Une recherche sur le Web m’a fait découvrir par hasard le Dictionnaire géographique, historique, industriel et commercial de toutes les communes de France et de plus de 2000 hameaux en dépendant, un ouvrage colossal en 3 volumes publié en 1844 par Pierre Augustin Eusèbe Girault de Saint Fargeau, également auteur du Guide pittoresque du voyageur en France en 6 volumes, publié en 1834.
Je n’ai évidemment pas résisté, et j’ai cherché Rouffach, que j’ai trouvé dans le volume 3, page 513.
En 1844, Rouffach comptait 3349 habitants et tenait 5 grandes foires annuelles : le 14 février, 20 mai, 16 août, 9 septembre et 28 novembre. L’article reprend quelques éléments d’histoire, signale le prieuré Saint Valentin et les soins pour épileptiques et mentionne des fabriques de tissus de coton, de peluche pour chapeaux et filatures de coton.
Le passé industriel du Rouffach du dix-neuvième siècle a été peu étudié jusqu’à présent. On pense évidemment d'abord à la manufacture d'orgues Callinet, l'une des plus grosses entreprises de ce type à son époque, qui livra des orgues dans toute la partie Est de la France, jusque dans la banlieue de Toulon. Mais il s'agit là de manufacture, pas d'industrie. De même, une entreprise familiale fabriquant des chandelles ou une autre des mèches soufrées pour désinfecter les tonneaux, n'est pas à proprement parler une entreprise industrielle, la diffusion de ses produits restant très locale.
Pour l'instant, pas de traces écrites des fabriques mentionnées par le Dictionnaire géographique, historique, industriel et commercial de toutes les communes de France...
J’avais trouvé, il y a une quinzaine d’années un document conservé aux Archives départementales du Haut-Rhin (A.D.H.R.) dans lequel il est question d’une fabrique de châles de laine imprimés, installée le long de de l’Ohmbach : ses propriétaires demandent à la municipalité l’autorisation d’installer une dérivation sur le cours de la rivière pour alimenter une station de lavage de ses châles après leur impression. Il s’agit d’un document hautement intéressant, à plusieurs titres : d’abord parce qu’il nous permet de découvrir cette fabrique, et surtout parce qu’il est accompagné d’un plan très précis du cours de l’Ohmbach et des maisons riveraines, entre l’ancienne perception et la ruelle du Saint Esprit.
Glandée en forêt de chênes J. Callot
Dans l’état actuel de nos recherches, le premier document qui décrive la transhumance d’un troupeau de porcs hors du domaine forestier de Rouffach, Soultzmatt, Gueberschwihr et Pfaffenheim, figure dans le registre des délibérations du Magistrat de Rouffach, en date du 1er octobre, premier mardi après la Saint Michel, de l’année 1555.
Il s’agit d’un contrat passé entre la ville de Rouffach et 6 bourgeois de Chenebier, près d’Héricourt, pour le fainage de 298 porcs, pour une durée de près de deux mois, du 29 septembre au 21 décembre, dans la forêt de hêtres de Chenebier. Il est précisé expressément qu’il s’agit de fainage, consommation des faines de hêtres, et non de la consommation des glands de chênes.
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Un peu de vocabulaire avant de commencer :
La compagnie des tireurs est à Rouffach une institution ancienne dont on trouve les premières traces dans les archives en 1539, mais qui remonte sans doute à bien plus loin. Rappelons que pour être bourgeois à Rouffach il fallait pouvoir justifier la propriété d’une pièce d’armement, maintenue en parfait état, pour pouvoir assurer la défense des portes et des murs en cas de nécessité. Celui qui pouvait s’acheter une arquebuse, un mousquet ou un fusil peut avoir envie de s’en servir… et de nombreux règlements édictés par le Magistrat rappellent l’interdiction de se servir des armes à feu lors de festivités telles des baptêmes ou des mariages, à cause du danger que ces tirs représentent. On conçoit aisément que pour canaliser l’enthousiasme des tireurs, les autorités ont permis, voire encouragé, la création d’associations qui allaient pouvoir s’adonner à leur passion de manière réglementée.
Car c’est bien de passion qu’il s’agit et cette compagnie n’est pas une milice qui ne s’entraînerait que pour la seule défense de la ville. Les textes nous présentent une association de compagnons, Gesellen, qui se retrouvent sur leur terrain d’exercice pour mesurer leur adresse entre eux, au tir bien sûr, mais aussi à des jeux auxquels les règlements de police de la ville les autorisent, comme les jeux de quilles et les jeux de dés ! Un privilège rare, puisque ces jeux étaient habituellement sévèrement réglementés et même interdits !
Famille réduite à la mendicité Grav. Joost Cornelisz Droochsloot vers 1600 / 1650
Les archives municipales de Rouffach conservent un échange de courriers, entre la Ville de Rouffach, l’évêque de Strasbourg, seigneur de l’Obermundat et plusieurs autres instances au sujet d’une pénurie de céréales, et de l’importante hausse des prix du blé, seigle, orge et avoine... Sont également touchées, dans une moindre mesure, d’autres denrées comme le sel, le beurre et le suif, Anken und Unschlitt.
Ces produits de première nécessité sont devenus rares et leur prix les rend inaccessibles. La famine menace et le peuple gronde.
Jacques Callot 1592 - 1635 (Musée lorrain Nancy)
Les guerres de religion opposant partisans du catholicisme et partisans du protestantisme agitent la France entre 1562 et 1598. Au cours de ces guerres successives, les belligérants des deux camps font appel à des mercenaires allemands qui, pour rejoindre la France, passent par l'Alsace avant de traverser les Vosges. Les villes surveillent les routes et le passage de ces troupes armées. L’Alsace, peu à peu, se militarise: les habitants des différentes seigneuries s’entrainent à la guerre, les fortifications sont refaites et s’arment de canons et d’arquebuses.
Progressivement s’installe dans nos villes un climat d’"avant-guerre" qui finira, à partir de 1618, en une véritable guerre qui durera trente ans.
Rouffach sera touchée cruellement par ce conflit en 1634 : cette année, le 15 février, les suédois arrivèrent aux portes de Rouffach et assiégèrent la ville. Les gens de Rouffach, avec quelques soldats impériaux, se défendirent avec ardeur jusqu’au moment où la ville fut prise d’assaut par les suédois qui, pendant trois longues heures massacrèrent tous les hommes qu’ils rencontraient.
La ville fut mise à sac et les rouffachois furent contraints de payer aux occupants une très forte rançon, si exorbitante qu’ils durent y engager tous leurs biens et toute leur fortune. Les notables qui avaient survécu au massacre furent menés à Colmar et jetés en prison où on ne cessait de les menacer de les pendre si la rançon exigée n’était pas payée dans son intégralité.
Tout était rare et hors de prix et la famine s’installa, au point que la population en fut réduite à manger des cadavres...
L’insécurité régna de nombreuses années, tout le temps que dura la présence des suédois dans le pays.
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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