Materne BERLER, né à Rouffach en 1487 et décédé à Gueberschwihr vers 1573, a fait ses études à l’école latine de Sélestat, creuset de l’humanisme alsacien, comme élève de Jérôme GUEBWILLER (1473-1545) puis à l’Université de Bâle (1507-1509). Il s’inscrit dans le courant humaniste qui s’épanouit au XVIe siècle, qui en est l’âge d’or dans l’ensemble de l’Europe de la Renaissance. Sans atteindre la notoriété des illustres humanistes qu’il a pu côtoyer au cours de ses études, Sebastian MUNSTER, Beatus RHENANUS, Ulrich ZWINGLI, ERASME de Rotterdam ou Jakob WIMPFELING, Materne BERLER a légué une chronique dont de nombreux passages sont précieux pour l’historien. Cet ouvrage, rédigé entre 1510 et 1530, au style parfois embrouillé et lourd est, comme beaucoup d’ouvrages de la même époque, une compilation de récits empruntés à diverses sources, mais il recèle quelques pages de vraie chronique dans lesquelles l’auteur relate des épisodes liés directement à Rouffach.
Cette Chronique de 794 pages a malheureusement disparu dans l’incendie de la bibliothèque de la Ville de Strasbourg en 1870. Quelques pages, 120, recopiées sur l’original avant sa destruction, ont été publiées par L.SCHNEEGANTZ dans le Code historique et diplomatique de la ville de Strasbourg, Strasbourg 1843.
Dans les passages que nous avons choisi de présenter, Materne BERLER raconte comment, en 1444 Conrad de Busnang réforma le couvent des franciscains de Rouffach qui, après une période d'errements, revint à la stricte observance de la règle du fondateur de l'ordre, saint François.
1444: das parfusser closter zu Ruffach ward reformirt...
Conrad de Busnang réforme le couvent de Rouffach, le jour de la saint Benoît de l’année 1444 : les moines y menaient une vie dissolue, on y jouait et on y dansait !
Anno domini MCCCCXLIIII jar, an dem tag sanct Benedicti abtes, ward das parfusser closter zu Ruffach, durch herren Conraden von Busnang reformirt, dan sy ein unordelich leben furten mit spilen dantzen ym closter.
... pendant ce temps, l’église tombait en ruines à certains endroits et les moines négligents avaient même vendu une superbe fontaine propriété du couvent …
Ouch fiel das gotzhus an ettlichen enden darnider, und was vor zitten ein herlicher stockbrun im ob gemelten closter welchen die hinleszigen munch hetten ab lossen gon.
Lorsque Conrad de Busnang fut informé de cette déchéance et de la vie dissolue qu’y menaient les moines, il se présenta un matin au couvent, par surprise … si les moines avaient été prévenus de cette visite ils auraient sans aucun doute fait disparaître calices, ciboires et autres objets précieux !
Als nun disser herr von Busnang als ein liebhaber gottes dinest solchen abgang und unordeliches wesse erkant, erlangt er durch bitt die geistlichen reformirten bruder und uber fiel an einem morgen ob gemelts closter ungewarnter sach, dan hetten sye solches gewisset, so weren alle kelch und kostbarliche gezirt on zwiffel genommen worden, und versamelt sye in das refectorium und sprach:
Conrad de Busnang rassemble toute la communauté dans le réfectoire et annonce : …que celui qui s’engage à vivre selon la règle (réformée) de saint François reste dans le couvent mais que les autres le quittent…
welcher nach der reformirten regel des heilgen Francisci leben wel, der mag hin pliben.
... mais aucun moine ne voulut revenir à la stricte observance de la règle de saint François, à l'exception d'un prêtre âgé, Claus Ingolt… à la suite de cette visite, tous les autres moines quittèrent le couvent !
Also wolt keiner pliben, dan ein alter prister genant her !Ingold, der mocht vor altem nirghinsz kummen, und liesz man die ob gemelten bruder mitt aller hab gon, und enpfal solches closter den reformirten bruderen welche ein selig leben glichformig irem anfenger Francisci furen, nach wolgefallen gottes und den menschen.
... le couvent renaît sous Nicolas Carol, sous la règle du fondateur de l’ordre, saint François:
Disses geschach under dem erwirdigen vatter und bruder Nicolao Caroli der do was ein custer uber die reformierten bruderen der straszburschen provincen. Aber ausz den zinssen und renten dez ob gemelten closter wurden zwo tagmesz pfrunnen gestifft, welcher pfrunen collatz dem ratt zu Ruffach zu statt zu versehen de jure patronatus
folio 150 b page 64 du Code diplomatique
1502: Mathis Kapss, natif de Wissembourg, guardian du couvent des franciscains, fait une chute mortelle pendant une inspection des travaux de toiture de l’église sainte Catherine, après les complies…
1502 Von dem Barfuszer Closter zu Ruffach. Anno domini MDII jar, ward die closter kyrch zum barfussern zu Ruffach mitt flachem dach bedeckt. Und als der gardian desz selbigen closter was uff ein zitt nach der complet uff das dach gestigen neben dem schnecken ausz ernstlicher leisz, do brach ein latt under ym und fiel uff das dach dez crutzgang ze todt.
... il fut inhumé dans le cloître, le 4 mai 1502 en présence du Magistrat au grand complet et il sera pleuré par toute la bourgeoisie de la ville…
Diesser frumer und trefflicher andechtiger gardian, genant Matthis Kapsz von Wissenburg purtig, ward mitt grossem klag der burgern yn beysyn dsz gantzen ratt in den crutzgang begraben 4° die maji 1502.
La galerie du cloître avait été construite vers les années 1300, avant la réformation, grâce aux biens laissés par le frère Boldelin, décédé en 1311 et qui y fut inhumé. Sa pierre tombale porte cette inscription : « Ici gît le frère Boldelin qui permit la construction de ce cloître. Décédé en l’année 1311… »
Item der crutzgang desz selbigen closter ward gebubwen circa annos MCCC ante reformacionem ausz dem gutt desz geistlichen bruders … Boldelin der in den selbigen crutzgang begraben ward mitt solcher uberschrifft desz grabsteines:
„hie litt der selige bruder Boldelin von desz gutte ist diesser crutzegang gemacht worden. Obiit anno domini MCCCXI. X calendas martias.“
Folio 216 a
Une première réforme avait été entreprise dès 1435 et avait abouti, le 17 juin 1437, à une renonciation solennelle prononcée par le prieur et la communauté réunie : tous les biens du couvent et les ressources qui y étaient attachées devenaient propriété de la ville de Rouffach.
Mais cette renonciation n'a, semble-t-il jamais été effective. En 1440, Conrad de Busnang a donc rendu visite aux franciscains de Rouffach et il se trouva proprement scandalisé par le train de vie que menaient les moines. Il fit appel à Nicolas Caroli un franciscain de Heidelberg, principal réformateur en Alsace et une nouvelle réforme du couvent fut décrétée: le 31 juillet 1444, les franciscains de Rouffach remirent l'intégralité de leurs biens ainsi que les cens et rentes qui y étaient attachés à la fabrique de l'église paroissiale de Rouffach. Le Schultheiß et le Conseil en assuraient la gestion et il était stipulé qu'ils ne devaient être affectés qu'à des travaux à l'église. Pour ce qui était de toutes les messes anniversaires qui avaient été fondées dans l'église, à perpétuité, souvent au moyen de legs importants, elles furent tout bonnement remplacées par une messe commune qui devait être chantée à chaque Fronfast * par cinq prêtres. En contrepartie, le Magistrat de Rouffach assurait le couvent d'une "aumône" annuelle de 100 florins pour l'entretien des bâtiments et l'achat de livres...
Fronfast * : Fronfast désigne un temps de prière et de jeune de trois jours qui divise l’année liturgique en quatre temps appelés Quartale, ou Quatember (lat. quattuor tempora, les Quatre temps) ou encore Fronfasten : ils tombent le mercredi, vendredi et samedi après le mercredi des Cendres, après le dimanche de la Pentecôte, le dimanche de l’élévation de la Sainte Croix le 14 septembre et après la Sainte Lucie, le 13 décembre. Un dicton rappelle les dates de ces journées: "Aschen, Pfingsten, Kreuz, Luzei, d' Woch' darauf Fronfasten sei."
BUSNANG ou BUSSNANG Conrad (de) né en Turgovie, Suisse, 1400, décédé à Rouffach 12.3.1471. (Note N.D.B.A)
Son élection à l’évêché de Strasbourg en 1439 fut contestée par le prévôt du chapitre Jean d’Ochsenstein appuyé par des seigneurs alsaciens, reprochant à Conrad sa qualité d’étranger (quia suevus esset, ein swop). Le concile de Bâle confirma l’élection en juin 1440 tout en accordant de larges satisfactions à son rival. Conrad effrayé par l’ampleur et la complexité des tâches qui l’attendaient se choisit un coadjuteur, Robert de Bavière, et démissionna en sa faveur dès le 18 août 1440. En contrepartie, il avait obtenu de solides garanties : 3 000 florins et la jouissance des revenus épiscopaux dans l’Obermundat de Rouffach. Il s’efforça de repeupler Rouffach dévasté par les Armagnacs en 1444 et laissa le souvenir d’un homme pieux et droit, ward frum und gerecht befunden.
Materne Berler dit de lui :
« Mais Conrad, homme sage et d'une grande prudence, et bienfaiteur de l'église, lorsqu'il vit le déplaisir de plusieurs capitulaires, et surtout celui de la ville de Strasbourg, et comme il était de toute manière un ami de la paix, et qu’iI eut pitié de l'église, et redoutait que d'un tel schisme il ne résultât quelque dommage pour la ville et le chapitre, rétrocéda tous ses droits.
Code diplomatique de la ville de Strasbourg, Il; p. 50
Pour en savoir plus sur les franciscains de Rouffach:
- Theobald Walter Das Minoritenkloster zu St. Katharina in Rufach Freiburg im Breisgau Universitätsbuchdruckerei 1906
- Alemania Franciscana Antiqua Band VII Rufach Franziskanerkloster 1961
- Denis Crouan Société d'histoire et d'archéologie du bailliage de Rouffach 2019 Les franciscains récollets de Rouffach: l'histoire d'une communauté et de son couvent
- Magali Sautreuil, Étude monumentale de l'église des récollets de Rouffach (Mémoire d'étude première année de second cycle) École du Louvre, Paris 2013.