Au numéro 23 de la rue Callinet, on peut admirer un bas-relief de belle facture joliment mis en valeur au dessus de la porte cochère. Il nous présente un pape d’allure débonnaire veillant sous sa tiare à la quiétude de la petite cité de Rouffach bien à l’abri derrière ses remparts. On y reconnaît plusieurs bâtiments caractéristiques : au centre de la composition se trouve Notre-Dame avec sa tour-clocher octogonale et l’ancienne flèche Sud, aujourd’hui disparue. À sa droite, des clochetons localisent le prieuré de Saint Valentin et la chapelle de l’hôpital Saint Jacques tandis qu’à gauche celui des Récollets culmine au-dessus du chevet de l’église Sainte Catherine. Le fond du décor est un entrelacs de vignes chargées de grappes en abondance, suggérant que ce personnage représente Saint Urbain, le patron des vignerons et pour qui en douterait, quelques tonneaux sont présentés au premier plan en attente d’une récolte prometteuse ! Mais en-dessous, se trouve une inscription (URBANUS-VIII. R.P.) qui pose un sérieux problème, puisque ce pape Urbain VIII n’a jamais été canonisé et ne peut donc se prévaloir du titre de saint !
La révolte du Bundschuh en Alsace
La guerre des rustauds (habitants des campagnes, sans le sens péjoratif qu’on connait à ce mot aujourd’hui) a été une traînée de poudre qui s’est répandue en peu de temps depuis l’Allemagne du sud-ouest pour gagner une grande partie de l’Empire dont l’Alsace. La population des campagnes (die Puren, les paysans) s’était soulevée en Haufen ou Huffen (bandes armées) pour contester la hiérarchie ecclésiastique et formuler des revendications contre les propriétaires fonciers, la noblesse, les chevaliers dans leurs châteaux, les religieux des couvents, etc.
Parmi ces doléances, la disparition (ou l’allègement) des droits et privilèges, survivance de la féodalité, l'abolition du servage, le droit de pêche et de chasse, l'abolition de nombreux impôts féodaux et l’assurance d'être traités avec justice par les tribunaux seigneuriaux et ecclésiastiques … Des revendications légitimes, mais il manquait à la tête des insurgés des chefs et un commandement capables d’assurer la coordination de cette multitude de Haufen. Lorsque le mouvement déborda sur les terres alsaciennes du Duc de Lorraine, entraînant l'intervention militaire brutale de ce dernier, une vague sanglante déferla sur toute l’Alsace : vingt mille tués pour Saverne, Lupstein et Neuwiller, quatre mille au moins pour une troupe de 15 à 20000 insurgés à Scherwiller… A Lupstein, près de Saverne, on poussa les derniers insurgés armés dans l’église, on l’entoura de bois auquel on mit le feu, brûlant l’église et ses occupants…
Cette révolte de 1525 et son rêve d’un changement modéré ou radical de la société se solda malgré son ampleur par un échec, comme d’autres précédentes, notamment la conjuration du Bundschuh en Alsace de 1493 (le combat des chaussures à lacets des paysans contre les bottes des nobles) … d‘autres suivront pour exprimer le « ras-le-bol fiscal » des petites gens...
1514 : dans la semaine précédant la saint Laurent éclata une émeute opposant la population de Rouffach et des alentours d’une part, aux Bailli, Schultheiß et conseillers du Magistrat, d’autre part. Le bailli et ses gens durent se réfugier à l’abri des murailles du château et se défendre : la bourgeoisie de Rouffach avait pris les armes et assiégé Isenbourg, en bonne et due forme ! L’affaire aurait éclaté à cause du Schultheiß, prévôt de la ville : celui-ci aurait repéré en ville une jeune et jolie bourgeoise, qu’il avait voulu séduire et soumettre à sa volonté… Mais comme elle se refusait à lui, il se serait vengé en cherchant à causer du tort à l’époux de la belle…
Image extraite du Hausbuch der Nürnberger Zwölfbrüderstiftung 1433
Le vieux Bartle Strell est décédé après quarante-quatre ans de bons et loyaux services rendus à la Ville de Rouffach. Il avait été Thurnbleser pendant 44 ans : Thurnbleser c'est à dire littéralement sonneur de trompe au sommet d'une tour de guet. Nous écririons aujourd’hui Turmbläser, Türmer ou Turmwächter. Rappelons que Turn désigne la tour (et s'écrit Turm aujourd’hui) ,mais signifie également prison (généralement aménagées dans une tour.) Quoique essentielle dans la protection de la cité, la profession est peu prisée et même entachée d’indignité jusqu’au seizième siècle.
En parcourant les protocoles du magistrat, il est assez fréquent de rencontrer des mentions relatives au sonneur de la Ville et à des salaires versés à des Trometer ou Trompeter, trompettes ou sonneurs de trompes. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé jusqu’à présent de Règlement précis au sujet de l’emploi de sonneur et ce que nous savons de cette charge reste très fragmentaire.
Première page du registre des délibérations du Magistrat année 1613
Dans l’administration de la ville de Rouffach les jours séparant Noël de l'Epiphanie sont un temps particulièrement important : au cours de ces douze jours, une partie des élus du Magistrat démissionne chaque année de leur fonction de conseiller et de juré ainsi que des offices qu’ils exerçaient. Sur les quinze membres élus du Conseil, seuls cinq d’entre eux sont maintenus dans leur poste, ceux qui exercent les charges les plus importantes, celles touchant aux finances de la Ville, dans lesquelles il importe d’assurer la continuité : économe de l’hôpital, de la léproserie, de l’église, receveur de la taille et receveur de l’Umgelt, la taxe sur le vin.
Une fois les nouveaux conseillers réélus et les charges redistribuées, le conseil au grand complet prête serment au cours d’une cérémonie importante, celle du jour du serment, le Schwörtag. Habituellement seuls deux, rarement trois, ne sont pas renommés, remplacés par un membre proche de la famille qui leur cédera son poste dès l’année suivante…
Cette année-là à Rouffach, en 1612, ces festivités sont honorées par la présence du seigneur de l’Obermundat, Léopold, évêque de Strasbourg accompagné d’une partie de sa cour et d’Herman Adolphe, comte de Salm, grand bailli, qui sont arrivés à Rouffach la veille de Noël (am heiligen Weÿnach Aubend). Le douzième jour (am Obent des XII.ten Tags), veille des trois Rois, ils présideront à l’hôtel de ville les cérémonies de la résignation et de l’investiture des nouveaux conseillers du Magistrat et à la prestation des serments. (voir la page Obermundat )
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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