Dans le langage populaire, bourge ou bourgeois, désigne des personnes qui font étalage de leur aisance matérielle et financière au travers de signes extérieurs de richesse ou qui ont un goût affirmé pour le paraître. Pour les classes populaires, est appelé bourgeois tout ce qui n’est pas vulgaire, qui a de belles manières, qui n’est pas de la banlieue, qui est des classes supérieures, le riche, le nanti, le capitaliste…
Originellement le mot bourgeoisie désigne « ceux qui habitent le bourg », les gens de la ville, marchands, artisans, etc., par opposition à ceux de la campagne.
Dans la période qui nous concerne dans cet article, c’est-à-dire du Moyen-Âge à la fin de l’Ancien Régime, la bourgeoisie est la classe des habitants qui ont acquis les droits de bourgeoisie : le droit de s’établir dans la ville leur confère le droit d’y exercer une profession, d’être membre d’une corporation, d’une confrérie, de bénéficier de la protection de la ville en matière de droit et de justice en particulier. En contrepartie, ils payent des impôts, participent aux corvées, assurent les tours de garde et la défense de la ville et peuvent être enrôlés dans des campagnes militaires à l’extérieur.
1. un difficile recensement
En l’absence de recensement systématique et surtout en raison du caractère hétérogène de la population, il est extrêmement difficile de donner autre chose que des estimations sur le nombre des habitants de Rouffach à une période donnée. Le seul chiffre précis est justement celui du nombre de bourgeois, masculins : pour être bourgeois il faut nécessairement avoir un métier et être inscrit dans une corporation, et les registres des corporations sont bien tenus et régulièrement mis à jour ! Mais il n’y a pas que des bourgeois à vivre dans une ville, il y a les anciens qui ne sont plus en état de travailler, les veuves, les épouses, les enfants, et tous ceux surtout qui ne peuvent prétendre au droit de bourgeoisie : les manœuvres, les journaliers, c'est à dire ceux qui habitent la ville, y sont actifs mais ne sont pas bourgeois, ne possèdent pas de bien, ceux qu’on désigne sous le nom Einwohner et Hintersässen, manants… Sans compter les indésirables, les mendiants, Lumpenstecher et autres Landstreicher que les Bettelvögte, les chasse-mendiants ou chasse-coquins s’appliquent à chasser de la ville s’ils n’avaient pas au préalable été repoussés par les gardes aux portes d’entrée de la ville.
1.1. estimations de la population de Rouffach
en 1485 environ 1720 habitants
en 1490 environ 1860
en 1503 environ 1750
en 1603 environ 2030
Ce sont là des comptes approximatifs, calculés de la façon suivante : effectif des corporations multiplié par 4 et majoration de 20% pour la noblesse, les ministériels, le clergé, etc.
Cette population va progresser jusqu’à la Guerre de Trente ans mais on retombera à 1766 habitants en 1663, 18 ans après la fin de la Guerre de Trente ans, qui a réduit la population dans des proportions importantes mais encore mal définies. LAGRANGE, cité par Rodolphe REUSS, donne pour 1698 un chiffre de 2500.
C’est dans un document de 1663 conservé aux A.D.B.R. Evêché de Strasbourg sous la cote 3G1 que nous trouvons les chiffres les plus précis:
Designation aller in der Statt Ruffach biss uff den 30. Decembris dises ablaufenden 1663 sten Jahrs, befindlicher Haushaltungen von Geistlichen, Gefreÿten, Räthen, Burgern, derselbe Weiber, Khinder, Knechte und Mägte
Summarum aller Gefreiten, Burger, Hindersässen und Wittiben zue Ruffach und halb Westhalden: total de tous les privilégiés, bourgeois, manants et veuves de Rouffach et moitié Westhalten
Burger und Gefreite: 342
Weiber: 382
Kinder: 836
Knecht: 143
Mägte: 63
soit un total de 1766 habitants
Dans le compte de la population il convient d’inclure la noblesse, les ministériels, les officiers de la Régence, ceux que l’on appelle die Gefreite Personen ou freÿe Personen, privilégiés dispensés du paiement des impôts. Le document de 1663 en recense 11, auxquels il faut ajouter leur famille et leurs domestiques :
3 religieux
2 fonctionnaires du bailliage, l'Ambtschaffner et le Landschreiber
le Marschalckh
le Thumb Capituls Schaffner : receveur du Grand Chapitre
le Zoller, le receveur des droits de douane, de pontonage
le médecin
l’apothicaire
le maître d’école
Dans ces chiffres ne sont pas pris en compte les religieux des couvents, hospices et prieurés de la ville, ni les pensionnaires et malades des hôpitaux, hospices et léproserie.
2. règlement concernant la réception des nouveaux bourgeois A.M.R. A / BB 130. 1568
traduction en français d'un texte original en allemand de 1568 A.M.R. A / BB 130
Mittwuch nach Allerheiligen Tag (1568)
2.1. Manrecht
Les représentants des villes et villages de notre seigneurie de l’Ober-Mundat[…] ont convenu à l’unanimité qu’à l’avenir, tout étranger qui demande à être reçu bourgeois dans l’une des localités susnommées, doit au préalable faire la preuve auprès de notre bailli ou son représentant de son « Manrecht » (autorisation d’émigrer et de changer de seigneurie), qu’il est issu de parents honorables, qu’il n’est pas serf (en état de servage) et qu’il ne fait pas l’objet d’une condamnation et de poursuites de la part de son ancien seigneur.
2.2. un droit de bourgeoisie de deux florins
Il devra en outre s’acquitter de la somme de 2 florins pour le droit de bourgeoisie ainsi que de la cotisation revenant à sa corporation.
2.3. un équipement militaire et une arme
Il devra également posséder, conformément à l’usage de chaque localité, son propre équipement militaire et son arme et pouvoir justifier de la pleine propriété d’un bien d’un montant de vingt florins dont il doit jurer qu’il en est le propriétaire et qu’il ne l’a pas emprunté.
Les enfants de bourgeois et les compagnons qui sont de bonne moralité et qui épousent des filles ou des veuves de bourgeois, n’ont pas à payer les deux florins mentionnés plus haut et les compagnons seront « inclus » dans le présent règlement.
2.4. les welches ne sont pas les bienvenus !
Le règlement que nous avons institué dans notre seigneurie il y a des années concernant les Welches et qui dit que ceux-ci ne doivent plus être accueillis et acceptés comme bourgeois est toujours valable…
Welsch, en allemand, est un mot qui signifie étranger parlant une langue romane. Les Alsaciens de langue alémanique ont appelé ainsi les Alsaciens de langue romane qui habitaient les hautes vallées vosgiennes. Ce terme est attesté dès le XVIe siècle par les greffiers de langue alémanique qui l'emploient pour désigner les habitants de la région de Schirmeck.
L'une des activités du Magistrat au cours des conseils hebdomadaires du Mardi Wochenrath, est l'examen des demandes d'étrangers à la seigneurie qui demandent à être reçus bourgeois de Rouffach. Voici un exemple du traitement de deux demandes consignées dans A.M.R. A / BB 36 du 13 juin 1617 : Geörg STRÜBELIN, un tailleur, ainsi que Vincent LOMBARD , un bourguignon, sollicitent le droit de bourgeoisie à Rouffach :
…vu que le premier, le tailleur, ne dispose pas du bien nécessaire et que le second est un welche, ce qui est contraire aux règlements et usages de la ville, le droit de bourgeoisie leur est refusé…
# dieweilen der Schneider das
Vermögen nit, und dan der ander ein Welscher, welches
nun alles wider Ordnung und Stat Herkhommen, derowegen
so seindt sie für diesmahl abgewiesen worden.
3. règlement concernant la réception de nouveaux bourgeois A / BB 130 / 1 de 1570
traduction en français du texte original en allemand de 1570
Au sujet de la réception des nouveaux bourgeois il a été décidé lors du conseil du Landtag, le lundi qui a suivi le jour de la Toussaint de l’année 1570, par le grand bailli ainsi que les Schultheiss et conseillers ce qui suit :
que chacun qui demande à être reçu comme bourgeois dans le Mundat ne pourra être reçu ni jouir des droits de bourgeoisie s’il n’a pas fait la preuve auparavant qu’il possède un bien de 20 florins en argent liquide ou qu’un Magistrat ou Conseil ait attesté qu’il est effectivement propriétaire d’un bien mobilier ou immobilier de la même valeur.
de même, il ne doit pas lui être accordé le droit de bourgeoisie ou le droit de corporation s’il ne possède pas un équipement de soldat et une arme en bon état et s’il ne s’est pas acquitté de son droit de bourgeoisie et son droit d’entrée dans une corporation
cependant, des enfants de bourgeois pauvres, nés de parents honorables et pieux qui demandent à quitter un village ou une ville de l’Obermundat pour s’établir dans un autre village ou ville de la même seigneurie et qui ne disposeraient pas des vingt florins peuvent être reçus bourgeois s’ils sont honnêtes et s’ils mènent une vie …. Mais ils ne sont pas pour autant dispensés de posséder arme et équipement et ils doivent s’acquitter du droit de bourgeoisie et du droit d’entrée dans une corporation.
texte original en allemand :
Der newen Burger halben so uffgenommen
werden sollen, ist uff gehaltenen Landtag
Montags nach aller heilligen tag anno LXX
von M. J. dem Oberamptman, auch Schultheißen
undt geordneten des gemeinen Lands wÿther
abgeredt angenommen und beschlossen worden:
Das ein jeder zu kommender so burger inn der Mundat
zu werden begert, nit angenommen noch Ime das
Burgrecht gegündt soll werdenn, er habe dan
zuvorderst die XX Gulden die er inn seim vermügen
haben, mit barem gelt dargelegt, oder sunst
ein Rath oder Gericht jedes Orts mit ligendem
oder farendem gut vergwisst, dass ein Rath
oder Gericht dessen inn guter erfarung
sige das er ein solche Narung vermüge
Item, es soll ime auch gleicher gestalt kein
Burgrecht noch Zunfft gegündt werden, er
sige dann zuvor mit seim Harnisch und gewehr
die Im ein Rath oder gericht jedes Orts ufferlegt,
gefast und gerüst, und habe das
Burgrecht und zunfftrecht vermüg dieser
Ordnung bar vernuet und bezalt,
Doch sollen arme Burgers Kinder inn dieser
Herrschafft Obernmundat, von frommen eltern
geporn, so von einer statt, flecken oder dorff
inn die ander zuziehen und sich nider
zulassen begert und sich auch ehrlich und woll
halten, und die XX Gulden nit vermöcht, hier inn
nicht ussgeschlossen sunder die freÿheit
haben und angenommen werden, doch das er lüth
dieser Ordnung bewehrt und mit harnisch oder
was Im ein Rath oder Gericht ufferlegt
versehen sige, auch sein Burgrecht unnd
zunfftrecht vor allen dingen und ehe er
angenommen erlege und bezale.
4. le serment des bourgeois
c.à.d. le serment que doit prêter l’ensemble de la bourgeoisie, chaque année, le jour de la prestation des serments :
traduction du texte original en allemand
4.1. être soumis à son seigneur et obéir aux autorités
Tous les bourgeois doivent jurer à notre prince et seigneur, Léopold d’Autriche, évêque de Strasbourg de le respecter comme leur seigneur, de lui être getreuw und hold fidèle et obéissant, de servir les intérêts du Seigneur de le protéger et d’écarter de lui les atteintes et les menaces Ehre und Nutz fördern, Schaden warnen und wenden et de tout faire ce que l’on doit à son Seigneur, au bailli de Rouffach et aux représentants de son autorité.
4.2. obéir à l’appel des cloches…
Il jure la même fidélité et obéissance au Schultheiss, au Magistrat et membres du Conseil et à l’appel des cloches. Il jure de respecter toutes les obligations et tous les interdits, et d’obéir au chef de sa tribu et au receveur de la taille. Lorsqu’un danger menace, il jure de se rendre rapidement sur les lieux d’incendies (Gestöll ? und Feuer) et de faire en toutes choses de son mieux comme il convient de le faire.
4.3. défendre sa ville contre les ennemis extérieurs
S’il arrivait qu’on soit obligé de se mettre en campagne (partir en guerre), il devra suivre sa bannière, servir fidèlement dans son unité et obéir au grand-bailli, bailli ou tout autre chargé d’une autorité.
Chaque bourgeois doit également dénoncer et signaler tout dommage ou dégradation là où il en est témoin, que ce soit dans la ville, dans la campagne, en montagne ou dans les vallées.
4.4. veiller à son équipement et à son arme
De même, chacun doit prendre soin de l’équipement militaire et de l’arme qu’on lui a confiés, les conserver et ne pas les mettre en gage.
Aucun bourgeois ne peut acquérir le droit de bourgeoisie dans une autre localité avant qu’il ait dénoncé son ancien droit et qu’il se soit acquitté de toutes ses dettes.
Aucun bourgeois ne doit accepter de protection (Schirm) sans l’accord préalable de notre prince et seigneur…
texte original en allemand :
A.M.R. BB 126 Schwehrbuch und Prothocoll der Aïden und Pflichten, so die Stat Diener und andere vor Rhat zuerstatten pflegen, also verbessert und ernewert uf eines ersamen Rhats Erkandtnuss und Bevelch Anno 1613.
Le texte comporte beaucoup de ratures, de surcharges, d’ajouts dans la marge et s’est avéré difficile à reconstituer…
Alle die Burger sollen schwören unserm gnedigsten Fürsten und Herren,
Herrn Leopolden zu Österreich bestetigten Bischoffen zue Strassburg für Iren natürlichen Herren zu haben getreuw und holdt zue sein, Nutz zu fürdern und Schaden zu wenden, und alles das zuethuen das Leüth Irem Herren schuldig und pflichtig sein zuthuen, auch einem ober Amptman oder Vogten zu Ruffach für Iro fürgesetzte Oberkheit zehalten und dan einem Schultheißen, dem Rhat und der Glockhen wie zugleich allen gebott und verpotten, so wol auch ein jeglicher seinem Zunfftmeister unnd den Gewerffer gehörig und gehorsamb zu sein, im Fahl der Noth, auch zue Gestöll und Feüer zu lauffen, darin, und in dem allem das pest zuthuen, wie sich in jeden Dingen gebeüert und sie darin geordnet und bescheiden werden, und ob sich füegte daß man zu Feldt ziehen wurde, als dan mit dem Baner nach zu folgen, getreuwlichen darbeÿ zupleiben, gehorsam zue sein, einem Oberamptman, Vogten, oder einem jeden, der In zuer Zeit zu einem Hauptman geben werdten möchte. Es soll auch ein jeglicher Burger, beÿ seinem geschwornen Aïdt, allen und jeden ungepeüerlichen Schaden, wo er den sieht, in der Statt, zu Feldt, Berg und Thaal, rüegen und fürbringen.
Desgleichen ein jeder seinen Harnisch, Gewehr, die er haben soll und Ime ufferlegt seind, behalten und die nit versetzen, inmaßen dan ein jeglicher Harnisch (ist und soll auch) derhalben gefreÿt sein solle von niemandten zu Pfandt zu nemmen noch auch hinzugeben. Item es ist und wirdt auch hierin sonderlich bestimbt was sich in Zeit eines jeglichen seines Burgerrecht begeben und machen würdt, es seÿ von was Sachen es wölle, deßhalb und darumb alhie zu Ruffach Recht zugeben und zu nemmen seÿe und sein solle, und sonst niendert anderswa noch mit andern Gerichten in khein Weise, alles getreuwlich und ungevorich. Und was über daß … Stathalter, Vogt, Schultheiss, Rhat und Zunfftmeister bißher geordnet haben und fürter noch ordnen und setzen werden, das soll jederman halten, beÿ diesem Aïdt. Es soll auch kheiner kheiner frembdt Burgrecht annemmen, er hab dan zuvor sein Burgrecht ufgesagt und die schulden, so er zuthuen ist, vernüegt. Es soll auch khein Burger einichen Schürm ohne unsers gnedigsten Fürsten und Herren Wüssens und Willen annemet, noch sich dessen wider seinen Burger Aidt Ihres fr:dht: und deren Nachkommen gebrauche in kheinen Weg, ob auch ein Burger an ein Rhat oder Gericht alhie Forderung oder der Rhat Gerichtoder Gemeindt an Inen oder sie hetten, oder gewünnen möchte, in berüerter Zeit der burger (so soll solches alles vor höchstermeltem weltlichen Herren) unserm Fürsten und Herren oder Irer dht. Rhäten, mit Recht geben und nehmen, außgemacht, erörtert und vertragen werden.