Sebastian Münster: vue de la chapelle de l'hôpital Saint-Jacques et de la porte de Froeschwiller
Dans le règlement de l'Hôpital Saint-Jacques de 1606, il est à remarquer que dans tout le document, parmi les 3052 mots qui le composent, on ne trouve à aucun moment les mots Kranken ou Siechen, (malades) ou l’une ou l’autre de leurs formes : il n’y est question que de Bettler, de mendiants, de vagabonds. Dans d’autres documents sur le même sujet, même constat : les « pensionnaires » de l’hôpital sont désignés par les mots : die Arme, die arme Nodtleÿdtende, die Armen und Nothürftige, die Hausarmen, die arme Leüth, die Armen undt Betürftigen… les pauvres, les nécessiteux (un mot peut également désigner des malades, maladie et pauvreté allant de pair).
Et même si dans d'autres textes figurent les mots Krancken et Siechen, malades, on ne trouve pas de mention de soins du corps à apporter au malade. Les seuls soins qui sont évoqués sont ceux de l'âme, la confession et les saints sacrements...
L'essentiel de la mission de l'hôpital, établissement "civil" géré par le Magistrat, se limite donc à l'accueil, l'hébergement et le chauffage. La nourriture, elle, est assurée par les familles et surtout par la générosité de la population de la ville... Quant aux soins médicaux, il n'en est jamais fait mention, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient pas: la présence de médecins à l'hôpital ne sera attestée qu'au siècle suivant.
Et tout ne s'y passe pas toujours très bien pour les pensionnaires, ainsi que le dénonce cet extrait d'un protocole du Magistrat de 1616:
Extrait des Protocoles du Magistrat, lundi 1er février 1616: AMR BB 34
Spital Unordnung
Uff Pater Guardians beschehenen Anzeigen, hab Ich heut fürbracht
das mit den Kranckhen im Spithal zimblich übel und unordenlich
zugange, werden übel gehalten und liederlich gespeisst.
# darauf der Bescheidt, es soll hinfüro ein jeder Pfleger
in der Wochen etlich Mahl hinab gehen und Achtung haben
wie die Sachen beschaffen und man mit den Armen umbgenge.
Desgleichen wan ein solcher gar Krankher vorhanden, sollen
der Spithalbaur, oder die Bettelvögt, oder deren Weiber
solches dem Pfleger oder Schultheißen anzeigen sollen, damit man
dem Pfarrer oder Guardian solches anfüege und sie solches
uf den Canzeln verkünden, also für die Arme pitten und
umb Steür anhalten köndt, mit dem Geding wo er,
Spithalbaur und dessen Weib, solches und anders nit in Obacht
nemen und sich der Gebür nach verhalten werden, soll er aus
dem Spithal gestossen werden.
Traduction
Désordres à l'hôpital...
A la suite d’une déposition du père Guardian 1, j’ai 2 découvert aujourd’hui qu’il régnait à l’hôpital 3 un grand désordre et que les choses y allaient plutôt mal pour les malades, qu’on les y traitait mal et qu’ils étaient mal nourris !
# 4 Il a été décidé que, dorénavant, le Spitalpfleger, administrateur des biens et des revenus de l’hôpital,5 devait se rendre plusieurs fois dans la semaine à l’hôpital pour voir comment vont les choses et comment on y sont traités les malades.
De même, lorsqu’on découvre à l’hôpital un indigent (ein Armer) malade, le fermier de l’hôpital ou les « chasse-coquins » ou leurs épouses, doivent le signaler au Spitalpfleger, afin que soient prévenus le curé ou le gardian qui devront l’annoncer en chaire, et inviter les fidèles à prier pour lui et à lui offrir une aumône…avec la mention particulière que si lui, le fermier de l’hôpital et sa femme, n’étaient pas particulièrement attentifs à cela et aux autres choses et s’ils se comportaient de manière inconvenante, ils devaient être exclus de l’hôpital.
Notes et commentaires
1. guardian désigne le supérieur d’un couvent de franciscains. Sa présence dans cette affaire laisse entendre que les franciscains sont présents à l’hôpital de la ville, l’hôpital Saint-Jacques et que ce sont eux qui y assurent le service religieux (et non le clergé de Notre-Dame). Ce père guardian joue un rôle de surveillance et de lanceur d’alerte : c’est lui qui dénonce ici aux autorités de la ville les mauvais traitements infligés aux pensionnaires de l'hôpital…
2. j’ai : cette première personne désigne le Stattschreiber, greffier municipal secrétaire de séance.
3. à l’hôpital : lorsque dans les textes, il est dit « à l’hôpital », il s’agit toujours de l’hôpital de la ville, l’hôpital Saint-Jacques, das neue Spital pour le distinguer de das alte Spital , l’ancien hôpital, l’hospice du Saint-Esprit.
4. dans les délibérations du Magistrat, ce signe # annonce la réponse du Magistrat, la décision ou le verdict
5. L’office de Spitalpfleger, administrateur des biens et des revenus de l’hôpital, est l’un des cinq offices du magistrat qui sont dits les plus importants. Ce Pfleger est un bourgeois de la ville, membre du Magistrat et il n’habite pas à l’hôpital.
On constate ici qu’à la suite de cette plainte, on demande au Spitalpfleger, un bourgeois élu du Magistrat, d’être juste un peu plus présent dans son hôpital (!) et de transmettre l’information à des « subalternes » qui sont chargés de régler le problème. Et si ce problème persiste ou se représente, c’est le fermier de l’hôpital qui servira de « fusible » et sera jeté hors de l’hôpital ! La Ville n’intervenant pas pour pallier les carences de nourriture…la nourriture est l’affaire du Spitalmeister, dont il n’est curieusement pas fait mention dans ce document, et des Bettelvögte qui organisent les collectes d’argent et de nourriture en Ville
Le lecteur trouvera sur obermundat.org un article qui précise le rôle des Bettelvögte et décrit la vie quotidienne de l‘hôpital Saint Jacques, en cliquant sur ce lien: Le Bettelvogt, personnage clé l'hôpital Saint Jacques ...
Il trouvera également d'autres informations en utilisant la fonction recherche avec les mots Spitalmeister et Bettelvogt.
Il pourra surtout se reporter aux ouvrages de François BOEGLY qui font de manière complète et très précise le point sur la vie dans les hôpitaux de Rouffach, du Moyen-Âge à l’époque contemporaine :
Histoire de la Maison Saint Jacques de Rouffach
Boegly François, chez Jérôme Do. Bentzinger,
tome 1, 286 p., 2005 et tome 2, 291 p., 2007
Gérard Michel