La procédure judiciaire suivie dans les procès de sorcellerie commence toujours, nous l’avons vu dans les articles précédents, par l’Inquisition. Il s’agit d’une enquête, de voisinage, faite à l’insu de l’intéressé, qui permet de confirmer des rumeurs, das gemeine Geschreÿ, qui l’accusent d’être une sorcière ou un maître sorcier. Le plus souvent, à la suite de cette Inquisition, la machine judiciaire se met en marche, après la découverte d’un Indicia suffisant pour justifier une incarcération, et conduira des malheureux à la mort atroce sur le bûcher.
Mais cette exécution ne marque pas la fin de la procédure : dès le lendemain, il est procédé à l’inventaire des biens, liegend und fahrend, meubles et immeubles. Un inventaire très détaillé, jusqu'à la moindre pièce de vaisselle, à l'ustensile de cuisine même rouillé, le moindre drap, les réserves de grains, de vin, etc. Des inventaires qui, par ailleurs, permettent au lecteur d'imaginer de manière plus précise le cadre de vie dans lequel évoluaient les gens de ce début de dix-septième siècle, dans une petite bourgade de l'Obermundat.
Un premier article a présenté l'Inquisition menée au sujet de Margaretha Schönholzerin d'Eguisheim, poursuivie par la rumeur populaire, das gemeine Geschrey, qui l'accuse d'être une sorcière. L'Inquisition, nous l'avons dit, n'est que le premier acte d'une procédure qui peut conduire, - et conduit le plus souvent - à la recherche et à la découverte d'Indicia, à une arrestation suivie d'un emprisonnement, à des interrogatoires répétés, à la torture, et à la mort sur un bûcher...
Le lecteur trouvera dans cet article ce que l'état actuel de nos recherches dans les archives permet de dire sur l'après de cette Inquisition, la détention et le procès de Margaretha Schönholtzerin.
A.D.B.R. W 346 Bailliage de Rouffach
Inquisition bössen Verdachts etlicher Persohnen vorgenomen in beÿwesen Caspar YMBLEINs, des Schultheißen alhie zu Egisheimb, de 25. et 26. Junii A° 1630
Inquisition menée contre neuf personnes soupçonnées de sorcellerie, en présence de Caspar Ymblein, Schultheiss d’Eguisheim, les 25 et 26 juin 1630
Rappelons que dans ce contexte, Inquisition signifie enquête, audition de témoins, sur des personnes que la rumeur publique dénonce. Et ce n’est pas, « encore une fois une histoire de curés » : à la fin du seizième et au dix-septième siècle, les procès de sorcellerie sont jugés par des tribunaux laïcs et les jurés en sont de braves (?) bourgeois de Rouffach et / ou d’Eguisheim ! L’inquisition est l’étape préalable d’une procédure juridique qui se fait en l’absence et à l’insu de la personne concernée et elle n’implique pas nécessairement une arrestation et un interrogatoire suivi d’un procès.
Au moins une des neuf femmes qui ont fait l’objet de cette Inquisition, Margaretha Schönholtzer, a été poursuivie en justice, condamnée et exécutée. Une note découverte aux archives municipales de Rouffach dit que Margaretha Schönholzerin, épouse de Joachim Haberer d’Eguisheim a été exécutée, la même année 1630…
Les Conseillers du Magistrat de Rouffach ne connaissent ni vacances, ni jours fériés ! Ils se réunissent en conseil ordinaire, chaque semaine, sous la présidence du Schultheiss, le « prévôt » de la Ville. Mais ils sont appelés à siéger à d’autres séances : si l’on se réfère aux protocoles conservés aux archives, les réunions du conseil sont particulièrement nombreuses, parfois jusqu’à quatre, cinq, voire plus par semaine et même parfois le dimanche ou veille de fête ! Rappelons que tous ces conseillers appartiennent à une bourgeoisie aisée, qui dispose de revenus considérables qui leur permettent d’exercer un mandat à temps plein… Beaucoup des affaires traitées lors de ces réunions sont des affaires de simple police : il est demandé au Magistrat d’arbitrer toutes sortes de conflits, depuis le déplacement de bornes, l’abattage non autorisé d’un arbre, la divagation d’un âne, jusqu’à des affaires plus sérieuses comme des rixes, coups et blessures, injures touchant l’honneur, l'ivrognerie, le tapage nocturne et même adultère !
Voilà deux sujets débattus am heiligen Weÿnacht Aubend, la veille (et non le soir !) du saint jour de Noël 1614 :
Tout au moins à Eguisheim, en avril 1630 ! A cette époque on réussissait, avec la complicité de l'Esprit mauvais, à faire décoller à peu près n'importe quoi: charrettes, bâtons, fourches, mais jamais de balais!, chiens, chats, lièvres, veaux, chevaux, loups... A califourchon sur ces drôles de montures, sorcières et maîtres sorciers passaient par-dessus remparts et portes de la ville pour rejoindre leurs comparses et fiancés diaboliques pour célébrer leurs noces sataniques au sommet du Bollenberg, par exemple...
C'est tout au moins ce que ces malheureux et malheureuses avouent à l'issue de longs interrogatoires, après avoir été soumis à la Question, appliquée par l'exécuteur des Hautes Œuvres, le bourreau de la ville et ses aides...
C'est le cas de Maria Schlosser, la sage-femme d'Eguisheim, qui, le 23 avril 1630, reconnait dans le troisième item de ses aveux, avoir rejoint une douzaine de ses pareilles, à califourchon sur un veau, suivant son fiancé diabolique Peterlein qui lui, montait un poulain...
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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