stèle commémorative dans le chœur de l'église Notre-Dame de Rouffach, rappelant le massacre des religieux par les suédois le 15 février 1634
traduction du texte original de l'Urbaire, page 60 et suivantes:
En 1634, le roi de Suède, avec l’appui de quelques villes impériales, envahit et dévasta l’Alsace. Colmar, qui avait trahi l’empereur accueillit les troupes suédoises et la ville devint un vrai repaire de pillards.
Cette année 1634, le 15 février, les suédois arrivèrent aux portes de Rouffach et assiégèrent la ville. Les gens de Rouffach, avec quelques soldats impériaux se défendirent avec ardeur jusqu’au moment où la ville fut prise d’assaut par les suédois qui, pendant trois longues heures massacrèrent tous les hommes qu’ils rencontraient.
Les religieux se réfugièrent dans la sacristie de l’église paroissiale, les suédois forcèrent la porte à coups de hache, se saisirent des religieux qu’ils traînèrent jusqu’au Neuhaus où ils furent massacrés.
La ville fut mise à sac par les suédois et les rouffachois furent contraints de payer aux occupants une très forte rançon, si exorbitante qu’ils durent y engager tous leurs biens et toute leur fortune. Les notables qui avaient survécu au massacre furent menés à Colmar et jetés en prison où on ne cessait de les menacer de les pendre si la rançon exigée n’était pas payée dans son intégralité.
L’insécurité régna de nombreuses années, tout le temps que dura la présence des suédois dans le pays.
la famine s'installe dans le pays...
Tout était rare et hors de prix et la famine s’installa. La ville était sans cesse la proie des pillards et les braves gens étaient obligés de descendre jusqu’à Bâle pour y chercher quelque nourriture, risquant leur vie en permanence sur les routes qu’ils prenaient la nuit, circulant sous le couvert des forêts, sachant que s’ils étaient pris ils seraient torturés et massacrés.
Pendant de nombreuses années la terre qui s’étendait entre Rouffach et Bâle resta en friche, beaucoup d’habitants de Rouffach ne se nourrissaient plus que de farines de glands de chênes et beaucoup moururent de faim.
En ces temps-là, une grande affliction s’était abattue sur notre ville.
la population en est réduite à manger des cadavres...
Et maintenant, JE voudrais rendre compte d’un événement qui s’est déroulé en 1636, pendant la guerre avec les suédois.
Valentin ENGELIN, bourgeois de Rouffach et fossoyeur, dit, sous serment, que le précédent dimanche, il y a de cela huit jours, la fille du défunt Hans EBSTEIN était venu vers lui et lui a dit qu’elle venait de Colmar où elle avait attendu pendant plusieurs jours à guetter si le bourreau ne transportait pas un cheval mort dont elle aurait pu acquérir quelques morceaux. Mais elle a attendu en vain et elle est revenue à Rouffach, poussée par la faim et à cause du grand froid.
Et si elle était venue le voir, lui, le fossoyeur, c’était pour le supplier de lui laisser emporter un cadavre d’une personne décédée et qu’il n’avait pas encore enterrée : elle disait, sans honte et sans le moindre dégoût qu’elle en mangerait pour calmer sa grande faim.
Le fossoyeur a ajouté que, il y peu de temps de cela, un jeune homme et deux femmes du voisinage étaient venus le voir à l’hôpital, lui disant qu’ils avaient quémandé en vain un peu de nourriture à travers toute la ville. Et ils lui ont demandé s’il ne pouvait pas leur donner un cadavre d’un homme jeune, ajoutant que cela faisait quelque temps qu’ils se nourrissaient de chair humaine, sans la moindre répugnance, car ils savaient que c’était la seule solution pour ne pas mourir de faim.
Lui, le forgeron, s’est alors rendu au cimetière, à la chapelle Saint Nicolas, dans laquelle étaient entreposés les corps et dans laquelle se trouvaient justement un grand nombre de cadavres qui devaient être enterrés plus tard dans une fosse.
Il posa un cadenas à la porte de la chapelle Saint Nicolas, de peur que l’on ne cherche à voler des corps en forçant la serrure !
Wilhelm WAGNER, Mathieu JUNGERMAN, tous deux du Magistrat, ainsi que Rudolph HOPPF et Conrad EBELMAN, tous deux chefs de tribu, ont témoigné que le vendredi de la semaine précédente, Hans Ulrich VOGELMAN, prévôt d’Orschwihr s’était rendu auprès d’eux avec un prisonnier qui avait, poussé par la faim, assassiné un homme avec une hachette (ein Sessel...). Il leur rapporta encore bien des histoires pitoyables, en particulier celle d’une jeune servante d’environ onze ans qui était morte et n’avait pas encore été enterrée et que 4 autres jeunes servantes avaient découpée en pièces et mangée…
Et une autre histoire, celle de Diebolt KUOLLMANN, père d’un jeune enfant dont il est dit qu’il était bien dodu (ein hübsch feistes Kindt…) On avait menacé de le tuer si on le prenait pour le manger : l’enfant fut mis à l’abri…
Tout ceci a été dit et consigné par écrit au cours de la session du Magistrat du 13 mars 1636, et pour certifier qu’il s’agissait de faits authentiques on apposa le sceau de la ville à la fin du procès-verbal.
Tout cela explique qu’avec toutes les souffrances et privations qu’a endurées notre bonne ville de Rouffach, très peu de bourgeois ont survécu, la plupart étaient morts, vaincus par la terreur, la faim et le chagrin…
Les misères de la Guerre Jacques CALLOT (1592 - 1635)
texte original en allemand
1634: Die Stadt Ruffach durch die Schweden mit stürmenden Hand erobert. (page 60)
Anno 1634 füelle der König in Schwedten mit
Hülff etlicher Reichstädt in das Elsas und
verderbte das Elsas herdtiglich, dan die Stadt Collmar
wurdte Untrew an dem Keysser undt lüeffen die
schwedische Völckher in die Stadt, waraus die Stadt
Collmar zue einem rechten schwedtischen Raubnest
worden ist. Im gemelten 1634 Jahr, den 15. februar, zugen die
Schwedten für die Stadt Ruffach, belägerten dieselbe händtiglich,
die ruffacher mit etlichen wenigen keÿsserlichen
Völckhern wehrten sich manlich, bis endtlich
die Schwedten die Stadt mit stürmendter Handt er//
oberdt und brachten drey Stundt lang in der Stadt
umbs Leben was sye für Mansvolckh antraffen.
Die Geistliche retrierten sich in die Pfarrkürch in das
Sacrystey, die Thür wurdte durch die schwedische
Soldaten auffgehawen, die geistliche auff das Newhaus
geschleppt und jämmerlich ermordet. Das Plündten
in der aber wurdte unauffhörlich undt wurdte die
Stadt Ruffach von den Schwedten mechtig verhergt und
verderbt, die ruffacher muessten auch den Schwedten
unerhördte grosse Brandtschatzung bezahlen, dass sye
alles Ihr Vermegen müessten daran setzen, die
vornembste Burger so noch überblieben wurdten nacher
Collmar in Arrest gefüehrt und traute man Ihnen
alle Zeidt mit dem Henckhen bis die Brandtschatzung
völlig bezahlt ware, die Vervolgung von den Schwedten
wehrte undterschidtliche Jahr und ist niemand lange
Jahr sein Leib und Leben sicher gewessen, das Velt
bleibte undterschiedtliche Jahr ungebawen, welches eine
grosse Theüre undt Hungers Noth verursachte, die Stadt
wurdte von denen Partheyen gar öffters ausgeplündert
die guete Leüth muesten Ihr Nahrung von Basel
hinudter hollen undt waren doch nicht sicher dabey
dan sye muesten sich gewöhnlich wegen Unsicherheit nur
zue Nacht auff den Weg begeben, und also durch die
Wälder reyssen, dan wan jemandt durch die schwedtische
Soldaten ertapet wurdte, so wurdten sye jämmerlich
gemartert. Von Ruffach bis gehen Basel wurdten lange
Jahr das Velt nicht gebawen, vil Leüth zue Ruffach
ernerten sich mit Eüchlen Mell, auch vil Leüth sturben
Hungers, damahl in diesen Jahren ist ein grosse Trüebsall
in der Stadt Ruffach gewessen.
1636: la population de Rouffach réduite à manger des cadavres
Und will Ich hier nun etwas melten, so sich zue
Ruffach in Anno 1636 undter wehrendten schwedtischen
Krüeg zuegetragen.
Vallendtin ENGELLIN, Burger und Todtengräber zue
Ruffach sagt, bey seinem Eydt, das vergangenen Sondtag
acht Tag zue Ihme komen seye Hans EBSTEINs seel: Tochter
und Ihne, den Todtengräber, mit sondteren Fleiss mit
disen Wordten angeredt, sye were von Collmar kommen,
und hette daselbst etliche Tag auff gewarth ob nicht der
Schindter daselbst todtes Rossfleisch aus fiehren thedte
damit sye etwas davon haben köndte, aber vergebens
gewarthet und seye wegen grosser Kälte und Hungers
halben widter auff Ruffach khommen, umb Ihnen, Todten//
gräber insonderheit zuebüetten ob nicht noch vielleicht
ein junger todter unbegrabener Leichnamb vorhandten
were, den soll er ihren zue khommen lassen, den wollte sye
ohne einigen Schew den grossen Hunger zue büessen, mit
…/…
Lust essen, weidters bezeigt gedachter Todtengräber
dass unlengst ein Jung und zwey Weiber aus der
nachbarschaft zue Ihme in den Spithal khomen und
gesagt dass sye in der Stadt herumb Allmüessen ge//
heischen haben aber nichts bekomen, derowegen Ihnen
gebetten or er kein jungen todten menschen habe, den
soll er ihnen zueckhommen lassen und gesagt sye hetten
sich schon lange Zeidt mit Menschenfleisch gesättiget, dan
sye wuesten wohl dass sye mehrentheil von Hunger
sturben, dahero sye solces ohn einigen Widterwüllen
wohl essen kundten; darauf seye Er, Todtengräber,
auff den Kyrchhoff zue Sanct Claus Kapellen gangen
darin er jedterzeidt die Todten beysammen behalten
bis ein gueth Theil bey einander wahre, umb in eine
Grueben zuegraben undt habe ein Mallschloss an
Sanct Claus Kapell gelegt umb Forcht sye mechten die
Todten mit Gewalt hollen.
Wilhelm WAGNER, Martin JUNGERMAN, beydte des Raths,
Ruedolff HOPPF undt Cuenradt EBELMAN, beydte Zunfft:
Meister, bestädigten bey ihrem Pflichten, dass vergang//
nen Freytag, Hans Ulrich VOGELMAN, Schultheiss von
Orschweyer zue Ihnen auff Ruffach khomen seye
undt hab einen Gefangenen mit sich bracht welcher Hungers
halber einer mit dem Sessel zue Todt geschlagen habe
undt darneben noch vil andere erbärmliche Sachen an//
gezeigt, namblich dass ein Mägtlen ungefehr von elff
Jahren alt gestorben und noch unbegraben bliben, welches
vier andtere Mägten zue Stuckh zerbawen undt dasselbe
geessen. Diebolt KUOLLMAN habe ein hübsch feistes
Kindt, dem hedten sye getrawt wo sye es bekomen kendten
…/…
wollten sye es auch tödten undt essen, darauff hette man
das Kindt hinweg gethan. Dises ist den 13. Martii
1636 beschriben undt durch einen ehrsamen Rath auff
gezeichnet wordten, auch ist solches an weiter Orth bericht
wordten, zue de Wahrheit mit dem Stadt Insigell be//
sigelt undt ist solches auch in der Franckhfurdeter Relation
vom gemeltem 1636. Jahr im Truckh ausgangen.
Woraus dan genugsamb erhelledt was in diesem schwedtischen
Krüeg die guedte Stadt Ruffach für Trangs allen
Kummer undt Noth erlüdten habe, das also gar wenig
Burgers Leüt überblieben, sondtern mehrentheil
Forcht, Hunger und Kummers halben gestorben.