Inquisition bössen Verdachts etlicher Persohnen vorgenomen, in beÿwesen Caspar YMBLEINs, des Schultheißen alhie zu Egisheimb, den 25. und 26. Junii A° 1630 A.D.B.R. W 346 Bailliage de Rouffach
Les archives départementales de Strasbourg conservent dans leur fonds Bailliage de Rouffach un nombre important de dossiers d’affaires criminelles. Dans ces dossiers, dont certains étaient encore cousus * lorsqu’on me les a remis et n’avaient donc plus été ouverts depuis leur rédaction il y a quatre siècles, j’ai découvert près de 200 affaires de sorcellerie concernant des femmes, des hommes et des enfants de Rouffach et des localités environnantes. Beaucoup sont très complets, d’autres le sont moins, il m’en reste un grand nombre à déchiffrer, transcrire et analyser. Je propose dans cet article un de ces documents, concernant neuf personnes d'Eguisheim soupçonnées de sorcellerie, une Inquisition menée en présence du Schultheiss d’Eguisheim, Caspar Ymblein, les 25 et 26 juin 1630
* Note: le lecteur s’étonnera peut-être de l’expression : certains étaient encore cousus. Une fois une affaire jugée, toutes les pièces étaient cousues pour qu’elles ne se dispersent pas et placées, pour archivage dans des sacs à procès en toile de jute ou de chanvre, scellés. Ces sacs étaient ensuite suspendus en hauteur à une poutre pour mettre les papiers et surtout les parchemins à l’abri des rongeurs. De là viendraient les expressions affaire pendante, l’affaire est dans le sac, vider son sac, et avoir plus d’un tour dans son sac... Depuis, on a inventé les classeurs Leitz et la mort aux rats !
On peut imaginer mon émotion lorsque avec l'autorisation de la conservatrice des archives de Strasbourg, j'ai "décousu" ces liasses cousues il y a 400 ans, pour prendre connaissance de leur contenu, toujours insoutenable...
Rappelons que dans ce contexte, Inquisition signifie enquête, audition de témoins, sur des personnes que la rumeur publique dénonce. A la fin du seizième et au dix-septième siècle, les procès de sorcellerie sont jugés par des tribunaux laïcs et les jurés en sont de braves (?) bourgeois de Rouffach et / ou d’Eguisheim ! L’inquisition est l’étape préalable d’une procédure juridique qui se fait en l’absence et à l’insu de la personne concernée et elle n’implique pas toujours une arrestation et un interrogatoire suivis d’un procès. Au moins une des neuf femmes qui ont fait l’objet de cette Inquisition, Margaretha Schönholtzer, a été poursuivie en justice, condamnée et exécutée. Une note découverte aux archives municipales de Rouffach dit que Margaretha, épouse de Joachim Haberer d’Eguisheim, a été exécutée, la même année 1630…
Pour les autres, nous n’avons pas retrouvé pour l’instant de traces de procès. Dans un premier article nous nous étions intéressés aux témoignages, Inquisition, concernant la première de ces femmes, Margaretha Schönholtz.
Je propose, dans ce second article, de nous intéresser à Salomé ANSHELM, épouse légitime de Hans Pauer bourgeois d’Eguisheim et à ce que des hommes, des femmes et même une fillette de treize ans ont pu dire d’elle, à son insu, aux autorités qui enquêtaient sur elle.
Des témoignages particulièrement affligeants, souvent confus et incohérents, dans lesquels les témoins répètent sottement une rumeur, ou rapportent des faits qu’ils avaient entendu dire par des gens qui répétaient eux-mêmes ce qu’ils avaient entendu dire, On y fait même parler des morts ! A la lecture de cette Inquisition on ne peut aujourd’hui, qu’être perplexe devant la vacuité de ces assertions… Comment des juges pouvaient-ils donner foi à de telles niaiseries ? Cette inquisition de Salomé est un triste modèle du genre, qui prêterait à rire si on ne savait pas qu’elle était, le plus souvent, le premier engrenage d’une machinerie infernale qui allait mener, inéluctablement, à une arrestation, une incarcération dans des conditions inhumaines, un interrogatoire sous la torture et une mort horrible, jetée vive dans le bûcher pour y être réduite en cendres.
Malefiz Recht gehalten freÿtags, den 5. Decembris Anno 1586
Nous avons eu maintes fois l’occasion de rappeler dans ces pages que la justice criminelle appliquée dans l’Obermundat, comme dans tout l’empire allemand, était régie par la Lex Carolina, la Constitutio Criminalis Carolina. Ce code de procédure pénale, rédigé entre 1530 entre 1532 sous Charles Quint, dont il reçut le nom, pose les bases du droit et des procédures pénales qui resteront en vigueur dans le monde germanique pendant près de trois siècles.
Le droit fait la distinction entre le délit, Frevel, et le crime, Malefiz. Est considéré comme crime, une infraction grave punie de la peine de mort : meurtre, homicide, rapt, viol, incendie volontaire, faux témoignage, adultère de l’homme, inceste, bigamie, blasphème, certains cas de vol comme le vol dans les églises, faux serment et violation de serment, rupture d’Urphed et, évidemment, le crime de sorcellerie.
Pour ce qui est des châtiments, la loi établit la distinction entre châtiment corporels et peine de mort. La peine d’emprisonnement n’est prononcée qu’en cas de petits larcins. La prison perpétuelle, même si elle est mentionnée dans la Carolina, n’est que rarement prononcée, je ne l’ai jamais rencontrée dans les documents d’archives concernant Rouffach et l’Obermundat.
Dans l’article qui suit, je propose un procès criminel, Malefiz Gericht,[1] engagé contre Michel Burckhardt, natif de Wittenheim, arrêté et incarcéré au château d’Isenbourg, le 31 octobre 1586, pour une longue série de chapardages perpétrés dans la proche région de Rouffach. Le lecteur pourra juger après cette lecture si les vols que reconnait le prévenu justifient la sentence prononcée contre lui à l’issue de son procès…
Fragment du Plan local du ci-devant couvent des Récollets à Rouffach
18 Messidor de l'An II de la République A.D.H.R. 1Q / 455
Rappel: pour agrandir les images, il suffit de cliquer une fois sur l'image. Un second clic permettra de voir encore plus de détails.
Le plan ci-dessus a été dressé le 6 juillet 1794 par Ritter pour la vente aux enchères publiques des domaines nationaux de Rouffach. Un premier dessin, très complet, représente un plan au sol du site des Récollets, avec l'église, le cloître et sa cour, le réfectoire, la cuisine, la pharmacie, la cave, etc. Un second représente l'étage, avec les "chambres", les anciennes cellules des religieux et une coupe de la galerie du cloître et de l'étage...
L'église Sainte Catherine du couvent des Récollets, les maisons, dépendances, jardins et cimetière, déclarés Domaines nationaux avaient fait l'objet d'une première vente le 11 mai 1792 à l'issue de laquelle l'ensemble fut adjugé à Ignace Schneider pour 14.500 livres. Mais faute d'avoir acquitté les premiers à-comptes de vingt pour cents, le bien sera vendu "à la folle enchère" et adjugé définitivement, le 7 mai 1793 pour 14.500 livres à Joseph Riss et joseph Frey.
L’histoire des prisons et cachots de Rouffach est une longue histoire dont la plus grande partie reste à écrire…
Les textes anciens parlent de la prison Sainte Catherine, souvent évoquée dans les pages d’obermundat.org. On y enferme les coupables de délits, coups et blessures, conflits de voisinage, jeux interdits, tapage nocturne, injures, jurons, blasphèmes, etc. D’autres mentionnent celle du château Isenbourg, réservée aux criminels comme le précise un vieil urbaire de la Ville de 1530 (A.M.R. FF 4 / 3). Les personnes accusées d’un crime, susceptibles d’être condamnées à la peine de mort, meurtre, assassinat ou sorcellerie, étaient toujours emprisonnées dans les geôles du Château depuis leur arrestation jusqu’au procès et l’exécution de leur peine. La tradition populaire rapporte que les prétendus sorciers et sorcières étaient enfermés dans la Tour des Sorcières, une tradition qui n'est étayée par aucun document d’archives. A noter également que la désignation de Tour des sorcières est récente et ne figure dans aucun document ancien…
Les délits mineurs eux, étaient punis d’un séjour en käffig (cachot), ou exposés en public dans le Narren-Häusslein (maisonnette des fous) ou la Trille pour quelques heures… ou encore la Geige (un carcan en forme de violon) ou le Lasterstein, la pierre d’infâmie, pour un circuit dans les rues de la ville, sous les huées et les quolibets de la foule !
Le journal Le Monde titre dans son Billet de Blog du 20 décembre 2021 :
Près de 4 000 personnes ont été jugées pour sorcellerie en Ecosse. Un texte visant à blanchir leur mémoire a été déposé au Parlement écossais, et devrait être voté d’ici à l’été 2022.
En Ecosse, selon des chiffres publiés en octobre 2019, la chasse aux sorcières aurait fait quatre à cinq fois plus de victimes que la moyenne européenne !
Après une campagne de deux ans, un projet de loi visant à innocenter les accusé(e)s a été déposé au Parlement écossais et a obtenu le soutien du gouvernement et de la première ministre. Les militants sont sur le point d’obtenir des excuses officielles au nom de 3837 personnes, dont 84% de femmes dont la plupart ont péri dans les flammes du bucher !
En Alsace, près de 2 Millions d’habitants. En Ecosse un peu moins de 5 1/2 Millions. En Ecosse 4000 victimes. En Alsace, elles seraient 1606 dont 500 pour le Haut-Rhin, affirment les auteurs de ces statistiques qui oublient de citer leurs sources et de préciser dans quels services d’archives ils les ont trouvées ! On reste évidemment pantois devant l’extrême précision de ces chiffres auxquels il ne manque que des décimales !
Pour Rouffach, aux archives municipales de la Ville et aux archives départementales du Bas Rhin de Strasbourg, j’ai relevé 178 noms, mais seulement une centaine de dossiers plus ou moins complets de procès et condamnations suivies d’exécutions dans presque tous les cas, en l’espace de 80 ans, entre 1585 et 1664. Ces chiffres sont le résultat de recherches effectuées dans des documents originaux que j’ai tous eus en mains, transcrits, commentés et traduits, pour un certain nombre. Mais je ne suis pas au bout de ce défrichage et déchiffrage,, il reste encore beaucoup de liasses inexplorées, et d’autres noms apparaîtront certainement dans un proche avenir ! C’est évidemment plus long et plus fastidieux qu’un copié-collé…
Gérard Michel
Le lecteur trouvera ci-après un document signé François Boegly, fruit de ses recherches généalogiques dans les actes notariés et registres paroissiaux conservés aux archives départementales de Colmar. En première partie, il trouvera quelques notes biographiques sur 4 victimes, accusées de sorcellerie, issues de la même famille , exécutées dans les flammes du bûcher... Et à la suite, quelques notes au sujet de onze autres victimes...
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
Cette page contient des liens vers des outils et sites partenaires autour de la paléographie, l'histoire et l'Alsace.
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