La lèpre est l’une des maladies les plus anciennement connues. Il en est fait mention dans l’Ancien Testament qui lui consacre deux chapitres entiers dans Le Lévitique. L’Eternel y instruit Moïse de la manière dont les prêtres doivent examiner les hommes suspectés d’être atteints par la lèpre. Le texte précise la loi selon laquelle, si l’examen se révèle positif, « le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués, il se couvrira la barbe et criera Impur! Impur ! Aussi longtemps que durera le mal il sera impur et étant impur, il habitera seul et sa demeure sera hors du camp. » [1]
La loi, selon le même texte, s’applique à tous les cas de lèpre et de teigne, la lèpre des vêtements et des maisons, les tumeurs, dartres et taches luisantes. La lèpre décrite dans les deux chapitres du Lévitique ne désigne pas uniquement la maladie que nous appelons lèpre aujourd’hui : elle inclut des taches, des décolorations, des tumeurs, des chancres sur la peau, mais aussi des taches sur les tissus et même sur les murs des maisons !
Cette maladie, nous dit la Bible, n’est pas irréversible, elle peut se guérir : or la maladie désignée aujourd’hui par le mot lèpre était incurable jusqu’à la découverte par A. HANSEN en 1872 de la myobactérie qui en est responsable, et la mise au point des remèdes trouvés au milieu du XXème siècle.
Il est déjà question de lépreux en Europe dans les conciles du Haut Moyen Âge : le cinquième concile d’Orléans qui s’ouvre le 28 octobre 549 à l’initiative de Childebert 1er, stipule dans l’un de ses canons que les évêques devaient prendre soin des lépreux. Mais la maladie se répandra en Europe surtout à partir du XIème siècle et on assistera au XIIIème siècle à l’éclosion d’une véritable endémie de lépreux, favorisée par la malnutrition et une hygiène défectueuse. Le diagnostic que formuleront les médecins du Moyen Âge et ceux des débuts de l’ère moderne ne sera guère plus précis que celui des prêtres de l’Antiquité et le traitement qu’ils préconisent sera celui préconisé par la loi de Moïse, l’isolement et l’exclusion…
…düssen im Gutleudt Hauss… la maison hors de la ville…
D’abord la lèpre avait suscité la compassion et les premiers malades avaient été soignés par leurs proches ou dans les hospices de la ville. Longtemps les lépreux, qui appartenaient alors à toutes les conditions sociales, continuèrent à vivre dans le monde. Mais avec l’augmentation considérable des cas, la crainte de la contagion triompha rapidement des sentiments de pitié. Bientôt apparut la nécessité de se préserver de la contamination en reléguant le malade loin des bien-portants, hors des murs de la ville : au début, on se contenta d’isoler les ladres hors des villes, dans des cabanes en bois que l’on brûlait après leur mort. Puis il fallut créer des maisons pour des malades sans cesse plus nombreux : les léproseries, ladreries, appelées ici Gutleuthäuser, maisons des bonnes gens, dont le souvenir se perpétue dans la toponymie locale, comme la rue des Bonnes gens de Rouffach.
L’une des préoccupations fondamentales des autorités religieuses, et des autorités civiles à leur suite, a toujours été d’isoler les lépreux et de les désigner à tous afin qu’ils s’écartent d’eux. Le troisième concile de Latran de 1179 prévoit que les lépreux puissent avoir une église, un cimetière et un prêtre qui soit attaché à leur communauté.
Ces établissements sont installés hors les murs, mais à proximité immédiate de la ville, « à un jet de pierre de la ville », obéissant ainsi à une double exigence. La première est de protéger la population saine en reléguant les malades loin des bien-portants. Mais il est aussi nécessaire de laisser sous les yeux de cette population la vision de malades susceptibles d’engendrer et de développer en elle des sentiments chrétiens de pitié, de miséricorde et surtout de générosité, indispensables pour la survie de ces malheureux.
Il importe également d’implanter ces maladreries à proximité d’une route afin que le malade puisse circuler et approcher les portes de la ville pour y quêter les aumônes.
Bien que souvent devenue propriété de la ville qui en gère les biens, les revenus et les dépenses, la léproserie ne vit en grande partie que par les donations, soit en terres, soit en argent, soit en redevance, soit en cens. Le lépreux lui-même, s’il est un indigent ne pouvant s’acheter une prébende, ne peut survivre qu’en sollicitant la charité publique, en mendiant la nourriture ou la menue monnaie qui va lui permettre de se la procurer. Un lépreux riche pourra prétendre à une chambre individuelle, voire une maison particulière de la léproserie et vivre assez aisément de ses revenus personnels et de la prébende que lui garantit le capital versé au moment de son admission.
La léproserie n’est pour le malade qui y séjourne qu’un asile, qui fournit un toit, le chauffage en hiver, un peu de nourriture et un mobilier sommaire, souvent laissé par un malade décédé. Il y est relégué plus que soigné : les archives de Rouffach n’ont pas permis de trouver, dans l’état actuel de nos recherches, la trace de soins pour soulager les malades et on peut raisonnablement penser l’essentiel des soins prodigués dans les léproseries étaient d’ordre spirituel, par la présence d’un prêtre, des offices religieux, des prières.
Le nombre croissant des lépreux ne tarda pas à entrainer, pour les collectivités et les églises, des problèmes financiers et il fallut se résoudre à n’accueillir que des malades natifs de la ville, lorsqu’il s’agissait d’indigents qui ne pouvaient pas, à cause d’une infirmité ou de leur âge subvenir à une partie de leurs besoins en mendiant. Les autres étaient chassés et devenaient des ladres errants, nombreux sur les routes du Moyen-Âge. Ceux dont les revenus étaient suffisants pour leur permettre d’acheter une prébende étaient, quant à eux, accueillis sans réserve semble-t-il à la léproserie, même s’ils étaient issus d’une autre localité, fut-elle étrangère à la seigneurie.
La relégation dont ils faisaient l’objet, les règlements de police qui leur étaient imposés, les ordonnances du Magistrat limitant rigoureusement leurs déplacements, l’accès à la ville et aux lieux publics, leur singularisation par l’obligation de porter une tenue vestimentaire particulière et des accessoires comme la cliquette, eurent tôt fait de transformer ces malheureux, vrais lépreux ou simples suspects, en parias de la société, aigris par leur malheur. Il n’est donc pas surprenant que certains d’entre eux aient pu concevoir une rancœur violente envers cette société qui les avait exclus. Certaines des maisons qui les avaient accueillis devinrent des repaires de la délinquance et du crime, hors de la ville, mais à quelques pas de la ville, à l’abri des tournées du guet et où les gens bien-portants ne venaient guère…
Avec les progrès de l’hygiène, l’isolement rigoureux des malades et les persécutions dont ils étaient devenus l’objet (dissuadant les faux ladres attirés par la vie oisive dans les léproseries), le nombre des cas de lèpre diminua sensiblement et dans la seconde moitié du seizième siècle, le fléau pouvait être considéré comme vaincu en Europe. Les derniers lépreux disparurent des léproseries au milieu du 17ème siècle et à leur suite disparurent les maisons dorénavant inoccupées. La chapelle, le cimetière subsistèrent un temps, la maison elle-même changea de destination, devint une auberge ou plutôt un tripot, comme à Rouffach, avant de disparaître...
Les léproseries de Rouffach
Rouffach possédait autrefois trois hospices : l’hospice du Saint Esprit, fondé en 1270, l’hôpital Saint Jacques, fondé en 1290, et la léproserie, dont l’histoire est restée jusqu’à présent peu étudiée. Il est tout à fait surprenant d’ailleurs que Thiébaut WALTER, qui s’intéressait tant à l’histoire de sa ville, ne se soit pas intéressé aux lépreux : à peine signale-t-il dans l’un de ces ouvrages l’existence d’une léproserie à Rouffach.
Peut-être est-ce parce que les documents permettant de reconstituer l’histoire et la vie quotidienne de la léproserie de Rouffach sont relativement peu nombreux, à la différence de ceux concernant l’hospice du Saint Esprit et surtout ceux de l’hôpital Saint Jacques ou encore du prieuré de Saint Valentin. En particulier, il n’a pas été trouvé pour l’instant de règlement complet de la léproserie de Rouffach comme il en est conservé pour des établissements identiques dans d’autres villes. L’histoire qui va en être faite restera forcément lacunaire, patiemment reconstituée d’après les indices fournis par les comptes des administrateurs de la léproserie, Gutleut Pfleger, et ceux des Stattschaffner,[2] comptables des dépenses et des recettes de la ville. Les nombreuses chartes consignant les donations faites en faveur de la léproserie, les livres censiers, Zinsbücher , quelques rares notes dans les protocoles des délibérations du Magistrat apportent de précieuses indications qui permettent de pénétrer dans le quotidien de la léprserie de Rouffach. Mais beaucoup de questions resteront en suspens…
La léproserie de Suntheim.
La première mention concernant une léproserie à Rouffach se trouve dans le Liber Vitae conservé aux archives municipales de Rouffach[3] . Il s’agit d’un document malheureusement privé de ses premiers feuillets, un obituaire, rédigé entre 1250 et 1372, qui consigne tous les dons et legs faits à l’église Notre Dame.
Au verso du feuillet 13, se trouve la première indication du lieu où se trouvait cette léproserie : Pierre de Meienheim lègue au curé 4 deniers , aux autres ecclésiastiques 6 deniers et au sacristain 2 deniers, provenant de 3 Schatz de vignes situées près de la maison des lépreux , à Suntheim, village disparu, au sud de Rouffach, dont seul le moulin dit Suntheimer Mühle , en bordure de la route nationale, rappelle encore le souvenir.[4]
Au feuillet 24, l’indication du lieu est encore plus précise : il s’agit d’une donation faite par Johann KEIPGASSE et son épouse :
… de V scadis vinearum sitis iuxta domum leprosorum in sunthein iuxta vineas spectantes ad curiam furtmülin…
Ce toponyme Furtmülin, composé de Furt, le gué et Mülin , le moulin, désigne le moulin situé sur le gué, celui de l’Ohmbach, à la sortie sud de la ville, c’est-à-dire le moulin de Suntheim.
Nous n’avons pas découvert d’autre mention de cet établissement de Suntheim que celle de l’obituaire des A.M.R.
La léproserie qui est l’objet de la présente étude se trouve elle aussi à l’extérieur de la ville, …düssen [5] im Gutleudt Hauss…, mais cette fois à l’Est, au-delà de la porte de Froeschwiller.
Les deux établissements ont-ils pu coexister ? La seconde est-elle fille de la première ? Il n’y avait pas vraiment de raison « stratégique » pour qu’on détruise la léproserie de Suntheim, surtout qu’on avait préservé l’église Saint Etienne, le moulin et quelques autres maisons. Les quelques bâtiments qui composaient la léproserie, - s’agissait-il d’ailleurs de bâtiments en dur et pas plutôt de huttes en bois destinées à être brûlées après le décès de leur occupant ? -, pouvaient difficilement être utilisées comme base stratégique par d’éventuels assaillants de Rouffach…
Par contre, une léproserie vivant en grande partie de l’aumône, celle de Suntheim, était idéalement située à « un jet de pierre » de la ville et sur une route de passage important, au moins aussi important que celle qui se dirige vers l’Est par la porte de Froeschwiller…
Joseph LEVY [6] émet l’hypothèse que la chapelle Sainte Odile, Tilien Cappel, qui figure encore sur la carte de Cassini était la chapelle de la léproserie…. Rien ne permet pour l’instant de confirmer cette hypothèse, que Thiébaut Walter avait déjà prise à son compte dans une jolie nouvelle intitulée Des Gutleuthauses letzter Insass,[7] revue et complétée par Paul STINTZI, une histoire qu’il situe du temps de Frédéric Barberousse, (1155 -1190). Faut-il faire remonter les origines de la léproserie de Suntheim à ces dates ? Walter a-t-il eu connaissance de documents perdus aujourd’hui ou s’est-il appuyé sur une tradition orale qui lui aurait permis de situer son récit dans la seconde moitié du 12ème siècle ? Les premières mentions de la léproserie de Strasbourg n’apparaissent dans les sources qu’en 1225 / 1234, et il est peu probable que celle de Suntheim lui soit antérieure…
La seconde léproserie.
La représentation du Rouffach de 1548 que nous a laissée Sébastian MUNSTER ne permet pas de préciser l’implantation exacte de cette seconde léproserie. Il n’en reste aucun vestige archéologique, seules quelques maigres indications nous seront fournies par les documents d’archives, comptes rendus des réunions du magistrat et surtout les différents livres censiers.
Une rue de Rouffach, à l’Est de la ville, parallèle à la Rue de la Gare, porte aujourd’hui le nom de Rue des Bonnes Gens, la rue des lépreux. Elle rejoint à angle droit la Rue du Vieux Moulin. Le moulin dont il s’agit est aujourd’hui disparu, c’est l’ancien moulin de la Lauch, voisin d’un moulin à chanvre ou d’une fosse destinée au rouissage du chanvre. On trouve en effet à plusieurs reprises le mot Bluwlat [8] désignant cet endroit sur la Lauch.
Plusieurs documents situent la léproserie entre la porte de Froeschwiller, la porte Est de la ville et la Lauch, à proximité de ce moulin :
… weilen sovil Unrath in die Spithalbach geworffen, solle solches abgeschafft, desglichen die Dentschen, vor dem Fröschweÿler Thor bis gegen dem Gutleuthaus gemecht werden… [9]
Il s’agit ici de débarrasser de tous les immondices qui les encombrent le canal des hôpitaux, la partie de l’Ombach comprise entre l’hospice du Saint Esprit et l’hôpital Saint Jacques, ainsi que la digue, le remblai qui va de la porte de Froeschwiller, la porte Est de la ville, voisine de l’hospice Saint Jacques, à la léproserie.
La maladrerie de Rouffach aurait donc pu se situer à proximité du confluent de la Lauch et de l’Ombach, le ruisseau qui après avoir traversé toute la ville, en sort tout près de la porte de Froeschwiller, pour se diriger vers l’Est. Plusieurs documents confirment cette implantation.
Dans le premier il est question d’un jardin planté de saules situé en contrebas de la léproserie et qui s’étend vers la Lauch et une parcelle voisine du moulin de la Lauch :
…item einen Widengarten unter den güten Lüten, zihet uf die Löche und ein Bletz by der nidern Milen …[10]
Dans le second, il est fait mention d’un autre jardin, à l’extérieur de la Porte de Froeschwilller, à proximité de la léproserie, et qui s’étendrait vers la Lauch :
…ein Garten … vor dem Fröschwiller Thor, bin güten Leutehauss gelegen…. zücht unden uff Onbach… [11]
La léproserie se trouvait donc située hors les murs, à proximité, mais tout de même à l’écart, d’une route de passage important qui conduit de Rouffach à Niederentzen, avant le pont dit Langbruck, qui enjambait à la fois la Lauch, l’Ombach et le canal du moulin, et à très courte distance de la ville. Elle réunit donc plusieurs des critères qui présidaient habituellement à l’implantation d’un tel établissement : d’abord la proximité de la ville, puisque les malades devaient pouvoir s’y rendre aisément, ensuite une situation à l’extérieur de la ville puisqu’il fallait éviter le contact entre malades et bien portants, et enfin la proximité d’un cours d’eau, mais en aval de la cité, qui permettait d’y capter l’eau dont l’un des usages était de préparer les bains dans les étuves, Badstuben.
Les textes n’apportent que peu de renseignements sur ce qu’il advenait des bâtiments de la léproserie et surtout de leurs habitants en ces périodes troubles avec leurs passages de troupes, de bandes armées qui ont assiégé, forcé, pillé, massacré : leur était-il permis, malgré l’effroi et la répulsion qu’ils suscitaient, de trouver un abri dans la ville, dans leur ville?
En 1569, les troupes du comte Palatin traversent la région et Florent RIBEISEN, administrateur de la léproserie, signale au Magistrat la disparition de quatre oreillers, de huit draps, de plusieurs poêles et plats, le tout pour une valeur de deux florins. De plus il a fallu réparer le portail et une porte, pour un montant de ½ florin. [12]
Entre 1633 et 1651, les documents concernant la léproserie présentent d’importantes lacunes, comme d’ailleurs tous les autres documents d’archives, en particulier les protocoles des réunions du magistrat : qu’est devenue la léproserie et ses occupants pendant les épisodes particulièrement cruels de la guerre de Trente ans ?
Le dépistage des lépreux.
La personne suspecte d’être atteinte est souvent désignée par la rumeur publique ou une dénonciation. Ce qui n’est pas sans rappeler la procédure appliquée, à la même époque, aux femmes, aux hommes et aux enfants désignés par la rumeur comme alliés du diable et qui finiront sur le bûcher comme sorciers et sorcières…[13]
Cette rumeur conduit à l’arrestation, au domicile du suspect, ainsi qu’en témoigne un document de 1506 conservé aux archives municipales de Rouffach, intitulé …Wie man Maltzen besehen soll… [14] , de la manière dont il convient d’examiner un lépreux:
« … lorsque la rumeur publique désigne un habitant de Rouffach comme malade de la lèpre et que l’on a constaté sur lui les signes de la maladie, on choisit deux barbiers, l’un exerçant dans la ville, l’autre dans les villages, on désigne deux membres du Magistrat accompagnés du sergent du Conseil, Ratsbote, et le matin, peu avant le lever du jour, en secret et sans avoir prévenu le malade [15], on le tire du lit et on l’examine. S’il se trouve qu’il est sain, rein, c’est-à-dire pur, sans taches, c’est la Ville qui prend en charge les frais, mais s’il se trouve que cet habitant est lépreux, c’est à lui de supporter les frais de la visite… ».
Les archives de Rouffach ne précisent pas comment se déroule cet examen et quels sont les symptômes qui permettent de confirmer la maladie. Une abondante littérature médicale décrit la façon de procéder: examen de la couleur du visage, des cheveux, des poils de la barbe et des sourcils, de la peau et des taches qu’elle présente et que l’on explore souvent à l’aide de longues aiguilles, de la langue, des dents, de l’haleine…
Le malade n’est cependant pas, tout au moins à Rouffach, conduit tout de suite à la léproserie: à la demande du Magistrat, il est d’abord examiné par une commission d’experts comprenant un ou plusieurs médecins, des chirurgiens barbiers et quelques autres témoins, représentants du Magistrat. Ces commissions siègent à Colmar, Strasbourg ou Fribourg et à l’issue de l’examen du malade, délivrent un certificat attestant sa maladie ou sa bonne santé.
Ainsi en 1627, le 20 février, Anna HÜCK de Rouffach, célibataire, est déclarée malade à l’issue d’un examen par Johann FAUTSCH, docteur en médecine de l’Université de Fribourg, assisté de membres du conseil de Fribourg et de quatre chirurgiens, Wundartzt, désignés par le Magistrat de la ville [16]:
…das wir sie wegen verdächtigen Aussatzes [17] besichtigen, alle zu dem End nottwendige Requisite bey ihro explorieren und erkundigen…
… also haben wir die ordentliche Schaw mit ihro alles fleisses fürgenommen und befunden das sie mit angedeüter Sucht Aussatzes inficiert, angesteckt und der Gestalt befleckt das sie ferner under den Gesunden nicht mehr wohnen sonder zu andern ihres gleichen armen versehrten Leüthen verwisen werden solle…
A la suite d’une présomption de lèpre, les médecins de Fribourg ont donc examiné Anna HUCK et ont utilisé pour déceler les signes de la maladie tous les moyens dont ils disposaient. Ils ont appliqué à cet examen tout leur zèle et les soupçons se sont trouvés confirmés : elle est à ce point entachée et infectée par la maladie qu’elle ne devra plus habiter parmi les gens bien portants mais devra désormais être reléguée avec les malheureux lépreux, ses semblables…
Ce document, Schauw Brief ,[18] est un formulaire pré-imprimé, dans lequel il suffisait de compléter manuellement le nom, Anna HÜCKIN von Rufach ledig Standes, et le jour de l’examen, 20 februarii, et le dernier chiffre de l’année, siben, le reste étant imprimé.
Le 19 novembre 1583,[19] Peter SIGELIN est adressé aux examinateurs de Fribourg, …den ernvesten hochgelehrten und erbarn N.N. den verordneten Herren Schawern der Leprosey zue Freiburg im Breiβgau …, par le bailli, Hans Christoff von Ramstein, le prévôt et le Magistrat de Rouffach : il est accusé par la rumeur publique, en raison de son apparence, d’être atteint par la répugnante maladie contagieuse de la lèpre :
…bei meniglichen alhie seinem ansehen nach beschreit, als sollte er mit der erplichen abscheulichen krankheit der malecey behafftet…
Le Magistrat, informé par la rumeur publique, ne peut que donner suite et alerter les autorités compétentes : et c’est ainsi que se mettra en route, comme dans les procès de sorcellerie, un mécanisme qui conduira presque inexorablement la victime à l’exclusion.
Le 23 février 1627, Georg HAUCKH de Rouffach, ainsi que Anna sa fille déclarent devant le Magistrat que les examinateurs jurés de Freiburg les ont déclarés atteints de la terrible maladie de la lèpre et demandent à être admis à la léproserie de Rouffach[20]. La réponse du Magistrat est pour le moins surprenante : comme leur présence, en raison des risques de contagion, ne saurait être tolérée dans la ville, la Ville leur accorde le gîte au lieu habituel, hors les murs. Mais attendu son caractère médisant, sa méchante bouche !, …in Ansehung seines bösen Maul…, il sera instamment demandé au père de faire des efforts pour vivre en paix avec les autres pensionnaires !
Auparavant il devra régler les frais du voyage à Freiburg et les honoraires des examinateurs, une somme de 8 livres, qui est une somme considérable.
En 1571, le mardi suivant le jour de la sainte Lucie et Odile, Morand BANNWARTH, fils de Hans BANNWARTH, bourgeois de Rouffach, a été reconnu impur et lépreux par les experts jurés de Colmar …für unrein und malzig erkanth worden …,[21], et sera admis à la léproserie de Rouffach, mais comme il n’y apporte aucun bien, il ne pourra bénéficier d’aucune prébende et devra pourvoir à sa nourriture en sollicitant l’aumône… mag er sich mit dem allmüsen samlen erneren…
Le 25 janvier 1583, le Magistrat de Rouffach adresse aux inspecteurs jurés de l’université de Fribourg un courrier dans lequel il leur demande de bien vouloir examiner Diebolt ITERLIN de Rouffach qui, en raison de son apparence, des taches rouges qu’il présente sur le corps ainsi que d’autres indices, serait atteint de la lèpre et représente un danger de contagion pour son entourage.
Il semblerait que ce premier courrier du Magistrat de Rouffach [22], n’ait pas été suivi d’effet et que Diebolt ITERLIN ne se soit pas laissé convaincre de se rendre, à ses frais, à Fribourg pour se soumettre aux examens attendus, puisque le 19 novembre 1583, soit onze mois plus tard, la même requête est formulée, signée cette fois de l’évêque de Strasbourg, de son conseil, du grand bailli et du Magistrat de Rouffach.
Ce qui tendrait à prouver que les autorités de Rouffach n’avaient pas le pouvoir d’interner d’office à la léproserie une personne suspecte ; même si l’examen pratiqué par les experts locaux s’avérait positif, il restait à respecter une procédure et il n’est donc pas systématiquement question, comme il est dit souvent, d’internement arbitraire.
En 1600, le mercredi qui suit la fête de l’Immaculée Conception, Jacob DORNACH conduit sa femme devant la commission d’experts jurés à Colmar afin qu’ils l’examinent. Les frais, à sa charge, s’élèvent à 5 livres. Cette femme décèdera à la léproserie en 1603. [23] La même année il sera alloué plusieurs fois une somme de 10 schilling pour …das Meidtlein… [24] de Jacob DORNACH, dont il est dit qu’elle n’avait ni à manger ni à boire et qui décèdera trois ans plus tard à la léproserie, en 1606.
Mais le diagnostic qu’a pu formuler la commission chargée de l’examen à Rouffach n’est pas automatiquement confirmé par les Schauer, les examinateurs jurés de Colmar, Strasbourg ou Freiburg. Ainsi le 3 août 1655 Blaise AVENE, sergent du Magistrat, Ratsbote, et sa femme, sont envoyés à Freiburg pour y être examinés : lui est déclaré sain …rein erfunden worden…et le Magistrat de Rouffach l’autorise à reprendre ses fonctions. Sa femme, elle, se verra obligée de suivre un traitement … sein Frau aber den Sauerbrunnen brauchen… , vraisemblablement une cure dans des bains [25] et devra se représenter devant les experts de Freiburg dans un délai de six mois. Ce qui fut fait semble-t-il, puisque le 7 octobre, deux mois plus tard, Blaise AVENE présente au Magistrat une attestation rédigée par les experts jurés de Strasbourg cette fois, qui les déclarent sains tous deux, mari et femme, en foi de quoi il réclame le remboursement des frais qu’il avait engagés ! L’année suivante, le 27 mars 1656, Blaise AVENE et son épouse déposent plainte devant le Magistrat de Rouffach contre les pensionnaires de la léproserie qui, affirment-ils, font courir toutes sortes de rumeurs à leur sujet, les accusant en particulier d’être atteints de la lèpre ! [26] Le Magistrat donne raison aux plaignants, mais étant donné que les pensionnaires de la léproserie ne disposent comme revenus que de l’aumône qu’on leur donne, ils sont dispensés de l’amende qui leur est réclamée, mais doivent s’abstenir désormais de diffuser de telles rumeurs, sous peine, cette fois, d’une punition sévère !
Nous retrouverons en 1660 le même Blaise AVENE dans les fonctions de d’administrateur de la léproserie, Guetleuth Pfleger ! [27]
…von der Welt ussgeschieden…
Une fois reconnu officiellement lépreux, le malade doit quitter la société, sa famille, ses amis, sa demeure et rejoindre ses semblables à la léproserie où il sait qu’il finira ses jours.
Beaucoup d'anciens livres ecclésiastiques décrivent l’effrayant rituel qui suivait la sentence et précédait l’entrée des malheureux dans la léproserie. Bien que, semble-t-il, aucun document en Alsace ne relate de pareilles pratiques, il est permis néanmoins d’imaginer qu’il y en avait de semblables dans nos régions : au cours d’une messe funèbre, la tête recouverte d’un drap noir, le lépreux assistait à ses propres obsèques. Puis une procession l’accompagnait à la maladrerie où un prêtre lui déversait sur la tête une pelletée de terre et lui déclarait qu’il était désormais mort au monde.
Cette mort au monde est évoquée dans une charte datée de 1450 : un lépreux, Heinrich JECKLER veut hériter de sa sœur morte à Guebwiller. D’autres héritiers s’insurgent, alléguant qu’il était et devait être mort, qu’il avait quitté le monde, puisque des cloches avaient sonné pour lui et qu’il ne devait donc pas pouvoir prétendre à un héritage :
… dann Heinrich JECKLER als ein tott man were und sin solte, dann er von der welt ussgeschieden, ussgeführt und im gelüttet were. Darumb soll er nit erben…
Heinrich JECKLER finira, après maintes péripéties, par hériter de sa sœur !
Même relégué hors du monde des bien-portants qui l’ont déclaré « mort », le lépreux conserve donc la disposition de son bien, qui reviendra à ses héritiers au moment de son décès et non à la léproserie, ainsi que le précise un règlement pour la réception à la maladrerie, daté de 1409 : [28]
… und ob er erbn nicht enhette, so mag er thun mit dem uberigen sinem gut nach sinem willen…
L’admission à la léproserie.
Pour être admis à la léproserie, le malade doit y apporter son « trousseau » mais aussi un capital qui lui permettra de bénéficier d’une prébende, une rente qui lui sera versée et lui permettra de subvenir à ses besoins tout le temps que durera sa présence.
Paul ADAM citait déjà dans son ouvrage [29] le cas de l’épouse d’OSWALD SMETZELIN, prévôt de Westhalten, admise à la léproserie de Rouffach. Par contrat daté du 4 juin 1437, SMETZELIN concède à la léproserie un capital de cent livres Stebler, en monnaie de Bâle. La léproserie et leur maître, Meister, s’engagent à verser, en contrepartie, une rente de dix livres annuelles pour la nourriture de l’épouse, Else FRÖSCHin, aussi longtemps qu’elle vivra. Après sa mort, les cent livres deviendront propriété de la léproserie. [30]
Le contrat précise qu’elle était devenue lépreuse par la volonté de Dieu, qu’elle ne devait plus vivre désormais au contact des biens portants et qu’elle était placée dans la léproserie de Rouffach :
…von Gottes Gewalt mit dem Siechtagen der Ussetzikeit begriffen und die mit Bywonungen von anderen gesunden Mönnschen gescheiden und in das Husse der Siechen und guten Lutt zu Ruffach kömen…
Le trousseau exigé à l’entrée n’est pas précisément détaillé mais il est généralement composé d’un lit avec sa literie et de quelques ustensiles de ménage, en particulier un récipient lui servant à puiser l’eau. Ainsi, Conrat GIESSER, en 1548, apportera … ein Bett mit seiner Zugehörd und sein Dringeschir mit etlich Haussrath, so andere vor Ime auch darin zubringen gepflegt haben… [31].
D’autres documents sont plus précis: Jacob WALCH, à son admission en 1538, apporte … den gepirlichen Hussrath, ein Beth Kussen, zwei paar Lilach, … messig und dring Kentli, ein Pfanen, ein Kessel…[32], les ustensiles de ménage habituels, un oreiller, deux paires de draps, un récipient à boire, une poêle et un chaudron.
Le même document précise que Jacob WALCH avait acheté pour les besoins de sa femme admise à la léproserie, une rente à valoir sur un capital versé de vingt livres qu’il s’engage à payer en quatre traites.
En 1530, une servante pauvre de Gueberschwihr est admise inns Güt Huss et il lui est accordé une demi-prébende, mais le Magistrat de Gueberschwihr s’engage à verser un capital de 20 florins. [33]
En 1538, Jacob METZGER de Soultzmatt est admis à la léproserie et verse un capital de 30 livres [34]. Conrad GIESSER lui, apporte en 1548 un capital de 40 livres [35].
En 1552, la veuve de Michel EPLIN, Jacobe HASERin de Westhalten est admise à la léproserie et apporte outre les ustensiles de ménage habituels, un capital de 200 livres qu’elle paye comptant. [36]
En 1553 le capital versé pour un habitant de Soulzbach est de 32 florins, payables par mensualités.[37]
Le mardi qui suit la fête de la Saint André de 1554, le Magistrat de Rouffach admet à la léproserie Catherine de Sigolsheim, épouse légitime de Mathias GERHART, le tonnelier de Kaysersberg. Mathias GERHART s’engage à payer sur l’heure 40 florins d’argent et 50 autres florins dans l’année, ce qui fait un total de 90 florins.[38]
Ce capital peut être réclamé lorsque celui ou celle qui touche la rente qu’il produit demande à quitter la léproserie, en cas de rares et improbables guérisons ou lorsque le lépreux souhaite être admis dans une autre maison, pour se rapprocher de son village ou de sa ville d’origine et de sa famille.
Lors du décès d’un lépreux à la léproserie, le capital peut également être réclamé par la veuve : en juin 1561, le Magistrat réuni en Conseil, reçoit Ursula FELGER de Wyhr, veuve de Wernher MEYCHER, décédé à la léproserie de Rouffach, au sujet de la prébende qui leur était versée. Il a été convenu que le Conseil verserait en argent comptant la somme de 46 florins, chaque florin pour une valeur d’une livre et cinq Schillings, au cours de la monnaie bâloise, ce qui a été fait sur l’heure. Il lui sera rendu ses vêtements et le linge, et tout ce qu’elle avait fourni à son entrée, en particulier le lit et la literie et quelques ustensiles ; par contre elle devra renoncer totalement et définitivement à la prébende dont elle jouissait dans la dite léproserie ainsi qu’au gîte et au couvert qui lui y étaient offerts. Elle déclare renoncer pour toujours, elle et ses héritiers, à toute prétention et actions envers le Magistrat et la ville de Rouffach. [39]
Etait-elle lépreuse elle-même ou vivait-elle simplement aux côtés de son époux malade ? Les documents restent muets à ce sujet.
La léproserie pouvait accueillir, en cas de besoin, et à titre exceptionnel, des personnes qui n’étaient pas des pensionnaires prébendiers, comme ce devait être le cas à la Toussaint 1559 de ces Gutleuth Weiber, ces femmes lépreuses, leur nombre n’est pas précisé, à qui il est permis de passer encore l’hiver dans la léproserie düssen im Gutleudt Hauss, à la condition expresse qu’elles se comportent convenablement ! [40]
Il semble que la vie de certains de ces prébendiers, bénéficiaires d’une rente substantielle versée sur un capital important, ait été relativement confortable. La léproserie accueille ainsi des pensionnaires aisés qui peuvent subvenir à leurs besoins en nourriture et en boisson et même disposer d’une chambre, voire d’une maison particulière dans l’enceinte de la léproserie. D’autres, les pensionnaires pauvres, ne bénéficient que du logement, du chauffage et d’un petit nombre de services comme par exemple le blanchiment du linge. Pour le reste, ils dépendent de la générosité publique et sont contraints à la mendicité.
C’est le cas de Morand BANNWARTH dont il a été question plus haut et qui n’aura droit à aucune prébende vu qu’il n’apporte pas de capital à son entrée à la léproserie.
La vie quotidienne.
Les archives de Rouffach sont relativement avares de détails relatifs à la vie quotidienne dans la léproserie. On n’y trouve en particulier aucun règlement qui régit la léproserie et il faut glaner dans différents textes des indices qui permettent de restituer quelques éléments de la vie des lépreux.
L’étude attentive des comptes de la léproserie, recettes et dépenses, permet en particulier de mettre en lumière quelques aspects la vie quotidienne des pensionnaires.
Les dépenses de la léproserie, comparées à celles de l’hospice Saint-Jacques, sont bien moindres. Ainsi par exemple, les dépenses annuelles sont de 43 lb. 6 β et 11 d. en 1600, 38 lb. 2 β et 9 d. en 1601 et 57 lb. 12 β et 4 d. en 1602.
Dans ces comptes, le poste bois de chauffage représente la part la plus importante, entre le tiers et la moitié des dépenses annuelles, selon les années.
Un autre poste important est celui des dépenses pour l’achat de toile : en 1600 il a été acheté 48 aunes de toile de lin, 30 aunes de toiles pour confectionner des paillasses et 12 aunes de tissu avec lequel des couturières, dont il n’est malheureusement pas dit si elles habitent ou non la léproserie ni si elles étaient ou non malades, confectionneront des nappes, des draps et des oreillers…
Une fois l’an, on procède à « l’encollage » de la literie … die Bette bestreichen… . Il s’agit là d’une opération que l’on pratique également à l’hospice Saint Jacques et qui consiste à enduire certaines pièces de la literie avec une mixture composée de farine, de térébenthine, terpentin, terpetin, terpetlin, dermetin… , de colle de peau beltzlim et parfois de cire. Ce sont des femmes qui sont rémunérées pour cette tâche, mais il n’est pas précisé s’il s’agit de pensionnaires malades ou de personnes saines extérieurs à la léproserie. Il semblerait que le but de l’opération soit de donner au tissu des propriétés imperméables, un peu comme on le faisait pour confectionner de la toile cirée, ce qui devait permettre d’éviter le lavage de certaines pièces particulièrement difficiles à entretenir lorsqu’elles étaient souillées, comme par exemple des édredons garnis de plumes.
Le registre des comptes de 1601 nous donne quelques informations supplémentaires intéressantes : le 22 juillet1601, Hans ACHTJAHR, administrateur de la léproserie, note une dépense de 10 β pour l’achat de dix becher de farine, destinés à « encoller » les lits. L’épouse de Georg NICKEL réalise l’opération, aidée par une autre femme qui l’aide également à recoudre les Bett Zichen, les housses des lits, et elles seront payées 10 β. Ce qui tendrait à prouver qu’avant l’opération, on décousait les housses pour ne pas souiller l’enveloppe garnie de plumes.
On peut s’interroger sur le confort que pouvait procurer une literie ainsi traitée, l’enduit une fois sec devait devenir dur et cassant, et surtout sur l’hygiène, puisque semble-t-il, cette opération n’est réalisée qu’une fois dans l’année, en été, à un moment où les coussins ou édredons garnis de plumes ne servent pas !
Comme dans l’hospice Saint Jacques, tout acte administratif est l’occasion d’une « réception » réunissant les différents acteurs, administrateur, économe, greffiers et membres du Magistrat désignés, au moment de la nomination d’une nouvel administrateur, d’un nouvel économe, de son installation, au moment de la lecture et de la vérification des comptes, occasionnant des frais qui sont comptabilisés dans les dépenses de la léproserie…
Le reste des dépenses concerne surtout l’achat, l’entretien et les réparations d’ustensiles ménagers, la réparation des poêles, le remplacement de quelques vitres… On cherche en vain des dépenses pour l’achat de nourriture : la léproserie fournit le bois pour préparer le repas, elle fournit et entretient les ustensiles, poêles, chaudrons, récipients divers, trépieds pour la cuisine, mais pas les ingrédients dont l’achat reste à la charge des pensionnaires.
De quelle manière étaient préparés ces repas, individuellement ou collectivement, aucun document des archives de Rouffach ne permet de répondre à cette question.
Les comptes de la léproserie de 1488 [41] sont plus riches en informations.
Concernant la nourriture, il est fait mention d’achats réguliers de beurre fondu Ancken [42], de sel, d’oignons, de harengs pour le temps du Carême, et aussi de viande payée à Lienhardt RETTICH, le Burgermeister . D’autres achats nous permettent d’imaginer d’autres détails de la vie de la communauté des lépreux. D’abord la léproserie dispose d’un jardin dont il faut payer l’entretien, … 9 β von dem Garten zu hacken… , un jardin qui devait fournir les légumes nécessaires à la vie des pensionnaires. Ensuite, elle dispose de vignes, environ 7 Schatz, pour lesquelles on achète des échalas, et qui produisent des raisins que l’on presse à la léproserie puisque l’administrateur verse un salaire à ceux qui les pressent au moment des vendanges. Le vin est conservé dans des tonneaux dont il faut vérifier et remplacer le cerclage. Quelle est la participation des pensionnaires aux travaux des vignes, des champs et des potagers, la question reste en suspens. Mais il n’est pas interdit d’imaginer une véritable activité dans l’enceinte de la léproserie, qui forme ainsi une société capable, dans une certaine mesure, de subvenir à ses besoins en produisant les denrées nécessaires…
Une autre indication précieuse est celle de l’achat en 1423 par Conrat HAFNER, l’administrateur de la léproserie, der guten Lute Pfleger zu Ruffach de ymben körbe [43], de ruches en paille ou en osier tressés. Il s’agit là d’un témoignage rare sur l’élevage des abeilles et la production de miel et surtout de cire à l’époque médiévale, habituellement récoltés dans la nature dans des ruches sauvages, récolte entrainant presque toujours la destruction de la colonie. Il est même mentionné un autre achat de ruches, pour remplacer des ruches volées, ce qui prouve bien qu’il s’agissait là d’une installation convoitée, parce que rare.
Les comptes de 1423 mentionnent également la fabrication d’huile, sans qu’il soit précisé de quelle huile il s’agit.
Une dépense surprenante est celle pour une oie, à l’occasion de la Kirchwyhe, fête patronale ou fête de la dédicace, fête du saint patron de l’église. Cette oie était-elle destinée aux pensionnaires ou encore une fois aux administrateur, économe, greffier et délégués du Magistrat ? C’est plus que probable… Il est bien regrettable que l’on n’ait pas précisé à cette occasion, le nom du saint patron qui n’est mentionné nulle part ailleurs. On pense, mais sans pouvoir le prouver, que l’église de la léproserie aurait pu être dédiée à Saint-Jacques, une église Saint-Jacques hors les murs…La question reste en suspens, même si le Liber Marcarum de 1441 mentionne une chapellenie de Saint Jacques « infra muros » c’est-à-dire hors les murs et sous les murs, ce qui était le cas de la léproserie.
Pour assurer sa subsistance, le lépreux, s’il ne dispose pas de biens personnels, s’il ne bénéficie pas d’une prébende ou si celle-ci est insuffisante, est contraint à la mendicité qui lui est autorisé une fois par semaine semble-t-il, le dimanche. Il arrive aussi qu’il demande l’autorisation de quêter un jour supplémentaire dans la semaine. On ne sait pas vraiment ce que pouvaient rapporter ces quêtes auprès de la population de Rouffach. L’aumône aux nécessiteux est une obligation certes, mais les quêtes sont nombreuses : le Bettelvogt de l’hospice Saint Jacques quête pour les pauvres de l’hôpital le dimanche également mais aussi le mardi et le vendredi, sans compter les autres institutions, l’hospice du Saint Esprit, le Prieuré de Saint Valentin, les franciscains, et tous les vagabonds de passage qui eux aussi sollicitent la générosité des gens de la ville et des passants. Que pouvait-il bien rester pour ces malheureux lépreux quêtant le dimanche ?
Topographie de la léproserie.
La vue de Sebastian MUNSTER [44], la vue la plus ancienne de Rouffach, ne permet pas de conclusions définitives sur les bâtiments qui pouvaient constituer la léproserie des années 1548 : on y voit une église surmontée de son clocher, une maison à trois niveaux et un puits à balancier comme il s’en trouve un autre au lieu-dit Isenbreit et un troisième à côté de l’église de Suntheim.
D’autres sources nous permettent d’affiner quelque peu l’image de l’ensemble, en particulier les comptes du Schaffner, receveur de la ville et les inventaires de la léproserie.
Une église et un cimetière.
L’ensemble était-il clos de murs ? Plusieurs documents permettent de le penser : en 1659, Jean MULLER, le charpentier, confectionne une grande porte près de la léproserie et Maître KALTENBACH est requis pour ferrer cette même porte.[45] La même année, Maître Michel GUGGENMUSS, le maçon, est payé 2 livres pour un mur construit autour du cimetière et il est fait état d’une dépense de 1 livre et 16 schillings pour une voiture de planches destinées à la porte du cimetière.
Le clocher de la chapelle abrite au moins une cloche dont il faut changer régulièrement la corde de traction ainsi que l’attestent les registres des recettes et dépenses, comme en 1610, ein new Glockhenseyll in das Kirchlin, et en 1626, zue de Glockhen ein Seyl und ledernen Riemen zuem Glipfel .[46]
L’inventaire dressé en 1544 [47] en présence de l’administrateur, Hanns SCHMITT et de Ulin HERPOTT, sergent du Magistrat ne permet pas d’en savoir plus sur l’architecture de l’église qui révèle cependant un contenu surprenant : onze tonneaux de contenance variée allant d’un demi-aime à trois aimes, [48] ainsi que quatre grandes échelles. Vraisemblablement s’agit-il d’échelles utilisées comme rampe pour le chargement et le déchargement des tonneaux. On a déjà trouvé ce type d’échelles dans un inventaire de l’église de l’hospice du Saint Esprit, servant au même usage.
Rien par contre sur le mobilier de l’église qu’on s’attendrait à y trouver, autels, bancs, chaises, etc. !
Des maisonnettes individuelles ?
En 1664 trois voitures livrent du bois à la léproserie pour l’érection de la maisonnette de Baptist HUMBRECHT [49]. Les comptes mentionnent une dépense de 5 schillings pour l’achat de pain pour le casse-croûte des maçons et charpentiers qui ont construit cette maison, une dépense de 12 schillings et 6 sous pour huit voitures de sable destinées à la même maison ainsi que deux livres et 2 schillings réglés à Bernhard BÖRINGER pour des travaux de serrurerie. Le 12 et le 13 octobre on livre 200 fagots de bois de chêne pour Baptist HUMPRECHT et pour la Guetleuth Fraw, son épouse lépreuse. Ce HUMPRECHT décèdera deux années plus tard, en 1666, et l’administrateur de la léproserie règlera les frais du cercueil et ceux du fossoyeur. Qui était ce couple ? On ne dispose d’aucun autre renseignement. Toujours est-il que la léproserie a fait construire, à ses frais semble-t-il, une maisonnette pour deux de ses pensionnaires. S’agit-il d’un cas isolé ? Sans doute…
L’inventaire de 1544 mentionne également une maison isolée : in dem Huss vor der Stube, mais le contenu qui y est inventorié ne permet pas de conclure qu’il s’agit d’un lieu d’habitation puisqu’il n’y est fait mention que d‘outils et de tonneaux.
A la suite de l’inventaire de cette maison il est question de ce qui se trouve dans la cave, mais de quelle cave s’agit-il, celle de cette maison ou celle de la maison principale ? On y trouve trois petits tonneaux et quatre entonnoirs en bois de tailles différentes, onze petits baquets à anses de toutes tailles ainsi que quatre lessiveuses de tailles différentes, du matériel qui ne permet pas de préciser la destination de ce local qui pourrait autant être une buanderie qu’une cave à vin.
La cuisine.
L’inventaire de la cuisine mentionne de nombreux ustensiles de cuisine :
- des récipients divers, encore des lessiveuses et de grandes casseroles pour contenir de l’eau et d’autres en cuivre pour de la viande.
- des marmites à poser sur un fourneau
- des poêles en fer
- des pots divers
- des broches de tournebroches : Bratspießen, Schwein Spießen
- des grilles à rôtir la viande et des trépieds à utiliser dans un foyer, cheminée ou potager
- une fourche en fer
- des armoires de cuisine pour le rangement
- une hache à double tranchant, peut-être pour débiter de la viande ?
- un petit chandelier en laiton
- une table pliée
La plupart de ces ustensiles est plutôt destinée à une cuisine en grosse quantité, une cuisine plus collective qu’individuelle : si l’on sait que les pensionnaires devaient se procurer eux-mêmes les ingrédients nécessaires pour la préparation de leur nourriture, rien ne transparait par contre dans les documents dont nous disposons sur la façon dont est préparée cette nourriture. On imagine assez mal chacun des pensionnaires utiliser cette cuisine pour se préparer lui-même ses repas. Et si la cuisine est collective, qui décide des achats à faire et qui la prépare ? Ce pourrait être là le rôle de la Meisterin ou de ses servantes, Dochter, souvent mentionnées…A noter que dans l’inventaire de la cuisine il n’a été question d’aucun ingrédient de cuisine, huile ou sel par exemple. Ni de sièges, bancs et petits ustensiles comme assiettes et couteaux…
Stube et Cammer.
Les différents inventaires distinguent toujours deux locaux distincts, la Stube et la Cammer : la première, la Stube, le poêle, est en principe dans toute maison la pièce à vivre, celle dans laquelle on se réunit, celle aussi qui est la seule chauffée, disposant d’un poêle. La seconde, appelée Cammer, la chambre, est la pièce où se trouvent les couchages, et qui elle n’est pas chauffée.
L’inventaire de la Stube de 1544 un ensemble assez hétéroclite d’objets :
- des coussins dont l’un avec une taie recouverte de Kelsch [50]
- de petits édredons
- une paillasse, ein stro sack
- de petits coussins à poser sur un banc, mais il n’est pas fait mention du banc
- une table pliée
- une seule chaise
- ein zÿnen giess fass qui pourrait être une fontaine à eau en étain accrochée au mur ou plus simplement une grande cruche destinée à verser l’eau
- des récipients métalliques de diverses contenances, kanten et kentli qui pourraient servir pour contenir ou transporter le repas
- une douzaine de récipients, bols ou gobelets à boire dont deux en étain et d’autres en laiton
- 6 paires de plats en étain, petits et grands
- un bol à sel ainsi qu’un tonnelet à sel en étain
- un plat à barbe
- deux tonnelets à vinaigre
- deux nappes, disch lachen
- une serviette, hand zwehel
- quelques chandeliers et une suspension pour y accrocher une lampe.
- 2 isener prant reithen, deux chenets ou landiers de cheminée, à moins qu’il ne s’agisse plus simplement de tisonniers
Tous ces ustensiles permettent d’imaginer que cette Stube était d’abord le lieu où les pensionnaires prenaient leur repas. On est cependant étonné par l’absence de mention concernant du mobilier, bancs ou chaises, alors qu’on y trouve celles de coussins et d‘édredons qui laisseraient supposer qu’on y séjournait en dehors des repas.
L’inventaire de 1544 se poursuit par ce qui a été trouvé dans les trois chambres :
- in der obern camer, dans la chambre du haut
- in der manen kamer der fremden so her kommen, la chambre des hommes qui reçoit également les étrangers de passage
- inn der grÿne kammer, qui n’est pas la chambre verte mais la chambre d’un pensionnaire, Hans GRYN.
Dans la première de ces chambres, la chambre de l’étage, on trouve huit ensembles de couchage complets composés chacun de :
- un bois de lit, beth lad, (un des lits est un lit à sangles, span beth)
- une paillasse, stro sack,
- un ou deux coussins « d’épaule », schulter kussen, destinés à soutenir le dos pour maintenir une position semi-assise, comme il était de coutume , et leur taie, en tissu blanc ou en Kelsch
- des draps, lilachen
- une couverture de laine, beschlagene serg
- un couvre-lit
Le reste du mobilier se résume à une vieille caisse et un coffre, drogli.
La seconde chambre, celle des hommes, ne comporte que quatre lits complets. On y retrouve quatre coffres, trog, trogli, ainsi qu’une grande quantité de linge de lit, draps, taies et housses, couvertures, quatre serviettes, une cuvette, un entonnoir en bois, une houe de jardin et deux tonnelets d’une capacité de un aime chacun !
La dernière chambre, celle de GRYN, ne comporte qu’un lit complet. L’inventaire y mentionne de nombreux vêtements féminins :
- ein frowen beltz, peut-être une garniture de col en fourrure,
- zwei grauwe frauwen ermel, deux manches grises (manches amovibles, manchons ?)
- ein frawen gipp, une jupe ou jupon
- ein gel frawen gipp, une jupe ou jupon jaune
- ein schwartz lunsch gollen, un col plat ou un rabat noir
Mais on y trouve aussi des ustensiles de cuisine et de la vaisselle: des gobelets pour boire, des récipients divers, des plats, une chaufferette de lit en laiton, glut pfann, deux chandeliers, deux récipients à sel en étain, un récipient à semoule en étain.
Ce Hans GRYN, lépreux, est accusé en 1544 d’avoir épousé une femme saine, eine gesonde Fraw, sans en avoir au préalable informé le Magistrat qui prononcera son exclusion de la léproserie, et de la ville, en 1544…une mesure qui restera apparemment sans effet, puisque peu après, le Magistrat passe un accord avec lui au sujet du partage des biens de sa première épouse décédée à la léproserie et dont un tiers devrait revenir à la ville. Le Conseil lui propose d’acheter une prébende pour sa nouvelle épouse qui en contrepartie devra s’engager à exercer la fonction de Meisterin à la léproserie aussi longtemps qu’elle vivra. GRYNE se fera tirer l’oreille pour le versement du tiers dû et il sera plusieurs fois mis en demeure de les payer !
Si l’on se réfère à cet inventaire de 1544, l’ensemble comporterait donc treize lits complets, ce qui laisserait penser qu’on y accueillait ou pouvait y accueillir au moins treize pensionnaires, sachant que dans les hospices un lit pouvait accueillir deux, trois malades, voire plus. Etait-ce le cas également dans les léproseries ? On peut en douter.
Malheureusement tous les inventaires ne disent pas la même chose : celui de 1544 fait état de trois pièces alors qu’un autre de 1577 [51] en mentionne au moins huit, sans compter l’église, la cave et la cuisine qui n’y figurent pas.
Nous retrouvons une chambre des hôtes, Gast Camer, une chambre qui est voisine de la première [52]in der Camer darneben , une chambre près de l’escalier, la pièce à vivre ou poêle, la maison im Haus et trois autres chambres individuelles :
- in der Camer do der von Gebersweiler in liegt, la chambre dans laquelle est couché celui de Gueberschwihr
- in Michel LODERs Camer, la chambre de Michel LODER, avec deux lits
- in der BERTSCHEN Camer, dans la chambre de BERTSCH.
On ne sait toujours pas à quel bâtiment correspond l’indication im Haus, dans la maison, mais cet inventaire confirme qu’il existait des chambres « privées » dans lesquelles vivaient des pensionnaires plus riches que ceux qui logeaient dans la salle commune. Ces chambres individuelles sont souvent évoquées dans les comptes, comme en 1607, où l’administrateur fait poser une nouvelle serrure à la porte de celle dans laquelle vit Hans BIEL, darin Hans BIELEN wohnet.
L’un de ces pensionnaires plus aisé que les autres, Hans BERTSCH, fera parler de lui parce qu’il épousera à la léproserie une femme, lépreuse elle aussi, sans en avoir informé le Magistrat qui le condamnera, pour avoir enfreint le règlement, à être privé de sa prébende pendant un mois ! [53]
Une décision de 1577 [54] nous informe que cette épouse, Catharina FRIDERICH d’Artolsheim, est admise à la léproserie de Rouffach aux côtés de son mari, qu’elle devra y apporter tout ce qu’il est d’usage d’apporter et qu’elle devra respecter le règlement et Hans BERTSCH verse pour sa prébende une somme de 50 livres.
En septembre 1591, Hans BECHLER, le lépreux de Beblenheim, époux de Catherine FRIDERICH, veuve de Hans BERTSCH, agissant au nom de sa femme et en qualité de tuteur de Ursula BERTSCHin, la fille de son épouse et du défunt Hans BERTSCH, fait valoir ses droits sur l’héritage de sa pupille. [55]
Conradt BEYER a été admis à la léproserie en même temps que l'a été Hans BERTSCH. Il lui est accordé une demi-prébende, die halb Prundt, en vin en pain et en viande qui prendra effet uff die Fronfasten Crucis [56] et qu’il devra payer 50 lb. Son beau-frère, Andres EBLIN de Biltzheim, s’engage à verser cette somme en argent, somme qui sera effectivement déposée à la date prévue.[57]
Les sources mentionnent en 1575 [58] un autre BERTSCH, Paulus, dont le fils est soupçonné d’être lépreux et pour lequel le Magistrat de Rouffach demande à la ville de Colmar qu’il soit examiné par les inspecteurs - jurés de cette ville. S’agit-il de la même famille ?
L’administration de la léproserie.
Les revenus et les dépenses de la léproserie sont gérés par un administrateur Guetleut Pfleger , membre du Magistrat et désigné par lui, qui rend compte annuellement de sa gestion au receveur de la ville, Stattschaffner, lui aussi membre du Magistrat. Ces deux personnages ont un rôle administratif de gestionnaires, gestion des biens, des rentes, des cens, gestion des recettes et des dépenses de fonctionnement et n’interviennent pas ou de très loin dans la vie quotidienne de la léproserie. Ils ne vivent pas dans la léproserie et il est fort probable qu’ils n’y viennent jamais ou fort peu, comme c’est d’ailleurs également le cas à l’hospice Saint Jacques.
La léproserie de Rouffach semble ainsi fonctionner en autogestion, interne à l’établissement même. Comme à l’hospice Saint Jacques, le quotidien est géré par des hommes et des femmes qui vivent dans la léproserie et qui peuvent être des malades eux-mêmes, que l’on désigne par Meister, Meisterin, Kellerin, des appellations dont une traduction par maître, maîtresse, ou cellérière ne rend qu’imparfaitement compte de la multiplicité des fonctions qu’ils exercent : accueil, gestion du chauffage, de l’intendance, soins éventuels aux malades, entretien des locaux, répartition des aumônes, en somme les fonctions d’un père aubergiste ou d’une « mère » dans les maisons des compagnons !
Il ne nous est pas parvenu de formulaire du serment ou de règlement de la fonction de Meister et Meisterin de la léproserie de Rouffach, mais il est peu probable qu’il soit très différent des règlements des Spitalmeister ou des Bettelvögte de Saint Jacques dont plusieurs ont été conservés.
Spital und Gutleut Pfleger
Jean Simon MÜLLER, receveur de la Ville, recopie dans son registre Stad-Buch und Urbarium von Ruffach, [59] dont il a commencé la rédaction en 1727, le règlement des administrateurs de l’hospice et de la maladrerie Spital und Gutleut Pfleger, titre qui était resté inchangé même si la maladrerie n’existait plus en tant que telle.
- Il y est dit que l’administrateur doit rendre compte de sa gestion devant le Magistrat réuni. Il est tenu de veiller à tous les bâtiments afin qu’ils restent en bon état et si des travaux sont à faire, il doit les faire exécuter sur les revenus de l’hôpital après en avoir reçu l’autorisation du Conseil.
- Il est également tenu de veiller à ce que l’on s’occupe bien des pauvres gens de l’hôpital et que chacun reçoive ce qui lui revient : c’est pour cela qu’il doit se rendre souvent sur place pour vérifier qu’est donnée à ces pauvres gens leur ration hebdomadaire de sel et de saindoux Schmaltz et d’autres denrées et de vérifier que ce ne soit pas le chasse coquin, Bettelvogt, ou le fossoyeur qui la détourne et se l’approprie !
- Il doit également veiller à ce que le Bauer de l’hôpital ne triche pas sur les quantités de bois, paille et autres choses qu’il est tenu de fournir et qu’il effectue scrupuleusement les tâches qui lui incombent.
- Il doit veiller à ce que les revenus, Zins und Gefäll, dus à l’hôpital soient régulièrement payés afin qu’il n’arrive pas que les pauvres nécessiteux souffrent de rentrées insuffisantes.
- Il doit veiller à ce que le chasse coquin, Bettelvogt, effectue ses trois tournées hebdomadaires par les rues de la ville, le dimanche, le mardi et le vendredi, pour ramasser de porte à porte, sans oublier une seule maison, les aumônes et à ce qu’il les distribue équitablement aux pauvres.
Ce Bettelvogt dont la traduction habituelle par « chasse coquin » ne rend pas compte des fonctions exactes qui sont tout à fait celles d’un Maître de l’hôpital, Spitalmeister. Certes, il est chargé de la police à l’intérieur de l’hospice et aussi en ville pour y repérer les mendiants étrangers et les faire expulser, mais surtout c’est lui qui assure au quotidien la gestion de l’hospice : levé avant tous les autres, c’est lui qui allume tous les feux, fourneaux et poêles,
A défaut de règlement du « Maître » de la léproserie, un règlement rédigé en 1578 [60] à l’occasion de la nomination, à leur demande et pour une durée d’un an, de Hans LUFFER et de son épouse Margareth aux fonctions de Spitelmeister de l’hospice Saint Jacques par les prévôt et Magistrat de la ville, peut donner une idée de ce que pouvaient être les fonctions d’un Meister de la léproserie. Il est fort probable en effet que le règlement imposé au Meister de la léproserie comporte des articles semblables :
- il a l’usage des terres agricoles et autres biens de l’hôpital. Il est tenu de les entretenir et de les exploiter au mieux en les travaillant selon les règles et en leur apportant tous les amendements (fumiers) nécessaires.
- il reverse au magistrat un cens, Zins, qui est le même que celui qui avait été demandé au précédent Spitalmeister
- il occupe un logement „de fonction“ qu’il est chargé de maintenir en bon état et d’entretenir , ainsi que la grange, les écuries et étables et tous les autres bâtiments : „…die Behausung, Scheür, Stell und andere Gemach , an Tach, Gemeür und Holtzwerckh in gueter Achtung haben soll…“
- il doit veiller à ce que les pauvres die arme Leüthen qui viennent à l’hôpital, ne manquent ni en bois de chauffage ni en paille, qu’il doit conduire à l’hôpital avec ses propres équipages, chariots et chevaux, de telle sorte que les pauvres n’aient pas à formuler de plainte à son encontre dass von den Armen von Ime keine Klag geherdt werdt... !
- il a été mis à leur disposition, à lui et à sa femme, toute sorte de mobilier et d’ustensiles de ménage, du linge de lit garni de plumes ou en lin, dont il a été dressé un inventaire et dont ils doivent prendre grand soin. Ils doivent fournir aux pauvres du linge propre de telle manière que les pauvres y soient à l’aise et s’en réjouissent !, damit sich die Armen dessen erfreüwen und geniessen mügen...
- ils doivent aussi (c’est un pluriel qui désigne le mari et sa femme...) veiller à une répartition équitable entre les pauvres des dons que la miséricorde divine leur octroie chaque semaine et que rien n’en soit détourné pour un autre usage...
- apparemment c’est à l’épouse que sont confiés les travaux de lingerie : lorsque, une fois dans l’année, elle procède à l’encollage de la literie de l’hôpital, l’administrateur de l’hôpital doit lui fournir ce dont elle a besoin, à savoir la farine, la cire et la colle, etc.
- il a été constaté dans le passé de nombreux désordres occasionnés par certains mendiants, luxure, débauche, jeux, danses, cris et hurlements, qui entraînaient (ou auraient pu entraîner ?) des dégâts considérables causés par un manque d’attention et de surveillance dans l’usage des feux et moyens d’éclairage. Ils doivent, tous deux, veiller à ce que de tels actes ne se reproduisent pas et s’ils ne pouvaient les empêcher, ils doivent les dénoncer immédiatement à l’administrateur de l’hôpital.
- en contrepartie ils sont tous deux, lui et sa femme et aussi longtemps qu’ils occupent leur fonction dans l’hôpital, exempts du paiement de la taille, des tours de garde et des corvées, en dehors de la « Schatzung ». Mais lorsque d’autres exemptés sont appelés à la corvée, ils doivent l’effectuer eux aussi.
Hanns LUFER et sa femme ont prêté serment et signé un acte dont il a été fait deux exemplaires identiques, l’un conservé aux archives de la ville, l’autre leur a été remis en main propre.
Il est plusieurs fois fait mention d’un Meyer ou Meier, un fermier qui exploite la ferme, les terres, les vignes et les animaux. En 1612, Diebolt SCHACHENREIN est renouvelé, à sa demande, dans cette fonction pour une durée de neuf ans. En contrepartie il devra s’acquitter du paiement de 26 quartauts, moitié blé et moitié avoine et il lui est demandé de prendre soin de la terre qui lui est confiée, en particulier la fumer et l’amender une fois par an. [61]
Il semblerait que des personnes saines soient employées à la léproserie pour y remplir des fonctions de gestion. C’est le cas de Geörg NICKHEL qui est admis en 1576, ainsi que son épouse, à la léproserie pour une durée d’un an. Il est chargé de l’approvisionnement en bois et habite la léproserie, apparemment sans être lui-même malade. En 1579 il demande à être relevé de ses fonctions, ce qui lui est refusé par le Magistrat. En 1598 il est reconduit dans ses fonctions et en 1600, il est dit Guetleut Verweser, ce qui peut vouloir dire faisant office d’administrateur ou de régisseur. En 1601 il est désigné par Guetleutmeister et il lui est concédé le logement. En plus il touche un salaire. Il restera ainsi près de trente ans, logé et actif dans la léproserie et on peut en conclure d’abord qu’il n’était surement pas malade lui-même et ensuite que la lèpre, s’il s’agissait vraiment de la lèpre, dont souffraient les autres pensionnaires, était peu contagieuse puisque ni lui, ni son épouse, ne semblent avoir été contaminés!
Son épouse, quant à elle, semble également être active dans la léproserie puisque les comptes de 1601 signalent qu’elle effectue des achats pour le compte de la léproserie, am neuen Marckt, d’un cuveau à eau et d’un autre cuveau plus petit.
Les revenus et les dépenses de la léproserie
L’essentiel des revenus est constitué par des rentes dues à la léproserie et dont la gestion était confiée à l’administrateur et au comptable-receveur des recettes et dépenses de la ville. Il s’agit de rentrées d’argent provenant de fondations, de donations diverses, de capitaux en argent, de maisons ou de terres, champs, prés ou vignes, légués à la léproserie par de généreux donateurs. En contrepartie, l’administration s’engage à faire célébrer, bien souvent à perpétuité, des offices pour le salut de l’âme des donateurs et de leur famille, des messes-anniversaire chantées par un prêtre. Une charte liant les deux parties, le donateur et le Magistrat officiant au nom de la léproserie, précise en détail l’indemnité due au célébrant, à d’éventuels servants de messe, chantre, sacristain, bedeau ainsi que la fourniture de cierges, leur nombre et leur poids de cire. Ces dépenses sont réglées par le receveur de la ville et le Magistrat conserve avec soin toutes ces chartes, la plupart très anciennes et sur parchemin, qui l’engagent, lui et tous ceux qui lui succèderont, pour une durée déterminée, mais le plus souvent pour l’éternité !
Chaque année, le greffier de la ville, assisté du prévôt et de quelques membres du conseil, établit un relevé soigneusement mis à jour de toutes ces rentes perçues par la léproserie. Ainsi Walther SCHÖNNEGKER, greffier municipal, Statschriber, détaille dans un parchemin daté du jeudi qui suit la fête de Saint Gall 1423, toutes les rentes perçues par la léproserie, en précisant à chaque fois que ces rentes sont confirmées par une charte [62] :
- item, Kathrin HOMEISTERin, nach irem Tot, 1 lb. ewig Gelts, als daz ein Brief wiset
- item, 6 sch. Gelts git Hartman SWENDE, ist ouch ein Brieff…
- item Thina SUMERLERin git Guldin Gelts, uff sant Steffans Tag, als ouch daz ein Brieff wiset…
- item Verlin SCHRIBER, ir Man, git auch 2 Guldin Geltz, ist och ein Brieff…
Ces rentes sont constituées par des particuliers mais aussi par des corporations, comme celle des forgerons Smyde Zunfft, ou celle des pêcheurs Vischebangk ; elles peuvent être en espèces ou en nature, comme celle due par les héritiers du défunt Wernher BURGRAF : 5 Viertel Korn, Roken und Gersten.
Sur le même relevé figurent également les biens dont la léproserie est propriétaire en 1423 : quelques Schatz de vignes, des champs et des prés, mais pas de maisons.
En 1592, Tileman NEVEL, greffier de la ville fait l’inventaire de toutes les chartes conservées dans les archives de la ville mentionnant des rentes dues à la léproserie. La plus ancienne, datée de 1362, concerne une rente d’une livre annuelle à valoir sur un capital de vingt livres déposé par Clewin SIGEMATT de Pfaffenheim plus de deux siècles auparavant, 230 ans très exactement !
Cet inventaire relève 80 chartes, deux du 14ème siècle, 23 du 15ème siècle, les autres contemporaines de son rédacteur, de 1502 à 1585, et mentionne à chaque fois qu’elles sont authentifiées par le sceau de la ville.
A la suite de cet inventaire, dans le même cahier, le greffier municipal fait l’inventaire des chartes concernant des rentes en vin et en grain, établies de 1380 à 1569.
On ne peut qu’admirer aujourd’hui le soin pris par les greffiers qui se sont succédés, pour classer aussi soigneusement, répertorier et conserver ces chartes, permettant ainsi de respecter des volontés et des engagements pris plusieurs siècles avant eux…
Les recettes et les dépenses ordinaires de la léproserie sont gérées par l’administrateur, qui est en principe renouvelé tous les ans et qui rend compte de sa gestion devant le Magistrat assemblé en Conseil, au cours de sa première réunion, le premier mardi qui suit le jour de l’Epiphanie.
Les revenus perçus par l’administrateur sont là aussi des revenus en argent, Pfenningzinse, et des revenus en nature, Weinzinse et Kornzinse,en vin ou en grains.
Les comptes présentés en 1488 [63] par Conrad HAFNER font état de 41 lb. et 2 β. de Pfenningzinse qui sont dues par des particuliers, par le prieur de Saint Valentin ou par des corporations, les pêcheurs de Rouffach pour leur étal Fischbanck ou les boulangers de Gundolsheim, pour le loyer de maisons ou de terres, champs ou prés ou pour les intérêts de sommes prêtées. La léproserie perçoit également cinq aimes, Omen, de vin au titre de Weinzinse pour l’année 1488 ainsi que six setiers, Sester, de céréales au titre de Kornzinse.
Pour la même année les dépenses s’élèvent à 96 lb. et 7 β. D’une année à l’autre, les recettes peuvent être supérieures ou inférieures aux dépenses : dans le premier cas, l’administrateur de la léproserie reverse l’excédent au receveur de la Ville et dans le second, la ville comble le déficit.
D’une année à l’autre également, les sommes, recettes et dépenses, sont très variables : ainsi en 1496 Mathys SCHRYBYSEN note une recette de 58 lb. 16 β. alors que les dépenses s’élèvent à 101 lb. 7 β. et 10 d. L’année suivante, en 1497, Claus SPETTWILLER enregistre une recette de 63 lb. 16 β. et 8 d. et des dépenses de 57 lb. 15 β. En 1498 il ne manquera que 2 β. pour équilibrer les comptes de Bernhart SCHNELLE.
A titre de comparaison, les recettes de l’hospice Saint Jacques se montent en 1630 [64] à 2594 lb. 13 β. et 10 d. et produisent un excédent de 230 lb. 7 β. par rapport aux dépenses qui sont de 2364 lb. 6 β. et 10 d. alors que les recettes de la léproserie en 1621 [65] sont de 1029 lb. 2 β. et 2 d. et ses dépenses de 118 lb. 2 β. et 7 d. seulement.
Ce qui explique sans doute que la léproserie puisse se montrer généreuse et participer largement à l’aumône destinée aux pauvres de la ville ainsi qu’à l’entretien de nécessiteux.
En août 1604, Walter ODENWELDER, fils de bourgeois de la ville, qui revient malade et ruiné du Welschland, [66] se voit accorder par décision du Burgermeister et du Conseil une somme hebdomadaire de 3 β., à payer par la léproserie, dont il est dit, à cette occasion, qu’elle avait à faire face à peu de dépenses par ailleurs : … geringere Aussgab habe… ! [67]
En 1608, Jörg KNÜTTER, der krumm Geiger, le violoneux bossu, et un enfant de Anne VOGEL, disposent également d’avantages semblables, alors qu’ils ne sont pas lépreux et n’habitent pas à la léproserie.[68]
En 1616, Wilhelm WAGNER, administrateur de la léproserie, note une dépense de 1 lb. 5 β versée à l’hospice Saint Jacques au titre de l’aumône publique, das gross Almuesen, au profit d’indigents de la ville pour l’achat de chaussures et de toile.[69]
En 1627 et en 1628, la léproserie entretient, sur ses revenus, cinq femmes et leurs enfants indigents, qui ne sont pas lépreux, à raison de 2β 6d par semaine versés à chacune. [70]
Cela veut-il dire qu’à certains moments la léproserie était vide ou n’abritait que peu de pensionnaires et que dans ces cas-là, les revenus dépassant les dépenses, ils pouvaient être affectés à d’autres emplois ? Ou cela ne veut-il pas plutôt dire que le Stattschaffner encaissait les revenus de la léproserie au profit de la Ville et n’affectait aux pensionnaires que le strict minimum, laissant à leur charge le soin de subvenir eux-mêmes à leurs maigres besoins ?
La vie quotidienne dans la léproserie
La maladie n’épargne personne et touche indifféremment le puissant et le misérable, les hommes comme les femmes, les enfants comme les adultes. Tous sont bannis de la ville, mais à l’intérieur de la léproserie ils retrouveront une nouvelle vie sociale, différente certes, et la vie reprendra chez ces exclus.
On y retrouve des riches et des pauvres, toutes les catégories « d’avant », et on y prononce même aussi des exclusions, si l’on en croit le chroniqueur Materne BERLER [71] : lorsqu’à Rouffach on décide d’admettre à la léproserie les syphilitiques à qui personne ne voulait donner asile et qui avaient trouvé refuge dans les chapelles des champs, et dont on pensait que leur maladie était parente de la lèpre, les lépreux de Rouffach se soulevèrent, affirmant que la maladie des nouveaux arrivants était bien plus grave que la leur ! Si bien qu’on les sépara. BERLER ne dit malheureusement pas si on les renvoya de la léproserie ou si on leur trouva une place à l’écart des lépreux. Par contre il nous livre une remarque très instructive sur la syphilis :
« … ces pustules blattren étaient si contagieuses que des poissons d’eau douce en furent touchés dans les étangs : j’en ai vu moi-même qui étaient à vendre sur les étals des poissonniers à Rouffach. De la même manière des moutons, des chiens et des chats en étaient atteints… ».
Ce qui laisse tout de même planer quelques doutes sur la capacité de la médecine de l’époque à délivrer un diagnostic fiable de la vérole, que BERLER appelle « la française », et de la lèpre ! Les mêmes doutes subsisteront au sujet du diagnostic de ces mêmes médecins sur la lèpre…
La vraie lèpre étant contagieuse, on trouvera dans les léproseries des individus mais aussi des couples, des parents et leurs enfants, des familles entières.
Il se crée hors les murs de la ville une société en réduction, à l’image de celle intra-muros : des couples s‘y forment, des enfants y naissent, des malades ou des vieillards y meurent. On y reçoit des pensionnaires selon un certain protocole, comme dans la cité on reçoit de nouveaux bourgeois et comme dans la cité on en exclut d’autres, pour mauvaise vie, manquements au règlement…
S’il n’a pas été conservé à Rouffach de règlement intérieur de la léproserie mais on peut imaginer sans risquer de se tromper qu’il est semblable à celui des autres léproseries d’Alsace.
Ainsi par exemple les relations sexuelles entre lépreux ou entre lépreux et bien portant sont interdites en dehors du mariage. Le mariage lui-même, nous l’avons vu, est interdit entre lépreux et bien portants, sous peine de sanctions, suppression de la prébende pour une durée variable ou exclusion définitive de la léproserie, sans possibilité de récupérer le capital déposé à l’entrée. Le mariage entre lépreux sera toléré, au 17ème siècle, mais à condition qu’il soit autorisé par le Magistrat.
- Hans BERTSCH, lépreux, a enfreint le règlement en épousant sans autorisation Catharina FRIDERICH, lépreuse. Le couple a eu une fille et au décès de Hans BERTSCH son épouse épousera un autre lépreux, Hans BECHLER.
- Hans GRYNE, lépreux, épouse une femme saine, sans autorisation, et le Magistrat décide son exclusion de la léproserie.
Si le mariage peut être autorisé, il peut aussi être refusé pour des raisons qui ne tiennent pas toujours au règlement. C’est ce qui est arrivé en 1661 à Eva LANGENBACH, une veuve avec quatre enfants, vivant à la léproserie de Rouffach, qui informe le Magistrat qu’un lépreux d’Altkirch souhaiterait l’épouser et s’installer avec elle à Rouffach. [72] Le Magistrat rejette sa demande, arguant qu’elle avait déjà quatre enfants et que son prétendant en avait cinq et qu’il serait difficile d’entretenir tant d’enfants à la léproserie ! Il lui conseille de continuer à vivre sans mari et de garder son pain pour elle ! Un mois auparavant, en février, Eva LANGENBACH avait sollicité l’autorisation de quêter en ville le vendredi, en plus du jour autorisé qui était, nous apprend le document, le dimanche. Elle demande également que lui soit délivrée une attestation pour un versement de 60 florins qu’elle venait d’effectuer [73]: était-ce le capital qui devait lui permettre de bénéficier d’une prébende ? Pourquoi alors devait-elle quêter deux jours dans la semaine si elle disposait d’une telle prébende?
En janvier de la même année 1661, Martin PHILIPS de Lucerne, sollicite l’autorisation d’épouser la fille d’Eva LANGENBACH et de s’installer avec elle dans la léproserie de Rouffach. Le Magistrat lui répond qu’un tel mariage n’était pas souhaitable et qu’il devait tenter sa chance ailleurs, …dass er sein Gelegenheit anderwerts suechen möge…[74] . Eva, dont on apprend que le fils est également malade, appuie la demande de Martin PHILIPS en demandant au Magistrat de prendre en compte son âge avancé et le nombre d’enfants dont elle a la charge. Le Magistrat accède à sa demande et accepte d’admettre Martin à la léproserie, à condition qu’il verse un capital de cent livres et qu’il s’engage à assurer la subsistance des enfants de sa future belle-mère après le décès de leur mère ! [75]
En 1671, le fils ainé d’une lépreuse, dont le nom n’est pas précisé mais qui pourrait bien être EVA, qui vivait jusqu’alors à la léproserie, souhaite quitter la léproserie pour s’installer ailleurs, et il présente son frère cadet, lui aussi malade de la lèpre et pour lequel il a versé le capital d’entrée. [76] Le Magistrat donne son accord.
Ainsi plusieurs générations d’une même famille peuvent cohabiter à la léproserie : tous ses membres étaient-ils réellement malades ? L’attrait d’une vie qui offrait malgré tout un toit, un confort relatif certes, une sécurité minimale, ne pouvait-il pas tenter quelques misérables pour lesquels leur indigence ne permettait pas d’autre issue ?
On imagine sans peine que dans ce monde clos d’hommes et de femmes se sachant condamnés à une réclusion définitive et à une vie sans espoir, la morale chrétienne et les règles sociales de la vie d’avant puissent s’effilocher progressivement et les risques et la menace des peines encourues n’avaient sans doute plus qu’un effet dissuasif très relatif.
Beaucoup de léproseries sont devenues des lieux de brèves rencontres et celle de Rouffach n’a pas été différente des autres : en 1552, Catherine GREFFin de Sufelwyherssheim, en raison de ses activités d’entremetteuse et autres actions répréhensibles commises à la léproserie de Rouffach est condamnée au bannissement à vie de la léproserie et de la ville et à ne plus pouvoir y revenir, sans autorisation des autorités du bailliage ! [77]
La fille de Georges HUCKH, le lépreux, qui est elle-même atteinte du mal, se serait enfuie de la léproserie de Rouffach avec son entremetteur récemment emprisonné pour vol et serait revenue y vivre entre-temps.
Il était bien entendu également interdit à un mari ou à une épouse sains « rein » qui vivaient parmi les bien-portants …welche under den Gesunden wohnen… de rejoindre le conjoint à la léproserie. L’épouse de Georges HUCKH[78] qui n’est pas atteinte du mal et vit parmi les bien portants, se serait rendue fréquemment à la léproserie, elle y mangerait et boirait en compagnie de son époux et même ils auraient des rapports sexuels, …vermischen sich mit einander ... Informé de ces comportements, le Magistrat décide de s’adresser au grand bailli pour savoir quelles mesures prendre à l’encontre de la fille et de ses parents.
Ce Georg HUCKH, dont le nom est également orthographié HANCKH ou HAUCKH, et sa fille ANNA, avaient été déclarés malades de la lèpre, par les experts jurés de Freiburg, en février 1627 [79].
Le 6 juillet le Magistrat note dans le protocole du conseil hebdomadaire du mardi, que Geörg HANCKH, le lépreux, et sa femme, qui n’est pas lépreuse, die mit der gleichen Sucht nicht behafftet, vagabondent sur les chemins dans la campagne alentour, mais les conseillers ne prennent aucune décision à leur sujet.[80]
Le lépreux a le droit de quitter la léproserie, non pas pour retourner vivre parmi les bien portants, mais pour rejoindre une autre léproserie.
Le 29 avril 1659, Hans Ruedolff MOLLI le lépreux demande à quitter la léproserie de Rouffach après y avoir vécu dix ans en compagnie de son épouse, pour rejoindre la léproserie Saint Léonard de Sélestat. Son âge avancé et surtout la distance ne lui permettent plus de se rendre en ville pour y solliciter « la sainte aumône ». Il a fait une demande pour acheter une prébende à Saint Léonard et souhaite que sa malheureuse épouse puisse disposer de cette prébende après son décès. Il semblerait que le Magistrat de Sélestat ait répondu favorablement à la supplique de Hans Ruedolff MOLLI. [81] Il décèdera à Sélestat le 27 novembre 1665 et sera enterré le lendemain 28 novembre. Une messe « du septième jour sera célébrée le 7 décembre et celle du « trentième jour » le 19 décembre. Sa veuve, Anna Maria, lépreuse elle aussi, épousera à Sélestat, le 21 février 1667, Sigmundt SCHNEIDER, lépreux.
Le 22 mars 1668, Joseph MOLLI, âgé de huit ans, Guethleüthknaben de la léproserie de Sélestat et sa sœur Barbara sont condamnés par le Magistrat de Sélestat à être fouettés avec des verges par le Bettelvogt . Le garçon aurait eu des relations sexuelles avec une servante de la léproserie, Elisabeth JECKHLER, qui sera condamnée, elle, au bannissement après avoir reçu vingt coups de verges administrées par le bourreau, Meister CHRIST. La fillette de six ans, Barbara, aurait eu des rapports, elle, avec son frère Joseph âgé de huit ans !
Est-il possible que ce Joseph, âgé de huit ans et donc né en 1660 et Barbara qui serait née en 1662, soient les enfants de Hans Ruedolff MOLLI, décédé en 1665 ? En 1659 il se plaignait que son grand âge ne lui permettait plus de quêter dans les rues… et son épouse ne se remariera qu’en 1667.
A noter également que dans sa supplique de 1659, MOLLI ne parle que de sa femme et à aucun moment d’autres enfants. .
Les archives n’ont pas conservé pour Rouffach de documents qui permettraient d’en savoir plus sur les conditions de vie des lépreux : il n’a pas été conservé de règlement mais on peut imaginer que celui de Rouffach ne soit guère différent de ceux qu’on a retrouvés dans d’autres maisons.
La mention de l’admission de Geörg HAUCKH et de sa fille Anna, en février 1627 [82] laisse deviner quelques points du règlement imposé aux lépreux se rendant en ville :
… in kein Mezig gehen, darinnen Fleisch kauffen oder dises oder anderes anriehren…,
il lui est interdit de se rendre dans une boucherie, y acheter de la viande ou de la toucher de ses mains. Dans certains règlements il est précisé qu’il devait désigner les denrées qu’il souhaitait acheter à l’aide d’une baguette…
On sait par d’autres règlements que le lépreux devait porter une tenue particulière qui permettait de les signaler aux bien portants. S’ils sortaient, ils devaient obligatoirement être munis d’une cliquette pour signaler leur présence. Il leur est interdit d’entrer dans une maison ou de s’asseoir sur un seuil de porte pour mendier. S’il s’avère qu’un couple a des rapports sexuels, ils perdent aussitôt leur prébende, doivent immédiatement quitter la léproserie et tout ce qu’ils y ont apporté à leur admission est acquis à la léproserie. Même les couples mariés ne doivent pas avoir de rapports et doivent rester séparés dans des chambres différentes. Les lépreux devant mener une vie quasi-monastique, la chasteté en constitue une des règles. Mais surtout, ces mesures tendaient très certainement à éviter que les léproseries ne deviennent des bordels, ce que certaines pourtant sont devenues, et aussi à éviter la prolifération d’enfants qui seraient fatalement une charge supplémentaire pour la léproserie.
Si, sur un chemin, un passant sain croisait un lépreux et lui adressait la parole, celui-ci ne devait répondre qu’après s’être placé face au vent, de telle sorte que le passant ne puisse être contaminé par son souffle !
On s’étonne que malgré ces craintes, on ait pu permettre aux lépreux de pénétrer en ville pour y solliciter l’aumône et on s’étonne encore plus que des gens sains ou même des malades aient pu survivre trente ans malgré la promiscuité inévitable des salles communes !
On sait qu’en dehors de tâches dans les jardins, d’éventuels travaux à la ferme de la léproserie, la culture de la vigne, l’élevage d’abeilles et quelques travaux d’entretien, l’essentiel de la journée des lépreux était consacré aux offices et aux prières dans la chapelle, la seule thérapie que l’on proposait à ces malades... Malheureusement les archives de Rouffach ne nous apprennent rien sur ces activités. On aurait pu s’attendre à y découvrir une dépense pour des cierges, ou pour payer le prêtre qui célébrait ces offices, mais dans l’état actuel de nos recherches rien n’a été trouvé : ce prêtre était-il attaché à la léproserie ou était-il détaché de l’église paroissiale ou encore du couvent des franciscains ?
Nous savons par contre qu’on célébrait des offices funèbres dans la chapelle de la léproserie, on enterrait les morts dans le cimetière attenant et on devait fréquemment faire sonner la cloche puisque figurent régulièrement dans les comptes des dépenses pour de nouvelles cordes !
Le devenir de la léproserie.
En mai 1701 le roi de France décide que les biens et revenus des maladreries de Rouffach, Turckheim, Soultz et Guebwiller sont unis à l’hospice Saint Jacques de Rouffach :
…pour être les dits biens et revenus employés à la nourriture et entretien des pauvres malades du dit hôpital, et à la charge portée dans ladite lettre de satisfaire aux prières et service de fondation dont pouvaient être tenues les dites maladreries et de recevoir au dit hôpital les pauvres malades des lieux où étaient les dites maladreries à proportion des revenus d’icelles . [83]
Il n’est donc plus question de pensionnaires vivant à la léproserie de Rouffach qui ne dispose plus de revenus pour son fonctionnement et l’entretien de pensionnaires. Mais des générations d’administrateurs avaient accepté et scrupuleusement enregistré pendant des siècles des dons et des legs destinés à fonder des messes, le plus souvent aux jours anniversaires du décès, et à perpétuité, dans la plupart des cas. Les demandes sont généralement très précises: messe basse ou messe chantée, heure de la cérémonie, prières à réciter, quantité de cierges et poids de cire à utiliser…toutes choses pour lesquelles l’administrateur de la léproserie, et plus tard le receveur de la Ville, dépositaire du legs ou du don, devaient tenir une comptabilité et continuer à payer les frais engagés aux prêtres, chapelains, chantres, …
En 1660, les seules dépenses notées dans le carnet des comptes de Blaise AVENE, [84] administrateur, sont des dépenses pour du bois de chauffage, 5 Klaffter [85] de bois et 200 fagots, pour le transport de ce bois de la coupe à la léproserie et pour les travaux de Michaël GUGGENMUSS, le maçon : le sable nécessaire et la chaux pour la construction d’un mur et des travaux au puits. Plus le salaire annuel de l’administrateur, deux livres, et dix schillings pour le greffier de la ville qui a rédigé les comptes et en a établi un double. Le total des dépenses pour l’année 1660 s’élève à 17 lb, 6 schillings et 8 d. Les recettes étant de 12 lb et 10 schillings, la ville doit combler le déficit de 4 lb, 16 schillings et 8 d. !
… ein Badstüblin …
En 1667, 1668 et 1669, Hans Geörg FISCHER, administrateur de la léproserie, note d’importants travaux:
- des livraisons de planches, de sable, de chaux, de briques et de tuiles
- un salaire de 4 livres à Mathis KASENBOLER, le maçon pour des travaux de maçonnerie,
- un salaire de 7 livres à Maître Nicolas HERZEL, le maître charpentier, Zimmerwerckhmeister pour la construction d’une Badstüblin, c’est-à-dire une étuve.
On sait que les bains étaient une indication précieuse pour le soulagement des malades atteints de maladies de la peau et beaucoup de léproseries conservent les traces de voyages de leurs pensionnaires vers des villes d’eaux. Sans doute les malades fortunés de Rouffach effectuaient-ils eux-aussi de tels voyages. Mais aussi ils devaient surtout bénéficier des services de baigneurs qui venaient chez eux, dans un local prévu pour les bains : mais c’est ici la seule attestation, tardive, de l’existence d’une étuve, Badstube, dans la léproserie même.
Le 11 janvier 1667, il est demandé au Waldmeister, le maître des forêts chargé de la coupe du bois d’œuvre, de prévoir un aménagement dans les combles devenu nécessaire en raison du grand froid dans la Stube, le poêle de la léproserie, pour une somme de 100 lb..
Les comptes des années 1674 à 1681 tiennent dans un carnet composé de 4 feuillets pliés dans le sens de la hauteur [86] et mentionnent outre les habituels achats de bois de chauffage plusieurs dépenses pour des travaux de toiture, main d’œuvre, achat de briques, de tuiles, de chaux et pour la construction d’un poêle. A l’occasion de ces travaux, le maitre charpentier est chargé en novembre 1674 de décrocher la petite cloche, sans doute celle de l’église, une cloche qui se trouverait maintenant, écrit Hans Martin HAUENSTEIN, l’administrateur de la léproserie, au château : la chapelle était-elle déjà désaffectée à ce moment ? Ce qui est sûr c’est que plusieurs pensionnaires lépreux vivent encore dans les lieux en février 1675 : l’administrateur fait acheter pour les pensionnaires, die Guetleuth Persohnen, de la viande et du pain, parce qu’ils étaient malades. Sans doute cette maladie ne leur permettait-elle pas d’assumer eux-mêmes leur subsistance en quêtant en ville…
Le dernier compte conservé a été établi par Lux RISS, conseiller au Magistrat et administrateur de la léproserie [87] . Il concerne les années 1682, 83 et 84 et signale quelques travaux réalisés par deux maîtres charpentiers, Zimmerwerck Meister, Diebolt WEHRLIN et Jacob MÜLLER, des travaux de serrurerie, l’achat de clous, le curage et divers travaux sur le puits ainsi que la coupe et la livraison de bois de chauffage et de fagots. A signaler encore la dépense pour un cercueil, ein Totenbaum, pour un lépreux décédé, ce qui confirme qu’à cette époque la léproserie hébergeait encore des malades.
Il semble bien que le dernier lépreux, ou pensionnaire de la léproserie, ait quitté l’établissement en 1684 comme le laisse imaginer le dernier item du carnet de compte de Lux RISS :
… item hab ich aus Bevelch Herren Schultheißen dem Guetleüthman als er hinweg auf den Weg geben:… 4 Pfundt 10 Schilling… ,
une somme assez considérable donnée, par ordre du prévôt, à un lépreux, ou plus exactement au lépreux, au moment de son départ, ce qui pourrait représenter le reliquat du capital qu’il avait versé pour bénéficier de sa prébende.
… ein Würthshaus…
En 1686 la léproserie était vide et était devenue une auberge … in dem Guethleuthaus so anjezo ein Würthshaus…. , tenue par un meunier, Bernhard BIEHLMAN, - celui du moulin de la Lauch voisin ?- à qui l’on demande de s’acquitter de l’Umbgelt, la taxe sur le débit du vin[88]. Il est demandé aux deux portiers de la porte de Fröschwiller de ne plus laisser entrer, de nuit, aucune personne qui viendrait de la nouvelle auberge von dem neuwen Würtshaus… [89]. L’auberge dont il est question, hors les murs, devant la porte de Froeschwiller, ne peut être que celle installée depuis peu dans les bâtiments de la léproserie.
En 1699 l’aubergiste demande à ce qu’y soit tenu la fête de la dédicace, ou fête patronale, sans qu’il soit précisé s’il s’agit de celle de l’église paroissiale ou de celle de l’église de la léproserie, une autorisation qui lui sera refusée par le Magistrat.
En 1708, l’aubergiste, die Guethleitwirtin, est condamnée à une amende de ½ livre de cire à cause de ses comportements scandaleux.
Il est vraisemblable que la léproserie, abandonnée, soit devenue un tripot et le lieu de rendez-vous d’individus marginaux y trouvant un abri, au bord d’une route passante et non loin des portes d’une cité importante.
Les cartes de Cassini réalisées entre 1750 et 1815 ne représentent plus d’établissement religieux à la place où devait se trouver la léproserie, alors qu’y figurent des oratoires ainsi que l’église Saint Etienne de Suntheim et la chapelle Sainte Odile.
La gravure de Daniel SCHOEPFLIN représentant une vue de la ville en 1761 [90] laisse deviner un bâtiment ruiné dont on ne peut savoir s’il s’agit des ruines de l’église ou de celles d’une maison.
Il n’a malheureusement pas été fait de relevés archéologiques lorsqu’au siècle dernier ont été creusés les réseaux d’assainissement et construits les maisons et les bâtiments de la rue des Bonnes Gens et ceux de la rue du Moulin, où les travaux de terrassement ont sans aucun doute mis à jour des fondations qui auraient pu permettre de situer l’emplacement de la léproserie…quelque part entre la porte de Froeschwiller et le moulin de la Lauch, peut-être sous les tonnes de remblais de la route de contournement de Rouffach.
Dans beaucoup de villes, le souvenir de ces établissements ne survit plus que dans la toponymie, comme c’est le cas à Rouffach : Strasbourg, Mulhouse, Colmar par exemple ont également une rue des Bonnes Gens. Dans beaucoup de villes allemandes on trouve une Gutleutstrasse, Gutleutviertel, Gutleutmatten, Gutleutgarten, et même une Gutleutkaserne, sans souvent que l’on se souvienne qui étaient ces bonnes gens grâce à qui les bourgeois en bonne santé pouvaient, par la générosité de leur aumône et leurs dons, s’assurer une place au paradis…
Gérard MICHEL juillet 2012
Bibliographie sommaire.
Joseph LEVY
Die Leprosen oder Gutleuthaüser im Oberelsass 1921
Paul ADAM
Charité et Assistance en Alsace au Moyen-Âge Strasbourg 1982
Elisabeth CLEMENTZ
Aussatz und Leprosorien im Elsass. Fürsorge oder Ausgrenzung? conférence donnée en octobre 2008 pour l‘Arbeitsgemeinschaft für geschichtliche Landeskunde am Oberein e.V.
Nus in das huβ,la léproserie de Haguenau et ses habitants du 13ème au 17ème siècle
dans Revue d’Alsace n° 132, pages 41 -85 2006
Materne BERLER:
Chronique, dont de nombreux extraits ont été publiés dans Code historique et diplomatique de la ville de Strasbourg. par Adam-Walther Strobel et Louis Schneegans]. Strasbourg 1843.
Thiébaut WALTER
Urkunden und Regesten der Stadt Rufach 1350 - 1500 Rufach 1913
Urkundenbuch der Pfarrei Rufach Rufach 1900
Urkunden und Regesten der Stadt Rufach 662 - 1350 Rufach 1908
[1] Lévitique 13. 1 - 46
[2] Les fonctions dévolues au Pfleger et au Schaffner ne sont pas toujours clairement définies et sont souvent différentes d’un établissement à l’autre et d’une localité à l’autre. Paul ADAM, dans son ouvrage Charité et assistance en Alsace au Moyen Âge, traduit Pfleger par administrateur de la léproserie et Schaffner par receveur. Nous adopterons dans ce chapitre les mêmes traductions.
[3] A.M.R. GG 77 folio 4
[4] Suntheim: en 1298 la localité fut pillée et rançonnée par les troupes de Théobald de Ferrette. La dernière mention d’habitants à Suntheim date de 1371, selon Thiebaut WALTER : il s’agirait de Conrad SWITZER, un prêtre, qui y habite en compagnie de sa sœur. Vraisemblablement les derniers habitants ont-ils préféré trouver refuge à l’abri des murs de Rouffach à l’approche des anglais en 1375 et les habitants de Rouffach, pour des raisons stratégiques, ont-ils décidé de raser les dernières constructions, trop proches des remparts de la ville…
En 1512, une nouvelle cloche est fondue pour l’église Saint Etienne (AMR CC65 page 32) ce qui prouve bien qu’à cette époque-là le lieu était encore bien vivant. En 1515 / 1516, plusieurs bâtiments subsistent de l’ancien village, l’église Saint Etienne, le moulin et « ein Gotshaus », peut-être un ermitage jouxtant l’église, où habitent au moins deux personnes, Hans WEGELIN et son épouse Berbelin WAGNERin qui y ont été nommés par le Magistrat de Rouffach « zu einem Bruder und Swester » et qui pourrait accueillir des étrangers de passage.
Le 31 décembre 1615, le Magistrat de Rouffach est saisi d’une demande de travaux de réparation et de restauration de cette même église
[5] düssen pour draussen.
[6] Die Leprosen oder Gutleuthaüser im Oberelsass 1921
[7] publiée dans Neuer Elsässer Kalender 1939 pages 63 à 68,
[8] A.M.R. A.A. 9 folio 65 recto: “ Item, zwen schilling von der Bluwlat uf der Lauch an der Lauch Mule…”
Bluwlat, Bluwelate peut désigner à la fois un moulin à chanvre et une fosse dans laquelle on procèce au rouissage de fibres textiles comme le chanvre.
[9] A.M.R. BB 46 folio 53 du 25 janvier 1656
[10] A.M.R. AA 4 folio 29 de 1420
[11] A.M.R BB 6 1559
[12] A.M.R. EE 7 1569
[13] A ce propos, il est surprenant de constater que nous n’avons jamais trouvé la moindre mention concernant des lépreux et la léproserie dans la centaine de dossiers que nous avons étudiés au cours de travaux sur les procès de sorcellerie à Rouffach.
[14] A.M.R. AA9
[15] …Morgens gegen Tag, dem Kranken unwissent, hebt man Ine uss dem Bett und besicht man Ine…
[16] A.M.R . GG 70 1627
[17] Ce mot Aussatz désigne la lèpre. L’étymologie du mot annonce clairement l’exclusion dont le lépreux sera victime. Plus loin on trouvera également l’adjectif maltzig dérivé de Malatzei, la lèpre, pour désigner l’état de lépreux.
[18] Schauw Brief: compte-rendu d’examen. Ce mot Schauw se retrouve dans des fonctions exercées par des conseillers du Magistrat, Fleischschauer et Brotschauer, examinateur ou contrôleur des viandes et du pain.
[19] A.M.R. AA 5 page (et non folio) 92 19 novembre 1583
[20] A.M.R. BB 39
[21] A.M.R. BB 8
[22] A.M.R. AA 5 page (et non folio) 53
[23] A.M.R. GG 74
[24] Ce mot Meidtlein désigne-t-il la servante de DORNACH ou un enfant, sa fillette ? Dans d’autres léproseries, on trouve occasionnellement des lépreux, prébendiers riches, ayant un domestique, sain, à leur service. Ce serait ici la seule attestation d’un lépreux ayant un domestique à son service, pour la léproserie de Rouffach.
[25] A.M.R. BB 46 folio 28
[26] A.M.R. BB 46 folio 72
[27] A.M.R. GG 75 / 1 Guethleüthhaus Rechnung 1660
[28] A.M.R. AA 3 folio 12
[29] Charité et assistance en Alsace au Moyen âge 1982
[30] A.M.R. GG 70 Parchemin n° 385
[31] A.M.R. BB 4
[32] A.M.R. BB 2 folio 70
[33] A.M.R. BB 4 folio 276
[34] A.M.R. BB 2 folio 93
[35] A.M.R. BB 4 folio 46
[36] A.M.R. BB 5 folio 47
[37] A.M.R. BB 5 folios 123 et 181
[38] A.M.R. BB 5 folio 259
[39] A.M.R. BB 6 folio 314
[40] A.M.R. BB 6 folio 175
[41] A.M.R. GG 70 1423
[42] Il existe à Rouffach une ruelle autrefois appelée « Anckengasse », c’est à dire « rue du beurre », malencontreusement rebaptisée « rue de l’ancre » dans certains documents!
[43] A.M.R. GG 70
[44] Cosmographia Universalis, imprimée à Bâle pour la première fois en 1544
[45] A.M.R. GG 75
[46] A.M.R. GG 74
[47] A.M.R. GG 75
[48] Ohmen, Omen, Ohm, Emig : mesure de capacité pour les liquides, surtout le vin, valant environ 45 à 50 litres.
[49] A.M.R. GG 75
[50] Les "KELSCH" sont des tissus alsaciens traditionnels à carreaux écrus et bleus, écrus et rouges, ou les trois couleurs mélangées. A l'origine, ces tissus étaient réalisés en pur lin. Il semblerait que le mot vienne de l'adjectif "kölnisch" (Cologne) .
[51] A.M.R. GG 75
[52] A.M.R. GG 74
[53] A.M.R. BB 12 folio 146
[54] A.M.R. BB 12 folio 158
[55] A.M.R. BB 19 folio 21
[56] Fronfast, les Quatre temps : période de jeune après le mercredi des cendres, la Pentecôte, le 14 septembre, fête de l’exaltation de la sainte Croix et le 13 décembre, jour de la sainte Lucie …Asch, Pfingst, Creuz und Lucia. Il s’agit donc ici du 14 septembre.
[57] A.M.R. BB 12 f. 159
[58] A.M. de Colmar GG 213 / 14 1er juillet 1575
[59] A.M.R. AA 11 pages 284 et 285
[60] A.M.R. GG 59
[61] A.M.R. BB 32 du 21 août 1612.
[62] A.M.R. GG 70, reclassé dans les parchemins sous le n° 341
[63] A.M.R. GG 70 de 1488
[64] A.M.R. GG 66
[65] A.M.R. GG 74
[66] du pays des “welches”. Welsch, en allemand, est un mot qui désigne un « étranger » parlant une langue romane. Les Alsaciens de langue alémanique ont même appelé ainsi les Alsaciens de langue romane qui habitaient les hautes vallées vosgiennes.
[67] A.M.R. BB 28 folio 47
[68] A.M.R. BB 30 folio 40
[69] A.M.R. GG 74
[70] A.M.R. GG 74
[71] Materne BERLER (1487 – 1573) Chronique de Materne BERLER folio 196a dans Code historique et diplomatique de la Ville de Strasbourg Imprimerie de G. Silbermann Place Saint Thomas Strasbourg 1845
[72] A.M.R. BB 48 folio 79, 29 mars 1661
[73] A.M.R. BB 48 folio 66 et 67, 22 février 1661
[74] A.M.R. BB 51 folio 7, 19 janvier 1661
[75] A.M.R. BB 51 folio 10
[76] A.M.R. BB 55 folio 14, 11 mars 1671
[77] A.M.R. BB 5 folio 39
[78] A.M.R. BB 39 folio 93 16 septembre 1627
[79] A.M.R. BB 39 folio 48 23 février 1627
[80] A.M.R. BB 39 folio 81 6 juillet 1627.
[81] A.M.R. BB 47 folio 184
[82] A.M.R. BB 39 folio 48
[83] Ordonnance d’Alsace Tome I page 322 A.D.H.R. 39 U.S 7
[84] A.M.R. GG 75 / 1 Guethleüthhaus Rechnung de 1660
[85] le Klafter représente un volume calculé sur la base du Klafter, c’est-à-dire l’envergure d’un homme étendant les bras, d’un index tendu à l’autre, soit entre 1,70 et 1,90 mètres, environ trois stères d’aujourd’hui.
[86] A.M.R. GG 75
[87] A.M.R. GG 75
[88] A.M.R. BB 65 folio 16, 25 février 1687
[89] A.M.R. BB 64 folio 70, 27 juillet 1686
[90] Alsace illustrée deux volumes 1751 et 1761 Daniel SCHOEPFLIN