Dalle exposée dans l’église Saint-Georges de Molsheim commémorant l’élection de Guillaume de Diest en 1394. (image Wikipédia)
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Guillaume de Diest, un épiscopat de 45 ans, le plus long de toute l’histoire du siège de Strasbourg.
Guillaume de Diest (1394-1439), un personnage dont l’épiscopat de 45 ans, le plus long de toute l'histoire du siège de Strasbourg, sera un scandale quasi permanent...
Pendant ces 45 ans, il n’a cessé de vivre à crédit et d’aggraver l’endettement de son évêché déjà au bord de la ruine lorsqu’il en prit la charge en 1394. Il succède à Frédéric II de Blankenheim qui avait négocié en secret, mais avec l’assentiment du pape, un échange avec Guillaume de Diest, alors évêque d’Utrecht. Frédéric de Blankenheim, pour échapper à ses nombreux créanciers, se serait enfui de son évêché, de nuit, le 30 juillet 1393, pour s’embarquer sur le Rhin en direction de Nimègue dans son nouveau diocèse !
Pour lui succéder, le chapitre de Strasbourg avait élu en septembre Louis von Thierstein, abbé d’Einsiedeln. Mais celui-ci mourut subitement en chemin vers Strasbourg et le chapitre élut aussitôt comme successeur Burkard von Lützelstein, prévôt du chapitre de Strasbourg. Mais Guillaume de Diest, lui, avait été confirmé au siège épiscopal de Strasbourg par le pape ! La ville de Strasbourg prend le parti de Guillaume et finance sa guerre contre Burkhard. Ce dernier finit par renoncer à l’évêché contre une indemnité substantielle de 20.000 florins et la jouissance viagère de l’Obermundat. Burckard, marié puis remarié, conservera l’Obermundat jusqu’à sa mort de la peste en septembre 1418. Il sera enterré dans le chœur de l’église de Lützelstein, La Petite Pierre.
Guillaume de Diest, par suite de sa politique dépensière, est accablé de dettes qu’il ne peut rembourser. Il n’a d’autre choix que de mettre en gage les biens du diocèse. Des biens de nature variée, allant de l’office auquel sont attachés de substantiels revenus, à une seigneurie tout entière comme l’Obermundat en 1430, en passant par châteaux, villes ou villages, gagés à de puissants et riches seigneurs laïcs, à la Ville de Strasbourg ou au Grand Chapitre de la cathédrale …
Ce ne sera ni la première ni la dernière fois que l’Obermundat changera de possesseur tout en gardant le même propriétaire : cette seigneurie épiscopale est, rappelons-le, un fief concédé par son propriétaire, l’empereur du Saint empire romain germanique, à l’évêché de Strasbourg représenté par son évêque. En termes d’aujourd’hui, l’évêque en est le possesseur, il n’en est pas le propriétaire et ne peut par conséquent pas le vendre. Par contre, il peut mettre sa seigneurie en gage pour s’assurer du paiement d’une dette et à ce moment, il en perd la jouissance qui revient à son créancier, jusqu’à l’extinction de la dette. Alors que, dans le cas d’une hypothèque, le propriétaire conserve la possession et la jouissance du bien hypothéqué.
En 1430, le lundi qui suit la Sainte Marguerite, une lettre de Guillaume, évêque de Strasbourg, informe le bailli de Rouffach Dietrich de Rathsamhausen zum Stein, les prévôts, membres des Conseils, jurés et des villes de Rouffach, Soultz et Eguisheim et leurs dépendances, qu’il a donné en gage aux Doyen et chapitre du Grand chapitre cathédral, son Mundat Supérieur, les trois villes, les villages et vallées, avec tous les droits et appartenances ... et leurs habitants ! En conséquence de quoi, il les déliait du serment de fidélité et de loyauté qu’ils lui avaient prêté.
Un autre document, sur parchemin, daté du même jour, leur ordonne de jurer humilité, fidélité, soumission et obéissance aux seigneurs dudit grand chapitre, doyen et chanoines, leurs nouveaux maîtres.
Je vous propose une traduction de ces deux documents conservés aux archives municipales de Rouffach. Le premier est une copie contemporaine sur papier de l’original qui n’a pas été conservé, le second est un parchemin original dont le sceau a disparu.
Le lecteur trouvera en fin de cet article, la transcription des deux documents.
1. Archives municipales de Rouffach A.M.R. A / AA 8
Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu évêque de Strasbourg, transmettons à Dietrich de Ratsamhausen zum Stein, notre bailli à Rouffach, aux prévôts, membres des Conseils, jurés et à la communauté des villes de Rouffach, Soultz, Eguisheim, des vallées et villages du Haut Mundat, notre salut et toutes nos bonnes grâces, chers et fidèles sujets.
Nous vous faisons savoir que nous avons donné et remis à nos nobles et dignes bien-aimés Doyen et Chapitre de notre grand chapitre de Strasbourg, notre Mundat supérieur, avec les villes, les vallées et les villages, et avec tous les droits et appartenances, selon le contenu et le sens des lettres patentes à ce sujet.
En conséquence, nous vous ordonnons, enjoignons et recommandons, en vertu de la fidélité, de la loyauté et des serments que vous nous devez et que vous avez prêtés, de faire savoir auxdits Doyen et chanoines de notre grand chapitre, et aux seigneurs dudit chapitre que vous leur serez humbles, fidèles, soumis et obéissants, selon le contenu des lettres qui seront lues, comme vos ancêtres et vos maisons l'ont toujours été.
Telle est notre volonté et, en conséquence, nous vous déclarons, vous, Dietrich bailli de l’Obermundat, prévôts, membres des conseils, jurés et la communauté des vallées et villages du Mundat supérieur, libres et déliés par cette lettre, du serment, de la foi et de l'hommage que vous nous avez prêtés et auxquels vous êtes tenus.
En témoignage de quoi, nous avons fait apposer notre grand sceau à cette lettre, donnée ce lundi suivant le jour de Sainte Marguerite, Vierge sainte, l'an de la naissance du Christ mille quatre cent trente.
2. Archives municipales de Rouffach A.M.R. A / AA 8 (Parchemins)
Nous, Heinrich, seigneur de Hewen, doyen et le Grand chapitre de Strasbourg, présentons à Dietrich von Ratsamhausen von Stein, bailli de Rouffach, au prévôt, conseillers, jurés et toute la communauté des villes de Rouffach, Soultz, Eguisheim et des lieux-dits et villages du Haut-Mundat, nos salutations.
Comme le très vénérable Guillaume, évêque de Strasbourg, notre gracieux et cher seigneur, vous a donné et remis en gage, et vous a enjoint, par sa lettre patente scellée, de nous rendre hommage, foi et serment, conformément à ce qui est contenu et exposé dans les lettres à ce sujet, et qui vous seront lues, Nous, au nom du chapitre, vous demandons de nous prêter l'hommage, la foi et le serment d'être envers nous fidèles, liés et obéissants, comme vous l'avez été envers notre susdit seigneur de Strasbourg et ses prédécesseurs...
Nous avons donné à notre susdit doyen plein pouvoir et autorité pour recevoir de vous de tels hommages, foi et serments [...]
... nous en donnons l'acte scellé sous le sceau de notre chapitre, suspendu à cette lettre. Donné le lundi après le jour de Sainte-Marguerite, l'an de grâce mille quatre cent trente.
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Cette translation du pouvoir allait-elle changer le quotidien des gens de Rouffach et alléger les impositions et taxes qui les accablaient ? Les dettes accumulées par les ambitions démesurées et la gestion désastreuse des évêques successifs, seigneurs terriens et hommes de guerre plus que prélats, retombaient immanquablement sur le peuple ...
Administrateurs laïcs…
Aujourd’hui, l’évêque est considéré par l’Église catholique comme successeur des apôtres, et à ce titre, il est Docteur de la foi, chargé de l’enseigner et de la transmettre avec fidélité. Frédéric de Blankenheim et son successeur Guillaume de Diest étaient bien loin d’incarner cet idéal et d’assurer cette mission et on cherchera en vain chez eux l’esprit religieux et le zèle pastoral… Lorsque Guillaume fut élu au siège épiscopal de Strasbourg il n’était pas prêtre : il se fera conférer la prêtrise en 1417 et ne sera sacré évêque qu’en 1420, 27 ans après avoir été nommé. Plusieurs de ces évêques ne seront jamais prêtres et seront administrateurs laïcs de leur diocèse, et en percevront les revenus et bénéfices, la charge du diocèse étant portée, en réalité, souvent par le doyen du Grand-Chapitre.
Népotisme…
Le siège épiscopal, témoignage de faveur, d’amitié ou récompense de services rendus n’était alors qu’une étape d’une « carrière » sur le chemin de sièges plus prestigieux ou plus riches… Conférer la fonction d’évêque est une façon d’honorer les fils cadets des grandes familles royales ou nobles ou de récompenser des proches en favorisant l’ascension des membres de la famille. On a oublié aujourd’hui que le mot népotisme, qu’on utilise aujourd’hui dans le sens de favoritisme ou copinage, fait en réalité référence au favoritisme accordé par les papes ou autres supérieurs ecclésiastiques à leurs « neveux », qui étaient souvent leurs propres fils, en leur cédant de prestigieux titres ecclésiastiques.
Les temps ont changé mais les habitudes sont restées, passant des papes et des cardinaux à la vie économique et politique : emplois fictifs et rémunérations exorbitantes, avantages divers et variés, les accusations de népotisme ne cessent de faire l’actualité…
Gérard Michel
1. A.M.R. A / AA 8
Wir Wilhelm von Gottes gnaden Bischoff zu Straßburg
empieten Dietrich von Ratzenhausen von Steüne, unserem Vogten zu Ru-
-fach, den Schultheißen, Räthen, geschwornen und den gemeindten ge-
-meinlich, der Stätt Ruffach, Sultz, Egisheimb und der Thäller
und dörffer in der Obern Mundath unsers gruß und alles
guets, liebe getreuwen, wir kunden auch zu wissen, dass wir den
edlen würdigen unsern lieben andächtigen dechant und Capitel unsern
hohen Stiffte zu Straßburg, unsern obern Mundat, mit den Stätten,
Thälern und dörffern, und mit allen gehörungen, ingeben und ver-
-sezet handt, noch usswisung sage und inhalt, solches brieff da-
-rüber lautende, so heissen, gebieten und empfehlen wir auch,
beÿ den hulden, trewen und eÿgen so uns verbunden seündt und gethon
handt, dass Ihr den ehegenanten dechant und Capitel unser hohen Stifft
und solchen Herren von denselben hohen Thumb so sie dann von ge-
meines Capitels vogte zu Rufach runkh also nach bekhomme mit Iren
offnen brieff senden werden, hultendt, geloben und schwerent gewartig
gebunden und gehorsamn zu sein, noch uss wisung der brieff, so man
auch vorlesen würdt, in der mossen Ir hus und husern vorfaren
gebunden gewesen seündt, dass ist unser gantze meinung und he-
rauf so sagen wir dich Dietrich den vogt, darnach auch die Schult-
heißen, geschworne und gemeindte, der obgemelte Stätte, Theller,
und dörffer in der obern Mondat, solch glaub, trew und Eÿdte, so
Ihr uns getan handt, und schuldig seündt, thuen ledig und lohß mit
disem brieff, deß zu Urkhundt, so haben wir unser groß Insigel
thuen henckhen an disen brieff, geben uf Montag nach St: Margarethen
tag der heiligen Jungfrauen, des Jars alß man zalt nach Christi
geburt daußent vierhundert und dreÿsig Jahr ./.
2. A.M.R. A / AA 8
Wir, Heinrich herre von hewen / dechan und das Cappittel gemeinlich der hohen Stiffte zu Straßburg, enbut dietherich von Ratzenhusen vom
Steyne vogt zu Rufach, den Schultheißen, Reten, geschwornen und der gantzen gemeinde der stette Rufach, Sultze, Egesheim und den Thelre und dorffere
in der Obern Montdat unsern Gruß / als uns der hochwürdige fürste in gott vatter und herre herrn Wilhelm Bischoff zu Strossburg , unser gnedig
lieber herre / uch in pfandes wise ingeben und versetzet hat und uch in sinem offenen versigelten Brieve heisset enpfilhet und gebutet uns huldunge
glubde und eyde ze tunde, noch .e und das die brieve dar über lutende und inen uch vor lesende wurt eigentlich inhaltent und usswisent von
unss gemeinen Cappittels wegen, und begern von uch, das ir den hulden globen und schwerent uns gewartig gebunden und gehorsam ze sinde
in der mossen ir unserm obgenanten herren von Strossburg und sinen vorfarn gewesen sint und die brieve daruber sagende uss wisent dan wir ouch
der obgenanten dechan des vollemacht und gewalt geben hant solliche glubde und eyde von uch ze nemende und söllen wir uch ut tun / das sol er
von unsern werten ouch tun, dann er das ouch volle macht und enpfelhemss von uns hat, die wir ime auch geben haben, und geben in Crafft disz
brieffs urkunde versigelt under unsers gemeynen Cappittels Ingesigel gehencket an disen brieff/ geben uff mentagg noch Sant Margreden tag
da nach gottz geburt warent viertzehen hundert und dryssig Jahre.
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Sources et bibliographie sommaire:
Francis Rapp (1986): Guillaume de Diest dans N.D.B.A.(Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne)
Dhia, (Dictionnaire historique des institutions d'Alsace) sous l'entrée excommunication
Biographie de Guillaume de Diest: https://www.deutsche-biographie.de
Neugartheim-Ittlenheim Histoire et patrimoine: https://www.neugartheim-ittlenheim.fr/histoire-et-patrimoine
B&S Encyclopédie: https://www.encyclopedie.bseditions.fr