La lecture des comptes rendus des Conseils du Magistrat est toujours très riche en informations de toutes sortes. Ces protocoles sont même l’une des principales sources qui permettent à l’historien de reconstituer, morceaux par morceaux, le quotidien des rouffachois du temps passé.
Nous proposons ci-dessous une affaire jugée par les conseillers lors d’un conseil ordinaire, le mardi 27 janvier 1615. Caspar Greusslin, boulanger, sollicite selon l’usage, l’autorisation d’exercer à nouveau, pour une durée d’un an, son office de boulanger. Il faut rappeler ici que l’exercice de tout métier est soumis à une autorisation préalable, délivrée par le Magistrat, valable pour une année et renouvelable à la demande expresse de l’artisan ou du commerçant. A condition évidemment que rien ne s’y oppose : il faut montrer patte-blanche et être sans reproches ! Ce qui est loin d’être le cas de notre boulanger Caspar, un habitué du cachot de la prison Sainte-Catherine…
Israhel van Meckenem, La dispute pour la culotte, 1480 Paris, BNF, Estampes (d’après Beaumont-Maillet 1984 : 14).
Nous avons écrit plusieurs fois dans ces pages, que le Magistrat, qui rappelons-le, est composé à Rouffach de 15 conseillers, et présidé par le Schultheiss, se réunit en séance ordinaire le mardi de toutes les semaines. Pendant ces sessions, sont réglées les affaires courantes de la ville, mais l’essentiel de son activité est celle d’une cour de justice civile qui est amenée à se prononcer sur des infractions aux règlements de police : conflits de voisinage, jeux interdits, tapage nocturne, injures, jurons, blasphèmes, etc. Les mêmes conseillers du Magistrat peuvent également être appelés à siéger comme jurés dans une cour de justice criminelle où ils jugeront notamment des crimes, comme la sorcellerie.
Les registres des délibérations du Magistrat regorgent d’affaires, souvent cocasses, soumises au jugement des braves bourgeois de Rouffach siégeant au Conseil, les ancêtres de nos conseillers municipaux d’aujourd’hui, qui n’ont plus, eux, à démêler de pareils litiges!
En voici un, particulièrement croustillant, auquel ils ont trouvé une solution plutôt radicale ! S'avérera-t-elle durable?
La procédure judiciaire suivie dans les procès de sorcellerie commence toujours, nous l’avons vu dans les articles précédents, par l’Inquisition. Il s’agit d’une enquête, de voisinage, faite à l’insu de l’intéressé, qui permet de confirmer des rumeurs, das gemeine Geschreÿ, qui l’accusent d’être une sorcière ou un maître sorcier. Le plus souvent, à la suite de cette Inquisition, la machine judiciaire se met en marche, après la découverte d’un Indicia suffisant pour justifier une incarcération, et conduira des malheureux à la mort atroce sur le bûcher.
Mais cette exécution ne marque pas la fin de la procédure : dès le lendemain, il est procédé à l’inventaire des biens, liegend und fahrend, meubles et immeubles. Un inventaire très détaillé, jusqu'à la moindre pièce de vaisselle, à l'ustensile de cuisine même rouillé, le moindre drap, les réserves de grains, de vin, etc. Des inventaires qui, par ailleurs, permettent au lecteur d'imaginer de manière plus précise le cadre de vie dans lequel évoluaient les gens de ce début de dix-septième siècle, dans une petite bourgade de l'Obermundat.
Un premier article a présenté l'Inquisition menée au sujet de Margaretha Schönholzerin d'Eguisheim, poursuivie par la rumeur populaire, das gemeine Geschrey, qui l'accuse d'être une sorcière. L'Inquisition, nous l'avons dit, n'est que le premier acte d'une procédure qui peut conduire, - et conduit le plus souvent - à la recherche et à la découverte d'Indicia, à une arrestation suivie d'un emprisonnement, à des interrogatoires répétés, à la torture, et à la mort sur un bûcher...
Le lecteur trouvera dans cet article ce que l'état actuel de nos recherches dans les archives permet de dire sur l'après de cette Inquisition, la détention et le procès de Margaretha Schönholtzerin.
A.D.B.R. W 346 Bailliage de Rouffach
Inquisition bössen Verdachts etlicher Persohnen vorgenomen in beÿwesen Caspar YMBLEINs, des Schultheißen alhie zu Egisheimb, de 25. et 26. Junii A° 1630
Inquisition menée contre neuf personnes soupçonnées de sorcellerie, en présence de Caspar Ymblein, Schultheiss d’Eguisheim, les 25 et 26 juin 1630
Rappelons que dans ce contexte, Inquisition signifie enquête, audition de témoins, sur des personnes que la rumeur publique dénonce. Et ce n’est pas, « encore une fois une histoire de curés » : à la fin du seizième et au dix-septième siècle, les procès de sorcellerie sont jugés par des tribunaux laïcs et les jurés en sont de braves (?) bourgeois de Rouffach et / ou d’Eguisheim ! L’inquisition est l’étape préalable d’une procédure juridique qui se fait en l’absence et à l’insu de la personne concernée et elle n’implique pas nécessairement une arrestation et un interrogatoire suivi d’un procès.
Au moins une des neuf femmes qui ont fait l’objet de cette Inquisition, Margaretha Schönholtzer, a été poursuivie en justice, condamnée et exécutée. Une note découverte aux archives municipales de Rouffach dit que Margaretha Schönholzerin, épouse de Joachim Haberer d’Eguisheim a été exécutée, la même année 1630…
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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