Coucher de soleil sur le versant Nord-Est du Bollenberg
(photo G.M. 22/08/2018)
Très peu de documents d’archives sont conservés sur l’histoire de l’occupation humaine du Bollenberg, ce qui a évidemment laissé libre cours à l’imagination : nous ne nous attarderons pas sur les multiples tentatives d’explications mystico-cosmo-telluriques données au toponyme Bollenberg qui devrait son nom à Bel, Appolon, Balder, Phol, sainte Appoline ou encore la vierge Polona… La littérature ne manque pas à ce sujet… et le lecteur y trouvera son compte.
Si l'on parle beaucoup de sorcières qui y auraient tenu leurs noces sataniques, (la chapelle Sainte-Croix a même été rebaptisée chapelle des sorcières), on ne se souvient plus guère que le Bollenberg a été un haut lieu des premiers temps de la chrétienté dans la région, un centre de culte rural important, vers lequel convergeaient les fidèles des communautés voisines, bien avant que celles-ci n'aient érigé leur propre église.
1. Quelques éléments de l'histoire du Bollenberg...
La première mention du nom figure dans un document non daté, cité par Thiébaut WALTER dans Urkunden und Regesten der Stadt Ruffach (1908). La comtesse Mathilde d’Eguisheim y dresse l’inventaire des biens et des rentes offerts par ses ancêtres au couvent de Sainte Croix :
…Hoc igitur in festivitate sanctae Crucis congregetur, ut at forum Bollenburc afferatur… sororibus tradatur, quantum fieri possit, et hoc cum omnium consilio tractetur et singulis, qualiter fiat, a cameraria dividatur…
Th. Walter date ce document cité par Schöpflin dans Alsat. Diplom. (qui l’aurait lui-même trouvé aux archives de Colmar dans le fonds de Sainte Croix,) de la première moitié du 12ème siècle, vers 1150.
Quelques rares documents citent le lieu à la fin du 13 ème siècle : des vignes dans le ban de Rouffach, ze Bollenburg… uf Girshalde gegen der Kirchen… ce qui est également la première attestation de la présence d’une église au Bollenberg. Dans le Liber Vitae, obituaire du 14ème siècle, figure également la mention de vignes apud Bollenburg.
Les archives s’enrichissent au 16ème siècle avec les querelles et litiges entre Orschwihr, Rouffach et la famille noble des Bollwiller, au sujet de la propriété de l’église du Bollenberg et de l’usage des terres qui l’entourent. L’affaire trouvera son sommet avec l’enlèvement et l’emprisonnement de l’ermite du Bruderhaus sannt Bollenburg par les autorités de Rouffach. Ce « raid » conduira en 1555 à un arbitrage qui laissera aux Bollwiller le patronat de la chapelle auf dem Berge…
Une lettre adressée le 10 mai 1555 par Nikolaus von Bollwiller à l’évêque de Strasbourg nous propose une version, celle du propriétaire, sur l’histoire du lieu. Nous proposons ici une traduction sommaire d’un passage particulièrement intéressant :
…J’ai été averti de l’incarcération ordonnée par les officiers de votre Excellence d’un serviteur de mes frères et de moi-même.
J’ai consulté les documents échangés à l’occasion de cette affaire et j’ai découvert dans des chartes très anciennes qu’une princesse royale de ce pays, du nom de Polla, aurait habité au Pollenberg. Elle était une initiatrice dans ce pays de la foi chrétienne et a été canonisée comme sainte. Cette vierge a donné son nom à cette montagne, le Pollenberg et à la cité de Pollwiller qui lui doit son origine. C’est à sa mémoire que l’ainé de la lignée des Pollweyler doit porter en couronnement de son heaume la figure d’une vierge couronnée.
On trouve également dans des chartes anciennes qu’un couvent de dames avait été établi sur les hauteurs du Pollenberg…Nos ancêtres, les Pollwyler, sont les propriétaires du dit Pollenberg depuis plus de quatre siècles, ce qui est attesté par de nombreuses chartes, mais personne ne saurait dire depuis quelle date. Nos ancêtres ont instauré avec ceux d’Orschwyler quelques servitudes qu’ils doivent au Pollenberg et à son église…Le non-respect de ces servitudes a conduit à des tensions et des litiges. …
A la demande instante du bailli de Rouffach, le défunt Jacob Böckhlin, et pour que nous puissions continuer à vivre en bon voisinage avec votre Excellence et ses sujets, nous avons consenti à la signature d’une charte dont ceux d’Orschwihr n’ont jamais respecté les termes…
Augsburg le 10 mai 1555
Note: BOLLWILLER (de), famille noble de Haute-Alsace Citée à partir de 1135, la famille noble de Bollwiller détient des fiefs de l’abbaye de Murbach, des Habsbourg et de l’évêque de Strasbourg. En 1295, ce dernier lui donne le bourg (stettlin) de Bollwiller en tant que fief-oblat. (Dans Nouveau dictionnaire de Biographie alsacienne N.D.B.A.)
En résumé :
- une sainte appelée Polla a habité le Bollenberg
- elle est l’initiatrice de la foi chrétienne dans le pays
- elle a donné son nom Pollenberg au lieu
- elle a également donné son nom à la dynastie des Pollenberg et à la cité de Pollwyler
- le Pollenberg appartient aux Pollwyler depuis quatre siècles
Que croire dans cette histoire ? Selon les Pollwiller, de nombreux documents confirmeraient cette propriété. Plus de quatre siècles à partir de 1555 nous ramèneraient vers 1150… Mais ces documents, où sont-ils ? Pour les Pollwyler, il s’agit de défendre leurs droits, leur terre, leur église et les revenus qu’elles génèrent : à défaut de pouvoir présenter les documents originaux on « bluffe » en revisitant l’histoire ! Quitte également à produire de faux "originaux"!
2. Et si l’église primitive de Rouffach avait été au Bollenberg ?
2.1. Une route romaine
Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, on a trouvé au Bollenberg une grande quantité de médailles romaines, de Gallien, Treticus, Probus, Claudius II, Victorien et Constantin I et II et dans les année qui suivirent des fibules, clés, boucles, plaques de ceintures, lame de scramasax et fragments de couteau, remis à la bibliothèque de Colmar et à la société industrielle de Mulhouse (Fritz Kessler dans Le Bollenberg, 1884)
Tout cela montre bien que le Bollenberg était, sinon un lieu habité, un lieu de passage fréquenté, à proximité de l’ancienne voie romaine.
2.2. Un village disparu au pied du Bollenberg
Le Bollenberg comporte 3 mamelons de différentes hauteurs, disposés en triangle :
- le premier, celui d’Orschwihr, qui s’étend vers la plaine et sur lequel s’élève la chapelle Sainte-Croix
- le second, en direction de Westhalten, où se trouvait autrefois le village présumé disparu de Granwiller, dont il subsiste dans la toponymie un lieu-dit désigné sur les cartes I.G.N. par Graengwiller. Le nom apparait pour la première fois dans un parchemin de 1347 conservé aux archives de Bâle dans le dossier Klingenthal. Thiébault Walter, dans U. und R. der Stadt Rufach mentionne en 1346 une vente à l’abbaye de Klingenthal de 16 Schatz de vignes im Grenewilre qui semblent se trouver non loin du Hunretal, Huenertal. En note, Walter indique : Grenewilre, altes Patrimonium des Stiftes Lautenbach, es lag am Bollenberg, ce qui ne nous aide guère à situer le lieu.
- le troisième, côté ouest vers Rouffach et qui débouche par l’abrupte Hohlgass dans le vignoble de Rouffach.
Non loin de cette Hohlgass se trouvait autrefois la ferme Lidy qui aurait été construite sur l’emplacement de l’église Saint-Martin, qui fut jusque dans la seconde moitié du 16ème siècle l’église paroissiale d’Orschwihr, à une heure de marche du village.
Que sait-on de cette ferme Lidy ? Il en est conservé des photographies prises au moment de l’exhumation d’un sarcophage à une vingtaine de mètres de la maison d’habitation. Le sarcophage avait été touché par le soc d’une charrue et le fermier avait pris soin d’avertir de sa découverte la mairie de Gundolsheim qui prévint les autorités compétentes. D’autres sarcophages avaient été découverts en 1894 à une quarantaine de mètres du précédent. Toutes ces trouvailles avaient été confiées au musée historique de Mulhouse et devaient être placés dans le jardin lapidaire de la chapelle Saint Jean.
Sarcophage découvert à la ferme Lidy en novembre 1894
2.3. L’église-mère Saint Martin du Bollenberg
Carte Cassini: à droite du mot Bollenberg, on distingue le symbole qui représente un établissement religieux, église ou couvent: il s'agit de l'église Saint Martin du Bollenberg. On retrouve le même signe pour l'église Saint Etienne de Suntheim et pour la chapelle Sainte Odile, à la sortie sud de Rouffach...
Aux premiers temps de la christianisation de l’Alsace, au VIème ou VIIème siècle, se trouvait effectivement sur le versant Est du Bollenberg une église dédiée à Saint Martin. Cette église, une église-mère (ecclésia matrix) était le sanctuaire commun pour les localités voisines de Rouffach, Soultzmatt, Gundolsheim, Pfaffenheim, Bergholtz, Orschwihr et Westhalten qui ne disposaient pas d’une église.
Bénéficiant de la protection des puissants comtes d’Eguisheim et de celle des évêques de Strasbourg, l’église du Bollenberg devint un centre de culte rural important. L’afflux des gens des alentours montés en procession depuis les villages environnants, les dimanches et jours de fête, suscita rapidement la venue de nombreux marchands et la place entourant l’église devint progressivement la place d’une foire importante : le couvent de Sainte-Croix y écoulait même une partie de ses produits
On retrouve d’autres églises-mères dans le sud de l’Alsace, le Sundgau, souvent sous le vocable de Saint Martin comme Saint-Martin-des-Champs l’église mère d’Oltingue et de 3 villages disparus…
Progressivement, au fur et à mesure que ces villages acquièrent leur propre église et forment leur propre paroisse, elles se détachent de l’église Saint-Martin qui n’est plus visitée qu’à l’occasion de processions occasionnelles.
Orschwihr sera la dernière communauté à fréquenter le lieu et à entretenir l’église, jusqu’en 1550 où le seigneur de Bollwiller dispensera définitivement les habitants d’Orschwihr et leurs descendants de l’obligation de fréquenter le culte au Bollenberg. Mais l’entretien de l’église et de la maison de l’ermite restait à la charge du village !
Vendue comme bien national en 1792, l’église Saint Martin du Bollenberg fut démolie en 1828, laissant place à une exploitation agricole et viticole elle-même disparue aujourd’hui…
Note: Contrairement à une idée répandue, l’actuelle chapelle Sainte Croix ne se trouve pas à l’emplacement de l’ancienne église Saint Martin…
3. Bibliographie
- l'auteur remercie Monsieur Antoine Meyer du domaine du Bollenberg qui lui a confié plusieurs documents qui lui ont permis de compléter et d'illustrer le présent article
- ses remerciements vont également à Monsieur Bernhard Metz qui lui a confié ses notes précieuses sur le Bollenberg
- Lucien Pfleger : Die Entstehung der elsässischen Pfarreien, 5 Mémoires insérés dans Archiv für Elsässische Kirchengeschichte de 1929 à 1934
- Fritz Kessler: Etudes sur l’Alsace: Le Bollenberg 1884
- Fritz Kessler: A propos des sépultures du Bollenberg 1895
- Fritz Kessler: Procès verbal de la découverte d'un sarcophage en pierre faite au Bollenberg, en novembre 1894
- Thiébaut WALTER: Orschweier Ein Beitrag zu Geschichte der Dorfschaften in dem ehemaligen Obermundat, von Théobald WALTERin Jahrbuch für Geschichte, Sprache und Litteratur Elsass- Lothringens, herausgegeben von dem Historisch-Litterarischen Zweigverein des Vogesen-Clubs XXII. Jahrgang Strassburg 1906
- Thiébaut Walter: Urkunden und Regesten der Stadt Rufach 1908
- Maxililian von Ring (Max. de Ring): Le Bollenberg in Revue d'Alsace 1861
4. L’église Saint Martin du BOLLENBERG par Theobald WALTER
traduction Gérard MICHEL.
Curieusement, l’église primitive, Leutkirche, d’Orschwihr ne se trouvait pas dans le village même, mais sur les hauteurs du Bollenberg, à une bonne heure de marche du village.
Nous ne savons rien des origines de ce lieu-saint. Ce qui est certain, c’est qu’en aval de cette église passait une ancienne voie romaine et que tout le versant ouest de la colline était autrefois couvert d’une colonie romaine, ainsi qu’en témoignent les monnaies qu’on y a trouvées ainsi que les vestiges de murs et des fragments de tuiles que l’on met à jour régulièrement.
Ainsi, l’église du Bollenberg s’établit sans doute sur un champ de ruines du 5-6 ème siècle, ainsi que le prouvent d’abord les nombreux sarcophages trouvés sur place et ensuite, sa désignation, qui n’était pas comme on le dit souvent, Sainte Apolline, mais bien Saint Martin, l’évêque de Tours.
Les anciennes églises de montagne n’étaient habituellement pas affectées à une seule localité, elles apparurent dans le pays dans les premières années de la chrétienté et servaient à toute une région comme lieu de culte commun. C’est là que se rendaient en masse les fidèles venant de près ou de loin, tous les dimanches et jours de fête pour y prier et s’acquitter de leur aumône. Rapidement des marchands et des colporteurs se joignirent à ces rencontres et proposaient toutes sortes de marchandises. C’est ainsi que s’installèrent progressivement, en relation avec l’église, des marchés réguliers. L’un deux est encore attesté autour de l’église du Bollenberg au 12ème siècle. Le couvent de Sainte-Croix y proposait ainsi régulièrement à la vente ses produits.
4.1. Les nobles de Bollwiller
A cette époque l’église et la colline appartenaient aux nobles de Bollwiller qui faisaient remonter leurs origines à un château légendaire qui se serait trouvé près de l’église. Henri de Bollwiller était en 1281 lui-même plébain à Alswiler et Nicolas de Bollwiller prétendait encore en 1555 que c’était sainte Apolline qui avait donné son nom à la fois à la colline et à la famille des Bollenberg. Quoi qu’il en soit, il est sûr que Bollwiller et Bollenberg étaient deux territoires qui ne cessèrent d’appartenir aux nobles de Bollwiller qu’à l’extinction de leur lignée.
Au fil des siècles les villages voisins qui s’étaient étendus s’éloignèrent progressivement de la vieille église mère, si bien qu’au 15ème siècle Orschwihr était la seule à lui être restée fidèle. Ce qui explique qu’Orschwihr considérait cette église, quoique située hors de son ban communal comme sa propriété. Rouffach, Soultzmatt, Westhalten, Gundolsheim et Pfaffenheim continuèrent cependant à s’y rendre tous les ans pour y montrer leur reconnaissance par des processions et des offrandes.
Cette situation particulière conduisit en 1502 à une violente querelle juridique avec la ville de Rouffach. Pour rétablir la paix l’évêque de Strasbourg tenta de régler le conflit en décrétant que l’église d’Orschwihr se trouvait dans le ban de Rouffach mais que les habitants d’Orschwihr pouvaient disposer des récoltes des arbres fruitiers qui s’y trouvaient et y faire paître leurs troupeaux…
Les troubles de la guerre des paysans n’ont pas seulement endommagé l’église isolée, mais ont également donné l’impulsion aux habitants d’Orschwihr pour abandonner leur église. Et comme, de surcroit, en 1529, Caspar de Mülheim, qui avait établi ses quartiers dans le village proche de Gundolsheim, faisait régner l’insécurité dans la région, les bourgeois d’Orschwihr trouvèrent le long chemin bien trop périlleux. Ils restèrent à l’intérieur de leur village protégé par ses haies et se rassemblaient dans l’ancienne chapelle du village, dédiée à saint Wolfgang. Mais Nicolas de Bollwiller, n’apprécia guère cette désertion brutale du sanctuaire du Bollenberg, qui avait appartenu de tout temps à sa famille et éleva une violente protestation. Ce n’est qu’après de longues négociations à Bâle et à Strasbourg qu’il se résolut à l’inévitable, et le 14 janvier 1550 on finit par arriver au contrat suivant: la communauté d’Orschwihr était relevée de ses obligations de fréquenter l’église, mais devait continuer à entretenir l’église ainsi que la maison du religieux qui y habitait et leurs dépendances.
Les offrandes devaient être employées au mieux pour l’église et des comptes annuels devaient être rendus aux seigneurs de Bollwiller. Le droit, « das Patronats Recht », des deux églises revenait à ceux de Bollwiller. Orschwihr dut payer aux nobles de Bollwiller pour les frais de procès, un dédommagement de 200 livres.
C’est ainsi qu’à partir de 1550 l’ancestrale mater ecclesia du Bollenberg devint une église de montagne orpheline et isolée… Uniquement deux fois par an les bourgeois d’Orschwihr s’y rendaient pour une prière commune à l’occasion de la fête patronale et le jour de la Trinité.
L’église restait, comme elle l’avait toujours été, sous la protection particulière d’un frère, un ermite qui avait à assurer les différentes tâches propres à l’église, et qui était désigné par les seigneurs de Bollwiller. Mais comme sa maison se trouvait sur le ban de Rouffach et que le frère se rendait coupable de fréquents délits de chasse et de forêt, un procès éclata en 1555 entre Nicolas de Bollwiller et la ville de Rouffach qui avait fait emprisonner le frère coupable de ces délits. Grâce à l’intercession du comte Philipp de Hanau-Lichtenberg, on finit par arriver à un accord le 15 juillet 1557 :
Sovil dan gemelter freyherren Clausner odter Bruedter, der jetzo in dem Bruedterhaus bey der Capellen auf Bollenberg wohne oder sye künftiglichen darin stzen undt ordtnen werdten betrüft, ist bethediget, das derselb in gemeltem Bruedterhaus und dessen Zugehörungen guth, wie das mit einem Heglin odter selbsgewachsenen Zaun umgeben, seinen freyen sitz forther wie bishar haben, auch demselben Bruedter jedter Zeidt zue Nothurft seiner Haushaltung Beholtzung an denen orthen, da es den burgern zu Ruffach auffgethon und erlaubt ist, ohne Mangel zuegelassen werdten solle. Es solle ouch ihme, dem Bruedther, unbenommen sein gelegener Zeit, auff bemeltem Bollenberg Weckholderbeeren zue schlagen.
4.2. Construction de l'église d'Orschwihr
[...] Sous le plébanat d'Andrea MACK 1574-1577, la communauté d'Orschwihr parvint enfin à ériger une église digne de ce nom qu’elle dédia à Saint Nicolas, sans doute en souvenir de Nicolas de Bollwiller. Rouffach fournit le bois nécessaire à la construction, abattu dans ses forêts. L’évêque quant à lui fournit les pierres provenant de ses carrières situées au-dessus du village au Statenberg Gut. Les frais de construction, qui s’élevaient à près de 2000 florins, restaient à la charge des bourgeois ! Ce qui explique l’exaspération de ces derniers lorsque Christof de Rheinfelden qui à aucun moment n’avait déboursé le moindre sou pour la construction, y fit inhumer en grande pompe ses parents…. Aujourd’hui il ne subsiste de cet édifice que son fier clocher à toit à bâtière et les dates de 1576 et 1577.
Des informations plus précises sur l’église du Bollenberg nous sont apportées en 1675. Le curé Nikolaus ROTHBLETZ raconte dans un rapport à l’évêque de Bâle que l’église du Bollenberg ne disposait plus d’aucun revenu. Le mercredi de la semaine des Rogations, Bittwoche, était le jour de la procession annuelle de tous les villages environnants et le devoir imposait à chaque fidèle de s’acquitter ce jour-là d’une offrande en argent qui devait servir à l’entretien de l’église. Mais cette offrande avait été cédée depuis un certain temps déjà au curé d’Oschwihr bona fide precario… Ce dernier avait demandé à être relevé de ses fonctions dans cette église abandonnée, où il n’y avait plus de service divin et qui menaçait de s’effondrer, mais cela lui fut refusé et Orschwihr dut continuer à assurer l’entretien de l’édifice.
4.3. La fin de l'église Saint Martin du Bollenberg
Les traditionnelles processions se poursuivirent, on en trouve encore une attestation en 1735 et ce n’est qu’au moment de la Révolution que l’église vit venir sa fin. Le 17 août 1792 elle fut vendue comme bien national et fut adjugée pour la somme de 175 livres à un certain Daniel BIPPERT, de Colmar. Trois autels et une petite clochette furent préservés de la vente. Quelques années plus tard la ruine et les biens attenants passèrent à une famille LIDY qui fit disparaître les dernières ruines branlantes et aménagea sur le lieu une parcelle de vignes.
Aujourd’hui encore leurs descendants (?) n’ont pas renoncé à rechercher le passage secret qui devait conduire jusqu’à Merxheim et les trésors immenses qu’un évêque aurait emporté avec lui dans sa tombe qu’il avait fait creuser sur la colline!
4.4. Sainte Appoline...
Mais qu’en est-il du culte à Sainte Apolline qui aurait, dit-on, donné son nom au Bollenberg ? Curieusement ce culte n’est attesté par aucun document d’archives, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas été célébré dans la vieille église du Bollenberg. Au moment de sa destruction, une image de Sainte Apolline qui s’y trouvait fut transférée à l’église des Franciscains de Rouffach, où, longtemps on la vénérait et la priait pour soigner les maux de dents !
Mais le nom Bollenberg est plus ancien que le culte des saints, on trouve l’appellation Bollenberg Kirche, Bollenkirche bien avant celle de Sankt Bollen Kirche. De plus, la tradition populaire n’a transmis aucun souvenir d’une procession en l’honneur de cette sainte. Par contre elle évoque celui de la fête de saint Fridolin qui conduisait une foule de pèlerins sur les hauteurs du Bollenberg, le 6 mars… Dans un courrier du 23 avril 1771, le curé STADEL écrit qu’il était tenu de célébrer une messe au Bollenberg le jour de la Saint Fridolin. La famille LIDY possède encore aujourd’hui, (en 1906 !) la vieille image votive du saint, une œuvre assez rustique de la Renaissance tardive, qu’elle conserve et vénère comme un « talisman ».
Thiébaut WALTER
in Jahrbuch für Geschichte, Sprache und Litteratur Elsass- Lothringens, herausgegeben von dem Historisch-Litterarischen Zweigverein des Vogesen-Clubs XXII. Jahrgang Strassburg 1906
5. En conclusion:
Et si l’église primitive de Rouffach avait été au Bollenberg ? La réponse est évidente : l’église Saint Martin du Bollenberg était bien l’église des premiers chrétiens de Rouffach.
Lorsque, devant les panneaux du retable du maître-autel de l’église Notre-Dame, les guides racontent comment le roi Dagobert a « offert » l’Obermundat à Saint Arbogast, le public s’étonne souvent de la munificence de cette donation : l'Obermundat, trois villes, Rouffach, Eguisheim et Soultz, leurs terres et leurs habitants !
Mais on oublie de dire que nous étions au milieu du 7ème siècle, que le territoire de Soultz n’intègrera le Haut Mundat qu’en 1015 et qu’Eguisheim ne sera rattachée au Haut Mundat qu’en 1225.
A quoi pouvait bien ressembler le Rubiaco de Dagobert, Sigisbert et saint Arbogast ? Sûrement pas à la ville représentée par Sébastian Munster, en 1548, avec ses remparts, ses tours et son imposant château Isenburg!
- une ancienne voie romaine, quelques fermes construites sur les vestiges de constructions anciennes, des maisons en terre crue avec une structure en bois, des couvertures en végétaux, une population active dans la culture et l’élevage.
- une demeure un peu plus riche que les autres, celle des rois d’Austrasie, sur les coteaux, là où poussera l'Isenburg
- et au beau milieu, sur une légère élévation au-dessus des terres humides, les vestiges d’une luxueuse villa romaine et peut-être les ruines d’un lieu de culte romain sur lesquelles s’élèvera, quelques siècles plus tard, une première église chrétienne…
- une petite colonie rurale, organisée autour de la demeure de quelques riches propriétaires, organisée pour se protéger et se défendre des attaques des meutes armées errant sur cette importante voie de passage, protégée par un puissant seigneur...
- des chrétiens qui se rassemblaient, à l’issue d’un long cheminement dans les collines, dans la petite église perchée sur un mamelon du Bollenberg, l’église Saint Martin. Et ils se retrouvaient là, pour une prière commune avec d’autres chrétiens, venus d’autres communautés des environs. Et là-haut aussi, on échangeait des denrées, des tissus, des produits de l’artisanat…
Vues de l'esprit? Voire...
Gérard MICHEL août 2018
à suivre...