvait coucher à plusieurs dans un même lit, allongés les uns à côté des autres, ou tête-bêche, sans que personne ne trouve à redire...
Nous, Walther von Andlo, chevalier, et nous bailli, Schultheiss et Conseil de Rouffach faisons savoir à tous ceux qui liront cette charte ou l’entendront lire, que pour la louange et la gloire de Dieu tout puissant, de Marie, sa vénérable mère et de tous les saints, nous apporterons notre aide, selon nos moyens, à toutes les âmes croyantes qui vivent selon les six œuvres * de Miséricorde et à tous ceux qui ont apporté et apporteront leur soutien, leur aide et leur contribution, et à ceux qui ont créé, administré et soutenu (protégé) cette fondation. A la demande et suite à la prière des compagnons boulangers, cordonniers et meuniers, œuvrant dans la ville et membres de la dite confrérie, nous donnons et concédons à eux et tous ceux qui leur succéderont, les droits et les privilèges suivants, dont ils pourront user et auront la jouissance, pour l’éternité, à l’hôpital Saint Jacques de Rouffach, situé dans la ville, pour 20 Gulden (florins) du Rhin qu’ils ont versés comptant au dit hôpital et que nous avons placés et employés pour l’usage et les besoins de l’hôpital.
En premier lieu, ils devront acheter le couchage comportant matelas, draps, couvertures de laine, oreillers et traversins. Tout ce qui est nécessaire pour qu’un malade puisse être nourri et recevoir de l’aide, été comme hiver, devra être acquis au frais de la confrérie, pour que, lorsqu’il tombe malade, un ou plusieurs compagnons des métiers ci-dessus nommés, qu’ils aient un emploi dans la ville ou dans le Mundat, puisse être accueilli, hébergé, logé, et avoir l’usage du dit lit et l’occuper. Ce même hôpital devra également donner à boire et à manger à ces malades tout le temps et aussi longtemps qu’il sera souffrant et nécessitera des soins. Un Spittal Meister devra prendre soin de lui, lui prodiguer ses conseils et lui offrir tout ce que l’hôpital peut offrir à un pauvre homme malade, en toute honnêteté et sans mauvaises intentions cachées (ungeforlich).
Un Büchsenknecht (un trésorier de la corporation) devra se rendre une fois par jour et tous les jours auprès de ces malades à l’hôpital et les visiter. Celui qui ne le ferait pas sera puni d’une amende d’un blaphart à payer à la confrérie, sans possibilité de grâce. Lorsque ces malades se seront rétablis et qu’ils pourront à nouveau se tenir debout, marcher et se débrouiller seuls, ils seront libres d’aller et de partir et aucun d’eux ne devra rien, ni à l’hôpital ni à qui que ce soit d’autre. Toutefois, ils seront libres de donner quelque chose à l’hôpital, pour la grâce de Dieu.
S’il arrivait qu’un malade meure à l’hôpital et quitte ce monde, tout ce qu’il possède à l’hôpital et tout ce qui lui appartient, dans la ville de Rouffach et dans le Mundat, que ce soit de l’argent, des vêtements ou autres biens, doit revenir à l’hôpital de Rouffach et y rester, sans aucun préjudice.
Chaque Spitallmeister ainsi que la confrérie devront posséder chacun une clé de la chambre dans laquelle se trouve le lit et tous les effets …
Pour confirmer et attester les droits et privilèges que nous avons accordés, afin qu’ils soient respectés et appliqués pour l’éternité par nos successeurs, nous Walther von Andelo, chevalier et bailli de Rouffach et de la seigneurie de l’Obermundat, avons appendu au bas de cette charte notre sceau. De même, nous, Schultheiss et Conseil de la ville avons appendu notre sceau afin que pour nous et nos descendants dans la ville de Rouffach et la seigneurie, cette charte ne puisse faire l’objet d’aucune attaque ou altération…
Donné le mardi, jour de la Sainte Agathe en l’année 1492 après la naissance de notre bien-aimé Seigneur
* Les six premières œuvres de Miséricorde corporelles sont énumérées par saint Matthieu dans la Parabole du Jour du jugement: « Nourrir l'affamé, abreuver l'assoiffé, accueillir l'étranger, vêtir les malheureux, soigner les malades, et visiter les prisonniers »; « ensevelir les morts » apparaît au cours du XIIe siècle et a été ratifié en 1220 par la collection canonique de Raymond de Peñafort
2. Bibliographie.
Pour en savoir plus sur la vie de l'hôpital Saint Jacques de Rouffach , nous recommandons à nos lecteurs la lecture de l'ouvrage très complet de François BOEGLY: Histoire de la Maison Saint Jacques de Rouffach en 3 volumes, chez Jérôme Do Bentzinger 2005 et 2007 et 2013
3. Quelques remarques à propos de cette charte...
On est toujours surpris de nos jours par la confiance totale que les hommes et femmes de cette époque avaient en l'éternité sur terre. La vie éternelle dans l'au-delà, bien sûr, on y croyait, c'était elle qui inspirait les actes de leur vie. Mais ils croyaient également à l'éternité dans le monde d'ici: on fonde par exemple des messes perpétuelles garanties par un capital dont les intérêts devaient, à perpétuité, couvrir les frais de ces messes! On n'imagine pas qu'il puisse y avoir un changement dans l'ordre des choses: il y aura toujours des Maîtres et des compagnons, il y aura toujours un hôpital Saint Jacques avec un couchage réservé aux malades de la corporation des boulangers, cordonniers et meuniers, ce qu'on a institué aujourd'hui l'est pour l'éternité...
Très souvent dans les règlements des confréries, plusieurs items instituent la possibilité d'une aide financière pour les compagnons qui sont momentanément dans le besoin: mais il s'agit le plus souvent de petites sommes, et c'est toujours un prêt, à rembourser dans un délai assez court ou à récupérer sur l'héritage en cas de décès. Or ici, il n'est pas demandé de contrepartie à l'usage de la chambre et du lit: on peut donner, mais ce n'est pas une obligation...
A noter également qu'il n'est question dans cette charte ni de médecin ni de soins médicaux à l'hôpital Saint Jacques: la vocation première de l'hôpital est d'accueillir les pauvres malades, les vieillards et infirmes, les enfants abandonnés ou orphelins mais l'hôpital n'est pas encore un lieu de soins médicaux.
Traduire une charte de ce type et de cette époque est un exercice difficile et la traduction que j'en propose est perfectible. Le document original ne comporte aucune ponctuation, ce qui est souvent le cas. Une seule phrase peut occuper plus d'une page et on a du mal à s'y retrouver.
On y rencontre souvent des longueurs, des répétitions, une phraséologie redondante et des formules de style trop répétées : en particulier des répétitions de mots qui apparaissent aujourd'hui comme une succession inutile de synonymes mais qui ont une utilité bien définie:
den selben Kranken soll man in dem Sant Jacobs Spital uf nehmen, behusen, beherbergen:
ces trois verbes nous paraissent synonymes et on serait tenté de les traduire par un seul mot accueillir: mais il s'agit de trouver le mot précis pour éviter ultérieurement toute contestation, toute interprétation frauduleuse.
un autre exemple:
... diese Gerechtigkeit und Fryheit ... zu ewigen Zitten zu haben, zu genÿssen und zu pruchen, zugelassen, zugesagt, und verwilliget
il leur donné, concédé, accordé et autorisé de disposer de ce droit et ce privilège pour l'éternité, d'en jouir et de les utiliser...
et un peu plus loin:
... in des Spittals Nutze und Fromme... et .... das ob bestimbt Bedt inhalten und pruchen...
Une dernière petite remarque au sujet de l'emploi de l'expression ungevorlich, ongeferde ou one Geverde, qui sont de faux amis et qu'on a rapidement traduits par "à peu près", ou "inoffensif", "sans danger" ungefährlich. Or il 'agit de l'expression ohne Gefährde dans laquelle Gefährde signifie List, Betrug, Verheimlichung, mit böser Absicht, unaufrichtig, betrügerisch. L'expression s'utilise fréquemment pour confirmer une transaction, un contrat, une fondation de rente par exemple, pour affirmer que ce qui vient d'être conclu l'a été fait sans malice, sans arrière pensée, sans intention cachée de tricher. Il n'y a pas vraiment d'équivalent français à cette expression.
Gérard MICHEL juillet 2018
4. Pour les amateurs de paléographie...
Cette copie d'une fondation perpétuelle de Cammer et Bedstatt réservées aux compagnons cordonniers, boulangers et meuniers de la ville et autres localités du Mundat figure au beau milieu (feuillet 90) d'un livre censier de l'hôpital Saint Jacques de Rouffach de 113 feuillets, couvert en parchemin (réutilisation d'un document plus ancien)
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G.M. 2018