Page de titre de la „Constitutio Criminalis Carolina“ (1532) ou „Peinliche Halsgerichtsordnung Kaiser Karls V.“
Jacob Strolin est un personnage haut en couleurs, bien connu de nos lecteurs. Deux articles lui ont été consacrés sur obermundat.org. Le premier intitulé: Récit rocambolesque d’un aventurier ou délires d’un mythomane? le procès du "sorcier" Jacques Strölin et le second: Procès criminel de Jacques Stroelin, Christina Siegerin et Christina Eckartin, brûlés vifs pour crime de sorcellerie en 1631.
Dans le présent article je vous propose le texte original, avec l'orthographe originale, parfois même très originale, d'une traduction en français de la sentence d'un procès qui s'est tenu à Rouffach le 7 septembre 1630, celui de Jacques Ströhlin, Christina Siger et Christina Eckart. Cette copie, conservée aux archives municipales de Rouffach, est datée du 17 janvier 1698. Pour quelles raisons s'intéressait-on encore à ces trois malheureux, 68 ans (et même encore encore 80 ans en 1710) après leur procès et leur exécution ? Le lecteur se souvient sans doute que ces procédures ne se terminaient pas avec l'exécution: le dernier acte en était toujours l'inventaire des biens sur lesquels le Fiscus prélevait une large part. Les biens laissés par Jacques Ströhlin ne devaient pas représenter grand chose, mais il n'en était pas de même pour la succession des deux autres condamnées, et il est possible que cette succession ait fait l'objet de procédures interminables entre les héritiers potentiels et l'administration de la régence épiscopale...
Le lecteur notera que le procès de Ströhlin s'est déroulé le 7 septembre 1630, et non en 1584 comme écrit dans un article paru sur un autre site consacré à l'histoire de Rouffach... et que ces documents sont conservés aux Archives municipales de Rouffach sous la cote A.M.R. FF 11 / 76 et 77
Jacob STROLIN, des landtfahrenten Zauberers von Sittingen gebürtig, der sonst gemeinglich GROSSNASS genandt würth, welcher umb verübter Zaubereÿ den 24. Julÿ dises 1630 Johrs eingezogen.
Dans un dossier très complet conservé aux Archives départementales du Bas Rhin, [1] une lettre accompagnant ses aveux, Urgücht, nous apprend que Jacob Strolin (aussi Strölin ou Ströhlin), le sorcier vagabond natif de Sittingen, surnommé Gros-Nez a été arrêté et incarcéré le 24 juillet 1630 pour pratique de la sorcellerie.
[1] A.D.B.R Bailliage de Rouffach W346
Texte original, avec l’orthographe originale…
7bre 1630 Proces criminelle
fait mardy 4. 7bre 1630.
Le Prévost tenant la baquette de justice
Les juges sont :
Jean ACHTJAHR George MISSEL
George REYHER Guilhelm WAGNER
Martin JUNGERMAN Jean Jacque WECKERLIN
Jean Conrad MILLER Thomas HEISLEIN
Jean Roudolff KOP Roudolph WETZEL
Jacque FRICK Paulus RULLMAN
Christoph WEISENBOURG Frederich GERING
Paul BREITSTEIN, maître de Tribune à la Fleure de Lis,
demandeurs.
Acteurs :
Les sieurs Jean Leonhard NOTTRE, Receveur, Simon OTTMAN greffier du baillage et Nicolas STRENG Marchalcke
de part Messieurs le Vice Dom, chancellier et conseillers de la Régence de l’Evesché de Strasbourg nos gratieux Seigneurs
Leurs Procureur :
Andreas FRIDERICH, sergent du Baillage
Accusés :
1. Jacque STRÖLIN coureur ou abandonné dit en allemand Landfarer de SITTIN
2. Christina SIGERin, femme de Jacque zum STEIN
3. et Christina ECKARTin, vefue de Jean SIGER le charon
Leurs procureurs :
Leonard SCHWARTZ, sergent de ville
En premier lieu, tous et chacun crime des ditte trois personnes posés en escrit m’ont esté mis ès mains par les dits officiers du baillage pour estre leû (pour être lus), ce qui at susdy esté fait.
Ensuitte, Messieurs les Demandeurs ont proposé leur cause, scavoir comme paroist plus au long par les escripts présentés et présentement leû, contenant les Crimes des accusés qui les fait paroistre très coupable en ce qu’ils ont renié Dieu et tous les saints, eust (eu) accointance avec le Démon, usés de sorcellerie, fait mourir hommes et bestiaux et fait plusieurs autres méchantes actions. Ce pourquoy, les accuses à peine de bien et de corps, espérant que les dits criminells seront jugés conformément aux ordonnances de Charles cinquième Empereur, et condamnés à mort.
Sur quoy, les accusés sont sortis avec leur procureur. Ensuite, estant rentrés, ont déclarés et confessé que les accusations tant par escrit que verballes faites contre eux contiennent entièrement la […] vérité, en sont fort mary, suplient qu’il leurs soit rendu un jugement favorable.
La sentence ayant esté recommandé à George MISSEL, il est sorti avec les autres juges, et est la sentence ensuivy, scavoir :
Sur plaintes criminelles faites de par les révérendissimes Seigneurs du Grand Chapitre de Strasbourg, nos très gratieux Princes, comtes et seigneurs par leurs soubdélégué Vice Dom, chancellier et conseillers séculiers |…] les sieurs officiers du baillage , demandeurs d’une,
contre Jacque GRÖSLIN, l’Abandonné, Christina SIGERERin, vefue de Jean MEYER et Christina ECKERLERin, accusés d’autre part
Sur les accusations proposées et réponces sur icelles et contredits, veux aussi les crimes des dits accusés produits par escrit, qu’ils ont de part et d’autre volontairement advoué et confessé, tout considéré seroit que les trois personnes accusées ont griefement offensé Dieu, en ayant renié la très Sainte Trinité, s’ayantes attachées au Sattan et rejoingt iceluy, endommagés hommes et bestiaux, et fait plusieurs autres maux.
des tenailles gluantes…
C’est pourquoy sont condamné à mort en la manière qui s’ensuit, scavoir en premier lieu, l’homme nommé Jacque STRÖLIN estant sortis de l’assemblée, sera mis entre mains de l’exécuteur, qui le conduira sur la place vis-à-vis de l’église, le pincerat avec de tenailles gluantes sur le bras droit, et ensuitte sur la dite place sera encor pincé de tenaille gluantes sur la poitrine et pars qu’il a despecté le très saint sacrement de l’autel, le bras droit luy sera coupé, ensuitte jetté au feu tout vif, pour y estre brûllé et consommé en cendre. Quant aux deux femmes, il est aussi ordonné qui celle et chacune deux seront semblablement conduite par l’exécuteur qui les pincerat chacune sur les bras droits avec des tenailles gluantes [2], de là les conduirat à la place de suplice ou seront pour une second fois pincée sur les bras gauches, ensuitte jettées toutes deux vivantes au feu où elles seront bruslées et réduites en cendre, lesquelles cendre des dittes trois personnes seront ensuitte enterrées, crainte quelles ne puissent nuire aux hommes ny bestiaux, le tout pour l’avoir bien mérité et pour donner horreur et exemple à d’autres.
Copie faite, signiff. et donné l’appui à M. NITARD
le 17 janvier 1698 par moy soub sign.
Nouvelle signature en février 1710 par REGNAULT
[2] Le greffier a traduit le texte original rédigé en allemand : mit glühenden Zangen… avec des tenailles rougies au feu par : " des tenailles gluantes…" Le même greffier s'est également heurté à une autre difficulté, la traduction en français de Landstreifer ou Landstreicher: le Deutsches Rechtswörterbuch, dictionnaire en ligne des expressions du droit, en donne la définition suivante:
Landstreifer ou Landstreicher: Wohnsitzlose, im Land herumziehende Persohn, ohne geregelte Arbeit, zählt zu den unehrlichen Leuten. Nous dirions aujourd'hui un sans domicile fixe, qui traîne sur les chemins du pays, qui n'a pas de profession ou d'emploi régulier et que l'on compte parmi les personnes malhonnêtes... Dans le document, le greffier a traduit par l'abandonné et le coureur... Pour ma part, avec un peu de sympathie tout de même pour ce personnage pittoresque, je traduirais Landstreicher par le chemineau, un homme qui erre par les chemins et vivant de menus travaux, de charité, ou de larcins...
On constate, en lisant ce document, qu'il n'a pas suffi que l'Alsace revienne à la France par la signature d'un traité pour que la langue française s'impose du jour au lendemain: la maîtrise de la nouvelle langue, tant à l'oral et surtout à l'écrit, prendra du temps, surtout dans les campagnes... il n'est pas rare, deux siècles plus tard, au début du XXème siècle, de trouver des documents officiels, rédigés en français, accompagnés d'une traduction "officielle" en allemand, resté la langue du peuple, même si le cœur était français...
Jacques STRÖLIN, un vrai sorcier?
Ce Jacques STRÖLIN est un personnage particulièrement intéressant et haut en couleurs. La plupart des accusés dont j’ai étudié le dossier sont des gens simples, souvent de petite condition et de peu d’instruction. Jacques STRÖLIN lui, parle latin, il est musicien Pfeiffer, il semble connaître les herbes et les remèdes, il dit qu’il sait barrer le feu, il possède un livre de recettes de magie, Il connaissait, disait-il, beaucoup de sciences étonnantes, il les avait apprises…in der Heÿdenschafft…, au pays des païens, quelque part entre la mer Rouge et la mer Noire…
Gérard Michel