© photo ville de Rouffach
Le blason des Waltenheim de Bâle
L'article intitulé La chasse aux marques lapidaires continue!, rendait compte de la découverte de l'une des rares traces laissées par l'ordre du Saint Esprit dans le paysage urbain de Rouffach. Dans l'un des jambage du portail de l'ancienne ferme de la rue Ullin avaient été réemployées deux blocs de pierre (remontées à l'envers!) sur lesquels figurent deux écus. L'un d'entre eux représente la croix de l'ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit. Nous n'avons pas su interpréter alors le second écu, mais dans un commentaire à cet article, un lecteur d'obermundat.org, M. Denis Heissler, émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir des armoiries de la famille Zuckmantel de Brumath. Depuis, cette ancienne ferme a été démolie pour céder la place à un projet immobilier, mais les deux pierres remarquables ont été préservées et offertes à la Ville de Rouffach par l'ancien propriétaire. Sur l'envers de l'une d'elle, que l'on ne pouvait apercevoir lorsqu'elle était en place, a été découvert un troisième écu, dont nous avons soumis une photographie à M. Denis Heissler qui, très aimablement, a accepté d'entreprendre des recherches pour l'identifier, à la suite desquelles il nous propose l'interprétation qui suit:
Il y a quelques jours, M. Michel m'a appris qu'un nouveau blason avait été trouvé rue Ullin et m'a demandé si je pouvais contribuer à son identification. Ce blason comporte une séparation en deux champs verticaux (partition), chaque champ étant décoré d'un croissant. Les deux croissants se détournent l'un de l'autre (croissants dits adossés) ; l'un est en creux, l'autre en relief sur un champ abaissé.
Ce blason est en accord avec celui des Waltenheim, [i] une famille de bourgeois bâlois qui a connu son apogée au XVe siècle. W. R. Staehelin [ii] cite un brevet d'armoiries (Wappenbrief) de 1452 par lequel l'empereur germanique Frédéric III concède aux frères Hans et Jakob Waltenheim de nouvelles armoiries "améliorées". Cette lettre rappelle d'abord quelles étaient leurs anciennes armoiries - celles qui nous intéressent ici - dans des termes que l'on peut traduire ainsi : "un écu partagé également, de bas en haut, en jaune et bleu, et dans ces mêmes parties, au milieu de l'écu, deux croissants de lune détournés l'un de l'autre et aussi inversés par rapport aux couleurs de l'écu". [iii] En langage héraldique, on écrirait aujourd'hui en moins de mots : Parti d'or au croissant tourné d'azur et d'azur au croissant contourné d'or. [iv] Au XVIe siècle, Chr. Würstisen représente ces mêmes armoiries dans sa Baszler Chronick.
Des Waltenheim on connait surtout le parcours au XVe siècle. [v] Hans et Jakob étaient les fils de Henman Waltenheim. C'étaient des marchands et des changeurs parmi les plus fortunés de la ville. Membres influents de la corporation des Hausgenossen, [vi] celle des changeurs, ils y ont occupé des charges importantes et leurs armoiries figuraient sur les murs de la salle zum Bären (A l'Ours) où cette corporation se réunissait. Ils ont aussi siégé pour plusieurs mandats au conseil de la ville. Hans Waltenheim a été, avec Wernlin von Kilchen et Heinrich Halbisen, l'un des trois fondateurs de la société Halbisen de commerce international. [vii] La prospérité des Waltenheim et leur place dans la corporation a permis leur ascension au nombre des Achtbürger, [viii] un groupe de bourgeois qui, avec les chevaliers (Ritter), constituaient le patriciat de la ville. La proximité des Achtbürger et des chevaliers était d'ailleurs grande comme le montre l'épisode suivant - rapporté par L. Stouff d'après les Basler Chroniken (volume IV) - où interviennent trois familles d'Achtbürger : en 1454, le duc Philippe de Bourgogne s'arrête à Bâle, logeant dans la maison des Sürlin. Pendant cette visite, un tournoi est organisé au cours duquel Hans Waltenheim le Jeune, fils de Hans l'Ancien et neveu de Jakob, est mortellement blessé en affrontant Bernhard Sevogel. [ix] Sa disparition prématurée annonçait le déclin des Waltenheim. Le père décédera en 1462 et l'oncle, resté célibataire, autour de 1480. [x]
Des Waltenheim en Alsace
Dans Alsatia Illustrata, J. D. Schœpflin indique qu'il a existé en Alsace deux familles Waltenheim, l'une en Haute Alsace, l'autre en Basse Alsace, classées par lui dans la noblesse inférieure. [xi]
La famille de Haute Alsace, est citée à propos de deux événements seulement :
- en 1135, la fondation du chapitre augustin de Goldbach au-dessus de Willer, en rive gauche de la Thur. La charte a été donnée par Bertholf, abbé de Murbach, lors d'un plaid tenu à "Hosteim" (Ostein, village disparu de la seigneurie d'Issenheim). Burchart von Waltenheim y est mentionné parmi les témoins liberi (hommes libres).
- en 1215, la concession, par Frédéric II de Ferrette, d'un terrain d'Altkirch à l'abbaye de Lucelle pour y construire une maison. Là, c'est Otto von Waltenheim qui est cité comme témoin, premier parmi quatre chevaliers (milites).
Burchart et Otto étaient donc connus de puissants personnages du sud de l'Alsace. Mais Otto a vécu deux siècles avant la grande époque des Waltenheim de Bâle. A ma connaissance, rien ne permet de dire qu'ils étaient de la même famille. [xii]
La famille de Basse Alsace, vassale des sires de Lichtenberg dès le milieu du XIIIe siècle, est mieux connue. Proche de Stephansfeld, elle aurait pu être présente à l'hôpital de Rouffach. Mais dans l'article de J.-M. Weinling dédié à l'Edelsässer Cronick (1592) de Bernhard Hertzog, nous apprenons que leur blason était semblable à celui de plusieurs autres familles de Burgmannen de Brumath, comme les Zuckmantel, soit : Parti d'or et de sable à l'étoile d'argent. La seule différence étant la présence d'une étoile à six rais au lieu de huit pour les Zuckmantel. [xiii]
Discussion
- Le blason étant probablement celui des Waltenheim de Bâle, quels liens cette famille pouvait-elle avoir avec l'hôpital du Saint-Esprit de Rouffach ? Au XVe siècle, Bâle, ville d'Empire, appartenait au même ensemble que les villes et seigneuries alsaciennes. Les interactions, notamment économiques, étaient constantes. [xiv] Par exemple, dans le secteur d'activité des Waltenheim, on peut mentionner le Rappenmünzbund formé en 1403 entre les villes de Bâle, Colmar, Fribourg, Brisach et les Habsbourg pour s'accorder sur les questions de monnayage. Mais les Waltenheim étaient présents dans d'autres domaines encore. Dans ce paysage, il est tout à fait possible que cette famille ait été, à un titre ou un autre, présente à la cour dimière de l'hôpital de Rouffach.
- On ne peut pas exclure que le blason trouvé soit celui d’une autre famille étant donné que nous n’en connaissons pas les émaux (couleurs).
Denis Heissler, Janvier 2021
Dessin DH - Déc. 2020
Bibliographie et notes
[i] Parfois Waltenhin, voire Waltheym, dans les textes anciens.
[ii] W. R. Staehelin, "Basler Adels- und Wappenbriefe". Archives héraldiques suisses, 1917, 31(2), 79. Source : ETH-Zürich ; www.e-periodica.ch ; http://doi.org/10.5169/seals-745358
[iii] Traduction effectuée par l'auteur de la présente communication.
[iv] Ces armoiries ont été adoptées en 1973 par la commune de Waltenheim (Haut-Rhin). D. Bruckert ; site de la mairie de Waltenheim : la page d'histoire. Consulté le 09-12-2020.
[v] Les détails biographiques sur les Waltenheim sont tirés de : (a) W. R. Staehelin, Réf. 2 ci-dessus ; (b) L. Stouff, "Le pouvoir temporel et le régime municipal dans un évêché de l'empire germanique jusqu'à la Réforme (L'évêché de Bâle)". Thèse - Faculté des lettres de Paris ; Larose et Forcel, Paris, 1891, Tome 3, p. 12-14. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France ; ark:/12148/bpt6k97370616 (c) F.E. Welti, "Hans von Waldheims Reisen durch die Schweiz im Jahre 1474". Archiv des Historischen Vereins des Kantons Bern, 1919-1920, 25(2), 132-133 et 152-153. Source : ETH-Zürich ; www.e-periodica.ch ; http://doi.org/10.5169/seals-370898 ; (d) Contrat de mariage de Hans le Jeune et d'Adelheid von Laufen : G. Signori, "Similitude, égalité et réciprocité. L'économie matrimoniale dans les sociétés urbaines de l'Empire à la fin du Moyen Âge". Annales. Histoire, Sciences Sociales (Editions de l'EHESS), 2012, 67(3), 664-667. Source : CAIRN-Info ; https://www.cairn.info/revue-annales-2012-3-page-657.htm
[vi] Il existait également une corporation de Hausgenossen dans d'autres villes dont Strasbourg : (a) F. Igersheim, "Hausgenossenschaft" in: Dictionnaire historique des institutions de l'Alsace (DHIA). Consulté le 19-01-2021. https://dhialsace.bnu.fr/wiki/Hausgenossenschaft ; (b) Réf. 14a ci-dessous. Hanauer les appelle Husgenossen. Il signale la présence parmi eux d'un Waltenheim chargé, avec Claus von Winterthur, d'acheter de l'argent métallique pour la frappe de pièces (p. 288). Il pourrait s'agir de Hugo ou de Werner, deux fils d'Eberlin de la famille de Basse Alsace, qui, selon Schœpflin (Réf. 11a, p. 675), habitaient à Strasbourg (milieu du XIVe siècle).
[vii] S. Hess, "Halbisen-Gesellschaft" in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 26.11.2007, traduit de l’allemand ; https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/041653/2007-11-26/
[viii] Le nom de Achtbürger, littéralement "Huit bourgeois", vient de ce que ce groupe avait huit représentants au conseil de la ville.
[ix] Le blason des Sevogel comportait, lui aussi, deux croissants : D'or aux deux croissants adossés d'azur, à la bordure de gueules. W. R. Staehelin, "Wappen aus Basler Kirchen". Archives héraldiques suisses, 1924, 38(3), 118-121. Source : ETH-Zürich ; www.e-periodica.ch ; http://doi.org/10.5169/seals-746515
[x] W. R. Staehelin (Réf. 2 ci-dessus) mentionne l'existence de deux enfants illégitimes (Kebskinder) de Hans l'Ancien, un garçon et une fille.
[xi] (a) J. D. Schœpflin, "Alsatia Illustrata Germanica Gallica". Colmar, 1761, p. 675, Altkirch : p. 37, Goldbach : p. 630 (note y). Source : Bibliothèque numérique de l'INHA / Bibliothèque de l'Institut National d'Histoire de l'Art. Collections Jacques Doucet. https://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/item/12532-alsatia-illustrata-germanica-gallica ; (b) Traduction de la charte de 1215 : Ch. Goutzwiller "Esquisses historiques de l'ancien comté de Ferrette (1ère suite)". Revue d'Alsace, 1853, 4, 301. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ; ark:/12148/bpt6k96335475
[xii] On pourrait évidemment supposer que ces Waltenheim se soient installés à Bâle, par exemple après la vente de la seigneurie de Ferrette à l'évêque en 1271, et soient devenus bourgeois de cette ville. Ce type d'évolution a parfois existé. Mais aucun document ne l'indique ici. Il est possible aussi que la famille se soit éteinte.
[xiii] J.-C. Weinling, "Armorial de la noblesse issue du Kochersberg d'après la chronique de Bernhard Hertzog". Kocherschbari (Association des amis de la maison du Kochersberg), 2009, 60, 11-18. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ; ark:/12148/bpt6k9762695b
[xiv] (a) A. Hanauer, "Etudes économiques sur l'Alsace ancienne et moderne. Les Monnaies ". Sous les auspices de la Société Industrielle de Mulhouse ; Paris, Strasbourg, 1876. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France ; ark:/12148/bpt6k115344m ; (b) M. Matzke, "Die andere Seite der Münze. Münzprägung in Basel". Basler Zeitschrift für Geschichte und Altertumskunde, 2015, 115, 89-98. Source : ETH-Zürich ; www.e-periodica.ch ; http://doi.org/10.5169/seals-813336
[xv] Un dernier mot : En chemin, j'ai rencontré aussi un Peter von Waltenheim, Münzmeister de l'Ordre Teutonique au château de Thorn (actuellement Torun en Pologne) jusqu'en 1404. Toujours le même domaine d'activité ! Qui était-il ? Source : Universität Hamburg / OF 153b [479.], in : Christina Link / J. Sarnowsky (Ed.) : "Die Schuld- und Rechnungsbücher des Deutschen Ordens." Eine synoptische Edition im Internet. http://cmsobj.rrz.uni-hamburg.de/schuredo/receive/SchuReDo_variante_00000294
Remerciements:
- Merci à M. Denis Heissler pour sa précieuse contribution qui a permis l'identification de ces deux écus
- Merci à la Mairie de Rouffach qui a mis à notre disposition la photographie de l'écu des Waltenheim et en a permis la diffusion dans cet article
Droit d'auteur et propriété intellectuelle
L'ensemble de ce site relève de la législation française et internationale sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. Tous les droits de reproduction sont réservés. Toute utilisation d'informations provenant du site obermundat.org doit obligatoirement mentionner la source de l'information et l'adresse Internet du site obermundat.org doit impérativement figurer dans la référence.