A.D.B.R. W 346 Bailliage de Rouffach
Inquisition bössen Verdachts etlicher Persohnen vorgenomen in beÿwesen Caspar YMBLEINs, des Schultheißen alhie zu Egisheimb, de 25. et 26. Junii A° 1630
Inquisition menée contre neuf personnes soupçonnées de sorcellerie, en présence de Caspar Ymblein, Schultheiss d’Eguisheim, les 25 et 26 juin 1630
Rappelons que dans ce contexte, Inquisition signifie enquête, audition de témoins, sur des personnes que la rumeur publique dénonce. Et ce n’est pas, « encore une fois une histoire de curés » : à la fin du seizième et au dix-septième siècle, les procès de sorcellerie sont jugés par des tribunaux laïcs et les jurés en sont de braves (?) bourgeois de Rouffach et / ou d’Eguisheim ! L’inquisition est l’étape préalable d’une procédure juridique qui se fait en l’absence et à l’insu de la personne concernée et elle n’implique pas nécessairement une arrestation et un interrogatoire suivi d’un procès.
Au moins une des neuf femmes qui ont fait l’objet de cette Inquisition, Margaretha Schönholtzer, a été poursuivie en justice, condamnée et exécutée. Une note découverte aux archives municipales de Rouffach dit que Margaretha Schönholzerin, épouse de Joachim Haberer d’Eguisheim a été exécutée, la même année 1630…
Pour les autres, nous n’avons pas retrouvé pour l’instant de traces de procès. Peut-être même n’y en a-t-il jamais eu : comme il a déjà été dit dans d’autres pages du site, on peut vivre avec l’étiquette « sorcière » pendant toute une vie, être décriée par toute la ville, aller à l’église et mourir de mort naturelle !
La procédure ne se met en marche que lorsque la personne victime de la rumeur est impliquée, de près ou de loin, dans un événement déclencheur, un « Indicia » suffisant.
Dans ce premier article nous ne nous intéresserons qu’aux témoignages concernant la première de ces femmes, Margaretha Schönholtzerin. Les dépositions concernant les autres personnes paraîtront dans un autre article.
Premier témoin: Hans Gesell l'aîné
La première déposition est celle de Hans Gesell l’aîné, bourgeois d’Eguisheim, âgé de 37 ans, l’un des voisins de Margaretha. Auparavant, il lui est rappelé les termes du serment que prête tout bourgeois, à ses bienveillants seigneurs et, la main levée, il jure de les respecter.
Dans sa déposition, il déclare que depuis qu'il s'en souvienne il avait entendu les gens répéter qu’elle avait mauvaise réputation, qu’elle s’était accointée avec des femmes elles aussi de mauvaise réputation, qu’elle avait été plus que coquine dans sa jeunesse et qu’elle s’était livrée à la débauche pendant deux ou trois ans avec des hommes mariés. Elle s’était affichée plusieurs fois le visage couvert d’un voile, prétextant des maux de dents. Elle avait un mari très pieux qui ne la frappait jamais. On dit aussi qu’on aurait aperçu à plusieurs reprises, la nuit, des fantômes circuler devant sa porte...
Hanns GESELL der Elter, Burger alhie zu Egisheimb, uff 37 Jahr alt, alls Ir Nachbar einer, sagt beÿ Erinderung seines unser gnedigisten Herrschafft gethonen burgerlichen Aÿdts, und geleister Handt Trew, das er jeder Zeit von andern Leithen bösen Verdacht uff sie gehört, hab sich auch zu verdechtigen Weibs Bildern gesellet, ganz frech beÿ Irer Jugent, und noch beÿ dreÿ oder vier Jahren mit Ehemenern Hurereÿ getrieben haben solle, etlich mall Ir Angesicht mit einem Shlewr verbunden mit Vorwand(t) hab Zehnwehe, und hatt sonsten ein fromben Man, der Iro zwar khein Streich gibt, so ist auch etlich mal beÿ nächtlicher Zeit vor Irer Tÿren Gespenster gesehen worden.
Un jour elle se serait rendue chez une fermière pour lui réclamer du lait que cette dernière aurait refusé en disant qu’elle n’avait pas le droit d’en donner. Peu après, alors que tous étaient au travail des champs, elle, la Schönholzerin, de son propre chef et à l’insu de tous les gens de la maison, se serait rendue dans l’étable de cette voisine, et immédiatement après - c’est ce qu’il a appris par un voisin - une des vaches serait tombée malade et mourut rapidement.
A cause de tout cela, et parce que par ailleurs beaucoup d’autres gens la soupçonnaient, il conçut lui aussi de sérieux soupçons à son égard.
Ainsi se termine sa déposition. On lui recommanda de tenir sa langue sous peine d’un punition sévère, et on fit de même avec ceux qui le suivirent.
So ist auch uff ein Zeit zu einer Khellerin khomben, Milch von Iro begehrt, die Ir solche abgeschlagen, mit Vermelden darff es nicht thuen; demnach sie alle zu Feldt Arbeit waren, ist sie, SCHONHOLZERin, also unberueffener Weiss und unwissendt seines ganzen Haussgesindts, zu dern Viech in den Stall gangen, wie er von seinem Nachbarn erfahren, gleich dorauff ein Khue khranckh worden und gestorben. Dero halben und weillen sie sonsten von andern Leithen verdächtig, hab er auch ein bösen Argwon uff sie geschöpfft.
- Endet.- So Ime und alle Volgenden mit gebürendem Stillschweigen beÿ hoher Straff eingebunden und ufferlegt worden.
Second témoin: Maria MILLERin,
Maria Millerin, Ihres Alters uff 30 Jahr, Michel SCHIELLINs alhie zu Egisheimb Ehefraw, sagt beÿ gelaisten Iren weiblichen Trewen, das sie SCHONHOLZERin Ir Gfattermänin seÿe, von Jugent auf und so lang sie mit Ir bekhant, frech und hiebevorn Hurereÿ in der Ehe mit Ehemenern getriben haben solle und hab Zeügin alzeit bösen Verdacht uff sie gehört, und hab Ir selbsten nit allerdings getrawt.
Maria Miller, 30 ans, épouse de Michel Schiellin d’Eguisheim, déclare après avoir prêté le serment habituel réservé aux femmes, que la Schönholzer était sa marraine. De tout temps et depuis qu’elle la connaissait, cette Schönholzer était une délurée qui se livrait à la débauche, alors qu’elle était mariée, avec des hommes mariés. Elle a toujours entendu à son sujet de méchants soupçons et elle ne lui a jamais fait confiance.
Vor zweÿen Jahren uff ein Zeit alls Ir voriger Eheman zu Böth khrankh gelegen, seÿ sie also stilschweigendt in die Stuben geschlichen, khein Wortt geredt, nur allein geschawet ob der khrancke Man schlaffe, welches er aber woll gesehen, sie sich gleich widerumb zu der Stuben gewendet. Nach dreÿen Tagen, alls sie beede Eheleith in der Stuben wahren, ist Ir anderthalb jährig Khindt vor der Tÿr gewesen, und anfangen zu schreÿen, .eÿ nicht hinweg, mit den Henden gewöhrt sie gleich dem Khindt zuegeloffen, und sehen wollen, was demselbigen seÿe, haben sie niemants gesehen, allein das Khindt ganz forchtsamb gezitert befunden, gleich ins selbigen Augenblickh sich übel behebt, an die Banckh gelehnt, und also nider gesunkhen, so es doch zuvor ganz gesundt wahr, sübenzehen Wochen gelegen, uff einer Seithen ganz Lamb worden, sehr große Schenckhlein bekhomben, das Meister Walther N:, der Scherer von Ruffach demselben vill Unrath und wunderbarliche Sachen aus dem Schenckhlein gethan hatt, das Khindt aber sterben miessen, derowegen bösen Verdacht, wie jederman uff sie hat schöpfen wollen.
Deux ans auparavant, alors que son précédent (ah ?) mari, souffrant, était alité, elle s’était glissée discrètement dans la chambre, sans dire un mot, elle avait regardé si son mari, malade, dormait, (ce dont il s’était cependant aperçu,) puis est retournée aussitôt dans la Stube (la pièce de séjour). Trois jours plus tard, alors que les époux étaient dans la Stube, leur enfant âgé d’un an et demi qui se trouvait dans la pièce voisine, de l’autre côté de la porte se mit à crier: « Non, pas partir » en se débattant (en se défendant) avec les mains. Elle se précipita immédiatement pour voir ce qu’il lui arrivait, mais ils ne virent personne : seul l’enfant, qui semblait terrorisé et tremblait de tous ses membres. Dans le même moment l’enfant s’affala au sol, alors qu’il était en si bonne santé quelques instants auparavant. Il resta alité 17 semaines, paralysé sur le côté et ses petites cuisses prirent tant de volume que Maître Walter N., le chirurgien-barbier de Rouffach put lui en retirer une grande quantité de saletés, Unrath, (du pus?) ainsi que beaucoup d’autres choses étonnantes. Mais l’enfant finit par décéder, un décès qui alimenta encore plus les graves soupçons que tout le monde nourrissait à son égard.
Item uff ein Zeit hab Zeügin ein Khue khaufft, und die SCHONHOLZERin Bösserung vor der Tÿren ligen gehabt, welches Sie, an die SCHONHOLZERin hinweg zuthuen begehrt, hab die SCHONHOLZERin gesagt, Eÿ die Schweizer Khue, welche da aus und ein gehen wirdt, worauff gleich die Khue erkhranckhet und sie solche abthuen miessen. - Endet.-
Il y a quelque temps, le témoin, Maria Millerin, avait acheté une vache. La Schönholzerin avait laissé traîner des ordures (immondices, fumier) devant la porte et Maria lui avait demandé de les enlever. La Schönholtzerin lui répondit « Ah ! la vache suisse qui va entrer et sortir ici ! » Sur quoi la dite vache tomba malade et Maria fut obligée de s’en débarrasser.
Troisième témoin: Jacob BÖHLER
Jacob Böhler, Burger alhie, sagt neben andern, wie hernach zu finden, solang er alhie wohne, so hab er alzeit von Jederman in und außerhalb der Stat gehört, das Sie, offt gemelte Schönholzerin, ein Hex sein soll.
Jacob Böhler, bourgeois d’Eguisheim, répéta comme les autres témoins que depuis qu’il habitait Eguisheim il avait toujours entendu dire par tout le monde, que ce soit en ville ou hors de la ville, que la dite Schönholtzer était une sorcière.
Quatrième témoin: Hanns Khlag
Hans Khlag, der Khrumbholz, Hindersäs, alhie zu Egisheimb, sagt beÿ seinem wahren und geleisten Trewen, dass vor einem Jahr, als Hans GESELL der Elter, sein Nachbar, uff dem Veldt, und die Magt über dem Brunen, und also niemandts daheimb gewesen ist, Joachum HABERER Fraw zu der Hauss Thüer gangen und demnach geschawet ob die Magt nicht vom Brunnen khombe, als aber gar niemandts da ware, Sie in der Stall zum Viech gangen, und zu der Haus Thüren wiederumb heraus khomben, was sie aber verüebt und gethon hat, seÿ Ime Zeüg unbewust, allein seÿ Ime Hans GESELLen gleich darauff selbigen Tags ein Khue erkhranckhet, die er zwar abgethon, aber nichts als die Haut zu Nuz bracht, das Fleisch mehren Theils vergebens hingeben, hab er, Zeuge, Ime GESELLen, alls ein Nachbar, der Ime angesprochen, wan er etwan nit daheimb sein möchte, etwas Achtung oder Sorg zum Hauss zuhaben, weillen sie HABERERs Fraw ohne das von andern Leithen, wie er gehört, der Hexereÿ verschreÿet ist, gesagt, derowegen Hanss GESELL bösen Argwohn uff Sie, wie schier jeder menigelichen geschöpfft hatt. -Endet- .
Hans Khlag le charron, un manant d‘Eguisheim, déclara après avoir prêté serment réservé aux manants (Hindersässen: habitants mais non bourgeois), qu’il y avait de cela un an, Hans Gesell l’ancien, son voisin, se trouvait aux champs et la servante était occupée au puits. Personne ne se trouvait dans la maison. La femme de Joachim Haberer (Margaretha) est allée voir à la fenêtre si la servante ne revenait pas du puits. Ne voyant personne, elle s’est rendue à l’étable auprès des bêtes. Ce qu’elle y a fait, lui, le témoin ne saurait le dire. Tout ce qu’il sait, c’est que peu après, le même jour, une des vaches de Hans Gesell est tombée malade et qu’il a dû l’abattre. Il n’en a récupéré que le cuir… Lui, le témoin, conseilla à son voisin de mieux surveiller sa maison à l’avenir, s’il n’y était pas, parce que la femme Haberer, comme il l’avait entendu dire de partout et par tous, avait la réputation d’être une sorcière. Lui-même d’ailleurs la soupçonnait également.
Y a-t-il dans tous ces témoignages de quoi envoyer une femme au bûcher? L'épisode de la mort de l'enfant reste très confus, personne n'a rien vu, de même que personne n'a vu ce qui s'est passé dans l'étable avec la vache "suisse"! On reste sur des on-dit, des ragots, des rumeurs.
Que reproche-t-on en réalité à cette Margaretha: d'avoir été une adolescente puis une femme libre, d'avoir su se libérer des règles d'une vie conforme aux bonnes mœurs! Lorsque l'on dit d'elle qu'elle aurait pratiqué "die Hurerey" il ne faut pas penser prostitutions, rapports tarifés: dans la pensée populaire, est Hure celle qui a des rapports sexuels hors mariage ou qui commet le crime d'adultère. Et ce voile dont elle se cache le visage, comment est-il interprété?
Et c'est sur foi des ragots de quelques témoins, alimentant das gemeine Geschrey, une rumeur générale, que seront arrêtés, emprisonnés, torturés et brûlés vifs, des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants...
Les neuf femmes ayant fait l'objet d'une Inquisition, victimes de la rumeur publique, Eguisheim, 25 et 26 juin 1630:
- Margaretha SCHONHOLZERin Joachum HABERERs, eheliche Hausfraw
- Salome ANSHELMBin Hanns PAWRn eheliche Haussfraw.
- Ursula, Görg GESSLERs, Ehefraw
- Ursula, Matheis HOFFLEINs Eheweib, fille de la précédente
- Ursula, die BOLZerin genant, épouse Caspar HUEBER,
- Catharina Alexanderi KHOBELs Wittib
- Elisabetha SEYFRIDerin, Jacob WEGBECHERs, des Raths, eheliche Haussfraw.
- Ursula BEWRERin, Jacob WACKHen hinderlassner Wittiben
- Ursula GESELLin, Hannß BÖHLERs eheliche Haussfraw.
à suivre...