Pillage d'un village pendant la guerre de Trente Ans
Il n’était pas rare, il y a quelques années, de rencontrer au hasard d’une promenade matinale, Pierre-Paul Faust, historien et archiviste de la Ville, arpentant d'un bon pas le tracé des anciens remparts. Dans ce tour de la ville ancienne, il marchait dans les traces de l'histoire de sa ville et les pas des personnages qu'il avait fréquentés dans ses lectures, sa vie durant: Berler, Pellicanus, Zwingli,... et bien sûr, François Joseph Lefebvre, sénateur et Maréchal d'Empire... Et lorsqu’on le croisait et lui demandait ce qu’il faisait là de si bon matin, il répondait invariablement, le sourire en coin :
Waïsch, ech pàss uff, un lüag emmer eb d’Schweda net wedder zeruck kumma, m’r waïss nia!
Tu sais, je surveille et je regarde toujours si les Suédois ne sont pas en train de revenir, on ne sait jamais !
Paul évoquait évidemment un des épisodes les plus douloureux du peuple alsacien et des plus sanglants de l’histoire de Rouffach : l’arrivée des suédois en Alsace pendant la guerre de Trente Ans (1618 - 1648).
Nous ne nous étendrons pas sur l’histoire de la Guerre de Trente Ans, la littérature ne manque pas sur le sujet. Nous renvoyons en particulier le lecteur au texte d’une conférence d'un grand spécialiste du sujet, l'éminent Georges Bischoff, qu’il trouvera sur le site https://aufildusavoir.fr (il suffit de cliquer sur ce lien en rouge pour retrouver immédiatement le texte)
Rappelons simplement que la Guerre de Trente Ans est le résultat de longues tensions politiques comme religieuses, entre des Etats protestants, comme le Saint Empire et la Suède, et des pays catholiques, dont la France, l'Italie ou le Portugal.
Par le traité de Bärwald (janvier 1631) la France signe une alliance militaire avec la Suède et elle s’engage à financer la Suède protestante pour mener la guerre à Gustave II Adolphe, empereur catholique du Saint Empire.
Les troupes protestantes suédoises s’abattront sur le Saint Empire en passant par la Saxe, la Thuringe, la Franconie et arriveront finalement en Alsace et en Lorraine en septembre 1631.
Les villes tomberont les unes après les autres et en octobre 1633, les Suédois seront les maîtres en Alsace. En janvier de la même année, ils anéantirent dans un carnage épouvantable plus d’un millier de paysans du Sundgau et les prisonniers seront exécutés sauvagement. Ensemble, Français et Suédois auront fortement contribué à ruiner et à saigner l’Alsace.
L’Alsace sortira anéantie de cette guerre, elle avait perdu près de 60% de sa population, des villages entiers étaient vides de leurs habitants, d'autres avaient disparu, pillés, brûlés et rasés...
Février 1634: les suédois à Rouffach
Rouffach, qui a été de tout temps une terre de passage des troupes, fut particulièrement touchée par le passage des suédois : le chroniqueur Jean Simon Müller raconte dans l’ Urbaire de la Ville de Rouffach, (A.M.R. AA / 11) rédigé à partir de 1727, le siège et l’assaut de la ville, le 15 février 1634. Nous avons reproduit le texte original et proposé une traduction, dans un article de notre site, sous le titre L'assaut et la prise de la ville par les suédois en février 1634, racontée par Jean Simon MÜLLER dans l'Urbaire de la Ville, URBARIUM RUBIACENSIS CIVITATIS 1727
En 1634, le roi de Suède, avec l’appui de quelques villes impériales, envahit et dévasta l’Alsace. Colmar, qui avait trahi l’empereur, accueillit les troupes suédoises et la ville devint un vrai repaire de pillards.
Cette année 1634, le 15 février, les suédois arrivèrent aux portes de Rouffach et assiégèrent la ville. Les gens de Rouffach, avec quelques soldats impériaux se défendirent avec ardeur jusqu’au moment où la ville fut prise d’assaut par les suédois qui, pendant trois longues heures massacrèrent tous les hommes qu’ils rencontraient.
Les religieux se réfugièrent dans la sacristie de l’église paroissiale, les suédois forcèrent la porte à coups de hache, se saisirent des religieux qu’ils traînèrent jusqu’au Neuhaus où ils furent massacrés.
La ville fut mise à sac par les suédois et les rouffachois furent contraints de payer aux occupants une très forte rançon, si exorbitante qu’ils durent y engager tous leurs biens et toute leur fortune. Les notables qui avaient survécu au massacre furent menés à Colmar et jetés en prison où on ne cessait de les menacer de les pendre si la rançon exigée n’était pas payée dans son intégralité.
L’insécurité régna de nombreuses années, tout le temps que dura la présence des suédois dans le pays.
Tout était rare et hors de prix et la famine s’installa. La ville était sans cesse la proie des pillards et les braves gens étaient obligés de descendre jusqu’à Bâle pour y chercher quelque nourriture, risquant leur vie en permanence sur les routes qu’ils prenaient la nuit, circulant sous le couvert des forêts, sachant que s’ils étaient pris ils seraient torturés et massacrés.
Pendant de nombreuses années la terre qui s’étendait entre Rouffach et Bâle resta en friche, beaucoup d’habitants de Rouffach ne se nourrissaient plus que de farines de glands de chênes et beaucoup moururent de faim.
En ces temps-là, une grande affliction s’était abattue sur notre ville.
Jean Simon Müller, n’a bien entendu pas vécu ces événements, vieux d’un peu moins de cent ans au moment de la rédaction de l’Urbaire , mais il s’appuie sur des sources sûres qu’il a sans doute tenues en main, les comptes rendus des cessions du Magistrat, notamment celle du 13 mars 1636 qui relate que la population avait été réduite à voler et manger des cadavres… Un compte rendu digne de foi puisque, pour certifier qu’il s’agissait de faits authentiques, on avait apposé le sceau de la ville à la fin du procès-verbal. Ces comptes rendus ont malheureusement disparu, sans doute victimes d’autres troubles, d’autres guerres…
A la fin de 1634 une grande partie de l'Alsace se trouve entre les mains de Louis XIII : par le traité de Saint Germain, Richelieu place l’armée suédoise, une armée de mercenaires, sous le commandement du Prince Bernard de Saxe-Weimar, lui entretient une armée de 18 000 hommes et lui accorde les droits sur les territoires alsaciens des Habsbourg.
L'Alsace vivra alors ses plus terribles années de guerre : les armées les plus diverses s'installent, pillent, dévastent, torturent, brûlent, massacrent : impériaux, croates, polonais, lorrains, suédois, espagnols et français... La misère la plus noire règne dans le pays, avec la famine, la misère et les épidémies…
En 1648 la guerre se termine avec les traités de Munster et de Westphalie.
Mais les malheurs de l’Alsace, et ceux de Rouffach, ne se termineront avec les traités de Munster et de Westphalie de 1648: les armées traversent l’Alsace et elles s’y installent, de façon temporaire ou saisonnière. Des milliers hommes piétinent les prairies et les champs, pillent et saccagent les récoltes. Des armées entières s’installent dans les villes pour les « quartiers d’hiver » et en l’absence d’intendance organisée, la population locale doit loger les hommes et les chevaux, de gré ou de force. Ces hommes sont des mercenaires, des aventuriers, à qui la guerre permet de subsister, dans l’espérance de s’enrichir, leur maître est celui qui les paiera le mieux et leur permettra le vandalisme, le vol, le viol, la cruauté aveugle...
Une fois la guerre terminée, ces soldats sans affectation, sans chefs, sans casernements et sans intendance restent dans le pays et pour subsister s'organisent en bandes qui rançonnent, terrorisent et affament les populations.
Gérard Michel novembre 2018
Cet article fait suite à un article précédent paru sur ce site: Les gobelets ou timbales du Magistrat, butin de guerre des suédois...