Saint Urbain bas-relief n° 23 rue C.I. Callinet
En vue d'un Master II, à l’Institut d’histoire d’Alsace en 2013, j’avais entrepris une recherche sur la viticulture en Alsace et bien sûr, je me suis intéressé à la vigne et au vin à Rouffach. J’ai repris ce travail plus tard et j’ai présenté, en juin 2015, une causerie à un « Stammtich » à Rouffach et en septembre 2017 une conférence pour les Mémoires du Kukuckstein, sous le titre Du cep à la cruche, histoire du vin et du vignoble dans le bailliage de Rouffach. Depuis, le dossier s’est encore étoffé, et je voudrais en partager quelques pages avec les lecteurs d’Obermundat…
Le document qui fait l’objet de l’article est tiré d’un Cahier des droits et coutumes de la ville 1343 – 1527, conservé aux A.M.R. sous la cote A.M.R. A / AA4.
Ce cahier comporte 57 feuillets papier, endommagés par l’humidité et la moisissure, Il renferme des règlements et des ordonnances sur des sujets très divers. C’est un document fondamental, qui permet de pénétrer au plus près du quotidien de la cité, en cette fin du Moyen-Âge. Les règlements sont toujours des documents importants : ils instruisent sur ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire et ainsi ils nous apprennent ce qui se fait, en réalité!
Mon projet, à plus long terme, est de déchiffrer ces pages, les transcrire et en proposer une traduction sommaire, assortie de commentaires. Mais la tâche sera longue… La lecture n’en est pas toujours très facile et le cahier a beaucoup souffert ...
Un travail sur autre cahier, AA 3, sur le même sujet, déjà bien avancé, fera suite…
Ordnung der Statt Rufach die Reben zu buwen A° D. 15[.?.]
Règlement de la Ville de Rouffach sur la manière de cultiver la vigne
La date est partiellement illisible, la plume du greffier a dérapé et les chiffres de la dizaine sont cachés par un malencontreux pâté !
Ce document est très important, à plusieurs titres :
- ils sont fixés par le Magistrat de la ville de Rouffach
- ils sont différents, pour un travail identique, selon qu’il s’agit d’un homme, d’une femme ou d’un Knabe, un garçon en âge de travailler.
- ils sont différents, selon la saison, le moment de l’année
- ils sont différents, selon la tâche
avant la Saint Georges :
- das Schneiden: la taille (habituellement en février)
- das Sticken: mise en place des échalas, habituellement deux mois après la taille (Stickel ou Stichel désigne un pieu, un échalas en bois destiné à soutenir la végétation d’un plant de vigne)
Chaque cep de vigne est conduit en quenouille, sur un seul échalas : la vigne n’est pas conduite sur des fils de fer, comme aujourd’hui !
Les échalas sont soigneusement retirés du sol, après la vendange et remisés, à l’abri des intempéries et… des chapardages !
Une vigne conduite en quenouille (Ecomusée d'Alsace)
- das Anbinden: (ligature des pieds et des sarments à l’échalas) mise en place des liens pour fixer aux échalas
- das Biegen, la "courbure", l’arcure des sarments, dont le but est de favoriser le développement des bourgeons, et donc la mise à fruit.
- das erste Hacken : travail du sol à la houe
avant la Saint Jean :
- das Heften: fixation des jeunes sarments à l'aide de liens en osier
- das Erbrechen ou Brechen: taille de raccourcissement des rameaux portant des raisins et taille ou arrachage des gourmands
- das zweite Hacken : ameublissement du sol et désherbage à la houe
avant la saint Batholomé (le 24 août) :
- das Schieben (?)
- das Rümen, Raumen, (effeuillage) pour accélérer la maturation des raisins
en automne : das Herbsten, la vendange
A noter que les ligatures se faisaient toujours avec des liens d’osier :
zue ermelten reben bieg Weidlin bezalt, darvon geben 1 lib 5 sch
la date des vendanges : elle n’est pas libre, elle est fixée et imposée par le magistrat. Pour ce que j’ai pu en voir jusqu’à présent, elle semble bien plus tardive qu’elle ne l’est actuellement et dans les dernières années, on est plusieurs fois début octobre et courant octobre…
On procède d’abord à une « pré vendange », « eine Vorlese » qui est un droit accordé aux « Herrschaften », les officiers de l’évêque, la noblesse, le clergé, le Schultheiß et tous les „Gefreite“, les privilégiés, et ce n’est que trois ou quatre jours plus tard que le commun est autorisé à vendanger : c’est l’objet de « Herbst Ordnungen » publiées par le Magistrat qui fixe chaque année les cantons à récolter en priorité.
après la vendange:
- das Ausziehen der Pfähle : arrachage des échalas et entreposage, au sec et à l'abri des vols
- das Vergruben (Gruben auftun zum Versenken von Ersatzstöcken) und Aufwerfen der Gruben)
Ce mot « vergruben » désigne la technique qui permettait de reproduire la vigne par le procédé naturel du marcottage (provinage ou provignage).
Ouvrier viticole entrain de procéder à l'opération de "vergruben"
Il est dit très clairement, dans des textes concernant le vignoble de Rouffach que c’était également un moyen de protéger le pied de vigne du gel de l’hiver en le couchant dans une fosse recouverte de terre : il est dit aussi qu'après un hiver particulièrement rigoureux qui a fait geler tous les pieds de vigne, les seuls qui ont produit et permis une maigre récolte, sont les pieds ainsi traités par « vergruben » …
Lorsque nous pensons – vignes - aujourd’hui, nous imaginons des ceps et des sarments conduits sur fils de fer, en rangées régulièrement espacées. La vigne de ce temps-là n’est pas conduite sur des fils, mais en quenouille, sur un échalas, Pfahlbau. Parfois, elle est aussi conduite en « pergola » Kammerbau, Laubenbau, parfois même laissée libre dans les arbres fruitiers, nombreux à pousser dans le vignoble.
Le marcottage est une méthode de multiplication des végétaux par la rhizogenèse, développement de racines par l’enfouissement de rameaux. Lorsqu’elles ont pris racine, les jeunes pousses sont prélevées sur le pied-mère et permettent de regénérer une plantation en remplaçant des pieds faibles, malades ou morts. L’aspect que donnait une plantation de vigne n’est pas celui d’une vigne d'aujourd'hui plantée en rang : la vigne est plantée « en foule », en désordre : ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on adoptera le palissage sur fil de fer et des rangs de vignes bien alignés remplaceront des plantations plus anarchiques.
- Düngen: apport de fumier, au moins tous les 5 ans
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Au fil des siècles, le vocabulaire du travail de la vigne a peu changé, et les mots sont les mêmes : schnida, benda, biaga, heffta, bracha… sticken et ausziehen n’ont plus le même usage puisqu’on ne déterre plus les échalas pour les ranger chez soi chaque automne après la vendange. Et vergruben s’est progressivement perdu… Aujourd’hui les parcelles sont plus grandes, et la culture en ligne permet un travail avec un cheval ou un tracteur …
Dans le paysage viticole d’autrefois, il n’y a pas de place pour un cheval : c’était une mosaïque de petites parcelles, entre 3 et 6 schatz par famille, plantées en foule avec une forte densité et de nombreuses cultures intermédiaires justifiées par les impératifs de l’autosuffisance alimentaire. On ne peut donc y travailler « qu’à bras ».
Quel goût avait le vin de ce temps-là ? Les documents conservés concernant le vignoble de Rouffach ne fournissent guère d’informations sur les cépages cultivés. Il est clair qu’il y en avait de mauvais, schlecht Gewächs qui donnaient un vin aigre, saure Wein, et de bons cépages. Mais lesquels ? Une seule mention, de 1739, qui dit que cette année-là, il n’y eut pas de récolte d’Ölbern, de Elber et de Edtle ni de rothe Gewächs, de vin rouge, les vignes ayant gelé au printemps…
Dans les débits de boissons, auberges et tavernes, on ne sert que du vin, rouge ou blanc, vieux ou jeune, sans autre mention… Et on en boit beaucoup, l’eau étant, celle de l’Ohmbach et des puits de la ville, impropre à la consommation…
L’eau est nuisible à la santé, le vin ne l’est pas et de là à dire que le vin est bon pour la santé, il n’y a qu’un pas, qui a été franchi allègrement !
A.M.R. A/ AA 4
Transcription du texte :
Item, man mag ein Knecht dingen [1] hie zwüschen dem Herbst und
der alten Vastnacht [2] zu schniden und grüben dinghen als
nach man kann und keinem ein Tag über 2 ß. zu Lon geben
und kein Essen aber Win wie dan von alter har gebrucht ist.
Item, und nach der alten Vassnacht, mag man ein Knecht
zu schniden dinghen als nach man kan, auch zu binden, biegen und hefften und herbrechen und keinem ein Tag über 2 ß. zu Lon geben und
essen und drincken aber nicht zu Nacht essen.
Item, und ein Knaben mag man zu gemelter Arbeit auch dinghen
als nach man kann und keinem ein Tag über 9 Rappen
zu Lon geben und essen und drinckhen und nicht zu Nacht essen.
Item, zu grüben nach der alten Vassnacht sol man eim Knecht ein Tag
nit über 3 ß. zu Lon geben und essen und drincken bis in das Bett.
Item, zu stickhen mag man ein Knecht dingen als nach man kann und
keinem ein Tag über 3 ß. zu Lon geben und essen und drincken
aber nit zu Nacht essen
Item, zu rumen mag man ein Knecht als nach dingen als man kann
und einem ein Tag über 10 Rappen zu Lon geben und essen
und drincken aber nit zu Nacht essen.
Item, zu hacken und zu ruren mag man ein Knecht dingen
als nach man kann und keinem ein Tag über 2 ß. zu Lon geben
und essen und drincken biss in das Bett.
Item, nach Herbst, Stecken üss ziehen mag man ein Knecht dingen
als nach man kann und keinem ein Tag über 9 Rappen zu Lon geben
und kein essen aber Win wie dann von alter har gebrucht ist.
Item von sant Gallen Tag an biss uff unser lieben Frowen Tag
der Liecht Mess [3] , mag man ein Knecht zu allerhand Arbeit
dingen, es sÿ in den Reben oder sunst und keinem ein Tag über
1 Plaphart zu Lon geben und essen und drincken biss in das Bett.
Item, es sollent auch weder Stecken Üsszieher, Grüber oder Sticker
niemands kein Steckhen noch sunst Holtz usser den Reben tragen
denen so sÿ umb den Taglon oder in Verding werkhen oder es bessert eine jedern 1 Lib.
so dick das beschicht .
Gérard Michel
Notes:
[1] Dingen, dinghen: gewöhnlich heiszt es mieten, für einen vertragsmäßig bestimmten Lohn eine Person in Dienst nehmen, oder für Bezahlung eine Sache in Gebrauch. engager, prendre à son service...
[2] Alte Fastnach, auch Bauernfastnacht genannt, ist ein regionaler Fastnachtstermin, bei dem die Fastnacht erst am Sonntag nach Aschermittwoch, den Funkensonntag, endet. le carnaval des paysans
[3] Maria Lichtmess Darstellung des Herrn, jour de la Chandeleur, le 2 février
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