Pour suivre la mode ? Si l’on considère la multitude de publications, émissions de radio et de télévision qui lui sont consacrés, le sujet semble effectivement être porteur.
Mais est-il bien utile de rappeler ces moments sombres de notre histoire, au cours desquels furent livrés aux flammes d’un bûcher, après l’angoisse du cachot et l’horreur de la torture, des centaines de femmes, d’hommes, et d’enfants ?
Oui, pour tirer de l’oubli ces malheureuses victimes, pour empêcher qu’elles ne deviennent les vedettes du folklore de fêtes prétendument médiévales … et rétablir la vérité en revenant aux sources, débarrasser les discours que l’on tient sur le sujet, du fatras que l’on a inventé pour en rendre les histoires plus croustillantes… car quand on ne sait pas, on invente, pour faire rire ou frissonner le lecteur ou l’auditoire…
Je propose dans cet article deux Urgichten, aveux recueillis à l’issue de leur interrogatoire, de deux femmes: la première, Margreth Sontag, exécutée en 1624 et la seconde, Agnès Spon, exécutée en 1627. Des aveux spontanés (guetlich), croisés avec des aveux suggérés (peinlich), pour se libérer enfin, quel qu’en soit le prix à payer, de l’horreur du cachot et des souffrances insoutenables de la torture…
Le lecteur pourra juger, en conscience, si les crimes avoués par ces malheureux, après de longues heures d’interrogatoire et de tourments infligés par le bourreau, méritaient une fin dans l’horreur d’un bûcher…
Registre des recettes et dépenses du Burgermeister 1574, couverture en parchemin d'un antiphonaire ancien
La lecture attentive d’austères registres de comptes s’avère toujours riche de surprises et d’enseignements sur le quotidien de nos ancêtres. Sur un chantier de fouilles, les archéologues découvrent rarement l’objet qui fera le buzz médiatique : la découverte de tessons de poteries, fibules, peignes, aiguilles en os ou grattoirs suffisent à leur bonheur, mais ils savent que ces modestes trouvailles seront déterminantes pour une meilleure connaissance de la société de leur époque.
Celui qui fouille dans les fonds anciens des archives ne s’attend pas à chaque fois, lui non plus, à une pêche miraculeuse. Mais peut-être, au terme d’heures passées à déchiffrer les pages jaunies d’une charte médiévale, d’un livre censier, d’un obituaire ou d’un registre de comptes, découvrira-t-il lui aussi un indice qui apportera un éclairage nouveau sur la période qu’il étudie…Les archives n’ont pas encore livré tous leurs secrets et pour la connaissance de l’histoire elles sont un passage incontournable…
Dans ses articles et ses ouvrages, l’historien rouffachois Thiébaut Walter fait référence aux sources qui ont guidé sa recherche : parmi celles-ci Materne Berler et sa célèbre chronique, Jean-Simon Muller et l’Urbaire de la Ville de Rouffach et Appolinaire Freyburger, auteur des deux tomes de Documenta collecta ad usum Ecclesiae Ruebeaquencis, resté à l’état de manuscrit et rédigé à partir de 1845. Walter cite souvent cet ouvrage qui était alors conservé aux archives paroissiales de Rouffach et que l’on pensait disparu depuis.
Il a été retrouvé, et les deux tomes, rédigés dans une très belle écriture manuscrite, sont parfaitement conservés.
Dans son avant-propos, l’auteur précise qu'il avait commencé cet ouvrage en 1845.
« … chargé de l’administration d’une paroisse considérable et peut-être dernier témoin dans cette paroisse d’une génération de prêtres qui allait s’éteindre et dont il ne resterait plus que quelques débris, j’avais un double devoir à remplir : étudier la paroisse que je devais diriger temporairement et recueillir l’héritage des traditions des mains défaillantes qui allaient les laisser échapper. Ce fut là mon occupation de tous les jours, ce fut encore celle de mes veilles. Et mes recherches ne furent pas stériles. »
Strasbourg le 5 février 1897
Freyburger, doyen du chapitre de la cathédrale
L’ouvrage de Freyburger est donc essentiellement, comme l’indique son titre, une collection de textes, chartes anciennes, correspondances diverses, notes éparses… concernant l’histoire du diocèse de Bâle, de l’église et de la paroisse Notre-Dame, mais également celle des Récollets, de Saint Valentin, de la léproserie, ainsi que des notes précieuses sur les nombreuses chapellenies, les autels, les chapitres ruraux…
Autant de documents qui intéressent au plus haut point les chercheurs… avec, en plus, quelques passages de chronique sur la « petite histoire » de la paroisse, dont le lecteur trouvera un exemple ci-après :
Dans l’article intitulé Soirées chaudes à Rouffach, publié le 23 juin 2021, je m’interrogeais sur ce que pouvait bien être la tradition de l’abent tannz, littéralement danse du soir, qu’une décision du conseil de novembre 1549, le mardi qui précède la fête de Saint Othmar, interdisait sous peine d’une punition exemplaire. J’ai retrouvé dans le même registre, quelques pages plus loin, une autre occurrence de cette expression.
A la taverne Adriaen Brouwer (1605 - 1638) Alte Pinakothek Munich
La culture de la vigne et le commerce du vin représentent depuis le Moyen-Âge une activité essentielle de Rouffach : les livres censiers décrivent un ban viticole considérable et détaillent des centaines de cantons et lieux-dits dont la plupart des noms sont encore en usage de nos jours.
Le vin produit par les vignes de nos collines s’exporte au-delà des frontières de l’Obermundat où il se retrouve sur les marchés de Suisse ou sur les riches tables de l’Empire. Mais l’essentiel de la consommation reste local, dans les maisons et les familles où on en consomme des quantités importantes. (en moyenne près de trois litres à 6 / 7 degrés d'alcool, par jour et par personne, hommes comme femmes !) Il alimente les nombreux établissements de la ville, permanents ou occasionnels qui détaillent du vin : auberges, tavernes, poêles des corporations, où l’on boit généreusement, si l’on se fie aux nombreux jugements prononcés par les Conseils du Magistrat qui sanctionnent l’ébriété et ses excès, et aux imprécations de l’Eglise contre la fréquentation des tavernes, antichambres de l’enfer.
Générateur d’importants revenus pour la Ville, pour l’évêché et le Grand Chapitre, par de multiples impositions dont la plus importante est l’Umgelt, le commerce du vin, notamment dans les auberges et les tavernes, est très réglementé et étroitement surveillé.
Le présent article a pour objet trois items du règlement des aubergistes et gourmets-jurés Wurt und winsticher Ordnung de 1545, un règlement qui apportera du nouveau dans les habitudes des clients : désormais, dans les auberges, le consommateur aura le choix du vin et ne sera plus obligé de s’en tenir à celui que voudra bien lui servir l’aubergiste ! Ce n’est pas encore une carte des vins très fournie, mais l’aubergiste devra lui proposer au moins deux vins vieux et un vin de la vendange de l’année.
Aura-t-il le choix également entre rouge et blanc ? Le document ne le précise pas…
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
Cette page contient des liens vers des outils et sites partenaires autour de la paléographie, l'histoire et l'Alsace.
© 2024 Obermundat