L'image qui illustre cet article est la "note" de frais déposée par le bourreau de la ville, Scharpfrichter, pour ses services lors de la détention de l'épouse de Benedict SPENGLER. Au bas, la signature de Meister Melchior GINTHER.
Le compte rendu de ce procès tenu le mardi 4 septembre 1630, a été traduit en langue française le 17 janvier 1698 et réemployé le premier février 1710. Pour quelle raison s’est-on intéressé à ce procès, 80 ans plus tard ? Les archives ne donnent pas de réponse, mais on peut supposer qu’à la suite de l’inventaire, de l’estimation et du partage des biens de l’une des victimes il y ait eu une contestation en justice et que ce document ait servi de pièce dans le dossier d’une procédure qui s’éternisait…
…zue gewohnlicher Wahlstatt gefierth…
Il existe sous la même cote A.M.R. FF 11 / 67, un duplicata du même document avec quelques variantes, dont l’une particulièrement intéressante :
…Jacque STROLIN estant sortis de l’assemblee, serat mis entre mains de l’Executeur, qui le conduirat sur la place vis-à-vis de l’Eglise, le pincerat avec des tenailles gluantes sur le bras gauche puis le conduirat vers la Croix à la place de Justice où il serat encor tenaillé sur le bras droit. Et ensuitte sur la ditte place, serat encor pincé de tenailles gluantes sur la poitrine, et pars qu’il a despecté le très haut sacrement de l’autel…
La place du bûcher est habituellement toujours désignée dans les comptes rendus de procès par zue gewohnlicher Wahlstatt gefierth, sans autre précision. Un document du 9 octobre 1630 nous a permis il y a peu, de déduire que cette place se trouvait du côté de la lange Brücke qui enjambait la Lauch, l’Ombach et un canal, sur la route partant de la porte de Froeschwiller, la porte est de la ville. Sur une des vue de Rouffach, on peut apercevoir, peu avant cette lange Brücke, un emplacement à la croisée de deux chemins, où se dresse une croix. S’agit-il de cette croix ?
L’imaginaire collectif situe souvent ces exécutions, publiques, au centre de la ville, sur la place de l’église, oubliant que la place actuelle était, jusqu’à la Révolution, occupée par le cimetière ! L’une des grandes peurs dans les villes d’antan était celle de l’incendie qui pouvait ravager totalement une cité construite essentiellement en bois : comment imaginer alors qu’on ait pu dresser à quelques mètres de l’église Notre-Dame et des maisons alentour, un brasier qui devait réduire en cendres trois malheureux condamnés ?
Texte original, avec l’orthographe originale
4 septembre 1630 Proces criminelle (A.M.R. FF 11/67)
fait mardy 4. 7bre 1630.
- Le prévost tenant la baquette de justice
- Les juges sont : (demandeurs)
Jean ACHTJAHR | George MISSEL |
George REYHER | Guilhelm WAGNER |
Martin JUNGERMAN | Jean Jacque WECKERLIN |
Jean Conrad MILLER | Thomas HEISLEIN |
Jean Roudolff KOPP | Roudolph WETZEL |
Jacque FRICK | Paulus RULLMAN |
Christoph WEISENBOURG | Frederich GERING |
Paul BREITSTEIN, maître de Tribune à la Fleure de Lis |
- Acteurs :
Les sieurs Jean Leonhard NOTTRE, Receveur, Simon OTTMAN greffier du baillage et Nicolas STRENG Marchalcke
de part Messieurs le Vice Dom, chancellier et conseillers de la Régence de l’Evesché de Strasbourg nos gratieux Seigneurs
- Leurs Procureur :
Andreas FRIDERICH, sergent du Baillage
- Accusés :
Jacque STRÖLIN coureur ou abandonné dit en allemand Landfarer de SITTIN (Sittingen)
Christina SIGERin, femme de Jacque zum STEIN
Christina ECKARTin, vefue de Jean SIGER le charon
- Leurs procureurs :
Leonard SCHWARTZ, sergent de ville
En premier lieu, tous et chacun crime des ditte trois personnes posés en escrit m’ont esté mis és mains par les dits officiers du baillage pour estre leû, ce qui at susdy esté fait.
Ensuitte, Messieurs les Demandeurs ont proposé leur cause, scavoir comme paroist plus au long par les escripts présentés et présentement leû, contenant les Crimes des accusés qui les fait paroistre très coupable en ce qu’ils ont renié Dieu et tous les saints, eust accointance avec le Démon, usés de sorcellerie, fait mourir hommes et bestiaux et fait plusieurs autres méchantes actions. Ce pourquoy les accuses à peine de bien et de corps, espérant que les dits criminells seront jugés conformément aux ordonnances de Charles cinquième Empereur, et condamnés à mort.
Sur quoy, les accusés sont sortis avec leur procureur. Ensuite, estant rentrés, ont déclarés et confessé que les accusations tant par escrit que verballes faites contre eux contiennent entièrement la […] vérité, en sont fort mary, suplient qu’il leurs soit rendu un jugement favorable.
La sentence ayant esté recommandé à George MISSEL, il est sorti avec les autres juges, et est la sentence ensuivy, scavoir :
Sur plaintes criminelles faites de par les révérendissimes Seigneurs du Grand Chapitre de Strasbourg, nos très gratieux Princes, comtes et seigneurs par leurs soubdélégué Vice Dom, chancellier et conseillers séculiers |…] les sieurs officiers du baillage , demandeurs d’une,
contre Jacque GRÖSLIN, l’Abandonné, Christina SIGERERin, vefue de Jean MEYER et Christina ECKERLERin, accusés d’autre part
Sur les accusations proposées et réponces sur icelles et contredits, veux aussi les crimes des dits accusés,,produits par escrit, qu’ils ont de part et d’autre volontairement advoué et confessé, tout considéré seroit que les trois personnes accusées ont griefement offensé Dieu, en ayant renié la très Sainte Trinité, s’ayantes attachées au Sattan et rejoingt iceluy, endommagés hommes et bestiaux, et fait plusieurs autres maux.
des tenailles gluantes…
C’est pourquoy sont condamné à mort en la manière qui s’ensuit, scavoir en premier lieu, l’homme nommé Jacque STRÖLIN estant sortis de l’assemblée, sera mis entre mains de l’exécuteur, qui le conduira sur la place vis-à-vis de l’église, le pincerat avec de tenailles gluantes sur le bras droit, et ensuitte sur la dite place sera encor pincé de tenaille gluantes sur la poitrine et pars qu’il a despecté le très saint sacrement de l’autel le bras droit luy sera coupé, ensuitte jetté au feu tout vif, pour y estre brûllé et consommé en cendre. Quant aux deux femmes,il est aussi ordonné qui celle et chacune deux seront semblblement conduite par l’exécuteur qui les pincerat chacune sur les bras droits avec des tenailles gluantes, de là les conduirat à la place de suplice ou seront pour une second fois pincée sur les bras gauches, ensuitte jettées toutes deux vivantes au feu où elles seront bruslées et réduites en cendre, lesquelles cendre des dittes trois personnes seront ensuitte enterrées, crainte quelles ne puissent nuire aux hommes ny bestiaux, le tout pour l’avoir bien mérité et pour donner horreur et exemple à d’autres.
Jacques STRÖLIN, un vrai sorcier?
Ce Jacques STRÖLIN est un personnage particulièrement intéressant et haut en couleurs. La plupart des accusés dont j’ai étudié le dossier sont des gens simples, souvent de petite condition et de peu d’instruction. Jacques STRÖLIN lui, parle latin, il est musicien Pfeiffer, il semble connaître les herbes et les remèdes, il dit qu’il sait barrer le feu, il possède un livre de recettes de magie, Il connaissait, disait-il, beaucoup de sciences étonnantes, il les avait apprises…in der Heÿdenschafft…, au pays des païens, quelque part entre la mer Rouge et la mer Noire…
à suivre...