Israhel van Meckenem, La dispute pour la culotte, 1480 Paris, BNF, Estampes (d’après Beaumont-Maillet 1984 : 14).
Nous avons écrit plusieurs fois dans ces pages, que le Magistrat, qui rappelons-le, est composé à Rouffach de 15 conseillers, et présidé par le Schultheiss, se réunit en séance ordinaire le mardi de toutes les semaines. Pendant ces sessions, sont réglées les affaires courantes de la ville, mais l’essentiel de son activité est celle d’une cour de justice civile qui est amenée à se prononcer sur des infractions aux règlements de police : conflits de voisinage, jeux interdits, tapage nocturne, injures, jurons, blasphèmes, etc. Les mêmes conseillers du Magistrat peuvent également être appelés à siéger comme jurés dans une cour de justice criminelle où ils jugeront notamment des crimes, comme la sorcellerie.
Les registres des délibérations du Magistrat regorgent d’affaires, souvent cocasses, soumises au jugement des braves bourgeois de Rouffach siégeant au Conseil, les ancêtres de nos conseillers municipaux d’aujourd’hui, qui n’ont plus, eux, à démêler de pareils litiges!
En voici un, particulièrement croustillant, auquel ils ont trouvé une solution plutôt radicale ! S'avérera-t-elle durable?
Transcription du texte original en allemand. Archives municipales de Rouffach A.M.R BB 34
Wochen Rhat gehalten, Zinstags en 23. Febr. Anno ut supra (1616)
Hans Borland dem Schuehmacher, Clegern
und Marten Knecht dem Schneider, seinem Schweher,[1] Antwortere
# ist ein schöner Handell: das sie beede junge Eheleuth einandern schlagen und etwa Streit haben, und vermeinen sie von einandern zuscheiden
Wiewol in dieser geistlichen Ehesachen von keiner weltlichen catholischen Oberkeit zu urtheillen, weniger sie von einandren zuescheiden, doch weilen ein ers: Rhat zwischen Inen gern Freundschafft pflanzen wollte, so ist für diessmahl der Bescheidt, wöllen sie beede in Güete wider zusamen, wol und guet. Wo nit, so soll man sie ins Keffig zusamen legen, ein Schissel und ein Löffel geben, auch so lang ligen lassen, bis sie Eins werden. Beneben soll der Schweher und Vatter gewarnet sein, der Dochter hinfüro kein Halss Schlak [2] mehr zu geben, oder er werde gewiss auch gebürende Straf bewertig sein…
Traduction et commentaires
Conseil hebdomadaire tenu mardi 23 février 1616
Plaignant : Hans Borland, le cordonnier
Défendeur : Martin Knecht, le tailleur, son beau-père.
Avant d’en arriver au verdict prononcé à l’issue de la délibération du Conseil, le greffier de séance résume l’affaire en quelques mots :
C’est une sacrée histoire : les deux jeunes mariés échangent des coups, se disputent et souhaitent qu’on prononce leur séparation !
Mais à cette époque, le divorce n’existe pas : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
Décision du Magistrat, cour de justice dans cette affaire :
Comme dans cette affaire de couple aucune autorité catholique séculière ne peut prendre de décision et encore moins prononcer leur séparation, et comme notre Conseil souhaite qu’ils cultivent entre eux des relations amicales, sa décision est que, pour cette fois, ils se remettent ensemble et fassent bon ménage. Sinon, nous ordonnons qu’ils soient mis tous deux dans le même cachot, qu’on ne leur donne qu’un seul bol et une seule cuiller, et qu’ils restent ainsi jusqu’à ce qu’ils finissent par s’entendre !
Par ailleurs, le père et beau-père est averti qu’il devra à l’avenir s’abstenir de donner des gifles à la fille, sans quoi il pourrait bien lui être appliquée la punition qui convient !
On a du mal à imaginer un Conseil municipal d’aujourd’hui se prononcer sur une affaire semblable et être amené à appliquer une telle sanction ! D’ailleurs, où trouverait-on à Rouffach un « gigerla » ou un « keffig » susceptible de calmer la fureur de ce jeune couple ?
Gérard Michel mars 2019
[1] Schwäher ou Schweher : Schwiegervater, pater uxoris
[2] Hals-Slack : Schlag an den Hals, Backenstreich, Ohrfeige