Page du Registre du Magistrat de 1600 (A.M. Rouffach BB 1)
Dans les articles de ce site, le mot Magistrat revient fréquemment. De quoi s’agit-il ? Pour rester simple, le Magistrat est le Conseil de la Ville, l’ensemble des personnes qui administrent la cité. A Rouffach il est composé de quinze conseillers et d'un greffier municipal, qui se réunissent sous l’autorité du prévôt, représentant le bailli, lui-même représentant le Seigneur, l'évêque de Strasbourg.
Qui sont ces personnes et comment sont-elles choisies ? Un document extrait d'un ancien Urbaire de 1580 va nous donner quelques éléments de réponse:
- 1. Comment doit être renouvelé le Magistrat
- 1.1. Un règlement de 1580 traduit en français en 1732…
- 1.2. L’Urbaire de 1580, un ouvrage de référence…
- 1.3. Quelques commentaires…
- 1.3.1. Bailli et prévôt…
- 1.3.2. Burgermeister…
- 1.3.3. … am zwölften Abend, la veille du douzième jour…
- 1.3.4. La ville gouvernée par une oligarchie….
- 1.3.5. Une longévité exceptionnelle…
- 1.3.6. Conseiller ? Un travail à temps plein…
- 1.3.7. Justice civile et justice criminelle
- 1.3.8. Les offices :
- 1.3.9. Les chefs de Tribus et les Corporations, une force politique ...
- 2. Les protocoles des délibérations du Magistrat, une source inépuisable...
- 1. Comment doit être renouvelé le Magistrat
1. Comment doit être renouvelé le Magistrat
Extrait de l’Urbaire de la Ville de Rouffach de l’année 1580, traduit en français en 1732. BB 125 1580
Le renouvellement du Magistrat de Rouffach se fait ainsi : la veille de la feste des trois Rois on assemble tout le Magistrat et le Baillif. Aussitôt le Baillif au nom de son Altesse (: sans le Prevost et le Greffier:) remercie le Magistrat, lequel est composé de quinze personnes, d’avoir administré la justice pendant le cours de l’année. Ensuite les assesseurs du Magistrat remercient l’un après l’autre le Baillif ( :excepté ceux qui ont des offices :) que leur Altesse leurs a fait tant de grâce et qu’il les a employés à cet honneur, priants que si il a esté négligé quelque chose, que cela soit attribué à leur ignorance et imprudence ; après s’être tous retirés, le Baillif, Prévost, Greffier et les cinq qui sont pourvus des principaux Offices de la ville, scavoir le Bourguemaistre, receveur de la Taille, receveur de l’Umbgeld ou de l’impôt sur le vin, receveur de la fabrique de l’hôpital et de la maladrerie, restent assis et on les entend l’un après l’autre dans leurs suffrages, de manière que la dessus, suivant l’ancien usage, on en change deux et à la place d’iceux, on en propose deux autres et quoyque les voix tombent sur deux également, cependant il dépend ensuite du Bailly de les laisser ou de changer ces suffrages ; après cela le jour des Rois, qui est le jour du serment, on lit leurs noms publiquement.
1.1. Un règlement de 1580 traduit en français en 1732…
Je soussigné certifie et atteste que le présent extrait a esté fidèlement tiré du dit Urbaire de la Ville et qu’il est entièrement conforme à icelui ; fait à Rouffach, le vingt neufième du mois d’avril de l’année mil sept cent trente-deux. Signé ZAEPFEL, notaire et Greffier de ladite Ville, avec paraphe.
Traduit d’allemand en langue françoise d’un extrait signé comme dit est cy dessus et iceluy aussi signé et paraphé par moy soussigné Avocat et Secrétaire Interprète au Conseil Souverain d’Alsace, fait à Colmar, le quatorzième du mois de décembre mil sept cent trente-deux.
1.2. L’Urbaire de 1580, un ouvrage de référence…
Cet Urbaire de 1580 n’a malheureusement pas été conservé aux archives de Rouffach. Bien souvent on se réfère à lui, encore bien après 1580, lorsqu’il s’agit de justifier, confirmer ou authentifier des décisions à prendre ou déjà prises. Il est présenté comme la référence, le code qui fait autorité, que l’on consulte encore cent cinquante ans plus tard…
Dans le cas présent, il est fort possible que ce règlement de 1580 ait été choisi pour l’opposer, en 1732, à des décisions de l’autorité « française », celle d’Armand-Gaston-Maximilien, prince de Rohan (1674 - 1749), jugées contraires à l’usage et la tradition, et surtout aux droits et privilèges séculaires qui avaient été accordés à la Ville par les prédécesseurs de Rohan.…
1.3. Quelques commentaires…
1.3.1. Bailli et prévôt…
Le baillif est bien évidemment le bailli et le prévost (le Schultheiss) qui rappelons-le, n’est pas un élu du Magistrat (il ne fait pas partie des Quinze, mais nommé et révocable par le bailli). Le greffier lui, est un « fonctionnaire » municipal, également nommé par l’évêque et ne compte pas dans les quinze membres du Conseil.
1.3.2. Burgermeister…
Dans cette assemblée des Conseillers du Magistrat, figurent cinq conseillers dont il est dit qu’ils sont pourvus des principaux offices de la ville : il s’agit du bourguemaistre, (Burgermeister), du receveur de la Taille et du receveur de l’Umgelt, du receveur de l’hôpital Saint Jacques et du receveur de la léproserie.
Le mot bourgmestre prête souvent à confusion : il n’est pas le « maire » de la ville comme on le trouve écrit fréquemment, par confusion avec bourgmestre en Belgique et Bürgermeister en Allemagne, il est le receveur et comptable de la ville…
1.3.3. … am zwölften Abend, la veille du douzième jour…
Ces deux dates de l’année, la veille des Trois Rois «…am Obent des XII.ten Tags… » et le jour-même des Trois Rois « … am XII.ten Tag… » sont des dates importantes dans la vie de la cité : la veille des Trois-Rois on procède à « l’élection » des conseillers et le lendemain est le jour de la prestation de serments. Ce moment désigné dans les textes par « …am zwölften Tag… », est le 6 Janvier, jour de l’Epiphanie, douzième jour compté depuis celui de la Nativité du Christ.
1.3.4. La ville gouvernée par une oligarchie….
Lorsque l’on parle d’élection il faut plutôt entendre cooptation, ou encore mieux « échange de politesses » ! Il ne s’agit pas d’un scrutin populaire, les « électeurs » sont des bourgeois aisés de la ville qui, s’ils se retirent c’est pour céder leur place, pour un tour, à un membre de leur famille qui leur rendra la politesse au tour suivant. De fait, le pouvoir appartient à un petit nombre d'individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée : c’est la définition même de l’oligarchie…
1.3.5. Une longévité exceptionnelle…
Beaucoup de conseillers semblent inamovibles et ceux dont le mandat n’est pas renouvelé, pour une ou deux années, reviennent après un temps de « repos ».
L’étude attentive des compositions successives du Magistrat permet de se rendre compte très rapidement qu’au fil des années qui passent, ce sont bien souvent les mêmes personnes qui occupent les sièges, et même si les personnes changent, on retrouve presque toujours les mêmes familles.
Beaucoup de conseillers font ainsi preuve d’une longévité exceptionnelle dans leur mandat :
- Claus CREYER sera membre du Magistrat quatre années consécutives, de 1576 à 1579. Claus SEITZ y siègera sans interruption de 1576 à 1592 et s’il n’y siège plus en 1592, c’est qu’il a été remplacé par Clade SEITZ qui y restera jusqu’en 1597.
- Wolf BARTOLOME sera au magistrat de 1576 à 1587, date à laquelle il sera remplacé par Jacob BARTHOLOME qui y restera, avec quelques interruptions, jusqu’en 1613, soit 25 ans !
- Melchior KNECHTLIN apparaît au Magistrat en 1581 et y est encore en 1610, il y sera resté près de trente ans, avec toutefois quelques interruptions et en 1610, un autre KNECHTLIN occupe les fonctions d’Amtschaffner.
- Jonas KROTZ restera Raths Pott (sergent ou messager du conseil) de 1587 à 1612, 25 ans également.
1.3.6. Conseiller ? Un travail à temps plein…
Tous ces conseillers appartiennent à une bourgeoisie aisée, qui dispose de revenus considérables qui leur permettent d’exercer un mandat à temps plein. En effet, si l’on se réfère aux protocoles conservés aux archives, les réunions du conseil sont particulièrement nombreuses, parfois jusqu’à quatre, cinq, voire plus par semaine et même parfois le dimanche ou veille de fête ! Les conseillers sont donc généralement recrutés parmi les négociants ou les rentiers issus de l'artisanat ou du commerce.
1.3.7. Justice civile et justice criminelle
Outre leur fonction d'administration des affaires de la ville, les 15 conseillers élus sont tous jurés de "tribunal" et ils sont affectés chacun dans un « Gericht », une des trois commissions de justice, « das erste, das andere, das dritt » de 5 membres chacun. Dans leur signature, ils se présentent souvent comme … des Raths (membre du Conseil) ou … des Gerichts (juré au tribunal). L’essentiel de la tâche des conseillers est d’ailleurs de rendre la justice dans des affaires de police, de justice civile. Mais ils peuvent également être appelés à siéger dans des affaires criminelles « Malefitz Gericht » où ils sont présents comme jurés et peuvent prononcer des peines capitales.
1.3.8. Les offices :
Chacun des conseillers est chargé d’un ou plusieurs offices : le commandement des troupes, le commandement de la garde, l’inspection et le contrôle des denrées, la gestion de la forêt et celle des terres, le contrôle des poids et des mesures, etc.
1.3.9. Les chefs de Tribus et les Corporations, une force politique ...
A la noblesse et aux grandes familles, il faut ajouter une troisième force économique, sociale et politique, qui revendique sa participation au gouvernement des cités: les corporations de métiers, avec à leur tête les chefs de tribus. Les Corporations constituent le groupe social le plus important de la ville et aspirent de plus en plus, en tant que telle, à influer la politique intérieure et extérieure de la cité.
2. Les protocoles des délibérations du Magistrat, une source inépuisable...
... source inépuisable pour les chercheurs et pour l'appétit des rongeurs! Le registre des délibérations est relié et couvert d'un parchemin récupéré sur un vieil antiphonaire...
Toutes les activités du Magistrat sont soigneusement consignées dans les protocoles des délibérations, dont les registres conservées aux Archives de la Ville sont une source inépuisable pour le chercheur. Le Magistrat est l'institution vers laquelle se tourne la population à de multiples occasions: on fait appel à lui pour régler des problèmes de voisinages, de bornes déplacées, d'arbres abattus, pour se plaindre de coups, de blessures, d'injures... Mais les protocoles de ses séances contient également des actes de ventes, des inventaires après exécutions sur le bûcher, des règlements comme ceux des bouchers, des meuniers, .... les réceptions des nouveaux bourgeois, etc.
Page de garde du registre de l'année 1537, avec les armes de l'évêque Guillaume III
Tous ces documents constituent les pages d'un journal dans lequel on peut suivre, jour après jour, le quotidien de nos anciens de Rouffach. Ajoutons à cela ce que le temps a conservé de l'architecture ancienne, l'église, les Récollets, les vestiges du mur d'enceinte, la tour dite des sorcières, l'ancien hôtel de ville, les ruelles et maisons anciennes, et ce n'est plus un journal que l'on feuillette mais un film qui se déroule...
Gérard MICHEL juin 2018