Nous ne savons que peu de chose du quotidien de la maison de l’ordre du saint Esprit de Rouffach et de son hospice : il ne nous en est pas parvenu de chronique et parmi les rares documents que nous possédions, ceux qui peuvent aider le mieux l’historien à reconstituer quelques instants de vie de cette vénérable institution, sont les registres d’un schaffner, le comptable, chargé de tenir et d’équilibrer les comptes et de noter scrupuleusement les recettes et les dépenses.
Nous proposons dans cet article un item tiré du livre de comptes, Heülig Geist Register de 1603, tenu par Jacob Anshelm, schaffner des heiligen Geist Ordens und Hauses zu Ruffach.
Et si on payait nos loyers ou nos impôts autrement ? Pourquoi pas en chapons ou en poules ?
Dans les registres de comptes de Jacob ANSHELM, comptable des dépenses et des recettes, Schaffner, de l’hospice du Saint Esprit de Rouffach, entre les années 1573 et 1609, figure au chapitre des recettes, un état des cens dus à l’hospice par des bourgeois de Rouffach, Pfaffenheim, Orschwihr et Gueberschwihr.
Ces cens constituent vraisemblablement le loyer d’une terre donnée à un tenancier, suivant un contrat emphytéotique, à titre héréditaire (erblehen, hereditates) ou à bail. Ou alors zins désigne intérêts d’un prêt à intérêt, ce qui n’est pas le cas de cens, charge qui reste attachée à un bien fonds.
Habituellement, les cens sont annuellement, à date d’échéance fixe, le plus souvent à la Saint Martin, en espèces ou en nature. Le paiement en espèce est rare, pour une raison très simple : au moment de la signature, le tenancier fixe un loyer qui restera le même tout au long de la durée du bail emphytéotique, un bail de très longue durée, le plus souvent compris entre 18 et 99 ans, voire plus, puisqu’il peut être héréditaire. Si le cens est dû en nature, en grains par exemple, un boisseau de blé, de seigle ou d’orge représentera toujours le même volume, 99 ans plus tard ! De même, un omen de vin restera toujours un omen de vin… Par contre, qui peut dire quelle sera encore la valeur de la livre, du schilling ou du pfennig, un siècle plus tard ?
Albrecht Dürer Die Hexe (vers 1500) Staatsbibliothek Bamberg
Traduction G.M.
" Marie WEINGANT, veuve de Jacob LAUR, bourgeois de Rouffach et ancien Werckmeister, en raison de toutes sortes d’indices retenus contre elle et des fortes présomptions de sorcellerie, aussi parce qu’elle avait été dénoncée comme leur compagne et complice, Gespillin, par plusieurs personnes depuis exécutées par le feu, a été arrêtée et incarcérée le 25 février 1631 et lors de son interrogatoire, elle a avoué, d’abord spontanément puis sous la torture, ce qui suit :
Malefiz Urthe(i)l: sentence à l'issue d'un procès criminel
L'article intitulé La chasse aux marques lapidaires continue!, rendait compte de la découverte de l'une des rares traces laissées par l'ordre du Saint Esprit dans le paysage urbain de Rouffach. Dans l'un des jambage du portail de l'ancienne ferme de la rue Ullin avaient été réemployées deux blocs de pierre (remontées à l'envers!) sur lesquels figurent deux écus. L'un d'entre eux représente la croix de l'ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit. Nous n'avons pas su interpréter alors le second écu, mais dans un commentaire à cet article, un lecteur d'obermundat.org, M. Denis Heissler, émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir des armoiries de la famille Zuckmantel de Brumath. Depuis, cette ancienne ferme a été démolie pour céder la place à un projet immobilier, mais les deux pierres remarquables ont été préservées et offertes à la Ville de Rouffach par l'ancien propriétaire. Sur l'envers de l'une d'elle, que l'on ne pouvait apercevoir lorsqu'elle était en place, a été découvert un troisième écu, dont nous avons soumis une photographie à M. Denis Heissler qui, très aimablement, a accepté d'entreprendre des recherches pour l'identifier, à la suite desquelles il nous propose l'interprétation qui suit:
Un hôpital au Moyen-Âge
(document kleio.org Alltagsgeschichte des Mittelalters)
Vers 1180, Guy de Montpellier (1160-1208) fonde l'ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit et de la confrérie du Saint-Esprit dont la vocation est d'accueillir tous les déshérités de la vie, les enfants abandonnés, les pauvres et les malades. L’ordre se répandit rapidement dans toute la chrétienté, surtout en Italie et en France, avec près de 800 maisons. En Allemagne, il y en eut beaucoup moins, une dizaine, surtout en Allemagne du Sud : le premier et le plus important d’entre eux était situé en Alsace, à Stephansfeld, fondé vers 1210, au sud de Brumath. En 1270 est fondée une filiale de Stephansfeld, l’hôpital du Saint Esprit de Rouffach, que l’on appellera altes Spital, le vieil hôpital, pour le distinguer du neues Spital, le nouvel hôpital, l’hôpital saint Jacques, cité pour la première fois en 1311.
L’établissement de Rouffach comportait plusieurs bâtiments : la chapelle, l’hospice séparé de l’hôpital par le passage de l’Ombach, des bâtiments annexes servant de logement, le moulin à farine et sa boulangerie sur le même Ombach et une cour dimière dans la rue Ullin. Au XVIème siècle, l’hôpital possédait toute l’actuelle rue des Bouchers, de nombreuses maisons dans la ville, une part des revenus de l’Isenburg ainsi que des terres et des propriétés qui s’étendaient bien au-delà des limites du Mundat.
Le XVIIème et le XVIIIème siècle furent une période de déclin et en 1791 l’hôpital ainsi que la petite église furent vendus à un particulier : l’hôpital du Saint-Esprit avait cessé d’exister…
Aujourd’hui, il ne reste de ce vaste ensemble que le nom de la ruelle qui en longeait un des côtés, la ruelle du saint Esprit. Tout le reste a disparu ou a été profondément restructuré.
Peu d’archives anciennes de l’hospice du saint Esprit de Rouffach ont été conservées, transférées au fil du temps vers l’établissement de Stephansfeld, dispersées et perdues pour la plupart.
Les archives municipales de Rouffach conservent cependant un document rare qui permet, indirectement, de pénétrer dans le quotidien d’un hôpital de la première moitié du 15ème siècle : il s’agit d’un procès-verbal consignant les dépositions d’une quinzaine de bourgeois de Rouffach, de membres du Conseil, du curé de la paroisse et même de l’abbé de l’abbaye saint Grégoire de Munster, appelés à témoigner dans une procédure opposant Schultheiss et Magistrat de la Ville à Jos. von BADEN, Maître de l’hospice du Saint Esprit de Rouffach.
De quoi s’agit-il ? De tensions et désaccords entre les deux parties, mais on ne saura rien de plus et on ne saura pas le fin mot de l’affaire : nous laissons au lecteur le plaisir de deviner, au fil de la lecture des différents témoignages, ce qui a bien pu se passer…
Mais surtout, la lecture attentive des témoignages successifs lui fera découvrir une multitude d’indices qui, mis bout à bout, lui permettront d’imaginer ce que pouvait être la vie quotidienne d’un hôpital du Moyen-Âge…
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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