Maria SCHLOSSER est originaire de Müstelbrunn, dans le Bade-Wurtemberg, principauté de Fürstenberg. Veuve de Michaël DÜRINGER, de son vivant bourgeois de Eguisheim, elle est soupçonnée de sorcellerie, arrêtée et emprisonnée en mars 1630. Elle livrera ses premiers aveux le 4 avril 1630 et d’autres suivront le 13 avril 1630. Son procès eut lieu sans doute le 23 avril 1630 et elle sera exécutée le jour même sur le bûcher, comme sorcière …
premiers aveux du 4 avril 1630
Dans ses premiers aveux, elle déclare que trente deux ans auparavant, elle vivait à Müstelbrunn et était encore célibataire. Elle était au service de Jacob WALFF.
Un soir, dit-elle, elle était allée danser avec plusieurs autres jeunes de son âge et elle n’était rentrée chez elle que tard dans la nuit, vers une heure du matin.
Elle avait en ce temps là un petit ami, un certain MARX, lui aussi valet dans une maison voisine de celle où elle logeait. Elle lui avait déjà à plusieurs reprises accordé ses faveurs sich unehlich vermischt, mais ce Marx ne l’avait apparemment pas accompagnée ce soir là.
Sur le chemin du retour, à son retour du bal, elle est abordée par un homme qu’elle a d'abord pris pour ce MARX : ils se laissent un peu distancer par le reste du groupe et là, derrière un bosquet, arrive ce qui devait arriver : die Unzucht mit demselben verricht…
sich unehlich vermischt... die Unzucht verricht ... kalt und unatürlich befunden
Rien que du très banal, pour l’instant, sauf que, au moment de l’acte, elle trouve le contact avec son compagnon très inhabituel: elle ressent un membre kalt und unatürlich, froid comme la glace et qui n'avait rien de naturel ou d'humain. Surprise et effrayée elle s’écrie : tu n’es pas mon MARX ! , ce à quoi il répond :
Du hast dich mir einmahl underworffen, due musst jetzund mein sein und thuen was ich dir befilch!
tu m’as cédé une première fois, désormais tu m’appartiens et tu dois faire ce que je t’ordonne…
Dans sa frayeur, elle prononce le nom de Dieu et aussitôt, il disparaît…
Trois jours plus tard, le même homme la rejoint dans la grange alors qu’elle préparait du foin pour le bétail, lui demande à nouveau ses faveurs, elle lui cède et, comme la première froid elle le trouve froid, d’un contact glacial…
Il lui révèle son nom, il s’appelle PETERLEIN et lui demande de renier Dieu et tous les saints.
Elle obéit et renie Dieu et tous les Saints.
Trois semaines plus tard, il revient vers elle, toujours de nuit, lui ordonne de prendre place sur un veau de l’étable de son maître, lui-même montait un jeune cheval, un poulain, et dans cet équipage, ils se sont rendus ensemble, par les airs, sur une prairie où se trouvaient réunies une douzaine de personnes, hommes et femmes, dont elle ne connaissait personne, hormis deux femmes, mortes depuis, exécutées comme sorcières…
un banquet sans pain et sans sel
Là furent célébrées leurs noces avec le diable, on y a festoyé au cours d’un riche banquet sur la table duquel il n’y avait cependant ni pain ni sel. On y a dansé et les corps se sont mêlés, comme habituellement au cours d’une nuit de noces…
Trois semaines après ces noces, Peterlein, lui remet, dans un tesson provenant d’un pot cassé, un onguent de couleur noirâtre et un petit bâton dont elle devait désormais se servir pour causer du tort aux animaux et aux humains, quand il lui en donnerait l’ordre.
Il est rajouté, en marge de ces aveux, que ce bâton et cet onguent avaient été retrouvés dans la maison de Maria, peu de temps auparavant…
Peu après, à l’aide de ce bâton qu’elle avait au préalable enduit de son onguent magique, elle frappe un veau dans l’étable de son maître, le veau en est paralysé de l’arrière train, mais sa maîtresse réussit à le remettre sur pied mit Beweichen, sans doute avec des rameaux bénis ou de l’eau bénite.
Il y a environ deux ans de cela, donc cette fois à Eguisheim, toujours sur l’injonction de Peterlein, elle a ahn gekuchet, soufflé son haleine, sur un bébé de six mois, l’enfant de Martin CHRISTMAN, d’Eguisheim ; l’enfant en est devenu raudig (galeux, teigneux) et ellend (misérable), il est tombé gravement malade, a dépéri pendant deux ans et est mort il y a environ six semaines. Circonstance aggravante, cet enfant qu’elle avait fait périr n’était pas gesegnet, baptisé !
A la même époque, deux ans auparavant, elle aurait rendu malade l’enfant d’une mendiante, mais elle ne sait pas si cet enfant est décédé, la mendiante ayant depuis disparu avec son bébé…
Il y a deux ans, toujours, poussée par le diable, elle s’attaque à la fille de l’instituteur d’Eguisheim, une fillette de trois ans qu’elle a rencontrée dans la rue, sur laquelle elle souffle son haleine, à la suite de quoi l’enfant devient lui aussi raudig dans le visage et sur tout le corps, elle tombe gravement malade et elle n’est pas encore remise à l’heure qu’il est…
Il y a quatre ans, elle a procédé de la même manière, toujours avec son haleine et sur l’ordre du diable, sur un garçonnet de trois ans, le fils de Michael BECKH d’Eguisheim, il en tombe gravement malade, dépérit pendant deux ans et finit par mourir.
Elle reconnaît aussi qu’elle a profané à trois reprises la sainte hostie qu’elle a reçue du prêtre mais qu’elle a aussitôt retirée de la bouche, enveloppée dans un linge et jetée, avec une poignée de terre dans la fosse au moment des enterrements…
Fin des aveux du 4 avril 1630
ein hartnäkhig Weib
Emprisonnée autour du 22 mars 1630, avec l’épouse de Hans Jacob WECKERLIN et Hans WISMAN, tous deux de Rouffach. Elle assure de sa totale innocence, n’avoue rien, prétend ne rien savoir ni de magie et ni de sorcellerie et clame qu’elle est la victime innocente de la méchanceté des autres. On lui présente alors le bourreau et ses aides et on la menace de la question, sans résultat. On l’attache au banc de torture, toujours sans résultat et on finit par la soumettre vraiment à la question uffziehen lassen, mais sans lui attacher de poids aux jambes… Elle serre les dents sous la douleur mais refuse d’admettre ou d’avouer ce dont on l’accuse
Le greffier note dans son rapport:
… ist ein hartnäkhig Weib… elle est une femme têtue, entêtée
Elle est détachée de ses liens, ses gardes la reconduisent en prison pour lui laisser le temps de la réflexion.
nouveaux aveux...
Nouveaux aveux le 13 avril, sous la torture mais cette fois avec des masses attachées à ses pieds, le greffier enregistre de nouveaux aveux, elle résiste à la douleur, écrit le greffier, pendant une demi-heure et finit par passer aux aveux :
Six ans auparavant, dans les vignes in der Sunnt Halt, le diable lui apparaît sous l’apparence d’un homme, s’approche d’elle, lui demande ses faveurs, qu’elle lui accorde. Lui aussi, elle le trouve kalt, unnatürlich. Il s’appelle Peterlein, elle lui obéit lorsqu'il lui demande de renier Dieu et tous ses saints. En contrepartie il lui offre une pièce de monnaie, ein Reichs Thaler, qui s’avèrera par la suite n’être que Eichenlaub, une poignée de feuilles mortes.
Il lui remet, dans une coquille de noix un onguent de couleur grise, elle en enduit une fourche qui se trouvait là, contre le mur devant sa maison.
par les airs, par-dessus la Porte-Haute!
Lui s’assied sur une bête, ein Thüer, ils s’envolent ensemble, par-dessus das Oberthor, la porte haute, en direction de Dreyen Eguisheim où seront célébrées leurs noces.
Photo et coll. de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg.
A ces noces étaient présents :
Salomé, l’épouse de Hans BAUR
Ursula, l’épouse de Geörg GESSLER
Ursula, la fille de la précédente, celle qui est mariée avec Matheis HÄFFELIN
Elisabeth, l’épouse de Jacob WEGBECHER
un Geiger und Sackpfeiffer qu’elle ne connaît pas et dont elle ignore le nom.
Toute la suite ne fait que reprendre les aveux du 4 avril
Maria SCHLOSSER finira sur le bûcher de Rouffach, le jour même du procès, avec Hans WISSMANN et Othilia MEYERHOFFERin, la femme de Hans Jacob WECKHERLIN et dont la mère aussi avait été brûlée comme sorcière, une quinzaine d’années auparavant... avec très certainement le traitement spécial réservé aux meurtrières d’enfants, à savoir un supplice particulier qui lui sera appliqué sur le chemin qui conduit de la salle du tribunal au lieu d’exécution : quatre tenaillements, avec des pinces rougies au feu, sur le bras droit, le bras gauche, le sein droit et le sein gauche…
En réalité, toute l’affaire commence en 1629, le 19 novembre, par un plainte déposée par Michel DIRINGER, le mari de Maria SCHLOSSERin (il vivait encore à ce moment là), une plainte contre Hans BÖHLER, lui aussi bourgeois de Eguisheim.
les faits...
Hans BÖHLER accuse cette Maria, sage-femme, d’avoir causé le décès de son épouse et de l’enfant qu’elle portait. Huit semaines avant la date prévue pour l’accouchement, elle se serait introduite en cachette, tard dans la soirée, dans la chambre où reposait son épouse, aurait soulevé la couverture et touché sa femme enceinte, sans qu’il puisse dire précisément ce qu’elle lui avait fait. Il a retrouvé sa femme morte quelque temps après, le sang lui coulait des yeux seye ihro das Blut aus den Augen geflossen et elle avait des marques bleues Striemen sur les mains.
Trois heures après qu’il l’eut trouvée, le sang coulait encore de la narine et de l’œil droit, elle avait des marques et des griffures sur tout le corps et il est bien spécifié dans l’accusation que personne d’autre que cette Maria n’avait pénétré dans la chambre. L'absence de rigidité cadavérique et du sang qui ne coagule pas, même plusieurs heures après le décès, est toujours considéré comme le signe d'une intervention magique, diabolique, et constitue fréquemment une preuve dans les procès de sorcellerie.
Le Magistrat d’Eguisheim est saisi de l’affaire, mais les gens d’Eguisheim préfèrent la remettre aux fonctionnaires épiscopaux de Rouffach… Et ainsi la machine va se mettre en marche:
faute professionnelle ?
geste malheureux, accident ?
tentative d’avortement ratée ?
volonté délibérée de nuire ?
On n’en saura rien, mais une fois que l’affaire sera entre les mains de la justice, tout s’enchaînera rapidement, selon une procédure bien rodée…
le supplice de l'estrapade
transcription des textes originaux
AD du Bas-Rhin 2 B10 /249
Maria SCHLOSSERin, die Hebam betreffendt, erzeigt sich die//
selb frisch bacht, will so fromm sein alls ein Khündt in Muedter//
leib, hadt uff guetliches Zuesprechen gannz nichts bekhönnen
wöllen, sonder mit Fluochen und starckher Betheüren[1]
behalten dass sie ganz from, vonn einicher Zaubereÿ
nichts wisse, sonder seÿ aus Feinndtschafft angeben
und dergleichen Stuckh lauth der Inquisition bezeüchtiget
worden.
Hierauff wüer Iren den Nachrichter auch vorgestelt,
und weÿl alles nit helffen wollen, anbünden, anzuechen,
volgendt auff beharter Verleügnung uffziehen lassen,
doch alles ohne Gewicht; diese hatt gleichwoll den Schmerzen
hart empfunden, geschreyen, aber truzlich nichts gestehen
wöllen; weÿl wüer dann vonn Iren nichts bringen könnnen,
also haben sie wüer widerumb aufbünden lassen,
und sich besser zue bedenckhen befohlen.Ist ein hartnäckhig Weÿb.
A.M.R. A / FF 11/75
Urgicht (aveux) Maria SCHLOSSERin, veuve Michaël DÜRINGER de Eguisheim, sage-femme
Maria SCHLOSSERin, weÿlunden
Michaël DÜRINGERs, gewesten
Burgers zue Egisheimb
hinderlassenen Wüttib
und geweste Hebam daselbsten,
welche den 4 Aprillis A° 630
umb genugsame Verdacht
der Hexereÿ ingezogen
und so wohl uff güett: als peinliche
Examination bekhändt
wie volgt:
Abgelesen den 23. Aprilis 630
- Erstlich, als sÿe vor zweÿ und dreißig Jahren zue
Müstelbrun, Fürstenbergischer Herrschafft beÿ
Jacob WALFFen gedient und noch ledig Standes gewesen, seÿ
sÿe veÿlmahl mit andere ihren Gespiehlen zuem Dantz
gegen Hüfferthoffen gangen und ein Stund in die
Nacht ererst wider nach Haus gezogen, in solchem
Spatzieren gehen seÿen allzeit etlich jungen Gesellen
mit ihnen heimbgangen, damahlen hab ein Knecht
neben ihren gedient, welcher Marx geheissen, mit deme
sÿ zuevor sich unehlich vermischt, wie sie nun von dem
Dantz heimbgangen, seÿ einer in dessen Gestalt zu
iren kummen und mit ihren gangen, mit einander
etwas dahinden plieben, mit ihmo hinder ein Heckhen
gangen, die Unzucht mit demselben verricht, khalt
unatürlich befunden, dariber sie erschrockhen und gesagt: „Du bist
nit mein Marx! „. Dieser geandtwurtet: „ Du hast
dich mir einmahl underworffen, due musst jetzund
mein sein und thuen was ich dir befilch!“, uff
welches sie sich Gott befohlen, dariber dieser verschwunden.
- Zuem andern, in dreÿ Tagen hernach, seÿ dieser
wider in der Scheür da sie Füeder für das Vieh
gemacht, zue ihr khummen, den Beischlaf wider
begehrt, den sÿ gewÿlfahrt und wie vor befunden,
daruff derselb wider gesagt sÿ muess sein sein,
Gott und alle Heÿligen verleügnen, welches sÿ
leider gethan. Daruff er ihren dreÿ Stückh Gelts
geben, welche hernach nur Ross Koth gewesen.
- Zuem dritten, über dreÿ Wuchen inn de nacht seÿ
dieser, welcher PETTERLEIN genanth aber mahls
zue ihren komen, befohlen uff ihres Meisters Kalb
zue sitzen und sagen: „Palhin (?) ins Teüffels Namen“.
Er aber seÿ uff einem jungen Ross oder Füllin
gesessen und miteinander uff den Rimesen, welches
ein Egerten oder Weter Flam ist, gefahren.
Was nun dieser mit dem Kalb gemacht das
es furth in die Lufft gefahren, könn sÿ nit wissen.
Seÿen wol 12 Persohnen von Weib und Man alldort
gewesen, hab aber niemanden, dan zweÿ
Maidlen so ihren Gespihlen gewesen köndt, disen
seÿen vorlangst gestorben, die eine hab ein Pastert
bekhommen, die ander hab sich verheürath, etlich Künder
bekhommen, volgents auch gestorben, uff solchem Platz
haben sÿ zecht, dantzt und Beilag geleistet, kein
Brodt noch Salz gehabt.
- Zuem vierten, dreÿ Wochen nach der Hochzeit hab
er ihren in einem alten Haffen Scherben mit schwartzlechter
Salb und ein Steckhlein geben, Leüth
und Vieh damit zue verderben, dergleichen Salb
hab sie noch Standt in ihrem Haus, under dem
Kensterlein, und den Steckhen, den sÿ braucht,
standt hünder dem Kenderlin, welches sich also
befunden.
- Zuem fünfften, baldt nach ihren Hochzeit, hab sÿ mit
einer Ruethen, die ihren ihr Buel mit angestrichen
Salb geben, ihrem Meister ein Kalb ins Teüfels
Namen geschlagen, davon es hünden über lamb
worden, des Meisters Fraw aber hab derselben
mit Beweichen wider geholfen.
- Zuem sechsten, hab sÿ beÿ ungevohr zweÿ Jahren
verschienen, dem Martin CHRISTMAN von Egisheim
ein halb jähriges Kündt ins Teüffels Namen
ahn kuchet, welches daruff raudig, und ellendt worden,
und also uff zweÿ Jahr geserbt, volgends beÿ
ungevohr sechs Wuchen verschinen gestorben.
Dises Kündt seÿ nit mal gesegnet gewesen.
- Zuem siebenden, vor ungevohr zweÿ Jahren, hab sÿ
einer Landtbettlerin ein jung halbjährig Kündt
im Spital in ihres Buelen Namen ins Bettlin
gelegt, darauff daselb ellendt worden und
am Leib verdorret, wüss aber nit ob es gestorben,
oder wo die Bettlerin damit hin kommen
seÿ.
- Zuem achten, beÿ ungevohr zweÿ Jahren hab sÿe dem
Schuelmeister zue Egisheim ein dreÿ Jähriges
Döchterlein welches sÿ uff der Gassen angetroffen
in des bösen Geists Namem angekuecht, daruff
dasselbig ahn seinem Angesicht und gantzen Leib
verunreiniget, rudig und arbeitselig worden,
serbe also biss uff diese Stundt.
- Zuem neünten, sÿ hab beÿ vier Jahren dem Michell
BECKHen von Egisheim ein dreÿjähriges Büeblin
auch in Teüffels Namen angekuchet, daruff
dasselbig angefangen uss serben, fast uff zweÿ
Jahr also geserbt und gestorben.
- Zuem zehendt, bekhendt sÿ weiter, dass sÿ das
heÿlige, hochwürdige Sacrament dreÿ mahl
entunehrt, dasselbig vom Priester empfangen
aber wider aus dem Mundt genummen, in einem
Diechlin uffgehebt, volgendts uff ein Zeit zu Egisheim,
als man ein Persohn zue Grab tragen, dasselbig
mit einer Handt voll Grundt in das Grab geworffen.