Saint Urbain bas-relief n° 23 rue C.I. Callinet
En vue d'un Master II, à l’Institut d’histoire d’Alsace en 2013, j’avais entrepris une recherche sur la viticulture en Alsace et bien sûr, je me suis intéressé à la vigne et au vin à Rouffach. J’ai repris ce travail plus tard et j’ai présenté, en juin 2015, une causerie à un « Stammtich » à Rouffach et en septembre 2017 une conférence pour les Mémoires du Kukuckstein, sous le titre Du cep à la cruche, histoire du vin et du vignoble dans le bailliage de Rouffach. Depuis, le dossier s’est encore étoffé, et je voudrais en partager quelques pages avec les lecteurs d’Obermundat…
Le plus ancien pressoir (Baumtrotte) d'Allemagne à Grünern Staufen im Breisgau.
La période des vendanges se termine doucement en Alsace et le vignoble se teinte progressivement aux couleurs de l’automne. J’invite le promeneur à un petit circuit à pied dans le vignoble de Rouffach, sur les traces d’usages aujourd’hui révolus et sur celles de noms de cantons encore en usage aujourd’hui. Ces derniers figurent toujours sur nos cartes et les cadastres et beaucoup d’entre eux sont mentionnés, dès le Moyen-Âge dans les censiers de la ville ou ceux de l’église Notre-Dame.
Les registres des délibérations du Magistrat de l’Ancien Régime sont une source quasi inépuisable pour le chercheur historien. Mais les protocoles des Conseils municipaux modernes, ceux qui sont accessibles au public, réservent eux aussi leur lot de surprises. Témoin ce registre conservé aux A.M.R. sous la cote MII / 9 /8, consignant les sessions des années 1903 à 1910.
En le feuilletant rapidement, j’ai fait plusieurs découvertes ou redécouvertes assez surprenantes :
Inquisition bössen Verdachts etlicher Persohnen vorgenomen, in beÿwesen Caspar YMBLEINs, des Schultheißen alhie zu Egisheimb, den 25. und 26. Junii A° 1630 A.D.B.R. W 346 Bailliage de Rouffach
Les archives départementales de Strasbourg conservent dans leur fonds Bailliage de Rouffach un nombre important de dossiers d’affaires criminelles. Dans ces dossiers, dont certains étaient encore cousus * lorsqu’on me les a remis et n’avaient donc plus été ouverts depuis leur rédaction il y a quatre siècles, j’ai découvert près de 200 affaires de sorcellerie concernant des femmes, des hommes et des enfants de Rouffach et des localités environnantes. Beaucoup sont très complets, d’autres le sont moins, il m’en reste un grand nombre à déchiffrer, transcrire et analyser. Je propose dans cet article un de ces documents, concernant neuf personnes d'Eguisheim soupçonnées de sorcellerie, une Inquisition menée en présence du Schultheiss d’Eguisheim, Caspar Ymblein, les 25 et 26 juin 1630
* Note: le lecteur s’étonnera peut-être de l’expression : certains étaient encore cousus. Une fois une affaire jugée, toutes les pièces étaient cousues pour qu’elles ne se dispersent pas et placées, pour archivage dans des sacs à procès en toile de jute ou de chanvre, scellés. Ces sacs étaient ensuite suspendus en hauteur à une poutre pour mettre les papiers et surtout les parchemins à l’abri des rongeurs. De là viendraient les expressions affaire pendante, l’affaire est dans le sac, vider son sac, et avoir plus d’un tour dans son sac... Depuis, on a inventé les classeurs Leitz et la mort aux rats !
On peut imaginer mon émotion lorsque avec l'autorisation de la conservatrice des archives de Strasbourg, j'ai "décousu" ces liasses cousues il y a 400 ans, pour prendre connaissance de leur contenu, toujours insoutenable...
Rappelons que dans ce contexte, Inquisition signifie enquête, audition de témoins, sur des personnes que la rumeur publique dénonce. A la fin du seizième et au dix-septième siècle, les procès de sorcellerie sont jugés par des tribunaux laïcs et les jurés en sont de braves (?) bourgeois de Rouffach et / ou d’Eguisheim ! L’inquisition est l’étape préalable d’une procédure juridique qui se fait en l’absence et à l’insu de la personne concernée et elle n’implique pas toujours une arrestation et un interrogatoire suivis d’un procès. Au moins une des neuf femmes qui ont fait l’objet de cette Inquisition, Margaretha Schönholtzer, a été poursuivie en justice, condamnée et exécutée. Une note découverte aux archives municipales de Rouffach dit que Margaretha, épouse de Joachim Haberer d’Eguisheim, a été exécutée, la même année 1630…
Pour les autres, nous n’avons pas retrouvé pour l’instant de traces de procès. Dans un premier article nous nous étions intéressés aux témoignages, Inquisition, concernant la première de ces femmes, Margaretha Schönholtz.
Je propose, dans ce second article, de nous intéresser à Salomé ANSHELM, épouse légitime de Hans Pauer bourgeois d’Eguisheim et à ce que des hommes, des femmes et même une fillette de treize ans ont pu dire d’elle, à son insu, aux autorités qui enquêtaient sur elle.
Des témoignages particulièrement affligeants, souvent confus et incohérents, dans lesquels les témoins répètent sottement une rumeur, ou rapportent des faits qu’ils avaient entendu dire par des gens qui répétaient eux-mêmes ce qu’ils avaient entendu dire, On y fait même parler des morts ! A la lecture de cette Inquisition on ne peut aujourd’hui, qu’être perplexe devant la vacuité de ces assertions… Comment des juges pouvaient-ils donner foi à de telles niaiseries ? Cette inquisition de Salomé est un triste modèle du genre, qui prêterait à rire si on ne savait pas qu’elle était, le plus souvent, le premier engrenage d’une machinerie infernale qui allait mener, inéluctablement, à une arrestation, une incarcération dans des conditions inhumaines, un interrogatoire sous la torture et une mort horrible, jetée vive dans le bûcher pour y être réduite en cendres.
Sebastian Münster Cosmographia Universalis Vue de Rouffach 1548
Nous avons effectué avec Gérard et Marylen Michel un tour de l’enceinte sud-est de Rouffach. S’il est toujours agréable de cheminer dans ce bel environnement, surtout en aussi bonne compagnie, la sortie avait pour objectif de reconstituer autant que possible l’ancien tracé de l’Ohmbach, ou les tracés, car cette rivière, à partir de Soultzmatt, se divise en deux branches dont l’une alimente les moulins, et qui ne se réunissaient qu’à la sortie de Rouffach un peu après la Froeschwillertor (figure 1).
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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