La lecture des comptes rendus des Conseils du Magistrat est toujours très riche en informations de toutes sortes. Ces protocoles sont même l’une des principales sources qui permettent à l’historien de reconstituer, morceaux par morceaux, le quotidien des rouffachois du temps passé.
Nous proposons ci-dessous une affaire jugée par les conseillers lors d’un conseil ordinaire, le mardi 27 janvier 1615. Caspar Greusslin, boulanger, sollicite selon l’usage, l’autorisation d’exercer à nouveau, pour une durée d’un an, son office de boulanger. Il faut rappeler ici que l’exercice de tout métier est soumis à une autorisation préalable, délivrée par le Magistrat, valable pour une année et renouvelable à la demande expresse de l’artisan ou du commerçant. A condition évidemment que rien ne s’y oppose : il faut montrer patte-blanche et être sans reproches ! Ce qui est loin d’être le cas de notre boulanger Caspar, un habitué du cachot de la prison Sainte-Catherine…
A.M.R. BB 34 Conseil ordinaire du mardi 27 janvier 1615
Caspar Greusslins Frevel * und abermahlige Wahrnung
Un délit, une amende et un nouvel avertissement…pour Caspar Greusslin
*Frevel: désigne une infraction, un délit et également l’amende pour ce délit (il existe divers Freffel selon la gravité du délit : grosser, kleiner, einfacher, frauen/frevel… une tarification en quelque sorte !)
Ce jour-même, Caspar Greusslin a sollicité le renouvellement de son office de boulanger : le Conseil a donné son accord, à condition toutefois que Greusslin montre dans sa tâche plus de zèle qu’auparavant et qu’il tienne compte des avertissements qui lui sont donnés…
Mais comme il n’avait pas respecté l’interdiction qui lui avait été faite et qu’il avait acheté entre-temps du pain chez un autre boulanger, lequel pain il avait disposé sur son propre étal et revendu, se moquant ainsi du Conseil qu’il croyait berner, il sera puni d’une amende simple d’une livre…
Par ailleurs, comme ledit Greusslin, malgré tous nos avertissements, ne peut pas se passer de fréquenter l’auberge Au Cheval où il passe des nuits entières, nous avons décidé de le mettre pour trois jours et trois nuits au pain sec et à l’eau, à la prison Sainte Catherine. Entre-temps nous verrons avec les gens de la Régence (le receveur bailliager et le greffier du bailliage) quelle suite donner à l’affaire…
Transcription du texte original:
An heut hat Caspar Greusslin, wieder umb das bachen angehalten, so Ime dergestalt bewilligt worden, dass er sich geflissener dan hiebefür verhalten und uf die Wahrnung achtung haben solle. Dieweilen aber er über das Verpott, inmittels von einem anderen Peckhen brodt kaufft und uff seinen Laden gestellt undwider verkaufft, also einem Raht getrotzt, den selben verplenden [wöllen, soll er zue Straf hoher Obrigkheit erlegen 1 Pfundt einfachen Freffell.
Neben dem, dieweilen er Greüsslein auch über alle Wahrnung des Würzhaus zum Rösslin nit müessig gehen will und erst dis tagen wider die ganze Nacht darin gesessen, so soll er diess mahls 3 Tag und Nacht zu St. Catharinen enthalten, mit Wasser und Prodt gespeisst, inmittels aber mit den Ambtleuthen daruss geredt werde wie doch der sachen zuthuen sein möchte…
A peine sorti, retour au cachot: conseil ordinaire du mardi 3 février 1615, une semaine plus tard !
Transcription du texte original:
Wiewol man abermahlen verhofft hat, es wurde sich Caspar Greusslin pesser gehalten und gehorsam erzeigt haben, darumb er an jezo wider beschikht und befragt werden solle, warumb er eben die Nacht, da er aus dem Thurn entlassen worden, sein Fraw uss gejagt und der Muter Ir Thür umb Mitternacht verprochen habe, darauf er wider eingesetzt werden solle.
Traduction:
Bien qu’on ait maintes fois espéré que Caspar Greusslin se comporte mieux et soit plus obéissant (aux avertissements donnés), il doit à nouveau être convoqué et interrogé pour savoir pourquoi, la nuit même où il venait d’être libéré de prison, il avait chassé sa femme de la maison et pourquoi, à minuit, il avait démoli la porte de la mère (sa mère ou sa belle-mère ?), ce pourquoi il devait à nouveau être mis au cachot !
Que retenir de ce texte?
- la personnalité du boulanger Caspar, un habitué des tribunaux et des cachots
- le métier de boulanger et celui d'aubergiste:
ce brave Caspar s'est présenté devant le conseil pour une simple formalité, le renouvellement de son autorisation d'exercer son art... On lui accorde cette autorisation mais on lui fait payer une amende pour avoir contrevenu à un article du règlement des boulangers: le pain qu'un boulanger présente sur son étal, devant sa boutique ou sous la halle des boulangers (Brot Laube) doit être de sa propre production et la revente lui est formellement interdite... Une amende? Passe, il l'a sans doute méritée! Mais voilà qu'on lui reproche son intempérance et sa fréquentation trop assidue des tavernes et des auberges, et pour cela on le met au pain sec et à l'eau dans l'une des prisons de la ville! Il avait aussi "oublié" un des articles du règlement des aubergistes, la fermeture obligatoire à 22 heures ! En cherchant bien, on trouvera dans la suite du registre une comparution de l'aubergiste Au Cheval, suivie d'une amende et peut-être également de quelques nuits au cachot !
- le Magistrat se mêle même des conflits conjugaux, mais cela,on le savait que se disputer avec sa femme menait au pain sec et à l'eau sur la paille du cachot !
Gérard Michel
P.S. Le 30 avril 2019, en feuilletant le registre des protocoles du Magistrat A.M.R. BB 37 de l'année 1619, quatre ans plus tard !... nous retrouvons encore, le 25 janvier, notre Caspar couché sur la paille de la prison: "... in Hafftung ligenden Caspar Greisslein...", pour une autre affaire: "...Caspar Greisslein und der Rösslin Würthin abermahligen Ehebruch..." . On comprend mieux, depuis, pourquoi Caspar passait ses nuits à l'Auberge Au cheval... Entre temps, il avait apparemment épousé l'aubergiste mais son infidélité l'avait mené, une fois de plus, au cachot !...