Le document que propose cet article est une supplique adressée par l’ensemble des très obéissants et très soumis sujets de l’Obermundat à son altesse sérénissime l’évêque de Strasbourg, leur Seigneur et Prince.
Le document n’est pas daté, comme la plupart des suppliques. Mais la graphie, certaines tournures et les situations évoquées permettent de préciser les circonstances et le moment de sa rédaction: il date vraisemblablement des années qui ont suivi les traités de Münster en Westphalie de 1648 et des événements douloureux qu’a connu la ville en 1674 et 1675
La population de la Ville implore leur Seigneur pour qu'il leur vienne en aide en allégeant les charges qui s’accroissent de jour en jour et qui leur sont devenues insupportables. Il s'agit donc de convaincre et dans le cas présent d'émouvoir, de susciter de la pitié...
D’autres requêtes sur les mêmes sujets sont conservées aux archives de Rouffach, j’ai choisi celle-ci, malgré les difficultés qu’elle présente par le vocabulaire et la syntaxe parfois inutilement compliquée et parfois obscure. La traduction n’a pas été aisée, et celle que je propose ici n’est pas définitive, il reste encore des lacunes importantes que les lecteurs pourront peut-être aider à combler…
L’évêque Jean de Dürbheim interdit la démolition de tout bâtiment dans la Ville
Le document original de 1307 écrit en allemand (almand), (dont nous ne possédons qu’une traduction en français de 1707) est signé par Jean, évêque de Strasbourg. Il s’agit de Jean de Dürbheim qui fut évêque de Strasbourg de 1306 à 1328. Le chroniqueur F. Closener, dit de lui qu'il était un roturier ayant accédé à l’évêché de Strasbourg, quoique né en dehors des liens sacrés du mariage !
Désigné par le pape Clément, et protégé par les Habsbourg, Jean fit preuve d’un grand sens politique qui lui valut une position exceptionnelle parmi les princes impériaux allemands. Jean entendait améliorer les mœurs du clergé, contrôler les mouvements des objets du culte, des ornements des églises, régler le conflit latent entre les ordres séculiers et réguliers, un désir de « remettre de l’ordre » dans une institution qui partait à vau l’eau… Il sera également à l’origine des travaux de fortifications dans des communes de l'évêché (Molsheim, Mutzig, Schirmeck, Dachstein, Dambach, Benfeld, Marckolsheim, Sainte-Croix, Boersch …
L'archiviste au travail: Pierre-Paul Faust, le 5 janvier 2012 (décédé le 4 janvier 2017)
Dans cet article, nous emploierons plusieurs fois le mot charte, un mot qui est encore d’actualité mais qui, au Moyen-Âge, a une signification particulière. Il y sera question de chartes de franchises qui sont des documents rédigés par le pouvoir seigneurial et qui concèdent et garantissent aux habitants d’une ville, d’un bailliage ou d’une seigneurie, un ensemble de droits, de privilèges, de franchises. Ces chartes sont pour leur grande majorité rédigées sur parchemin et authentifiées par un ou plusieurs sceaux. D’autres chartes peuvent concerner un titre de propriété, une dotation, la vente de terres, une fondation, etc.
La plus ancienne charte conservée aux archives de Rouffach: 27 février 1270
Un Kopialbuch est un cartulaire, (du latin cartulaire), un registre qui contient les copies de chartes. Il est réalisé afin d’éviter d’endommager, par exemple en raison d’une utilisation fréquente, un original précieux. Il permet de fournir une vue d’ensemble rapide et précise, des titres légaux et des titres de propriété, ce qui simplifiait le travail administratif. Et enfin, il permet d'éviter la perte définitive de titres de propriété importants, à la suite d’un incendie ou par les effets de la guerre. Ces cartulaires peuvent être certifiés conformes à l’original par un notaire.
Les archives municipales de Rouffach conservent plusieurs de ces registres, rédigés par les greffiers municipaux aux 17ème et 18ème siècle. Ils reproduisent des documents du 14ème et du 15ème siècle et ils constituent une source essentielle pour l’historien, les originaux n'ayant pas toujours été conservés. Ces chartes sont signées des plus hautes autorités de l’empire, rois, empereurs, évêques, noblesse de l’Empire et de l’Obermundat, et concernent des privilèges accordés par elles à la Ville et au bailliage.
La cave des Hospices de Strasbourg abrite le plus vieux vin au monde, un blanc né en 1472.
photo dans Christophe Reibel La Vigne - Vitisphere le 22 janvier 2015
Le vin a une importance considérable dans l’économie de Rouffach dès le haut Moyen-Âge et il participe à la richesse et à la renommée de la ville. C’est une source de revenus pour le peuple, c’est une source de richesse pour les bourgeois et surtout pour les nombreuses cours appartenant à de riches abbayes parfois lointaines qui perçoivent les revenus des terres qu’elles possèdent à Rouffach, ainsi que pour le seigneur de la ville, l’évêque et les chanoines du grand chapitre qui perçoivent la dîme en vin.
De ces cours, dont certaines sont mentionnées dès la fin du 7ème siècle, il subsiste encore des traces dans l’architecture ou la toponymie de la ville, telles les rues de Pairis et de Lucelle, ou le fenestrage gothique de la galerie de l’étage de la cour d’Eschau, visible depuis la Promenade des Remparts.
En 640 selon Sebastian Münster, 662 selon T. Walter ou 675 selon Grandidier, Dagobert donne à l'Eglise de Strasbourg une curtis [1] in pago qui vocatur Rubiaca. Le récit de cette donation ne repose sur aucune charte authentique retrouvée et relève de la légende. Cependant, elle a bien eu lieu: à quel moment, par qui, le mystère demeure...
Rapidement, ce domaine s'étendra et sera progressivement découpé en parcelles plus ou moins importantes, qui seront offertes, avec terres, vignes, habitat et habitants, par les évêques successifs, à des communautés religieuses qui les feront fructifier et en tireront leur revenu.
Le lecteur trouvera ci-après une liste, non exhaustive, de ces abbayes, couvents, commanderies, prieurés, qui ont été les premiers propriétaires, et viticulteurs, de nos vignes, les domaines du Vorbourg, Galg Buehl, Leimen, Rot Mürle, Bollenberg, Schlittweg, Sanct Lendelin...
La cour dimière épiscopale de Rouffach
Avant l'ère du plastique, de la fibre de verre et de l'acier inox qui s'est installée dans beaucoup de nos caves, les corporations faisaient une distinction extrêmement sévère entre les artisans qui fabriquaient les différents contenants utilisés par les vignerons: les dictionnaires des frères Grimm et celui d'Adelung font ainsi la distinction entre Küeffer, Bötticher, Böttcher, Kübler, Fassbinder, Grossbinder, Schwartzbinder, Kleinbinder, etc. Le vin était, avec les céréales, une denrée précieuse, une part importante dans la consommation quotidienne des gens du peuple et une source de revenus importante pour ceux qui en prélevaient la dîme, le seigneur du lieu et les nombreuses maisons religieuses qui étaient possessionnées à Rouffach. Il était donc essentiel de veiller soigneusement à son élaboration et à sa conservation et la bonne qualité des tonneaux, cuves, bottiches, fûts, foudres jouaient là un rôle primordial.
Le sujet de l'article est un règlement qui fixe les droits et les devoirs du Zehenthoff Küeffer, un titre conféré par la haute autorité de l'Obermundat, l'évêque de Strasbourg à l'homme qui sera chargé d'une fonction essentielle, celle d'entretenir les tonneaux de la cave dimière de l'évêque, mais aussi et surtout de surveiller la maturation et l'évolution du vin, denrée précieuse, s'il en est. Une fonction multiple, celle de tonnelier de la cour dîmière, certes, mais aussi et surtout celle de responsable de cave, caviste, maître de chai, dirions-nous aujourd'hui.
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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