La procédure judiciaire suivie dans les procès de sorcellerie commence toujours, nous l’avons vu dans les articles précédents, par l’Inquisition. Il s’agit d’une enquête, de voisinage, faite à l’insu de l’intéressé, qui permet de confirmer des rumeurs, das gemeine Geschreÿ, qui l’accusent d’être une sorcière ou un maître sorcier. Le plus souvent, à la suite de cette Inquisition, la machine judiciaire se met en marche, après la découverte d’un Indicia suffisant pour justifier une incarcération, et conduira des malheureux à la mort atroce sur le bûcher.
Mais cette exécution ne marque pas la fin de la procédure : dès le lendemain, il est procédé à l’inventaire des biens, liegend und fahrend, meubles et immeubles. Un inventaire très détaillé, jusqu'à la moindre pièce de vaisselle, à l'ustensile de cuisine même rouillé, le moindre drap, les réserves de grains, de vin, etc. Des inventaires qui, par ailleurs, permettent au lecteur d'imaginer de manière plus précise le cadre de vie dans lequel évoluaient les gens de ce début de dix-septième siècle, dans une petite bourgade de l'Obermundat.
Après cet inventaire très détaillé des biens, il est procédé à leur estimation : il s’agit d’abord de déduire de la succession tous les frais occasionnés par la détention (nourriture, éclairage, salaire et nourriture des gardiens), les honoraires des juges, les appointements du bourreau et de ses aides, ainsi que les frais de bois, de chaînes, d’échelles, etc. lors de l’exécution sur le bûcher. Les archives ont conservé ces états de frais et les petites Zedel, les notes rédigées par les artisans, les aubergistes et les divers "fournisseurs"…
Participent à cet inventaire et estimation les officiers du bailliage, dont le receveur et le greffier, le Schultheiss, des conseillers du Magistrat… qui, leur mission accomplie se retrouvent autour d’une table d’auberge, dont la note s’additionne bien entendu à toutes les autres notes de frais. Rien n'est oublié, même l'avoine et la litière des chevaux des juges venus de Guebwiller ou de Murbach font l'objet d'un Zedel détaillé...
Une fois le bien évalué et les frais déduits, de savants calculs permettent de fixer la part qui revient au Fiscus. S‘ensuivent des suppliques et des procédures interminables intentées le lendemain même de l’exécution par les familles, maris, enfants... qui tentent de préserver la part qu’ils estiment leur revenir.
Toujours est-il qu’il s’agit là d’un revenu, non négligeable, qui tombe dans les caisses du prince-évêque de l’Obermundat. De là à penser qu’on « choisissait » les victimes des procès de sorcellerie en fonction de leur patrimoine, il n’y a qu’un pas, qu’il faut pourtant éviter de franchir : le lecteur lira sur l’état qui suit trois fois la mention « nichts », c’est-à-dire rien, ce qui veut dire qu’une fois les frais déduits, il ne reste rien ! Pour d’autres, par contre, l’opération s’est avéré « rentable » : 6000 livres et 8200 livres sont des sommes considérables!
Cet état est un récapitulatif des sommes encaissées par le fisc à la suite de procès criminels en 1631 : 17 personnes pour une seule année, 14 femmes et 3 hommes ! On retrouvera dans cette liste Margaretha SCHÖNHOLZERin d’Eguisheim, à laquelle nous avons précédemment consacré un article sur obermundat.org.
1631 Einamb Recess A.M.R. FF 12 (compte des recettes)
- Veronica SIMMERLERin die alte Schlosserin: 145 livres
- Magdalena KRIEG, épouse Martin LINCKH der Haffner: 105 livres
- Maria SCHLOSSERin die Hebam von Eguisheim: nichts
- Hans WISSMAT: 6001 livres
- Georg MILLER, ausgerissen, évadé de la prison: 879 livres
- Christina SIGLERin: 1756 livres
- Christina ECKHARTerin, die alt Marschalkherin: nichts
- die hingerichte Margaretha SCHÖNHOLZERin, épouse de Joachim HABER d’Eguisheim : 106 livres
- Anna, l’épouse de Lienhart ECKHART, décédée en prison: ?
- die justifizierte Anna HEITLEIFFERin, épouse Jacob WINTER: nichts
- die hingerichte Maria WEINGANT, die KLEINerin genant : 295 livres
- der hingerichten Hans MÖGLIN, gewesten Marbach Meyer de Gundolsheim: 8229 livres
- die justifizierte Magdalena ZIMMERMANNin, épouse Melchior HUCKH: 1014 livres
- die hingerichte Christina BIEBERin épouse Roman MARTIN de Soultz: 523 livres
- die hingerichte Anna JETTERlin, épouse Michael KRAUT de Soultz: ?
- die hingerichte Anna SCHNIPPERin : 407 livres
- die durchs Feüer Hexereÿ halben hingerichten Rönigunda MONFISCHERin, geweste Millerin in Munwiller: 162 livres
Gérard MICHEL février 2019