Dans les documents anciens, livres censiers, jugements du Magistrat, actes notariés..., cette rue est toujours désignée par Walhe Gass ou Wahle Gass.
Les anciens de Rouffach appellent encore aujourd'hui cette rue Wàhla Gàss...
Dans un livre censier de 1420 Unser lieben Frawen Zins Buch, on trouve trois mentions de la Walhe Gasse, dont une fois dans le passage
…das Hus in Walhe Gasse gegen der Stege…
dans un autre livre censier de 1482, figurent deux mentions de cette rue avec l’orthographe Wahle Gasse dont une fois dans le passage :
…item unser lieben frowen nuw huss, gelegen in walhe gasse…
alors, Walhen Gass ou rue Walch ?
- on pourrait imaginer que Walch soit un nom de famille...
- wàhla en alsacien (on dit aussi wèhla) signifie voter, choisir : mais on ne votait guère sous l’ancien régime, pour que ce geste citoyen donne son nom à une rue !
- et pourquoi Wahlen est-il assez récemment devenu Walch !
Les ouvrages qui traitent de l’onomastique (l'onomastique est une branche de la lexicologie qui a pour objet l'étude des noms propres) nous permettent d’envisager une solution à notre problème:
Walh (au pluriel Walha) est un nom germanique désignant une personne parlant une langue non germanique, principalement celtique et par extension une langue latine ou romane, français et italien.
Ce Walh ou Walah du vieux haut allemand devient Walch ou Wahl en moyen haut allemand et sa forme adjective walesc ou wal(a)hisc devient wälhisch et wel(hi)sch en moyen haut allemand. Aujourd’hui encore en allemand moderne, l’adjectif welsch et le substantif die Welschen sont utilisés pour parler des locuteurs de langue romane.
En Alsace, les minorités romanes, Orbey, Labaroche, val de Villé étaient désignées par le terme Welsch (Welche) Ce terme s'utilise encore en français "welche" ou en alsacien "Walsch/Welsch" pour désigner la langue romane de ces populations, ces populations elles-mêmes ou encore, souvent avec une nuance péjorative, pour désigner l'ensemble des francophones extérieurs à la région.
et donc le Walh de Walhengasse et Walch de la rue Walch seraient le même mot...
mais que viendraient faire les welches dans un nom de rue, à Rouffach ?
Voilà ce qui dit Sebastien Münster, cité par Georges BISCHOFF, en parlant de l’Alsace en 1544 : (traduction française Bâle 1552)
… il n’y a gueres de gentz natifz du pays qui y habitent, mais la plus grand parties sont estrangiers, à sçavoir Souabe, Bavariens, Savoisiens, Bourguignons et Lorrains : lesquelz quand ilz ont une fois gousté que c’est du pays, ilz n’en veulent iamais sortir, et sur touz les Souabes ayment bien a y faire leur nids…
Georges Bischoff ajoute :
…en juillet 1580 sur 2500 personnes présentes dans les auberges strasbourgeoises, pendant la foire d’été on compte 846 welsches. A Thann, ces welchen Kremer, venus essentiellement du versant lorrain ont quasiment le monopole du commerce…
et pourquoi Rouffach n’aurait-elle pas aussi ses welches?
On ne peut pas nier qu’il y a toujours eu à Rouffach un problème welche, les multiples articles les visant, figurant dans les règlements de l’évêque et du Magistrat l’attestent.
Pourquoi cet acharnement ?
Selon une expression employée par Georges BISCHOFF, ils constituent dans les villes « une minorité virtuelle » qui n’a pas d’existence officielle : elle n’est pas inscrite dans les registres des corporations puisque les règlements lui interdisent d’accéder au rang de bourgeois. Le welche est français, il appartient à l’ennemi et en tant que tel il peut représenter un danger en cas d’invasion française… Pas de mariage non plus avec un welche, pas de domestiques français, savoyards ou lorrains… avec une exception pour les welches des vallées...
Les marchands welches qui fréquentent les marchés sont accusés d’être une concurrence et ils y sont interdits de séjour et les artisans se plaignent de la « concurrence d’une main d’œuvre welche qui pourrit le marché du travail. ».
alors Walhengasse pourrait signifier Rue des Welsches ?
- parce que des welches y ont établi commerce ? une rue avec des échoppes tenues par des welches ?
- parce que des welches y habitent, parqués dans une espèce de ghetto ?
Pour l’instant, il n’y a pas le moindre élément de réponse...
Ce n’est pas avec des dictionnaires qu’on fait l’histoire et nous en resterons donc aux hypothèses… L’onomastique étudie les noms propres, ceux de personnes (anthroponymie) et ceux des lieux (toponymie), mais ce n’est pas parce qu’on a trouvé l’étymologie d’un nom de rue qu’on sait pourquoi elle a été baptisée de ce nom !
Le même problème s’est posé dans un autre article, à propos de la rue Ullin, et il se posera pour le nom d’autres rues, la Witen gasse, en 1420, Witten Gasse en 1482, Wytten Gasse en 1492, Wÿthen Gasse en 1554, l’actuelle rue Claude Ignace Callinet.
A propos de Welches, voir :
L’Alsace à l’avant-scène des Guerres de religion : La Nouvelle Jérusalem, Eleutheroville et les Schelmes
Georges Bischoff Revue d’Alsace 2006
Une minorité virtuelle : être Welsche en Alsace dans les coulisses du siècle d’or (1477-1618)
Georges BISCHOFF Cahiers de sociolinguistique 2005/1 (n°10) p. 87-105
Gérard MICHEL mai 2018
en réponse amicale à une question posée par Gérard K., un lecteur de la banlieue de Lyon qui a passé son enfance dans la rue Walch