Das Minoritenkloster zu St. Katharina in Rufach Th. Walter 1906
1591: un couvent ruiné et désert...
Le manque de clergé séculier qui suivit la Réforme et les épidémies de peste récurrentes en ville et à la campagne avaient conduit progressivement à un dépeuplement généralisé des monastères. Lors d’un chapitre tenu à Söflingen près d’Ulm le 7 mai 1563, il fut décidé d’abandonner le couvent de Rouffach qui n’était plus occupé que par un père, Ambroise, et Jacob, un frère malade. Mais les deux frères refusèrent catégoriquement de quitter les lieux ! L’envoyé de l’évêque enferma les deux
frères et poursuivit l’inventaire du mobilier qui ne laissa aux deux malheureux qu’une chasuble et un calice pour célébrer leur messe… Il semblerait qu’en 1564 ils avaient quitté les lieux !
On chercha encore à repeupler le couvent en y plaçant un guardian et quelques frères qui, sans ressources, seraient morts de faim si l’évêque ne leur avait pas fourni des céréales ! Un incendie ravagea une partie des bâtiments du monastère et ce qui en réchappa se trouvait en piteux état. Il ne restait plus sur place que deux prêtres et un frère lai, décrits comme paresseux, peu disposés à travailler la terre pour nourrir un monastère, attendant qu’on leur apporte tout.
Malgré tout, des travaux, soutenus par l’évêque, furent entrepris dans les vieilles ruines pour construire une demeure plus habitable, mais à peine les travaux étaient-ils sortis de l’urgence que le provincial de l’ordre retira les ouvriers de leur chantier.
Les locaux se retrouvèrent à nouveau vides, l’évêque ordonna la fermeture de l’église et la protection des lieux fut concédée à un bourgeois de la ville. Les calices, ostensoirs et autres objets précieux furent transportés au château Isenbourg, les ornements d’église, eux, restant sur place… Au moment des épidémies de peste qui suivirent, la ville fit main basse sur le cimetière et le jardin du monastère pour y enterrer ses morts.En 1589, Eberhard de Manderscheid-Blankenheim, frère de l’évêque de Strasbourg de l’époque, prit la charge de Grand-Bailli de Rouffach. Après de longs efforts, et avec le soutien de son frère, il parvint à faire revenir des religieux.
Le 8 novembre 1591, le Magistrat de Rouffach reçut une lettre du provincial Jacques Wolf de Munich, lui annonçant l’arrivée prochaine de trois frères, un guardian, un prédicateur et un frère lai. Dans cette lettre était également sollicitée la protection du Magistrat qui devait soutenir les nouveaux arrivants jusqu’à ce que les revenus de l’aumône soient rétablis. Grâce à la détermination et à la protection de Jean de Manderscheid , le monastère se releva rapidement de ses ruines. Mais peu de temps après, il perdit son protecteur, qui mourut subitement le 2 mai 1592.
C’est cette lettre de 1591 qui fait l’objet du présent article :
A.M.R. (archives municipales de Rouffach) A / GG 51 8 novembre 1591
Lettre par laquelle le père provincial des Récollets donne avis au Magistrat de Rouffach de l’envoi de deux pères pour reconstituer le couvent de cette ville, qui avait été abandonné pendant quelque temps ; il les recommande à la bienveillance et à la charité du Magistrat. (Série GG : notice de l’inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790)
Je propose ci-dessous une traduction des premières lignes de cette lettre, qui permettra au lecteur de découvrir un bel exemple de la complexité et de la richesse des formules de politesse utilisées dans la correspondance de cette époque :
Très honorables, prudents, sages, bienveillants et très chers Messieurs, nous assurons, à tout moment, votre Excellence et votre Sagesse de notre obéissant et dévoué service et de nos respectueuses prières et humbles salutations. C’est avec un grand regret que nous avons dû quitter notre monastère dans votre honorable ville en raison du manque de religieux, le laissant ainsi vacant pendant longtemps. Cependant, comme Dieu dans son infinie bonté a permis à notre ordre de se renforcer et de s’agrandir dans la province de Strasbourg, et que Son Éminence Monseigneur Jean, évêque de Strasbourg, a souhaité la réoccupation de ce monastère, nous avons décidé de répondre favorablement à cette requête. Nous vous envoyons donc nos chers confrères, l’un en tant que gardien, l’autre en tant que prédicateur, et un frère laïc. Nous espérons que Son Éminence Monseigneur le Bailli épiscopal et vous-mêmes, Messieurs très honorés, approuverez cette décision...
Qualifications et prédicats honorifiques :
Le ton est donné dès la première phrase : il s’agit d’une requête, une supplique, et le rédacteur maîtrise l’emploi des moyens pour convaincre les destinataires. Tout le texte exprime une grande déférence et est émaillé de formules de politesse très élaborées, témoignant de la grande humilité voire de la soumission et du respect (feints ou réels ?) que les religieux portent aux autorités civiles.
Ce style de lettres dont la première page est souvent un catalogue de formules de politesse et un inventaire des titres nobiliaires et multiples fonctions honorifiques du destinataire, est très fréquent et il n’est pas rare de ne trouver l’objet de la missive qu'à la fin de la première moitié de la seconde page!
Ce sont des formules conventionnelles, mais essentielles : à chaque titre de noblesse, à chaque fonction, sa qualification et son prédicat. On ne s’adressera pas à un prince comme on s’adresse à un comte ou à un chevalier, une maladresse risque d’être lourde de conséquences… Il vaut donc mieux en rajouter qu’en oublier ! Ici, pour que le Magistrat agrée la demande des religieux, il faut le convaincre de sa grandeur en forçant la perspective en lui faisant mesurer leur petitesse : gehorsame diener, undertheniger, demutig, getreüe…
La lettre fait appel à la bienveillance et à la protection paternelle du Magistrat : [wir] bitten diemüettig unnd umb Gotteswillen E.E. und W. wollen Ire gethrewe Vätter und Schutzherren sein Inen auch vätterliche hülff und beistandt thuen :
"...nous vous prions humblement, pour l'amour de Dieu, d'être leurs fidèles pères et protecteurs, et de leur apporter votre aide et votre soutien paternels."
Mais ce n’est évidemment pas la seule aide que sollicite le père provincial : un couvent vit essentiellement de dons et de l’aumône, et également de son propre travail sur ses terres agricoles, vignes, forêts, moulins. Après plusieurs années d’inactivité, la remise en marche prendra du temps, un temps pendant lequel il faudra que la petite communauté se nourrisse, se chauffe et procède aux réparations les plus urgentes de leur lieu de vie et de prière :
« Nous vous supplions humblement d'avoir la compassion d’un père pour nos frères et d’ajouter une aide financière généreuse à la sainte aumône des fidèles. Nous avons appris que le monastère était en très mauvais état. C'est pourquoi nous espérons que notre très gracieux prince et seigneur … et vous-mêmes, voudrez bien nous soutenir afin de pouvoir réparer les dégâts importants et permettre à nos frères de vivre dans des conditions décentes… »
Le lecteur trouvera ci-dessous la transcription du texte original allemand de 1591 :
Ernveste, fürsichtige, ersame, weise, groß günstigen, geliebte Herrn, E.E. und weiss:, sein unsern gehorsame willige dienst, sambt schuldigem gebett und diemüthigen grues alzeit zuvor: ernveste, fürsichtige, ersame, weise, grossgünstige geliebte herren und vätter, wier haben laider mit großem unsern schmerzen das kloster in E.E. und W. löblicher Stadt, wegen mangel der Person miessen verlassen, und so lange zeit lassen ödt stehen, weil aber Gott der allmechtig durch sein genad, das Aüfnemen des Ordens, und zuenemen der Person in unserer Straspurger Provinz gnedigklichen geschickht, auch der hochwürdigst in Gott Fürst und Herr, Herr Johan Bischoff zu Straspurg unser gnedigster Herr, die besezung solliches klosters gnedist begert hatt, haben wier dem alssbaldt mit freünden und unterthenigster gehorsam wöllen stadt thuen, und überschücken hiemit unsere liebe mitbrüeder, ainem zu aime Guardian, den andern zue Predicatur, unnd ainen Laienbrueder, verhoffen Ir F. G. dan auch der hochwürdig, wolgeborne Herr Stadthalter und E.E. und W., werden gnediges unnd günstiges gefallen darob haben, die dan verhoffentlich mit guettem exempel menigklich zur besserung dien werden, dan sie Ir und alwegen aines gaistlichen wandels gwesen, haben auch die annemung des klosters desto mit grössern freüden than, weil wier von unser forfodern alzeit vernumen, das ain ersamer Radt zu Ruffach sondere gnad, lieb und naigligkheidt zum Orden gehabt, und wie getrewe Vätter alzeit
…/…
ob einen gehalten haben: darumbe bevelchen wier diese unsere geliebte Mitbrüder E.E. und W. als dero gehorsame diener und sün, und bitten diemüettig unnd umb Gotteswillen E.E. und W. wollen Ire gethrewe Vätter und Schutzherren sein, Inen auch vätterliche hülff und beistandt thuen, damit inen das kloster und was noch möchte von alters hero vorhanden sein, was zur khirchen zier oderr hausshaltung belangt, werdte eingeben und überandtwurdt, weil auch die unterhaltung erstlich etwas wurdt schwer sein, biss die Collectur des almuessens wider in ain gang bracht würdt, bitten wier diemuttig E.E. und W. wöllen dero vätterlichs hertz gegen Inen eröffnen und mit dem heÿligen Almuessen Inen aine vätterliche hausstewer reichen. Wier vernemen auch das kloster seÿ gar baufellig: so haben wier unterthenig und diemüttige hoffnung, unser gnedigster fürst unnd herr, auch Ir F. Gnaden Herr Stadthalter unser gnediger herre, dan auch E.E. und W. werden gnedigt, gnedig und vätterlich verholffen sein, damitt die groß baufelligkheit etwas gebössert werdt unnd die bruder ihr rhuebiges unterkhummen werden haben: daran werden E.E. und W. Gott dem almechtigen ain löblichs werckh, dem heÿligen Orden aine ehr, unnd E.E. und W. und gemainer löblichen Stadt aine ruembliches lob thuen: versprechen hiemit ob dem kloster treüwlich zue halten, damits allezeit
…/…
mit teüglichen Personen erhalten werde, die gemainer Stadt treüwlichen dienen sollen, mit aller gaistlicher übung: bitten derowegen noch diemüttig und umb Gottes willen E.E. und W. wöllen unsere getrewe Herren und Vätter sein, und den Orden lassen befolchen sein: wöllen in der ganzen Provinz für E.E. und W. glück und hail, auch für gemainer Stadt wolfahrt, fridt und ainigkhait threwlicher bitten. Thuen unns hiemidt E.E. und W. gehorsamb unnd diemüettig bevelchen:Datum München in unserer Versamblung den 8.Novembris A° 91
E.E. und W. Gehorsame und unterthenige Caplän
F. Jacob Wolff, Minister provintialis Straspurger Provinz sambt einer ganzen VersamblungDem ehrenvesten Schuldheÿs, burgermeister und rath der löblichen stadt Ruffach, unseren groß günstigen geliebten Herrenn, fürsichtigen, ersamen und weißen Herrn, zu Antwort
Empf. und verlesen im Rath den X. decembris A° 91
...pour les amateurs de paléographie...
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Notes:
1. Gardien : G(u)ardianus, G(u)ardian, Gardion, Gwardian, Quardian
Supérieur d’un couvent franciscain (dans les autres ordres mendiants, il porte le titre de prieur). Il n’est pas élu par le couvent, mais désigné, non pas à vie, mais à temps, à l’origine par le provincial, plus tard par le chapitre provincial. Comme les autres frères, il est souvent muté d’un couvent à un autre. Il est parfois flanqué d’un vice-gardien.
D.H.I.A. Dictionnaire historique des Institutions d’Alsace Institut d’Histoire de l’Alsace Université de Strasbourg
2. frère lai : Dans l'usage courant, les frères lais ou sœurs laies sont des laïcs liés à des ordres religieux catholiques dans lesquels ils sont chargés principalement des travaux agricoles et manuels, et des affaires séculières d'un monastère, par opposition aux moines de chœur affectés aux tâches spirituelles. CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
3.Jean de Manderscheid-Blankenheim (1538-1592) : Voir la notice NetBDA
Sources :
Materne Berler: Chronique rédigée entre 1510 et 1530
Theobald Walter: Das Minoritenkloster zu St. Katharina in Rufach Freiburg im Breisgau 1906
Magali Sautreuil: Etude monumentale de l’église des récollets de Rouffach Mémoire d‘étude 1ère année de 2ème cycle ( Texte et annexes) Ecole du Louvre mai 2013
A.D.H.R. (Archives départementales du Haut-Rhin) : cote 1 Q 455 deux plans 6 juillet 1794
Jacques Mertzeisen : Aux Récollets, une carte du Ciel, une autre de la Terre
https://obermundat.org/topographie/155-aux-recollets-une-carte-du-ciel-une-autre-de-la-terre
Gérard Michel : obermundat.org
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- Les Récollets de Rouffach dans la chronique de Materne Berler https://obermundat.org/topographie/198-les-recollets-de-rouffach-dans-la-chronique-de-materne-berler-redigee-entre-1510-et-1530
Gérard Michel transcription et traductions
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