Rembrant Les mendiants 1648
Les archives municipales de Rouffach conservent dans leur fonds ancien les protocoles des audiences du Magistrat depuis la toute fin du XVème siècle jusqu'à la Révolution, avec une interruption de 1631 à 1642 due aux troubles de la Guerre de Trente Ans.
Ces protocoles sont une source inépuisable de renseignements pour le chercheur: Tout au long des pages, le lecteur y découvre les événements, même les plus secrets, de la vie quotidienne des hommes et des femmes du Rouffach ancien.
Je vous propose dans cet article trois extraits de protocoles d'audiences de l'année 1617 qui illustrent bien la diversité des questions sur lesquelles les Conseillers du Magistrat étaient appelés à se prononcer lors de leurs assemblées hebdomadaires.
1. Le gueux qui voulait être reçu bourgeois...
Le premier concerne la requête d'un habitant de Rouffach qui souhaite être admis dans les rangs de la bourgeoisie. Rappelons que pour être bourgeois il fallait remplir un certain nombre de conditions:
- faire la preuve de son « Manrecht » (autorisation d’émigrer et de changer de seigneurie),
- être issu de parents honorables,
- ne pas être serf (en état de servage)
- ne pas faire l'objet d’une condamnation et de poursuites de la part de son ancien seigneur.
- s’acquitter de la somme de 2 florins pour le droit de bourgeoisie ainsi que de la cotisation revenant à sa corporation.
- posséder, conformément à l’usage de chaque localité, son propre équipement militaire et son arme
- pouvoir justifier de la pleine propriété d’un bien d’un montant de vingt florins
Or le demandeur, un malheureux nommé Hans WUERN, que l'on appelait communément Bettelhänslin, littéralement Petit-Jean le mendiant, était bien loin de réunir toutes ces conditions!
Traduction du texte original:
Au sujet d'un miséreux qui demande à être bourgeois...
Concernant la supplique (pour être admis dans la bourgeoisie de Rouffach) transmise au Conseil par Hans Wuern, appelé communément Bettelhänslin, le Conseil ne peut répondre favorablement à sa demande:
- le requéreur ne dispose pas du bien suffisant ; il traîne déjà suffisamment de bourgeois besogneux et corrompus dans la ville pour qu'il soit inutile d'en rajouter un supplémentaire!
- il ne travaille pas, il est paresseux et fainéant
- ses enfants (petits enfants?) vivent déjà de l'aumône et en profitent bien...
- Il est donc à écarter et ne peut être reçu dans la bourgeoisie
Texte original:
Bericht wegen [ein]es Lumpenstechers, so Burger begert zu werden
Auff die von Hans Wuernen, sonsten Bettelhänslin
genandt, übergebene Supplication, wegen burgerlicher
Auffnamb zue Rufach, und darüber begehrennden
Bericht, khan ein ers.Rath nit verhalten, die weÿlen der
Supplicant das Vermögen nit / unnd schon dergleichen arme
liederliche Burger ohne des vil in der Statt, zue dem
er nit (mit) arbeiten, faul undt träg und der anderen
Lumpenstecher oder Taglöhner, Lohnschetzer, und Verfiehrer
auch seine kinder kinder ohne das schon das Allmüessen
holen unnd dessen geniessen, als ist derselb wol abzueweisen
unnd der Ratz: oder Stattordnung nach, zuem Burgerechten
nit dienstlich / jedoch hoher Obrigkheit hierin einiche
Ordnung oder Maß nit für zeschreiben
* ce Hans Wuern est appelé ici Lumpenstecher: ce mot désigne celui qui exerce l'activité de chiffonnier mais le plus souvent il s'agit d'un terme méprisant, à l'adresse d'un individu marginal, peu soigné, paresseux, vivant d'aumônes ou de rapines. L'allemand est particulièrement riche pour désigner ce genre d'individus: Lumpengsind, Hudelmansgesind, Lumpenwäscher, Ackermaus, Galgentropfen, Rattenschwanz, Bettscheisser... Les lecteurs germanophones apprécieront les nuances ! En alsacien, il nous reste le mot Lump, l'ivrogne, le moins-que-rien...
2. Claus Morand réclame son acte de baptême...
Geburtsbrieff
Claus Morandt zu Westhalden uff Rufach seiten gebürtig
begert sein geburtzbrief
# ist erkandt, sein Vatter
hat Moritz Morand, die Muetter Madlen Zollerin
Pfetter: Claus Oschwaldt, Gottel: Maria Rexerin geheissen
nunmehr alle gestorben, Got gnadt Inen und Uns
Claus Morand, natif de Rouffach, côté Rouffach, demande son acte de baptème. Il est avéré que son père est Moritz Morand, sa mère, Madelein née Zoller, son parrain Claus Oschwaldt et sa marraine Maria Rexer, aujourd'hui tous décédés. Que Dieu leur soit propice ainsi qu'à nous-mêmes.
* pour quelles raisons a-t-on besoin de présenter son acte de baptême ? Pour se marier, par exemple, et comme dans le texte ci-dessus, lorsque l'on change de ville ou de village et que l'on veut être reçu bourgeois et s'inscrire dans une corporation...
* on notera l'usage de Pfetter et Göttel pour parrain et marraine; on retrouve ce dernier mot dans Göttelbrief, souhaits de baptême sous la forme de lettres, souvent délicatement décorés...
* le signe # est un signe conventionnel usuel pour signaler que ce qui suit est la réponse du Magistrat
* zu Westhalthen, uff Rufach seiten: originaire de Westhalten, côté Rouffach... Westhalten était à cette époque partagée entre la ville de Rouffach et le village de Soultzmatt, dépendant pour la Stattseite (côté ville) à 60 % de Rouffach et pour la Thalseite (côté vallée) à 40 % de Soultzmatt.
3. Un sacré numéro: Caspar Greisslin le boulanger
page 6 verso
Ce Caspar a déjà fait parler de lui et bénéficie d’un autre article sur Obermundat
Texte original:
den 2. Maÿ Aubendts, ist wegen
Unufhörlichen Verdachts und Geschreÿs
Caspar Greisslin, der Beck und Catharin Rothin, die
Rösslin Würtin, widerumb gefenglich einzogen, und
über etlich tag, nach verhörten Zeugen, mit allem
Ernst examiniert worden. Die habens letstlich
gestehen müessen, das sie offt und vielfeltig Unzucht,
Huereÿ und Ehebruch mit einandern getrieben, wie
die Acta und Kundtschafften davon dan I: dht:
gleich Copias und Bericht zugeschickht worden ist.
Was aber die Straf sein würdt, ist noch zur Zeit
unbewusst.
Traduction du texte original:
... au soir du premier mai, à la suite des soupçons et rumeurs incessantes dont ils étaient l'objet, Caspar Greisslin et Catherine Roth, l'aubergiste " Au Cheval" ont été incarcérés une nouvelle fois et longuement interrogés, après l'audition des témoins. Ils ont finalement avoué qu'ils se livraient fréquemment ensemble à l'adultère et à la débauche, ainsi qu'en témoignent les informations et les actes dont les copies ont été transmises à sa Seigneurie. La peine qui leur sera appliquée n'est pas connue, pour l'instant.
* den 2ten Maÿ Aubents (Abends) ne signifie pas "au soir du 2 mai", mais "au soir de la veille du 2 mai" !
* l'adultère est un crime, passible d'une peine "au corps"... C'est la raison pour laquelle le Magistrat de Rouffach laisse ici aux autorités du Bailliage le soin de décider du sort de Caspar et Catherine.
* copie du dossier a été envoyée à I:dht qui est l'abréviation usuelle de "Ihre Durchlaucht" qui est un "Adelsprädikat", une particule nobiliaire, une formule utilisée lorsque l'on s'adresse à un prince...
suite page 10 verso:
Sambstag den 13 Maÿ anno 617
Kreissleins und der Rösslin Würtin Thurn erlassung
Sonsten haben die Ambts leuth heut den Kreislein und die
Rösslin Würtin des Thurns erlassen, die aber den
schultheiss angelobt das sie nit weichen, weniger etwas
verlussern oder der Kreisslin sein Weib übel halten
wolle, biss die gebürende Straf erfolgt
le samedi, 13 mai 1617,
Les autorités du bailliage ont fait libérer de prison le dit Kreisslin et la femme aubergiste "Au cheval". Le Schultheiss les a fait prêter serment de ne pas fuir la ville ou se cacher, en attendant que soit statué sur le sort à leur réserver...
Nous n'avons pas fini d'entendre parler de Caspar Greisslin... un sacré numéro ! Affaire à suivre...
Gérard Michel