Albrecht Dürer Die Hexe (vers 1500) Staatsbibliothek Bamberg
Les aveux de Maria Weingant
Traduction G.M.
" Marie WEINGANT, veuve de Jacob LAUR, bourgeois de Rouffach et ancien Werckmeister, en raison de toutes sortes d’indices retenus contre elle et des fortes présomptions de sorcellerie, aussi parce qu’elle avait été dénoncée comme leur compagne et complice, Gespillin, par plusieurs personnes depuis exécutées par le feu, a été arrêtée et incarcérée le 25 février 1631 et lors de son interrogatoire, elle a avoué, d’abord spontanément puis sous la torture, ce qui suit :
Malefiz Urthe(i)l: sentence à l'issue d'un procès criminel
Il y a environ 15 ans, du vivant de son premier mari, Jean KLEIN, une nuit, alors qu’elle se faisait beaucoup de soucis pour élever ses six enfants en bas âge, apparut auprès d’elle un homme qui la consola, lui disant qu’elle ne devait pas se faire de soucis et qu’il désirait lui venir en aide.
Peu de temps après, le même reparut dans le local du pressoir, tard le soir, avant l’heure du coucher, lui demanda ses faveurs, qu’elle lui accorda, et pendant l’acte, elle le trouva d’une nature étrange. Il était venu vers elle sous l’apparence d’un jeune garçon, qu’elle avait pris pour le fils de Martin KLEIN. Mais comme elle avait trouvé cet amant si contraire à la nature, elle invoqua le nom de Jésus et il disparut aussitôt.
Trois jours plus tard, le même reparut au même endroit et à nouveau lui demanda ses faveurs. Mais comme elle refusait parce qu’elle avait trouvé l’acte si contraire au naturel, il lui répondit qu’il était le Diable et qu’elle devait à présent lui obéir, sinon il allait la déchiqueter en morceaux. Il la frappa de multiples coups et l’obligea à renier Dieu et tous les Saints. Ce qu’elle fit, mais le regrettant de tout son cœur. A la suite de quoi, il lui offrit un Thaler impérial qui s’avéra par la suite n’être dans sa main que du feuillage.
Huit jours plus tard, il revint dans sa maison en compagnie d’une femme qu’on appelait la Memmingerin,[1] celle de Memmingen (Bavière), qui venait d’être jugée et condamnée. Il lui dit qu’il voulait célébrer ses noces avec elle. Il lui donna une baguette, un bâton enduit d’onguent, sur lequel il la fit asseoir, et après qu’il eut prononcé la formule « Huÿ !, stoss einen an », ils s’envolèrent tous en direction du Zimmerplatz, en passant par-dessus la porte de Rheingraffen (porte des Rhingraves, porte sud de Rouffach). Une fois qu’ils furent arrivés, on festoya de toutes sortes de viandes et on but du vin rouge et du blanc, dans des gobelets d’argent, mais il n’y eut au repas ni sel ni pain. Après le banquet ils dansèrent, gambadant et sautant. Parmi les convives se trouvaient entre autres :
- Georges MULLER dit « der DURST », l’assoiffé [2]
- Madeleine, l’épouse de Melchior HUG
- Anna, l’épouse de Jacques WEITER
- Catherine, l’épouse de Materne BECKH, surnommée die Mehlfrau
- Guillaume WELL, le violoneux
Après la danse, son fiancé, il s’appelait PETERLIN, accomplit l’acte avec elle, dans un lit qu’elle avait trouvé d’abord trouvé fort luxueux, couvert de velours et de soie mais qui s’avéra plus tard n’être qu’un tas de feuilles mortes et de vieille paille. Puis ils revinrent en toute hâte à la maison où il lui remit une pommade blanchâtre avec l’ordre de s’en servir pour nuire aux humains et au bétail.
Il y a quelques années, elle s’était servie de cet onguent sur son valet, un certain Georges, qui en est tombé malade mais qui, au cours de sa maladie, l’a quittée, si bien qu’elle ne savait dire s’il en était mort ou pas.
Il y a quatorze ans, lorsque le jeune fils de sa sœur, la veuve de Gaspard BREITENSTEIN lui rendit visite dans sa maison, elle prépara, sur l’ordre de son fiancé une tartine de confiture de raisin sur laquelle elle pulvérisa un peu de la poudre magique que lui avait donné le Malin. Le garçonnet commença aussitôt à dépérir, se mit à enfler de tout le corps et décéda en l’espace de 4 semaines.
Il y a sept ans, elle pénétra par la porte arrière de l’étable du prévôt de Rouffach, Apollinaire DIDENEY après s’être assurée que personne n’était en chemin, et elle frappa, au nom du Diable, d’un coup de bâton qu’elle avait enduit de son onguent de sorcière, un beau cheval brun. La pauvre bête dépérit pendant une quinzaine de jours et finit par en crever.
Il y a cinq ans, poussée par PETERLIN, son fiancé, elle enduisit, au nom du diable, le ventre d’un jeune garçon, le fils de Georges MILLER l’ancien instituteur. L’enfant agonisa longtemps et finalement, décéda.
À la même époque elle enduisit le visage de sa propre fillette. Le visage se mit à enfler considérablement, mais grâce à l’intervention d’autres personnes elle put être sauvée.
Il y a environ 4 ans, l’enfant de Jacques FÜEGGER, ancien voiturier et journalier à la cour dimière, tournait autour de sa maison. Sur l’ordre de l’esprit malfaisant, elle lui offrit un quartier de pomme qu’elle avait enduit de son onguent diabolique. Il en tomba malade et en mourut dans des conditions misérables.
Il y a environ 4 ans, la fille aînée de son parrain, le défunt Jacques WIRTH, nommée Odile, vint chez elle dans sa maison et au cours de la conversation, elle se plaignit de ne pas avoir trouvé à se marier parce que son défunt père avait laissé après sa mort tant d’enfants. Sur quoi elle, Maria, lui répondit qu’elle ne devait pas se faire de soucis à cause de cela et que si elle voulait la suivre et lui obéir, elle allait lui trouver un beau et riche jeune prétendant. La jeune fille accepta de lui obéir et Maria lui présenta, à la tombée de la nuit, l’esprit mauvais, venu dans sa maison sous les traits d’un jeune homme auquel Odile ne tarda pas à céder, à la demande du Malin et encouragée par Maria. A la suite de quoi il la força, comme elle était devenue son bien et qu’elle devait faire sa volonté, à renier Dieu et tous les Saints. La même nuit furent célébrées leurs noces sur le Zimmerplatz, et à ses noces se trouvaient aussi :
- Catherine, la femme de Jacques JÖCKHLIN
- La femme d’Antoine DORNSTETTER le vieux, de Gueberschwihr
- Un vieil homme fortuné de Gundolsheim, nommé MÖGLIN, lui semble-t-il
- La fille célibataire de Laurent HUGG celle que sa grand-mère, Madeleine, la femme de Melchior HUGG aurait, pensait-elle, pervertie. (verführt)
- Une femme de Pfaffenheim dont le mari s’appelait, croyait-elle, André KHOLER.
Il y a 13 ans, au printemps, elle et sa compagnie (Gesellschafft), se réunirent dans un champ près du Lauchenweg. Là elles versèrent dans un grand pot, au nom du Diable, toutes sortes de semences et de l’eau qu’elles ont fait bouillir, ce qui a provoqué une gelée blanche qui gâta les vignes alentour. Parmi cette assemblée se trouvaient beaucoup de personnes d’importance et également :
- Madeleine, la femme de Melchior HUGG
- la femme d’André KHOLER déjà citée plus haut
- la femme de Jacques JÖKHLIN, le tailleur
- Odile, la fille du défunt Jacques WIRTH, qu’elle avait pervertie
- Guillaume WELL, le violoneux, qui participait à toutes les réunions de sorciers et sorcières. Elle ajouta que la rumeur courait que ce WELL aurait ravi la virilité de Laurent WEINGANT. [3]
Il y a environ trois ans, toujours sur l’ordre de son fiancé PETERLIN, alors qu’elle devait manger la soupe avec elle, elle enduisit la cuiller de Catherine, la fille célibataire du prévôt, de son onguent magique, au nom du Diable. Catherine dépérit peu à peu et finit par mourir.
Elle reconnaît qu’il y a deux ans, elle avait promis à sa plus jeune fille, ANNA, qu’elle lui trouverait un jeune homme. La jeune fille lui répondit qu’elle voulait bien d’un homme. Peu après, une nuit dans sa maison, l’esprit malfaisant lui apparut sous les traits d’un jeune garçon boucher dont elle était amoureuse. Elle se donna à lui et, comme qu’elle l’avait trouvé d’une nature étrange, elle s’était écriée : « O mère de Jésus, ce n’est pas là Jean Jacques, le garçon boucher ! » Et à ces mots, il disparut.
Quatre jours plus tard, l’homme, sous l’apparence précédente, revint auprès de sa fille et la posséda à nouveau, avec la complicité de sa mère et, comme précédemment, elle le trouva de nature étrange. Il lui offrit une pièce d’or qui s’avéra par après n’être que du feuillage, en lui disant que désormais elle était son bien, qu’elle devait renier Dieu et tous ses Saints, ce qu’elle a fait. Puis il l’a assise sur une fourche enduite de l’onguent magique et en compagnie de la fille célibataire de Laurent HUGG ils se rendirent sur le Ziegel Rasen où furent célébrées les noces.
Elle reconnaît que sa fille lui avait souvent et avec beaucoup de Jammer, reproché de l’avoir ainsi détournée de Dieu et de l’avoir offerte à Satan.
Il y a environ un an, son fiancé, Peterlin, lui remit une poudre brunâtre, avec laquelle elle aurait dû empoisonner un cheval appartenant à son frère, Laurent WEINGANT. Mais comme ce cheval était trop bien protégé par des bénédictions, elle ne put rien faire et elle saupoudra une brassée de foin avec cette poudre et elle la donna à un de ses propres chevaux, qui en creva sur le champ. "
Fin des aveux.
Inventaire des biens de Maria WEINGAND, dressé après son exécution :
(W 347 ADBR Baillage de Rouffach) 4 juillet 1631
- elle possède une maison estimée à 900 livres „alhie in der Statt, hinder der Kirchen gelegen… ist angeschlagen 900 Pfund…“
- elle possède des vignes
- 3 Schatz in der Mittlen Fergel
- 4 Schatz im Lauchenweg
- 1 Schatz im Lauchenweg
- 3 Schatz im Lauchenweg
- 5 Schatz in der Wolffgassen
- 2 Schatz in der Fergel
- 2 Schatz im Mannburg
- elle possède des champs (Acker)
- 1 Jeüchert im Hindern Beÿfand
- ½ Jeüchert im Newen Brunnen Veldt
- 2 Jeüchert beÿ Oberensen Brücklein
- 1 Jeüchert beÿ der Leimengruben
- 1 Jeüchert im Klee Acker
- 1 Jeüchert im Wolff Winckhel
- 2 Jeüchert im Heillig Creitz Veldt
- 1 Jeüchert beÿ der Stiermatten
- 3 Jeüchert beÿ Oberensen Brücklen
- 1 Jeüchert im Isenbreit Veldt
- elle possède aussi ein Krauttgarten beÿ der Ziegelscheür
- et ein Grassgarten vor dem Newen Thor
On apprend incidemment qu’il lui reste
- deux filles célibataires
- un fils qui s’appelle Hans Geörg KLEIN
Au moment de l’inventaire de sa succession et du partage des biens, le décompte révèle qu’elle a 1527 livres, 13 schillings et 2 pfennigs de dettes !!
Tout déduit, il reste un peu plus de « 9 Pfundt aus dem Erb » !, « und von der Behausung » il reste 295 Pfundt, 7 Schillings et 2 Pfennig !
Commentaires
Maria WEINGANT a été incarcérée pendant trente-huit jours et son emprisonnement a occasionné des frais qui seront déduits de ses biens après leur inventaire et leur estimation et partage. Stoffel LEIPART et Walter BRANT ont touché 38 livres pour avoir gardé Maria pendant son séjour en prison. Ils ont également consommé 24 livres pour leurs repas et trois livres pour les chandelles destinées à l’éclairage de leur poste de garde. Maître Melchior GINTHER, le bourreau de la ville, a perçu pour son office, gemelte Maleficantin torquiert und hingericht, 17 livres 11 Schillings et 8 deniers. Simon OTTMANN, greffier du bailliage, a été payé 21 livres pour avoir été témoin lors de l’inventaire et rédigé les différents actes.
Le repas qui a suivi le procès de Maria a coûté 18 livres 7 Schilling et 6 deniers et celui servi par Erhart BATSCHELIN, l’aubergiste de la Demi-Lune, à l’issue de l’inventaire des biens de Maria et leur partage, a coûté dix livres.
Elle a été emprisonnée pendant 38 jours, et comme elle a été arrêtée le 25 février 1631, elle a dû être jugée, condamnée et exécutée au début du mois d’avril 1631…
Le 10 juillet 1631 Melchior GINTHER, le Scharpfrichter est payé 17 Pf. 11 sch. et 8d. pour ses services « gemelte Maleficantin torquiert und hingericht», pour avoir soumis à la question et exécuté la criminelle…
Relevé des frais occasionnés par la détention, la torture et l'exécution de Maria (AMR FF 12)
Le 27 septembre 1631, Erhart BATSCHELIN, l’aubergiste de la Demi-Lune est payé 10 Pf. pour le repas servi à l’occasion de l’inventaire et du partage des biens de Maria WEINGANT.
Elle avait 51 ans, 6 enfants d’un premier mariage avec Jean KLEIN, décédé, et 4 enfants d’un second mariage, avec Jacques LAUR, Werckmeister, maître d’œuvre ou responsable de chantier, de Rouffach, décédé lui aussi…
Elle possède une maison, située derrière l’église, 20 schatz de vignes, 14 Jeüchert de champs, un potager et un verger / prairie… et 1527 livres, 13 schillings et 2 pfennigs de dettes!
Le dossier de Maria reste, à l’heure actuelle, relativement incomplet et ne permet pas malheureusement, au stade actuel de nos recherches, de reconstituer l’ensemble du procès.
On retrouve dans les aveux de Maria exactement le même schéma et les mêmes items que dans des centaines d’autres Urgichten de la même époque. Rien dans ces aveux ne permettrait, avec les lois de notre époque, de conclure sérieusement à une quelconque culpabilité de Maria. Très certainement provoqueraient-ils quelques sourires amusés des juges, des avocats et des jurés, tant ils sont singuliers et extravagants. Le procès lui-même est une mascarade, dans laquelle tout est joué dès le début.
Ce dossier est incomplet, nous l’avons dit, il manque en particulier l’Inquisition, l’audition des témoins. D’autres affaires que le lecteur pourra suivre sur obermundat, montrent bien que ces « enquêtes » préliminaires ne reposent sur aucune démarche logique de recherche de la vérité, mais sur des rumeurs, des racontars, des on-dit, qu’aucune enquête approfondie n’a pris la peine de vérifier. On retient ce qu’on veut entendre et ce qu’on a suggéré, par un questionnement habile, aux « témoins ».
Ce qu’on retiendra de cette lecture, c’est que Maria Weingant est une femme « ordinaire », une femme de 51 ans, mère de dix enfants, veuve d’un honorable bourgeois, gérant une maison et un important patrimoine rural de vignes et de champs. Elle a des dettes, bien sûr, sans doute parce qu’elle a, comme beaucoup de gens de l’époque, gagé quelques biens pour assurer la survie de sa famille. Ce n’est pas cela qui ferait d’elle une sorcière.
De connaissances en herboristerie, des recettes de savants mélanges d’herbes, de philtres, de potions, d’onguents ou autres poudres magiques ? Point ! L’onguent, la poudre magique, ce n’est pas elle qui les a concoctés, c’est son amant diabolique qui les lui aurait donnés ! Sur plus d'une centaine de dossiers à peu près complets que nous avons transcrits et analysés, nous n'en avons trouvé que trois dans lesquels étaient nommées des plantes et où l’on pouvait soupçonner un savoir, réel ou prétendu réel. L’un de ces dossiers, concernant Jacob Strölin, a fait l’objet de deux articles publiés dans obermundat.org sous le titre Jacques Strölin der landtstreiffenten Zauberer von Süttigen, un maître sorcier S.D.F. ! et le lecteur pourra s’y référer. Magdalena, épouse Melchior HUGG de Rouffach, sœur de la Memmingerin prétend, elle, être capable de guérir par des prières dont elle révèle, au cours de son interrogatoire, deux exemples qu’elle cite fidèlement : l’un pour guérir du Wurm, (vers intestinaux, taenia ?) l’autre pour guérir du Carfunkhell, (ulcère ou furoncle). Des prières sous forme d’incantations qui ne sont pas sans rappeler celles qui figurent dans les Geistliche Schilder, boucliers spirituels ! (voir à ce sujet Récit rocambolesque d’un aventurier ou délires d’un mythomane? le procès du "sorcier" Jacques Strölin)
Rien de ce dont s’accuse la malheureuse Maria n’est vérifié par la justice auprès de témoins : elle aurait même tenté de tuer sa propre fillette et un de ses chevaux… sans explications ? Lui a-t-on d’ailleurs demandé une explication ? Dans cette procédure, le seul témoignage suffit, témoignage souvent « à tiroirs » : on m’a dit que quelqu’un aurait entendu qu’elle aurait…etc.
Les témoignages émanent essentiellement de « compagnes » et « compagnons » qui l’auraient dénoncée, lors de leur propre interrogatoire, sous la torture, l’accusant de l’avoir vue participer, en leur compagnie, à des noces sataniques. Mais ces témoins, ils n’étaient plus là pour témoigner au procès de leur « Gespielin », puisqu’ils étaient déjà morts dans les tourments du bûcher !
On sait aussi que l’administration fiscale récupérait une importante partie de la succession laissée par les victimes, mais l’appât d’un bénéfice ne constitue pas toujours la motivation principale d’une action en justice. Nous avons rencontré dans plusieurs procédures pour sorcellerie des comptes révélant des soldes nuls, que le greffier traduit sur les bordereaux par un simple « nichts » !
Maria est une femme ordinaire, avons-nous écrit. On a dit que les procès de sorcellerie étaient les procès de gens extra-ordinaires, hors des normes, différents. Différents par leur origine, comme la Memmingerin venue de Souabe ou la Breisgauerin venue de la Brisgau, ou une autre qui est welche…par une tare physique comme la Schielaüglerin qui louche…une autre, encore jeune, qui aurait enterré ses trois maris… une autre encore, trop belle, trop jeune, qui mènerait une vie un peu trop libérée et à qui l’on prête de nombreux amants… une autre qui est trop vieille, dont la maison est sale, qui ne va pas à la messe et qui a trop de chats…
Mais chez Maria, où est la différence ? Elle est juste veuve, deux fois, ce qui peut la rendre suspecte aux yeux des bien-pensants : qui sait de quoi et comment ces maris sont morts ?
Il est vrai que le dossier que nous avons eu en main est incomplet, et il manque des pièces essentielles et on ne sait pas quel a été l’élément déclencheur qui a précipité cette femme dans les rouages d’une machinerie judiciaire implacable.
Ce sera donc au lecteur de juger, au vu des éléments dont il dispose, si les accusations portées contre Maria sont recevables et se forger son intime conviction… à moins qu’il ait lui-même déjà aperçu dans le ciel de Rouffach un vol de sorcières chevauchant d’étranges montures passer par-dessus la Rheingraffenthor (la porte sud de Rouffach) pour rejoindre le Zimmerplatz où leurs comparses célébraient leurs noces sataniques….
Il se souviendra tout de même, que ces femmes, ces hommes et ces enfants, après les horreurs de la torture, les tourments du cachot, périront dans les flammes du bûcher…
Gérard MICHEL
Note:
Zimmerplatz ou Place des charpentiers est un lieu souvent évoqué dans les textes et que l'on retrouve dans d'autres villes ou villages: il s'agit d'un espace plat et dégagé réservé au montage « à blanc » par les charpentiers (Zimmermann) des charpentes et colombages des maisons en construction. Les différents éléments de la charpente sont tracés, taillés aux dimensions requises, et assemblés provisoirement à plat sur le sol plan pour vérification avant le montage définitif. Chaque élément est alors marqué d’un signe conventionnel qui permettra de le reconnaître et le replacer dans l’ensemble, puis transporté sur le lieu du chantier pour y être monté définitivement. Où se trouvait cette place? Hors les murs sûrement, puisqu'il fallait passer la Rheingraffenthor (porte sud de la ville) avant d'y arriver, mais où exactement?
Transcription du texte original des aveux (Urgüchten) de Maria Weingant A.D. Bas-Rhin 2 B 10 274
Uhrgüchten Mariae WEINGANTin weÿlundt[4] Jacob LAURen sel:[5] nochgelassene Wittibin zu Rufach:
Mariae WEINGANTerin Jacob LAURen sel:
Burgers und ge//
//westen werkhmeÿsters zue RUFFACH hinderlassene Wittib, welche
wegen allerhandt über sÿ inkhommene INDICIA und starckh Verdachts
der Hexereÿ, auch daß sÿ hiebevor von etlichen mit dem feür
Justificierten [6] für ihr Gespihlin[7] angeben, den 25 Febr.1631[…]
zue hoff genommen worden, die hatt so güet[8]: als peinlich[9]
bekhandt wie volgt :
1.seÿe nit ohne daß ungefohr 15 Jahren beÿ Lebzeiten ihres
vorigen Mans Hans KLEINen hab sÿ 6 kleine Khinder gehabt,
mit dem selbigen, wie sÿ solche auffziehen wolle, in großem Kummer
gestanden. Worauf uff ein Zeit zue Nacht seÿe einer zu ihren
khommen und sÿ geströstet, soll sich nicht bekhumeren, wolle ihren
wohl helfen.
2.bald darauff seÿe derselbig widerumben am Abent
spoth vor Beth Zeit zu ihren in ihr Trothaus khommen, den Beÿschlaff
an sÿ begehrt, welchen sie bewilliget und böser Natur befunden.
Dieser seÿe in Gestalt eines Knabens und des Martin KLEINen
Burgers Sohn alhie zue ihren khommen, und vermeint es seÿe eben
derselbige weil sÿ aber ihnen so unnatürlich befunden
und O Jesus gesagt seÿe derselb verschwunden.
- dreÿ Tag nach disem seÿe dieser angemeltem Orth wide//
//rum zue ihren khommen und abermahls den Beÿschlaff an sÿ begert
Weil dan sÿ solchem verwilliget undt zuvor einer unnatür//
//lichen beschaffenheit befunden, hab er ihren gesagt, dass er der
Theüffel seÿe mit vermelden sÿ mueß jez thun was er wolle
Der wille sÿ zu stükhen reissen und noch vil ihren gegebenen
Streichen gezwungen, dass sÿ Gott und alle heÿlige verleugnet
Dass sÿ aber ein solches gethan seÿe ihren von Herz leidt. Demnach
Hab er ihr einen Reichsthaler geben, so nur Laub gewesen
- in 8 tagen hernach seÿe dieser widerumb in ihrem Hauss
zu ihren khommen und die bereits justificierte MEMMINGERin mit
sich gebrocht, ihren damit angezeigt, daß er hochzeit mit ihren
halten wolle, deswegen ihren einen gesalbten steckhen geben
darauf gesetzt und mit diesen Worten Huÿ stoss einen an
zue nach über das Rheingraffen thor hinaus uff den Zimmer//
//platz gefahren, aldort haben sÿ gezecht, gestotten undt gebraten
Fleisch, weiss und roten Wein (so sÿ aus silberen Bechern
getrunckhen) aber kein Salz und khein Brot gehabt. Nach der
Zech haben sÿ getanzt und gesprungen, an disem orth seÿen auch
erschienen:
- Geörg MILLERder Durst
- Magdalena, Melchior HUGGen fraw
- Anna, Jacob WEITERs fraw
- Catharina, Mattern BECKen fraw
zu Gundelz., die Mehlfraw genant
- Wilhelm VELL, der Geiger
- nach verrichtem Tanz hab ihr Buol[10], so sich Peterlin ge//
//heissen, uff ein Beth, so sÿ für gar stattlich mit Samet undt
Seiden bedekht zue sein angesehn, welches aber hernach nur Laub
Und alt Sto gewesen, den Beÿschlaff mit ihren verrichtet,
folgents mit ihren widerumb in aller eÿl heimb gefahren und
ihren weislechte Salben geben mit Befelch Leüth und Vieh
damit verderben.
- vor johren hab sÿ mit dieser Salben ihren Knecht so
Geörg geheissen, bestrichen darauff er krankh worden
und in solcher Krankheit von ihren hienweg gezogen, wisse nicht
ob derselben gestorben oder nicht.
- vor 14 jahren als ihrer Schwester, des Caspar BREITENSTEINs sel:
frawen klein Büeblin in ihr Haus khommen, hab sÿ aus
Befelch ihres buolen demselben ein Traubellmuess fladen bestrichen
und ein wenig von ihrem zauberische Saamen, so der bös Geist
ihren geben, darauff gestreut, darauff selbiges Knäblein
anfangen zu serben, geschwollen und in 4 Wochen gestorben.
- beÿ 7 Johren hab sÿ dem herrn Schulheissen alhie
Appolonarÿ DIEDENEY ein schön braun Pferd mit einem stekhen
den sÿ mit ihrer hexen Salben gesalbt ins Theüffels nammen
geschlagen, welches 14 Tag geserbt[11] und sich verregt [?], zue disem
Pferd seÿe sÿ am Tag zu der hinderen Thüren in den Stall hienein
gangen damahlen niemant umb die Weg gewesen.
- vor 5 johren hab sÿ aus Antrib ihres Buolen dem Geörg
MILLER gewesten Schulmeÿster alhie ein junges Knäblin
ins Theuffels nammen mit ihre Salben am Bauch bestrichen,
davon solches lang geserbt und entlich gestorben.
- umb gemelte Zeit hab sÿ mit berürten Salben ihrigen
Khindt, ein Dochterlin, des angesicht bestrichen, davon
es gross geschwollen. Seÿe ihme aber duch andere Leüth
widerumb geholfen worden.
- es seÿe vor ungefohr 4 Johren Jacob FÜEGGERs,
Zehenthoff gewesten Karchers und Taglohners Kindt beÿ ihrem
Hauss herumb geloffen, disem hab sÿ aus Zwang ihres bosen
Geists ein apffel schnizlin mit ihrer theüffels Salben gesalbt
und zu essen geben, davon es gleich krankh worden und
folgents armselig gestorben.
- vor ungefohr 4 jahren seÿe ihr Gottel weÿlundt
Jacob WIRTHs seeligen hinderlassene älteste dochter Otilia
genandt zu ihren ihn ihr Haus khommen und under anderen ge//
//sprech erklagt, dass sÿ in kheine Heürath kommen khönne
weÿlen ihr Vatter sel: so viel Khinder hinderlassen, uff welches
Sÿ ihren zuegesprochen soll sich dessen nichts bekhümmeren, wan
Sÿ ihren folgen welle, werde sÿ bald einen schönen reichen
Jungen Mann haben. Weil dan sÿ ihren zue folgen versprochen
hab sÿ den bösen Geist in Gestalt eines jungen Gsellen ihren
am Abent zwischen liecht in ihrem Haus vorgestellt, welchem
die Dochter uff des bösen feindts begehren und ihr zue//
//sprechen den Beÿschlaff gewillfohrt. Darauf er sÿ ge//
//zwungen weÿlen sÿ nun mehr sein Eigen und thuen muess was er
wolle, hab sÿ daselbsten Gott undt alle heÿligen verleugnet
auch in selbiger Nacht ihr Hochzeit mit ihme uff dem Zimmerplatz
gehalten, beÿ welcher Hochzeit sich befunden:
- Catharina, Jacob JÖKHLINs fraw
- Anthonÿ DORNSTETTERdes alten von Geberschweÿr fraw
- ein reicher alter Man von Gundelshb:,
vermein heisse MÖGLIN
- des Lorenz HUGGen ledige Dochter, sÿ glaub
gänzlich des Madlena Melchior HUGGen fraw solche
verfüehrt, dan sÿ deren Grossmuetter
- ein fraw von Pfaffenheimb deren Mann hab ihres
vermeinens Andrès RHOLER (ou KHOLER) geheissen.
- hab sÿ und ihr geselschafft vor 13 Johren im Früehling ein
Zuesamenkhunfft uff einem Ackher im Lauchenweg gehalten, alda
haben sÿ in einem haffen dorein sÿ allerhandt Saamen, gifftige
Sachen und Wasser ins Theüffels Nammen gethon, einen Reiffen
gestatten, welcher die Räben in disem ganzen gelendt
verderbt, beÿ dieser zue sammenkhunfft seyen vil vornemme
vermumbte [?] Personen gewesen und sonsten auch:
- Madlena, Melchior HUGGen fraw
- obgemelte Andreas RHOLER (ou KHOLER) fraw von Pfaffenheimb
- Jacob JOKHLINs des Schneÿders fraw
- Otilia, Jacob WIRTHs sel: dochter die sÿ verfüert
- Wilhelm WELLder Geiger dieser lasse sich beÿ
allen Hexen plazen finden. Berichtet dabeÿ dass
dieser ein im geschreÿ [12]gewesen, als hette er dem
Lorenz WEINGANTen beÿ seiner hochzeit die Macheit
entnommen.
- beÿ ungefohr 3 johren hab sÿ geheiss ihrers Buolen des
Herren Schultheissen ledige dochter Cathrin als sÿ mit deren
Suppen essen sollen, den löffel mit ihrer zauberischen Salben
ins Theüffels Nammen bestrichen, davon dieselb angefangen
zu serben, hernach eins mahls kränkher worden und gestorben.
- bekhendt dass sÿ vor 2 Johren ihr jüngste dochter
Anna beredt dass sÿ ihme ein lustigen jungen Mann geben
Wolle, welche gesagt Ja ich möchte einen Mann wohl haben,
dorauf hab sÿ sich mit dem bösen Geist underedt dass
er in gestalt eines jungen Metzgerknechts, welchen bemelte
ihr Dochterr geliebt, zu Nacht in ihr Haus khommen sollte
welches er gethan und in solcher gestalt die Dochter, welche
sich demselben Tag nicht gesegnet, beschloffen, und weÿlen sÿ
denselben unnatürlich befunden, geschrawen O Jesus Muotter
das ist nit der Hans Jacob der Metzger Knecht, dorauf
derselb verschwunden.
- in 4 Tagen hernach seÿe dieser Gsell in voriger
Gestalt widerumb zue ihrer Dochter khommen und mit Hilf ihrer
dieselb beschloffen, den sÿ abermahls wie zuvor unnatürlich
befunden, vorauff er dieser ihrer Dochter ein goldt
Stukh geben, so nur Laub gewesen, mit vermelden jez seÿe sÿ sein
Eigen, müsse Gott und alle heÿlige verleugnen, welches
dieselb gethan, Gott und alle heÿlige verleugnet. Volgents
ihr Dochter uff ein gesalbte Gabell gesetzt und mit sambt
des Lorenz HUGGen ledige Dochter uff den Ziegelrasen
gefahren und aldort hochzeit gehalten. Dabeÿ sich abermahls
befunden: […]
- bekhendt dass gemelte ihr Dochter ihren solche
Verfüehrung offmahls mit grossem [Jamer?] verwissen.
- ein Jahr ungefohr seÿe es, dass ihren Buol Peterlin
ein braulecht Pulffer geben, mit welchem sÿ ihrem
Bruoder dem Lorenz WEINGANTen ein Pferdt umbringen sollen
weil aber solches zue wohl gesegnet gewesen, hab sÿ ihren
selbsten ein braun Pferdt verderbt undt das fuoter
von solchem Pulffer überstreit, davon es sich gleich verregt.
Notes:
- [1] Agatha, veuve de Hans Heüsslein, die alte Hebam, die Memmingerin genant (ADBR 2B Rouffach W 344)
- [2] Geörg Müller, Podtenmeister zue Ruffach exécuté par le feu en 1630 (ADBR 2 B Rouffach W 346)
- [3] Laurent WEINGANT, le frère de Marie WEINGANT.
- [4] weiland : adv. autrefois, précédemment, de son vivant, lorsqu’il est avant le titre ou le nom d’un défunt
- [5] selig : mort, défunt, feu
- [6] justifiziert : condamné(e) et exécuté(e)
- [7] Gespielin : complice, compagne, comparse, camarade de jeux !
- [8] Gütlich : sans recours à la torture
- [9] Peinlich : avec recours à la torture
- [10] ihr Buel : son fiancé
- [11] Serben : agoniser
- [12] Geschreÿ : la rumeur
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