Prêtre réfractaire ou non-jureur, à la Constitution civile du Clergé, promulguée en juillet 1790, Jean-Michel Vogelgsang est contraint à la clandestinité : la vie d’un prêtre réfractaire, s’il est dénoncé et retrouvé, se termine souvent sur l’échafaud. Dès lors, il vivra caché, fuyant d’une maison amie à une autre, ou terré dans la maison familiale, dans l’actuelle rue Poincaré, caché sous le plancher du grenier. Il poursuivra cependant son ministère, visitant les malades et administrant les mourants, se déguisant parfois en femme pour ne pas être repéré…
Voici la suite de son récit , conservé à la B.N.U. de Strasbourg sous la cote MS 858 (réserve)
Etwas von meiner Geschichte […] als ich gezwungen ware aus meinenm Haus in das andere zu flüchten...
Quelques pages de mon histoire, alors que j’étais contraint de fuir ma maison pour me cacher dans une autre…
texte original en allemand, traduction Gérard MICHEL
photos Gérard MICHEL
- 1. les derniers jours à Logelheim
- 2. l'abbé Vogelgsang se rend à Rouffach, habillé de vêtements de femme
- 3. une gelée blanche ruine le vignoble et les cultures
- 4. caché sous le plancher du grenier, entre les solives
- 5. Gundolsheim: trois tués, de nombreux blessés dont Rothé, maire de Guebwiller
- 6. où il est encore question du courage des femmes de Rouffach
- 7. le bombardement de Neuf-Brisach
- 8. arrestation de l'abbé Joseph THOMAS à Munwiller
- 9. un gendarme s'installe dans la maison...
- 10. la croix de la Mission de la porte de Colmar
- 11. l'abbé Thomas est exécuté à Colmar
- 12. saccage des sculptures du grand portail de l'église
- 13. le premier National Gottesdienst dans l'église rebaptisée temple de la raison
- 14. l'orgue joue la Marseillaise...
- 15. le commandant MULLER décapité à Colmar
- 16. où il est à nouveau question du courage des femmes de Rouffach
- 17. Après la tourmente...
- 18. démolition des portes de la ville…
- 19. démolition de l’église des Jésuites. (Saint Valentin)
- 20. la fonte de nouvelles cloches sur la place…
- 21. la croix FRIEDERICH du Schauenberg
- 22. conclusion
1. les derniers jours à Logelheim
1793 le 26 mars 1793.
Enfin je pris la décision de quitter cette maison dans laquelle j’avais joui du silence, de la paix et de la Zufriedenheit jusqu’à cette nuit fatale du 19 de ce mois. Je partis le 26, un soir de pluie, pendant que tout le monde, en particulier la domesticité (das Gesinde) des deux fermes se trouvait rassemblée à l’église pour le rosaire. Gebückt , je sortis par la porte arrière de la maison (je quittai la maison par la porte arrière) et je traversai le jardin. André BELLICAM m’accompagnait et m’aida à escalader le mur du jardin. Michel BELLICAM, lui, m’attendait devant le mur de son jardin qu’il nous fallut traverser. Il pleuvait beaucoup et la terre était détrempée et on s’y enfonçait profondément dans le sol boueux. Nous finîmes par arriver dans mon nouvel asile, sans que personne ne nous eût remarqués. Par précaution, on avait rassemblé les enfants dans la salle de séjour (le poêle de la maison). Peu de temps après, l’office à l’église se termina. Les demoiselles pleuraient beaucoup, tant mon départ avait été rapide et inattendu. Cette nuit et toutes celles qui suivirent, aussi longtemps que je fus dans ces lieux, je n’aperçus la lumière du jour. A la nuit tombante, j’allais me reposer ; les deux premières nuits furent très perturbées : autre maison, autre lit dont je n’avais pas l’habitude, les craintes et les angoisses[...]… car le 30 de ce mois, sur les 20 qu’ils étaient, quatre d’entre eux devaient s’engager dans la milice et cela leur apprit à auf sich selbst bedacht sein et on m’oublia et moi j’oubliai ce qui s’était passé et je fus plus tranquille. A cela m’aida également la bonne nouvelle que l’on recevait de Maastricht […], de Breda et en particulier de Mayence. Grâce à elles je pensais que ma destinée s’était déjà améliorée. Au début, Margaretha HENTZ me rendait visite pendant le rosaire, puis au courant de la journée alors que tout le monde était aux champs, pour m’apporter de bonnes nouvelles, disait-elle, et pour me remonter le moral. La servante de mon père vint également par deux fois. La première fois était le 7 avril, alors qu’elle ne savait pas encore que j’avais changé de logement. (de cachette). Cela l’affecta beaucoup de ne pas me trouver et encore plus mon père, lorsqu’elle l’en informa. Elle avait apporté des vivres dont elle ramena une grande partie à Rouffach. La seconde fois fut le 28 avril. Elle était venue cette fois pour engager des ouvriers pour haken (travailler le sol à la houe pour ameublir et aérer la terre) la vigne. Avant même d’être informé des motifs de cette visite, j’étais très inquiet parce que je pensais qu’il était arrivé à Rouffach quelque chose qui me concernait. Par ennui, je montais souvent, les après-midis, alors que personne ne se trouvait dans la maison, au grenier où je pouvais observer à loisir toute l’étendue des champs cultivés ainsi qu’une partie des jachères. A l’aide d’une longue vue, j’observais les travailleurs des champs qui peut-être, à l’instant-même, parlaient de moi… Et plus au loin, le Breisgau et la ligne du Rhin, d’où j’espérais que viendrait mon salut, Appenwihr où j’avais célébré si souvent la messe et que je devais maintenant regarder de loin… Il y avait des circonstances critiques au cours desquelles j’étais en danger d’être découvert et je me trouvais très angoissé… En particulier le 10 mai, jour où à 10 heures du matin arriva précipitamment la femme d'André BELLICAM toute en pleurs, pour annoncer que SANNER, le juge de paix serait dans le village, pour perquisitionner dans toutes les chambres, dans tous les greniers, les caves et les granges pour faire l’inventaire de toutes les céréales et légumes, de tout le foin et des réserves de vin. On disait qu’il était déjà passé chez l’un ou l’autre des fermiers du village. Il n’en fallait pas plus pour nous précipiter dans l’abattement le plus profond : nous imaginions déjà SANNER dans notre maison. Mais bientôt nous nous reprîmes : je devais me rendre dans la salle du rez de chaussée et me cacher dans le lit en évitant d’être vu des enfants qui couraient dans la maison et des Dienst Boten qui allaient et venaient dans les escaliers pour emporter des sacs de grains. Mais tout se passa bien : le juge de paix vint effectivement, non à onze heures mais deux heures plus tard. Du fond de mon lit, le temps me semblait interminable. Son inspection terminée, il revint dans la Stube et n’arrêta pas de vider des verres ( und trank und trank wieder…) sans jeter un regard au lit dans lequel je me trouvais…. puis il repartit. Et avec lui disparurent mes craintes.
Trois jours plus tard, j’eus des peurs et Schwermuth qui durèrent plus longtemps. EHRHARD, l’ancien instituteur d'Appenwihr, maintenant en poste à Weckholsheim, vint dans la maison. Après avoir tenu des propos véhéments patriotiques avec la maîtresse de maison et copieusement injurié les ecclésiastiques il dit : « N’est-ce pas qu’à Pâques vous vous êtes également confessée ? Je sais que votre vicaire se trouvait ici et même qu’il était déguisé ! Il ne s’est pas passé huit jours que j’étais déjà) au courant… si j’avais voulu vous dénoncer, cela aurait coûté la tête à André BELLICAM et à la demoiselle HENTZ. Mais finalement, j’ai eu pitié de lui ! » La maîtresse de maison nia tout mais il persista dans ses accusations et cita même Ignace GROSSHENNY, celui-là même qui m’avait découvert, m’avait suivi et répandu l’information dans tout le village ; il m’avait même dénoncé aux patriotes. J’entendais toute la conversation umständlich depuis ma chambre et la maîtresse de maison me raconta tout dans les moindres détails à ma demande. Je n’avais jamais été aussi abattu que ce jour-là, excepté le 19 mars. Ainsi des patriotes savaient tout de ma présence dans le pays, peut-être même savaient-ils que je me trouvais à Logelheim ! Peut-être même que l’un d’eux se hâtait en direction de Colmar ou de Breisach pour me dénoncer, qu’on préparait déjà une perquisition de la maison, qu’on avait annulé le décret concernant mon patrimoine, que j’allais être considéré comme un émigrant…………
………………..
Toutes ces pensées assaillirent mon esprit pendant plusieurs jours et m’empêchèrent de trouver le repos.
20 mai 1793
Le 20 : j’étais souvent assez imprudent dans mes déplacements, en particulier ce 20 mai. Ce jour-là les adultes faisaient le tour du ban avec les jurés (mit den Geschwornen) ou étaient assemblés à l‘église où ils priaient seuls ; les enfants, qui se trouvaient seuls dans la maison, m’entendirent et de peur verrouillèrent leur porte. Ils ne cessaient d’en parler, de dire que dans la stube du dessus il y avait quelqu’un qui allait et venait, et même à table ils en parlaient. Mais les valets (diensboten) ne crurent pas un mot de ce qu’ils disaient.
La servante, elle, leur répondit qu’il y avait peut-être vraiment quelqu’un dans la salle de l’étage… la même servante qui, huit jours plus tard me dénonça et m’obligea à quitter cette maison où je commençais à me sentir en sécurité !
Je vécus neuf semaines entières dans la maison de Michel BELLICAM. Plus personne ne se doutait de ma présence à Logelheim, tous, sans exception, étaient persuadés que j’avais quitté le pays. Mais la servante de la maison, Maria Anna FEHRLE, découvrit ma présence, à travers une fente de la porte : sans doute avait-elle aperçu la maîtresse de maison m’apporter les repas dans ma chambre ou bien, plus vraisemblablement, m’avait-elle entendu à travers la cloison d’un placard dans lequel je rangeais le reste des repas et qui communiquait directement avec sa chambre à coucher. Pourtant on avait pris toutes les précautions possibles, on avait renforcé la serrure, colmaté les fentes dans le bois de la porte avec de la pâte à pain. Il ne serait venu à l’esprit de personne que je pourrais être découvert par cette femme, parce que chacun la considérait für ein Einfalt et donc on se méfiait moins d’elle que des autres serviteurs, qui étaient plus malins. Elle avait gratté la pâte dans les interstices de la porte et ainsi elle pouvait m’observer à travers les fentes, alors que j’arpentais la pièce en lisant mon bréviaire. Tout cela avait dû se passer le 26, alors que la maîtresse de maison se trouvait à Colmar. Elle se hâta d’en informer sa sœur Cecilia ainsi que Catharina GROSSHENNY et sûrement d’autres, […] et bientôt tout le monde sut comment j’étais habillé, comment je marchais dans la chambre en lisant le bréviaire, comment je mangeais à table, etc. A peine Catharina GROSSHENNY fut-elle au courant qu’elle en fit part à sa maîtresse, l’épouse de François Joseph SIFFERT, répétant mit dem lärmenden Vorwurf que la confession n’était que pour les plus riches… un discours que son frère, Ignace GROSSHENNY, avait déjà tenu à la demoiselle HENTZ lorsque je fus découvert la première fois ! Dans son ensemble, la famille GROSSHENNY s’était comportée envers moi de la façon la plus déplorable. La dame SIFFERTse rendit aussitôt chez sa fille, l’épouse d’André BELLICAM et lui reprocha sa Falscheit vis-à-vis de sa mère. La fille nia catégoriquement toute l’affaire et courut aussitôt chez Margaretha HENTZ pour lui faire part de l’affligeante nouvelle de ma découverte. On peut s’imaginer aisément la frayeur et la consternation des deux sœurs à l’annonce de ces événements inattendus. L’après-midi, Margaretha se rendit aux champs informer Michel BELLICAM qui en fut troublé comme victime d’une attaque. Car, comme il a déjà été dit, celui qui donne asile à un religieux déporté, encourt une peine qui anéantit fast ganz zu grunde gerichtet…. Ainsi, en plus de la part qu’ils prenaient à ma propre peine, mes bienfaiteurs encouraient encore d’autres peines personnelles.
Mais pour l’instant j’étais loin de me douter de tous les événements qui s’étaient passés : mais j’aperçus Margaretha qui revenait vers la maison, et je remarquai tout de suite la lenteur de son pas alors qu’elle s’approchait de la maison, accompagnée mit Schwermut. Lorsqu’elle fut tout près de la maison elle jeta un regard triste vers mes fenêtres, un peu comme si, me sembla-t-il, elle devait me voir pour la dernière fois, ce qui me toucha particulièrement. Je pensais que cette tristesse lui venait de l’annonce qu’elle avait eue la veille qui l’informait qu’elle avait perdu son procès. Mais après le dîner, le maître de maison monta dans ma chambre, accompagné de sa femme qui sanglotait bruyamment. Lui portait une cruche de vin auquel on ne toucha d’ailleurs pas. […] Il finit par dire : « Il est connu que vous êtes ici, tout le village est déjà au courant, notre servante vous a vu. » et il me fit le récit de l’épisode, tel que je l’ai fait plus haut. Sa femme ne put dire un mot, tant elle pleurait. Comme cet autre soir de terreur où j’avais entendu Ignace GROSHENNY demander dans mon propre logement où je me trouvais, un frisson glacé me transperça de part en part lorsque j’entendis ce nouveau coup du destin. D’autant plus que c’était justement la sœur de ce monstre qui, dans la nuit du 19 avril m’avait suivi si discrètement et s’était empressé de raconter toute l’histoire aux patriotes enragés de Weckolsheim, avait découvert ma présence ici et en avait fait de si vifs reproches à sa maîtresse… J’avais donc toutes raisons de croire que le fameux frère devait, lui aussi, être au courant de ma présence ici et qu’il m’avait trahi auprès d’autres gens aussi dangereux qui n’auraient pas pitié de moi une seconde fois. Mon imagination me faisait clairement entrevoir le danger qui me guettait. C’est ainsi que je pris la décision de me rendre à Rouffach à la première heure, accompagné du maître de la maison, pour y attendre là-bas le sort que le destin me réservait. Dans la nuit, on m’apporta les vêtements que j’avais demandés à mes hôtes dans un petit billet. Je ne fermai pas l’œil de la nuit, submergé par l’angoisse et le désespoir.
29 mai 1793
2. l'abbé Vogelgsang se rend à Rouffach, habillé de vêtements de femme
Le 29 à une heure et demie du matin, la maîtresse de maison me réveilla, je rassemblai les quelques effets que je voulais emporter et je m’habillai dans la salle du bas. Dans leur précipitation, les demoiselles avaient oublié de préparer une chemise et un Halsband (un collier) que la maîtresse de maison me trouva. Triste et abattu, je quittai cet asile que j’avais paru si plaisant à cause du calme et du silence que j’y avais trouvé. Il était environ deux heures et demie, nous traversâmes l’Ill, nous passâmes devant Sainte Croix en Plaine en direction du moulin de Niederhergheim. Dans cette région de rivières, de ruisseaux et de canaux d’irrigation, mon accompagnateur dut à deux reprises me porter pour me faire traverser les fossés et les marécages. Par précaution nous prîmes le sentier qui nous conduisit à travers les prairies humides : mes vêtements et mes bas s’en trouvèrent tout trempés. A l’approche de la ville, mon accompagnateur prit de l’avance pour prévenir de mon arrivée. Personne ne le vit entrer dans la maison de mon père. Par contre, la femme d’André KIENER, une femme que mon père jugeait suspecte, m’aperçut depuis la maison voisine. Mon accompagnateur nous quitta et se rendit directement au marché de Colmar, sans même que j’aie pu lui servir un verre de vin : notre servante était absente de la maison et comme c’est elle qui avait les clés de la salle du bas et de la cave… Mon père était bouleversé par mon arrivée inattendue et j’eus beaucoup de mal à le rassurer à cause de cette femme qui m’avait aperçue entrer dans la maison, même si moi-même j’avais également de sérieuses inquiétudes à ce sujet.
La ville de Rouffach est un passage obligé pour tout déplacement dans le pays et ainsi VOGELGSANG verra passer sous ses fenêtres les processions, les troupes armées, les interminables convois de prisonniers et ceux de soldats malades ou blessés dont une grande partie sera hébergée momentanément au couvent des franciscains transformé en hôpital avant d’être redirigés vers d'autres lieux...
Il verra passer également les cortèges des patriotes, conduits par NITHARD et TÖNLEN, les mêmes NITHARD et TÖNLEN qui sèmeront la terreur dans les rues de la ville aux cours de perquisitions sauvages à la recherche des réfractaires.
30 mai 1793
Le lendemain de mon arrivée était le jour du Fronleichtnam, de la fête Dieu. J’observai la procession passer sous mes fenêtres à travers une fente des volets. Il y avait très peu de garçons, par contre davantage de jeunes filles et presque tous les hommes de la ville, mais seulement une quarantaine de femmes. La commissaire de la ville qui était habituellement peu présent à Rouffach, vint spécialement de Colmar. La veille, on avait interdit les traditionnels tirs d’armes à feu, sous le prétexte qu’on avait besoin de la poudre pour d’autres usages! Le même jour, un bataillon de gardes nationaux allemands remonta le pays, croisant un régiment des troupes régulières qui lui descendait. Aujourd’hui, même va et vient. Dans la soirée, vers quatre heures arriva de Soultzmatt une troupe armée accompagnée de roulements de tambours, peu après on fit se rassembler sur la place la compagnie de grenadiers ainsi que deux autres pour l’entraînement à l’exercice.
1 juin 1793
3. une gelée blanche ruine le vignoble et les cultures
Au cours de cette nuit du premier au deux juin il y eut une gelée blanche, ein starcker Reif, qui ruina totalement le vignoble du bas ainsi que les cultures de pommes de terres, de haricots (fèves) et d’autres encore. On peut s’imaginer la détresse et les lamentations des habitants qui, à cause de la guerre, souffraient du manque de denrées alimentaires, en particulier de vin et de céréales et qui se consolaient à l’idée des vendanges de l’automne, qui l’année passée avaient déjà souffert des gelées et avaient été bien maigres ! Les montagnes étaient couvertes de neige. Le printemps avait été sec et chacun espérait la pluie et voilà que, alors qu’on était si proche de voir se réaliser ses vœux que tombait cette pluie mêlée de neige, responsable des gelées destructrices.
Il semblait que, à l’instar des hommes, les éléments étaient devenus fous : les aristocrates mettaient cette punition sur le compte des patriotes et inversement, encore que les patriotes, essentiellement de pauvres gens, en étaient le plus touchés. Aujourd’hui l’église était vide, la plupart des gens était aux champs.
Ce matin encore un bataillon descendit le pays, croisant un autre qui remontait : on n’y comprenait plus rien !
[…]
Depuis que je m’étais installé à Rouffach je me serais senti plus rassuré si je n’étais perpétuellement torturé par l’incertitude sur ce qui se passait à Logelheim, dont je n’avais pas eu de nouvelles depuis mon départ.
[…]
Le 4 juin : Aujourd’hui j’eus la visite des épouses des deux frères BELLICAM de Logelheim. Cela faisait longtemps que j’attendais avec impatience des nouvelles. Comme je l’avais pressenti, la découverte de ma présence chez eux par la servante n’avait attiré à ceux qui m’avaient caché que haine et jalousies. On racontait dans le village que je m’y trouvais encore, caché dans cinq maisons différentes. L’instituteur affirmait même que je disais régulièrement des messes… voilà où menaient la suspicion et les faux jugements : des innocents sont entraînés à ma suite par la haine et les médisances.
Rouffach 10 juin 1793
Aujourd’hui on procéda dans l’après-midi à l’adjudication des prairies, propriétés du curé Frédéric OSTERTAG... Le lendemain les meubles de Philippe LARCHER, présumé émigré, furent vendus aux enchères à son domicile et le 14 ceux de Joseph GROSS et d’autres émigrés. Mais il se trouva peu d’acheteurs en dehors de la famille RIEGERT et de quelques proches parents et amis.
Rouffach 15 juin 1793
Ce matin, à 5 heures et demie, fut enterré Joseph SAUTER. Le curé constitutionnel était très mécontent parce que le défunt avait refusé de recevoir de lui les derniers saints sacrements ! Il se tint à distance du cercueil de plus de dix pas, il aspergea le sol avec l’eau bénite au lieu d’asperger le cercueil et il fit la bénédiction sur sa propre poitrine au lieu de bénir le corps comme s’il voulait se protéger lui-même du défunt ! Les chants ressemblaient plutôt à ceux des vêpres des morts et c’est ainsi que le cortège se rendit au cimetière sans autre cérémonie... Deux proches du défunt sonnèrent les cloches, à leur initiative, car le curé avait ordonné que l’on ne sonnât aucune cloche, ou tout au plus deux cloches.
De la même manière, il enterrait tous ceux qu’on appelait les aristocrates... C’étaient les moyens qu’utilisaient ces Messieurs pour ébranler la ferveur des chrétiens bien-pensants et les attirer vers eux...
Aujourd’hui on procéda à la vente du mobilier de Paul DETTWILLER et Ignaz STEPHAN et avec elle prit fin la vente des biens des émigrés, un malheur qui ne toucha finalement que 4 personnes. Les biens immobiliers qui avaient été saisis furent simplement loués..
Rouffach 29 juin 1793
note dans la marge : Ein Bauer für ein Geistlichen angesehen...
Ce qui va suivre permettra de comprendre l’état d’excitation dans lequel se trouvaient les patriotes et le danger qui menaçait les ecclésiastiques :
Le soir du 29, un homme se présenta à la porte supérieure de la ville. A cause de la chaleur qui régnait ce jour-là, il avait enlevé son habit (sein Rock) qu’il avait accroché à sa canne. C’est dans cette tenue qu’il entra dans la maison de Madame ANTOINE, dans la Hasengasse. La nuit, vers 11 heures, TÖNLEN, le sergent de police, accompagné de hallebardiers et d’un grand groupe de gardes, se présenta devant la dite maison, qu’il se fit ouvrir, après avoir frappé violemment à la porte et proféré toutes sortes de menaces, tira l’homme de son lit, examina ses cheveux et le fit conduire en prison. Deux jours plus tard il fut relâché, après qu’on eut obtenu du village où il habitait un certificat qui attestait qu’il n’était pas un religieux, quoique, par ailleurs, il en ait toutes les apparences...
Rouffach 2 juillet 1793
Le 2 juillet, très tôt le matin, un bataillon de gardes nationaux, épuisés et misérables, traversa la ville en direction du Nord : beaucoup d’entre eux n’avaient plus d’armes. On dit qu’ils étaient destinés à combattre les rebelles.
Le même jour (le 4 juillet) une trentaine de gardes nationaux déserteurs, encadrés par des hallebardiers descendit la ville. Un grand nombre de galériens [1] enchaînés traversa également la ville.
Rouffach 15 juillet 1793
Aujourd’hui une troupe de chevaux traversa la ville : c’étaient ceux qu’on avait réquisitionnés de force chez les paysans et qu’on destinait à la cavalerie : on ne devait laisser à chaque paysan que deux chevaux par charrue....
Rouffach 2 et 3 août 1793
Je craignais de plus en plus une perquisition dans notre maison au sujet des céréales. Les deux premiers jours du mois d’août nous avions battu du seigle, aidés de patriotes, et l’impétueux TÖNLEN, capitaine des gardes, nous surprit. Le soir du 2, les tambours annoncèrent que tous ceux qui avaient déjà battu leur récolte devaient en livrer une partie à la halle aux grains, sous peine de confiscation de la totalité de leur récolte. Je pus aisément m’imaginer qu’il n’allait pas tarder à surgir chez nous pour s’emparer de force de notre récolte.
4. caché sous le plancher du grenier, entre les solives
C’est pourquoi je me fis aménager dans le grenier (notre réserve de grain) une cachette sûre, dans l’espace entre le plafond d’une chambre et le sol du grenier, fait d’une double couche de planches. On décloua deux de ces planches de manière qu’on puisse les soulever et les remettre facilement à leur place, mais sans laisser soupçonner qu’elles étaient mobiles.
C’est dans ce réduit, de l’épaisseur d’une solive et de la largeur de l’espace entre deux solives que va se cacher VOGELGSANG chaque fois qu’il sentait l’imminence d’un danger...Pour qu’il puisse respirer, on avait percé une ouverture dans les planches du plafond de la pièce du dessus, de manière à faire croire à un nœud du bois qui serait tombé. Tout autour il y avait de la paille que l’on éparpillait à chaque fois sur les planches une fois qu’on les avait remises en place...
Une bonne partie de la nuit jusqu’à deux heures, on surveilla la rue pour qu’on puisse le prévenir au cas où TÖNLEN s’approcherait de la maison avec ses hallebardiers et qu’il ait le temps de se glisser dans sa cachette... mais personne ne vint, ce soir là...
Rouffach 6 août 1793
Ce matin deux bataillons de gardes nationaux et le premier régiment de cavalerie Piémont traversa la ville. Ils faisaient partie de la garnison de Mayence et partaient pour la Vendée et donc portaient tous des armes. ...
... Il ne passe pas une journée sans que passent ici cinq ou six voitures chargées de soldats épuisés venant de Mayence. Beaucoup mouraient en cours de route.
Le 9 août deux officiers passèrent la nuit dans notre maison : ils parlaient peu mais l’un deux dit que les Parisiens allaient marcher eux-mêmes sur Mayence pour reprendre la ville aux prussiens...
Rouffach 10 août 1793
Aujourd’hui était le Schwörtag, le jour des serments, mais aussi, comme à travers toute la France le jour anniversaire de la victoire de la Liberté et de la chute de la tyrannie, en d’autres mots, l’anniversaire du soulèvement du peuple parisien contre le roi, celui aussi de la destitution du roi, des mauvais traitements qu’on lui a fait subir, de son incarcération et pour finir de son exécution qui avait été une conséquence de cette journée, même si elle n’eut lieu que quelques mois plus tard. Un jour maudit dont le souvenir n’inspirait à tout bon bourgeois que des sentiments d’horreur. Et c’est justement ce jour là qu’on fêtait aujourd’hui. La tumultueuse administration provisoire fit interdire tout travail, sous peine de graves sanctions. Le marché hebdomadaire qui devait avoir lieu ce jour là avait été déplacé à la veille.
On planta pour l’occasion deux arbres de la Liberté : le premier près du Trottstein, le contrepoids de pressoir du haut duquel étaient lues les différentes annonces à la sortie des offices. On creusa une fosse à côté de cette pierre et on y planta l’arbre de la Liberté, décoré de tous les attributs de la Liberté. L’autre arbre fut planté sur la promenade...
Vers trois heures on autorisa également, pour la journée d’aujourd’hui et pour celle du lendemain de procéder à la moisson, pour pouvoir porter le grain à Colmar dans les deux jours.
Mais comme les paysans d’ici, soient n’obéirent pas à l’ordre qui leur avait été donné de procéder à la moisson, soit refusèrent de livrer le grain à Colmar, le Département donna l’ordre d’installer chez eux des soldats. Chez certains d’entre eux, on en plaça 6, chez d’autres huit, chez d’autres encore dix et chez d’autres aucun ! Mais ils repartirent tous le 14.
Rouffach 24 août 1793
Aujourd’hui une troupe de 50 prisonniers allemands remonta la ville. Des hussards, des cavaliers et des fantassins, ils venaient de Lorraine pour être « échangés...
Rouffach 25 août 1793
Ce matin à sept heures une sonnerie de tambour appela la Première Classe, c'est-à-dire tous les hommes célibataires de 16 à 40 ans, tous les veufs sans enfants, tous les hommes mariés de moins de 25 ans à se rassembler sous peine de mort, le lendemain matin à 7 heures sur la place d’où ils devaient rejoindre l’armée sans délai. Cet ordre cruel émanait du ministre de la guerre du département et du Commissaire du canton. Le tirage au sort de la veille avait donc été inutile et ceux qui avaient été si heureux d’avoir tiré un bon numéro se retrouvèrent trompés !
Rouffach 26 août 1793
Les hommes ne se pressèrent guère pour se retrouver sur la place à 7 heures du matin. A 10 heures ils n’étaient encore pas tous rassemblés. On leur annonça que le jeudi suivant, c'est-à-dire le 29, ils devaient se rassembler, sous peine de mort, sur la place pour marcher sans délai en direction de Colmar. Chacun devait se munir d’un vêtement convenable, de deux paires de chaussures, deux chemises et de vivres pour 3 jours.
Rouffach 4 septembre 1793
5. Gundolsheim: trois tués, de nombreux blessés dont Rothé, maire de Guebwiller
Aujourd’hui des patriotes, ou plutôt devrait-on dire, toute la racaille de Guebwiller, Bühl et d’autres localités de la vallée s’étaient assemblés, environ 400 hommes, armés pour certains de piques, d’autres de couteaux, de fusils, de faux et d’autres encore de fourches à fumier. Ils traversèrent Issenheim en direction de Merxheim où ils arrivèrent vers 9 heures du matin et y restèrent jusqu’à midi. Il fallut leur fournir la boisson et servir un repas à midi. Ils partirent sans avoir occasionné de dégâts .... La troupe se dirigea de là vers Gundolsheim où on était prévenu de leur arrivée imminente mais où l’on était trop peu nombreux pour leur résister. Déjà la veille, ceux de Gundolsheim avaient demandé l’aide à ceux de Rouffach, une aide qu’on ne put ou ne voulut pas leur donner. Le Commissaire de la ville, MUNSCH le jeune, avait fait parvenir une lettre d’avertissement à la municipalité de Guebwiller qui avait répondu que ceux de Rouffach et ceux de Gundolsheim étaient tous des aristocrates et c’est ainsi que Gundolsheim fut abandonnée à la furie de cette troupe de pillards...
Aucun homme ne s’avisa de paraître, laissant aux femmes le soin de porter sur les tables le vin, la viande et le pain. On obligea même un paysan à abattre son bœuf le plus gras, d’autres durent sacrifier leurs moutons. Les habitants cherchaient une aide de tous côtés, mais aucune municipalité n’osait intervenir par peur d’être elle-même assaillie par cette meute. Finalement elle s’adressa à TERNOIS, un patriote forcené d’Ensisheim, membre du Conseil du Département qui se mit en peine de venir en aide dans les meilleurs délais à cette malheureuse commune, même si celle-ci ne faisait pas partie de son canton. … Et comme un bataillon de la Garde Nationale se trouvait justement de passage à Ensisheim, il prit le commandement d’une partie de la troupe et arriva le 6 au matin à Gundolsheim. On se mit en poste aux sorties du village, les habitants furent contraints de s’enfermer dans leurs maisons après avoir dénoncé ou poussé au dehors les brigands qui s’y seraient trouvés. La Garde nationale fondit sur la troupe de brigands, le Maire de Guebwiller, qui se nommait ROTHÉ [2] fut blessé au ventre, trois autres furent tués et d’autres blessés. Une partie de cette racaille parvint à s’échapper, les autres furent faits prisonniers et conduits à Ensisheim : parmi eux ROTHÉ, le Maire de Guebwiller qui tenait son ventre de ses mains pour ne pas perdre ses intestins.... Lorsqu’on le fit asseoir dans un chariot et qu’il geignait de douleur à cause de sa blessure, TERNOIS lui cria : « C’est bien fait pour toi, sale chien (du Hund), tu n’avais qu’à rester chez toi ! » D’autres blessés dirent que c’étaient le Maire et le Curé de Guebwiller qui avaient organisé cette expédition insensée…
Rouffach 7 septembre 1793
Cette nuit à neuf heures et demie, alors que tout le monde dormait déjà, un grand tumulte s’éleva dans la ville. On alluma les « Pech Fackeln » toutes les torchères de la ville et il fut demandé à chaque maison de placer une lampe allumée devant ses fenêtres parce que l’on attendait la venue incessante de 2 000 soldats qui arrivèrent effectivement très peu de temps après. Toute la population était pleine d’effroi parce que personne ne connaissait les raisons de cette arrivée inattendue.
Il était déjà arrivé à deux reprises que des troupes avaient été ainsi envoyées à Rouffach par représailles, pour punir les habitants de la ville... C’est pourquoi beaucoup supposaient que ces troupes arrivaient ici pour des raisons identiques. D’autres pensaient que c’était à cause des événements qui s’étaient déroulés à Gundolsheim avec ceux de Guebwiller et de sa vallée. D’autres disaient qu’ils étaient là pour surveiller le long du Rhin... C’étaient essentiellement des grenadiers, bien équipés pour la plupart. Le tumulte dura toute la nuit dans les rues, la municipalité avait organisé des patrouilles dans toute la ville. Nous eûmes trois soldats à loger, d’autres en eurent jusqu’à dix, ce qui était très dur à supporter, d’autres en accueillirent 25 !
Rouffach 10 septembre 1793
Ce soir à six heures une troupe de 1000 soldats se présenta en ville. C’étaient des paysans du département d’Epinal, armés de longues piques et certains de fusils rouillés. Il devait en venir d’autres dans les jours à venir, environ 2000, pour rejoindre l’armée.
Hier tous les maréchaux ferrant et charrons de la ville durent se présenter à l’hôtel de ville. Ils devaient rejoindre au plus vite les ateliers nationaux pour y travailler pour la République. Il ne devait rester dans la ville qu’un seul de chacun de ces deux professions.
On venait de commencer aussi les travaux dans le couvent des franciscains pour transformer ses locaux en hôpital. L’église elle avait déjà été transformée pour cet usage et les propriétaires touchaient un loyer annuel...
Rouffach 12 septembre 1793
Ce matin à cinq heures et demi, les tambours sonnèrent le rassemblement de tous les célibataires sans exception ainsi que des hommes mariés jusqu’à 45 ans qui devaient se tenir prêts à partir combattre l’ennemi. Ils devaient se munir des armes dont ils disposaient eux-mêmes et de vivres pour 12 jours. Le tocsin sonna sans interruption ici et dans tous les villages, ainsi que le stipulait la loi qui ordonnait de sonner la Sturm Glocke, sans interruption pendant 48 heures, lorsque l’ennemi approchait. On ne savait pas à quel moment était fixé le départ et on attendait les ordres. A 11 heures on collecta du vin pour les défenseurs de la nation...
Les meuniers et les boulangers durent en toute hâte moudre du grain et cuire du pain.
A quatre heures arriva à bride abattue un messager avec l’ordre de se mettre en marche. On sonna le rassemblement et comme on se doutait bien que les hommes allaient rechigner à se mettre en route, le procurateur de la Commune parcourut toute la ville accompagné d’un sergent et d’un hallebardier, annoncer partout au son du tambour que tous ceux qui refuseraient de se mettre en marche y seraient contraints par la force et qu’on confisquerait tous leurs biens. Mais rien n’y fit et les bourgeois ne semblaient pas impressionnés par la menace, puisque à 5 heures, il fallut à nouveau sonner le rassemblement. L’un des tambours annonça que tous ceux qui ne se présenteraient pas immédiatement sur la place seraient déclarés comme Aristocrates et comme rebelles. Les habitants sortirent l’un après l’autre de leur maison, mais se rassemblèrent en petits groupes s’entretenant entre eux, pendant que leurs épouses pleuraient...
On sonna à nouveau le rassemblement à 5 heures et demi et on annonça que tous ceux qui devaient partir devaient rejoindre la place. S’ils ne venaient pas on utiliserait la force.
Peu à peu les Rouffachois se rassemblent .
On renvoya beaucoup d’entre eux chercher dans leur maison toutes les armes qu’ils pouvaient y trouver : des piques, des sabres, des pelles, des houes, des pioches, des fourches et des haches...
A 6 heures et demie, la troupe quitta enfin la ville, s’attardant encore quelque temps sur la Niedermatte. Les hallebardiers patrouillaient dans toute la ville à la recherche de ceux qui ne seraient pas partis, et cela tout au long de la nuit.
Ceux que leur âge avait préservés et les femmes étaient tous plongés dans la plus grande détresse. Leur peine était d’autant plus grande que dans la même nuit devaient arriver du département des Vosges 1400 soldats dont on ignorait les intentions, qui pouvaient causer des troubles et commettre toutes sortes de violences contre les femmes abandonnées par leurs époux et leurs fils. Ils arrivèrent à 8 heures seulement. Il fallut trouver un logement dans l’obscurité, mais ils étaient tous des gens pacifiques que l’on avait eux aussi arrachés du giron familial. Ils étaient exceptionnellement gais et chantaient à tue tête. Mais aucun d’eux n’avait crié à aucun moment Vive la Nation....
On apprendra un peu plus tard que ceux de Rouffach avaient été dirigés vers le sud de l’Alsace, le long du Rhin, vers Huningue, Bâle...Toutes sortes d’informations arrivent à Rouffach à leur sujet, le plus souvent des mauvaises nouvelles, rapidement démenties par d’autres... ils seront de retour à Rouffach 10 jours plus tard...
Les mêmes scènes se reproduisaient également dans les villages alentour et l’abbé VOGELGSANG, derrière ses volets clos voit évidemment passer les recrues des villages du Nord : ceux de Pfaffenheim qui vont rejoindre leur position à KEMBS, ceux de Hattstatt qui passèrent le 14, en priant tous le chapelet et en chantant les litanies...
Et ceux de Gueberschwihr ? Eh bien, les hommes de Gueberschwihr avaient refusé catégoriquement de partir à la guerre et étaient tout simplement restés chez eux!
On leur intima l’ordre d’obéir sans délai, sans quoi on leur confisquerait tous leurs biens et on les passerait tous au fil de la guillotine...
Rouffach 15 septembre 1793
6. où il est encore question du courage des femmes de Rouffach
Le Wachtmeister TÖNLEN, de sinistre réputation, qui faisait une patrouille pour rechercher ceux qui n’avaient pas répondu à l’appel tomba sur un homme, un infirme boiteux qui aurait été dans l’incapacité de marcher plus d’une heure d’affilée. Dès qu’il l’aperçut, il se jeta sur lui, le plaqua contre terre et lui pointa sur le cœur un pistolet chargé qu’il portait constamment sur lui. Il tira son sabre et le menaça de le massacrer sur le champ. C’est alors qu’apparut de tous côtés une foule de femmes qui prirent la défense du malheureux et implorèrent TÖNLEN de l’épargner. Ce dernier ne voulant rien entendre menaça la troupe de femmes de son arme. L’homme, qui s’appelait Joseph DÜRR, en profita pour disparaître dans une maison.
Ce rassemblement de femmes venues de tous les coins de la ville apparut comme pouvant s’avérer très dangereux et on dépêcha aussitôt des hallebardiers sur place pour disperser cette armée de femmes, qui n’avait pas attendu ce moment pour disparaître ! Partout où on en trouva trois ou quatre assemblées on se jeta sur elles, le sabre à la main et elles durent se réfugier dans les maisons. On fouilla également de fond en comble la maison où devait s’être réfugié Joseph DÜRR, et toutes les maisons alentour, mais sans succès.
Rouffach 16 septembre 1793
7. le bombardement de Neuf-Brisach
Dans la nuit de hier à aujourd’hui la ville de Vieux Breisach fut bombardée par les français et réduite en cendres. On put apercevoir encore ce matin à 4 heures les flammes qui montaient haut dans les airs, le jour même on ne voyait plus qu’un grand panache de fumées.
Le soir à 4 heures le bombardement de Vieux Breisach reprit. La fumée causée par l’incendie était effrayante à voir, on la voyait très nettement tout comme les flammes qui montaient du couvent des Dames. C’était un spectacle qui brisait le cœur de voir que tant de gens, que cette guerre ne concernait pas, étaient plongés dans un tel malheur...
Rouffach 17 septembre 1793 MS 858
A 8 heures et demie du soir on frappa à notre porte. Mon père aperçut alors devant la porte d’entrée une troupe d’hommes qu’il reconnut pour être la garde. Il referma les volets en toute hâte et ne put que me dire avec grand peine : « la garde est devant notre porte, une masse d’hommes... ». On peut s’imaginer quelle était à ce moment-là notre frayeur en pensant au sort qui pouvait s’abattre sur un prêtre réfractaire, sur un père et des proches qui l’avaient caché...
Je pris rapidement ma montre que j’avais laissée accrochée dans ma chambre à coucher et qui pouvait trahir ma présence, même s’il restait dans les deux pièces d’autres indices qui auraient pu révéler ma présence. Je montai en toute hâte au grenier, suivi par notre bonne qui avait entendu les coups frappés à la porte et elle m’aida à m’introduire dans l’étroite cachette. J’y parvins à grand peine, elle referma ma cachette et éparpilla un peu de paille tout autour pour effacer toutes traces...
Ces hommes venaient simplement chercher des haches destinées aux soldats afin qu’ils puissent couper du bois pour se chauffer ! des haches qu’ils oublient d’ailleurs d’emporter en partant...
Cette collecte de haches se poursuivit jusqu’à 3 heures et éveilla dans les autres maisons autant de frayeurs que dans celle de VOGELGSANG.
Rouffach 20 septembre 1793 MS 859
Aujourd’hui à 9 heures environ 80 soldats prisonniers ennemis ont traversé la ville, des hussards, des cavaliers et des fantassins, sous six uniformes différents...
On a conduit également dans la journée d’hier près de 300 chasseurs : beaucoup d’entre eux étaient malades, les autres estropiés ou blessés. Comme ils étaient entrés dans la ville par la porte de Breisach, je supposai qu’ils avaient dû être de la désastreuse tentative de traversée du Rhin. Tous ceux qui les voyaient passer avaient les larmes aux yeux...
Rouffach 22 septembre 1793 MS 859
Cette après-midi à une heure et demie arrivèrent ici environ 400 soldats paysans (Baurensoldaten) que personne n’attendait. Ils portaient des faux, des couteaux fixés à de longues perches par des anneaux de fer. Certains cependant avaient des fusils et des sabres. A leur costume on vit tout de suite qu’il s’agissait d’habitants de la vallée de Munster. Ils passèrent la nuit ici, mais on ne savait pas la raison de leur présence et leur destination et tout le monde était très inquiet. Beaucoup d’entre nous étaient persuadés qu’ils étaient là pour éliminer les aristocrates. D’autres pensaient qu’on les avait fait venir pour conduire de force ceux de Gueberschwihr ou d’autres villages à l’armée...
Le soir à 8 heures, on entendit des roulements de tambour : chacun devait poser devant sa maison une lampe allumée. Nous étions très inquiets, pensant que c’était pour permettre à ces gens de la vallée de Munster de perquisitionner dans les maisons ou alors que cela annonçait l’arrivée d’autres troupes de soldats... Mais bientôt circula l’heureuse nouvelle du retour de nos soldats, dont certains étaient déjà dans le bas de la ville. Ils n’étaient pas seuls, avec eux se rentraient tous ceux des villages voisins, si bien que leur défilé dura toute la nuit, à la lumière des torchères de poix qu’on avait allumées dans les rues. Les cris de joie ne cessèrent que le lendemain matin, vers 10 heures.
C’est ainsi que se terminait la campagne ou plutôt la croisade riche en péripéties de cette armée de bourgeois et de paysans qui n’avait duré en tout que dix jours...
Rouffach 26 septembre 1793 MS 858
8. arrestation de l'abbé Joseph THOMAS à Munwiller
Dans la nuit du 25 au 26 on découvrit et arrêta à Munwiller un ecclésiastique. Une femme du village était venue le dénoncer ici, au poste de garde. Aussitôt on rassembla une troupe de grenadiers patriotes avec à leur tête TÖNLEN der Wachtmeister et quelques hallebardiers.
La troupe se rendit à Munwiller, encercla la maison et on découvrit l’homme, caché dans une étable. Il fut conduit à Rouffach où l’on arriva à la tombée de la nuit du 25 et confié à la garde municipale.
Il s’agissait d’un dominicain originaire de Guebwiller, du nom de THOMAS (l’abbé Joseph THOMAS, 1742 - 1793). Son frère, un fervent patriote, est médecin, ici à Rouffach et son cousin y est pharmacien. Ce dernier, un homme bien-pensant, apporta au poste de garde une couverture pour son cousin. Mais TÖNLEN la lui arracha des mains, lui disant que ce chien pouvait bien coucher à même le sol. Lui-même s’y étendit et s’endormit paisiblement... Les 11 gardiens s’endormirent également, seul resta éveillé un certain BAUMANN, un vieil homme, chargé de monter la garde.
THOMAS réussit à se libérer de ses liens qui entravaient ses mains et ses pieds et sortit par la porte : la sentinelle ne dit rien (sagte nichts)... Lorsque TÖNLEN se réveilla, il s’enquit de son prisonnier et entra dans une rage folle en constatant qu’il lui avait échappé. Il donna aussitôt l’ordre aux gardiens des portes de ne laisser sortir personne de la ville. On parcourut toute la ville à la recherche du fugitif et on fouilla même de fond en comble toutes les maisons du haut de la Weidgasse où on avait signalé la présence d’un inconnu. Ce n’est qu’à six heures du matin qu’on rouvrit les portes de la ville. TÖNLEN et ses acolytes patriotes étaient hors d’eux et hurlaient partout que les religieux étaient des sorciers... Les aristocrates, quant à eux, avaient de la peine à contenir leur joie. La sentinelle, un pauvre malheureux, fut jetée en prison et relâchée peu après.
Rouffach 29 septembre 1793 MS 859
Aujourd’hui un convoi de 80 soldats ennemis traversa la ville... on amena pour la première fois 10 voitures chargées de soldats malades au couvent des franciscains qui commençait à manquer de lits.
On vit passer également dans la journée d’hier et d’aujourd’hui un grand nombre et soldats et d’hommes isolés, avec un petit bagage mais sans armes, apparemment des français en route pour Lyon.
Rouffach 30 septembre 1793 MS 859
Depuis le 27 août jusqu’au 30 de ce mois inclus j’ai vu passer 332 voitures chargées chacune de 10 malades à destination des hôpitaux ce qui donne un chiffre de plus de 3200 soldats malades qui ont passé ici. Si l’on ajoute à ceux-ci les malades isolés qui ont rejoint leur maison familiale par leurs propres moyens, ceux qui se trouvaient dans les hôpitaux du Rhin inférieur où tous les couvents avaient été aménagés en hôpitaux et ceux qui avaient été dirigés vers la Lorraine, on arrivait à une armée de malades et cela uniquement en comptant ceux de l’armée du Rhin !...
Rouffach 8 octobre 1793 MS 859
Aujourd’hui le 3 octobre près de 80 prisonniers de guerre remonta la ville, sous bonne escorte. On y distinguait pas moins de six uniformes différents...
Rouffach 10 octobre 1793 MS 859
A dix heures se matin est passée ici une centaine de cavaliers... ils avaient l’air épuisés, les hommes comme leurs chevaux étaient affamés et semblaient malades. Quelques-uns d’entre eux entrèrent dans notre maison et demandèrent du pain ... Passèrent également 73 voitures chargées de malades et de blessés, probablement des gens de la garnison de Landau.
Le soir à 5 heures, on amena de Soultzmatt une voiture encadrée par des hallebardiers et chargée de prisonniers, essentiellement des femmes... on les enferma tous dans la maison de l’ordre teutonique, malgré le refus qu’opposèrent ses locataires ! Sans doute ces femmes n’avaient elles commis d’autre crime que d’avoir montré un peu de joie à l’annonce d’une victoire emportée par les prussiens, ou d’avoir raconté cette victoire à une autre... Certaines d’entre elles étaient peut-être là aussi parce qu’elles avaient manifesté un peu de compassion à des religieux que l’on emmenait...
Rouffach 17 octobre 1793
Le 17 octobre passe à Rouffach une vingtaine de religieux réfractaires que l’on conduisait du séminaire de Strasbourg en Franche Comté. Une demi-heure plus tard passent 6 autres voitures, elles aussi chargées de religieux, encadrés par 15 dragons à cheval.
La population de Rouffach était très inquiète au sujet du sort réservé à ces hommes : on leur donna du vin, du raisin et de l’argent lorsqu’ils firent une halte dans la ville. A leur départ, tout le monde était en larmes.
Les perquisitions, les intrusions dans les maisons sont quotidiennes, sous toutes sortes de prétextes : estimation des stocks de vin, de grain, de foin, de paille... une simple dénonciation suffit... Ainsi, le 8 octobre TÖNLEN, toujours lui, se rue dans la maison dont on lui avait dit que le propriétaire conservait caché dans son grenier l’habit d’un religieux, le père ISIDORE, un franciscain !...
Rouffach 31 octobre 1793
Pendant le mois d’octobre, sont passées en tout 514 voitures chargées de malades et de blessés. Certains furent déposés à Rouffach au couvent des franciscains, les autres poursuivirent leur route vers le sud de l’Alsace et la Franche Comté.
Rouffach 8 novembre 1793
Nous vivons dans une anxiété permanente : tout ce qu’on pouvait voir et entendre autour de nous était source de Terreur. On entend dire aujourd’hui que près de 400 personnes d’ici se trouvaient sur une liste de personnes qui devaient être déportées et parmi elles toutes celles qui avaient des relations, fussent-elles lointaines, avec un religieux...
Il y a quelques semaines, vers le 20 du mois précédent, j’étais résolu à quitter le pays, je m’étais informé et j’avais commencé à préparer diverses choses pour ce voyage, mais ce voyage s’avéra très rapidement irréalisable et je dus y renoncer, à contre cœur.
Depuis le 4 novembre, cela faisait exactement un an que j’avais célébré ma dernière Messe, le 4 novembre 1792 dans l’église paroissiale d’Affeltrach, le jour même de mon départ. Et cela fait donc une année entière que je vivais terré en Alsace sans véritable espoir de voir la fin de mon bannissement.
Rouffach 13 novembre 1793
9. un gendarme s'installe dans la maison...
Le 13 novembre, un gendarme prend ses quartiers dans la maison, pour une durée d’un mois. C’était un individu très désagréable, qui rentrait souvent saoul et qui se montra rapidement insupportable…Il fallut lui remettre une clé de la maison et la situation devint dangereuse, au point que VOGELGSANG songe à se réfugier à PFAFFENHEIM, ce dont on le dissuade rapidement, Pfaffenheim s’avérant aussi dangereux que Rouffach…
Finalement VOGELGSANG quitte la maison paternelle et trouve refuge chez un ami de la famille, Joseph SAUTER au matin du 25, à six heures... chez qui il ne se sentira d’ailleurs guère plus en sécurité !
Rouffach 16 novembre 1793 MS 858
10. la croix de la Mission de la porte de Colmar
la croix de la Mission sur la "promenade", après la Porte Neuve ou porte de Colmar (actuelle allée De Vanolle)
Ce soir à 4 heures et demie on devait procéder à l’enlèvement de la Croix de Mission qui se trouvait au bout de la promenade, devant la porte de Colmar et la transporter dans l’église paroissiale, ainsi que l’ordonnait un décret qui stipulait que toutes les images saintes devaient disparaître de la voie publique.
Le curé constitutionnel et l’administration provisoire de la ville avaient organisé une procession qui devait se rendre de l’église au lieu où se trouvait la dite croix de Mission. Le conseil municipal au grand complet, le bureau du juge de paix (der Friedensbureau) et un grand nombre de patriotes se trouvaient dans la foule qui suivait cette procession, composée pour la plus grand part d’aristocrates qui voulaient voir cette croix une dernière fois avant qu’elle soit transférée dans l’église de la Constitution.
A peine la procession fut elle arrivée au pied de la croix que surgit un commissaire de la Guerre ein Kriegs commissarii qui menaça le curé de l’abattre d’une balle, celui-ci laissa choir son étole de peur, tous les fonctionnaires de la municipalité s’enfuirent à toutes jambes car, eux aussi, il les menaçait de les abattre tous ! Les porte-drapeaux replièrent leurs drapeaux et les portèrent en silence à l’église et toute la procession se dispersa pendant que l’autre vociférait en hurlant que cette croix était une pierre comme une autre...
Dans la même nuit nous avons fait disparaître de la façade de notre maison l’image de la Vierge qui s’y trouvait dans une niche...
Rouffach 23 novembre 1793 MS 859
Nuit de terreur. 34 personnes furent arrêtées dans la nuit du 23 au 24, hommes et femmes tous issus des familles les plus respectables et les plus aisées, pères, frères, épouses et sœurs d’émigrés, mais aussi de simples personnes bien-pensantes, de membres de la municipalité suspendue ou de religieuses, 16 hommes et 18 femmes, dont 14 religieuses.
La perquisition durera de 6 heures du soir à 5 heures le lendemain matin et on procéda dans la journée à la mise sous scellés de tous leurs biens.
La situation est rigoureusement la même dans les villages alentour : à Pfaffenheim on a également procédé à des arrestations, celle de proches de trois religieux recherchés …
Rouffach 8 décembre 1793
11. l'abbé Thomas est exécuté à Colmar
Dans l’après-midi des bourgeois en armes de Guebwiller conduisirent à Rouffach le religieux (l’abbé Joseph THOMAS) [3] et qui s’était enfui qui avait été fait prisonnier à Munwiller et qui avait réussi à s’échapper du poste de garde (le 26 septembre 1793). Il avait été trouvé caché dans une cheminée...
On l’avait assis dans un chariot avec sa sœur chez qui il s’était réfugiée. Il fut conduit au commissaire DUPRÉ qui voulut savoir par qu’il avait été hébergé tout au long de sa fuite. Comme il ne voulut rien dire, on lui porta un violent coup qui lui transperça la cuisse et un autre qui le toucha aux côtés... il tenta de panser sa plaie à l’aide de son mouchoir et on le précipita ainsi, sans lui porter d’autres soins, dans un sombre cachot. On interdit à quiconque de l’approcher et on l’abandonna, on lui porta juste de l’eau et du pain sec...
Il fut conduit à Colmar le 10 décembre et décapité le 11 en début de la nuit...
Toutes les promesses, les menaces, les violences de toutes sortes qu’on lui fit subir pour lui faire dire où et par qui il avait été hébergé et caché, ne parvinrent pas à briser son silence et il marcha vers la mort comme un prêtre et un chrétien qui meurt pour sa religion. Il fut donc le premier dans notre région à verser son sang pour sa foi.
Rouffach 9 décembre 1793
12. saccage des sculptures du grand portail de l'église
... le matin, tous les maçons et tailleurs de pierre avaient été convoqués au pied de l’église. On leur donna l’ordre d’arracher et de briser toutes les sculptures, toutes les croix, représentations des saints et tout ce qui avait trait à la religion catholique. A dix heures du matin trois ouvriers maçons s’affairaient à briser les sculptures du grand portail, un chef d’œuvre qui n’avait de pareil que celui du portail de la cathédrale de Strasbourg et qui représentait le Jugement dernier. Une grande quantité d’autres précieuses statues, qui se trouvaient à l’intérieur de l’église et en particulier dans le chœur furent également saccagées. Le cimetière avait été, deux jours plus tôt, transformé en un immense champ de ruines. Les habitants de Rouffach avaient mis en lieu sûr les pierres tombales et les croix des tombes familiales. Mais tout ce qui n’avait pas été emporté ou n’avait pu l’être fut réduit en morceaux. Il était question d’aménager un nouveau cimetière devant la porte de Froeschwiller.
L’après-midi les gardes nationaux procédèrent à la démolition des 10 autels de l’église, qui, bien qu’étant en bois et non en pierre, étaient tous de magnifiques chefs d’œuvre de la sculpture. Les grandes statues, portées par trois ou quatre hommes, furent placées devant l’église où le capitaine des soldats les tourna en dérision, leur posant des questions, crachant sur elles ou les frappant au visage... voilà jusqu’où allait le blasphème...
Et c’est ainsi que notre église ne s’appela plus église, mais Temple de la Raison.
Rouffach 10 décembre 1793
13. le premier National Gottesdienst dans l'église rebaptisée temple de la raison
Vingtième jour du troisième mois de la deuxième année de la République (le 20 frimaire de l’an II de la République) [4]
Ce matin il n’y eut pas d’office religieux et il était rigoureusement interdit de travailler, même les commerçants n’avaient pas le droit de vendre les denrées les plus indispensables. Tous les habitants étaient endimanchés. La garde patrouillait dans les rues pour vérifier que personne ne travaillait...
A deux heures et demie des roulements de tambours invitèrent tous les bourgeois et bourgeoises de la ville à s’assembler dans le Temple de la Raison. On sonna les cloches et effectivement à trois heures débuta le premier « national Gottesdienst ». L’église était pleine à craquer de gens de tous âges et de toute condition que la curiosité avait attirés ici. Le commissaire DUPRÉ fut le premier à monter à la tribune et tint un discours en français d’une voix forte, ponctuant ses paroles d’énergiques gesticulations... L’essentiel de son discours était des imprécations contre Dieu, la religion et les aristocrates. Jésus Christ était lui-même un aristocrate, la religion chrétienne une aberration et une folie et il termina par une exhortation à la fidélité à la République... et on applaudit...
Puis ce fut au tour du curé KELLER de monter en chaire : il était vêtu d’une tenue civile et pendant tout son discours il garda son chapeau sur la tête. Il lut un texte rédigé en français duquel on comprit du reste peu de mots... On comprit juste qu’un MONT allait être érigé dans l’église. Il dit aussi que la religion ne valait rien, que les autels et toutes les célébrations religieuses relevaient du charlatanisme....
14. l'orgue joue la Marseillaise...
Après lui parut un autre Commissaire qui tint lui aussi une petite allocution en français. Pis un quatrième, également un commissaire qui lui ne fit pas de discours mais entonna le chant des Marseillais, tous les soldats et les gamins des rues chantèrent avec lui et l’orgue les accompagna !
On applaudit et c’est ainsi que prit fin ce « Tempeldienst »... Toute l’équipe municipale portait un bonnet rouge. La plupart des auditeurs étaient muets d’indignation et même des patriotes se demandaient les uns aux autres comment une telle chose pouvait être possible ! Beaucoup ne pouvaient retenir leurs larmes quand on leur demandait ce qu’ils pensaient de tout cela.
Rouffach 23 décembre 1793 3 Nivôse
Aujourd’hui on aménagea en toute hâte un hôpital pour 300 malades dans la maison de Monsieur MÜLLER, ancien commandant de la place de Lauterbourg. Il y avait une si grande quantité de malades que l’on pensait ici que chaque habitant allait devoir en loger chez lui. Tout le monde était très inquiet à cause de cette perspective : ces malades occuperaient beaucoup de place dans les maisons, occasionneraient beaucoup de troubles et il aurait fallu leur fournir en plus des soins tout le reste nécessaire, vu que la nation ne s’en chargeait pas...
Chaque jour apportait ici sa cargaison de 300 malades et blessés, une partie restait sur place, l’autre était acheminée sur Thann.
Rouffach 31 décembre 1793
Ce mois-ci, 560 voitures chargées de malades et de blessés sont entrées dans la ville. Sur chaque voiture on pouvait compter une moyenne de 10 personnes ce qui donne un nombre de 5 600 personnes. Beaucoup d’entre eux furent accueillis au couvent des franciscains mais la plupart furent emmenés à Thann et d’autres destinations. Le nombre des voitures qui passa sous mes yeux entre le 27 août et aujourd’hui s’élève à 1 766, ce qui donne un nombre de blessés et de malades de 17 660.
1794 9 janvier MS 859
Aujourd’hui eut lieu le premier DECADI, ou fête de la Nation, au cours duquel fut célébré dans le Temple de la Raison le service divin tel qu’il était prévu par la loi.
L’après-midi, les tambours appelèrent la population à se rassembler : chaque bourgeois était tenu de se présenter en armes...
Les festivités furent ouvertes par Théobald MÜNSCH, commissaire de la ville, avec un discours tenu en français. Puis ce fut le tour de FRICK, l’arpenteur et agent national, qui tint un discours en allemand sur la liberté, la suppression du joug des seigneuries, l’absolutisme du Roi, et autres sujets du même genre...
Enfin ORTLIEB, greffier municipal, gravit les degrés de la chaire. Il était de confession luthérienne alors que les deux premiers orateurs étaient des catholiques. Il s’attaqua violemment à la religion, disant que nos anciens avaient tous vécu dans l’erreur, les images des saints, les autels des églises n’étaient rien d’autre que des manifestations de l’idolâtrie, inventée par les maudits évêques et dont l’entretien n’avait coûté que trop d’argent !....
Il traita les bourgeois de la ville d’aristocrates, il les menaça du même sort que celui des bourgeois de Toulon qui s’étaient traîtreusement rendus aux anglais, mais leur ville avait été reconquise et complètement rasée... Par contre il fit l’éloge de la population de Landau, de Haguenau et de Wissembourg qui s’était comportée vaillamment...
Enfin il appela tous les bourgeois à se défendre jusqu’à la mort pour la Liberté, à se sacrifier jusqu’à former un rempart de leur corps pour protéger de l’ennemi les autres régions de la République. (À mots couverts on pouvait comprendre que l’Alsace tout entière allait être sacrifiée...)
Il parla également de la noblesse orgueilleuse et des religieux réfractaires qui ne méritaient que de dépérir dans la misère.
Il termina son discours en entonnant le chant des Marseillais « Allons enfants de la patrie... », imité par tous les soldats et beaucoup d’auditeurs présents...
A la suite de cela, la musique joua, au pied du Mont, alternant avec des chants, pendant environ une demi-heure.
A la fin de chaque morceau, comme cela avait déjà été le cas à la fin de chaque discours, la foule claquait vaillamment dans ses mains.
Mais dans tout cela, ce qui était le plus remarquable, c’était le Mont ! Il venait d’être terminé le matin même et c’était donc là son inauguration officielle.
A son sommet, se trouvait la Déesse de la Raison (il se serait agi d’une certaine HUENTZ qui se trouvait être la belle-sœur de JÄNGER, le maire assassiné), armée d’une pique.
Un peu en contrebas étaient assises trois femmes de la bourgeoisie, dont la tête touchait presque les voûtes de ce qui avait été le chœur de l’église d’avant... Un peu plus bas, était assise une douzaine de jeunes filles de 10 à 14 ans, filles de bourgeois de la ville.
Dans des loges cloisonnées par des branches de sapin et disposées les unes au-dessus des autres à la manière d’un amphithéâtre, d’où elles dominaient les auditeurs placés en contrebas, étaient assises d’autres jeunes femmes et femmes mariées, toutes avec leur parure de bijoux, aristocrates et patriotes que l’on avait priées d’être présentes.
Dans les loges inférieures, à mi-hauteur du MONT, étaient placés les musiciens.
Ce Mont n’avait par ailleurs rien de particulier : ce n’était qu’un échafaudage de bois, à l’exception de l’étage supérieur qui, comme déjà dit, était recouvert de branches de sapin.
Quant au dix commandements qui, à en croire le sermon du curé du dernier dix décembre, on ne les voyait nulle part... A moins que le curé ait mal compris et que c’étaient les jeunes filles dont il s’agissait ! (VOGELGSANG avait d’abord écrit, puis rayé Frauenzimmer !)
Il faut ajouter qu’au début de la célébration avait été célébrée l’union nuptiale d’un couple de patriotes, un bourgeois fortuné, veuf et sourd avec une jeune bourgeoise....
Après toutes ces festivités dans le Temple de la Raison, on alluma sur la place un grand feu de joie. On y brûla les tabernacles, les piétements des autels, leurs colonnades et autres parties en bois. Les images des Saints ne furent pas touchées, la municipalité, qui tenait encore à faire preuve d’un peu d’esprit chrétien, les avait fait mettre en sécurité dans une des tours de la ville.
Sur le bûcher étaient également déployés les drapeaux des trois corporations...
La Déesse de la Raison mit le feu à une botte de paille disposée dans le tabernacle, tenant d’une main le flambeau, de l’autre la pique coiffée du bonnet républicain.
Lorsque le bûcher s’enflamma, on forma tout autour une ronde qui dansa au son de la musique.
C’est là que l’on pouvait prendre conscience de ce que signifiait le mot Egalité : il y avait là des riches et des pauvres, hommes et femmes, jeunes et vieux, main dans la main, gambadant (hüpsen !!!) autour des flammes qui dévoraient les symboles de la vieille religion pour laquelle on éprouvait tant de dégoût !
Après cela, on distribua de l’argent aux pauvres, à l’occasion de ce premier culte célébré sous le signe de la Raison...
A la nuit, il y eut un grand bal dans la maison communale.
Tout au long de ces diverses cérémonies, les différents orateurs, les fonctionnaires municipaux, les membres du Comité et la plupart des patriotes avait coiffé le bonnet rouge. Le curé et son chapelain, eux aussi, étaient présents.
On peut s’imaginer sans peine l’impression qu’avait faite ce culte insensé sur tous les chrétiens bien-pensants, qu’un ordre, des menaces ou encore la simple curiosité avait amenés ici. Au moment où l’orateur, le luthérien, blasphémait dans son discours sur la religion, les évêques, l’ensemble du clergé et de la noblesse, une masse d’entre eux se leva pour quitter le Temple, ce qui le mit hors de lui : « Voyez, hurla-t-il, ils s’en vont, les aristocrates, ils ne supportent pas d’entendre la voix de la Raison ! » Et il ordonna aussitôt de placer des gardes aux portes et tout le monde dut rester jusqu’au bout de cette scène que chacun aurait souhaité n’avoir jamais vécue. Tous étaient abattus, autant par le spectacle de ce culte nouveau que par les menaces proférées par l’orateur et les nouvelles alarmantes qu’il avait données de la guerre, tous commençaient à perdre espoir d’être un jour libérés de cette misère...
Rouffach 28 février 1794
15. le commandant MULLER décapité à Colmar
... comme cela avait été annoncé la veille, le commandant MÜLLER, a été décapité le 27 février à Colmar. A quatre heures de l’après-midi il ne se doutait pas encore du sort qui lui était réservé et une heure plus tard tout était terminé. Auparavant il avait encore reçu la visite d’un de ses jeunes enfants qui avait été informé du verdict avant qu’il ne l’eut été lui-même. Son seul crime avait été de faire parvenir à son fils émigré la somme de 400 livres que celui-ci lui avait réclamée.
Une lettre qu’on avait trouvée chez lui était la seule pièce à charge contre lui. Malheureuse lettre qui aurait dû être brûlée aussitôt et dont la conservation inexpliquée a plongé toute une famille dans un grand malheur.
Ses brevets d’officier furent brûlés sur un brasero, posé sur l’échafaud. Sa veuve, née d’Arimont partit en exil et la propriété fut confisquée...
Rouffach 30 février 1794
TÖNLEN, le capitaine des gardes de sinistre réputation, a assassiné avant hier de sang-froid un soldat qui s’était attardé dans la rue. Tous les aristocrates se réjouissaient de ce crime, tous pensaient que TÖNLEN allait être puni de la guillotine. On ne le vit plus guère dans les jours qui suivirent ce qui laissait à penser qu’il se trouvait en prison où qu’il avait pris la fuite. Mais tout cela était faux : l’assassin ne fut pas inquiété et tout se passa comme s’il s’était agi de l’assassinat d’un quelconque aristocrate !...
16. où il est à nouveau question du courage des femmes de Rouffach
En mars 1794, les Patriotes avaient convié à une brillante festivité qui devait se dérouler dans le Temple de la Raison : mais lorsqu’on ouvrit les portes on découvrit la « Montagne » saccagée et renversée et l’église remplie des femmes de Rouffach en prière : une fois encore les femmes de Rouffach ont montré leur détermination…
Rouffach 30 mars 1794
Aujourd’hui on planta deux nouveaux arbres de la Liberté, le premier près du poste de garde, le second sur la place. C’étaient deux jeunes sapins que l’on avait déterrés de la forêt, avec leurs racines.
A la fin de la cérémonie, le Commissaire monta sur le Trottstein et tint son discours : « ... comme ces jeunes arbres vont s’épanouir , ainsi s’épanouira notre jeune Constitution... »
Mais on doutait beaucoup de la reprise et de la croissance de ces arbres que l’on devait arroser tous les jours et dont on avait omis de retailler les branches et les racines au moment de les planter et beaucoup se réjouissaient à l’avance de les voir dépérir bientôt !
Rouffach 11 mai 1794 MS 0.859 folio 107 verso
Dimanche après-midi, Joseph NELLE, un perruquier, fervent patriote, interrompt brutalement une procession d’enfants âgés de 7 à 10 ans ; parmi eux deux fillettes qui portaient une statuette de la Vierge et d’autres qui agitaient des fanions en papier. Tous priaient le chapelet, d’une voix forte et assurée. Il disperse la procession en jurant et en vociférant, réduit en morceaux l’image de la Vierge et son support, déchire leurs fanions et en piétine furieusement les morceaux, sous le regard de nombreuses personnes qui avaient regardé passer la procession.
L’une d’entre elles ne put se retenir et s’interposa et demanda sur le ton de l’ironie pourquoi NELLE se mêlait du jeu de ces enfants. NELLE lui répondit dans un flot de jurons qu’il n’était qu’un sale aristocrate et qu’il allait le faire jeter en prison...
Le cahier MS 0.859 se termine ici.
Rouffach 6 juin 1794
Cette après-midi on sonna la cloche pour le rassemblement au Temple de la Raison où se trouvait déjà toute la municipalité avec un Commissaire du département. Ce dernier, accompagné par le Commissaire municipal MUNSCH monta en chaire et annonça qu’un certain nombre de citoyens de Rouffach avaient porté plainte auprès du Département contre la municipalité de Rouffach. Le Département l’avait nommé pour mener une enquête et entendre les citoyens qui avaient à se plaindre du sieur MUNSCH, présent à ses côtés. Des hurlements s’élevèrent de tous côtés : les uns se plaignaient de MUNSCH, d’autres de Joseph NELLE, d’autres encore de SCHOEN, le juge de paix et de SCHLEGEL,son greffier, d’autres enfin contre le capitaine des gardes ou d’autres fonctionnaires de a municipalité...
On finit par se séparer, sans que le calme soit revenu. Plus tard on raconta que Joseph NELLE avait été suspendu, tout comme SCHOEN, le juge de Paix. Ludwig JAENGER, un fils du JAENGER tué au château aurait été nommé juge de Paix et que Antoine ALLEMAND aurait été nommé Municipalbeamter...
17. Après la tourmente...
Progressivement, on revient vers des temps plus calmes et plus sereins :
- les lois et les décrets ne sont plus rendus publics au Temple de la Raison mais à l’hôtel de ville
- la vente des biens des émigrés cesse
- les déportés, les émigrés et les religieux reviennent progressivement
- les DECADI (Dixième et dernier jour de la décade républicaine qui était chômé et correspondait au dimanche, dernier jour de la semaine) disparaissent et les dimanches réapparaissent
- la cloche qui invita les bourgeois de Rouffach à fêter l’anniversaire de l‘exécution du roi, le 21 janvier n’attira que peu de gens dans l’église
- le 15 mars, les offices reprennent dans l’église paroissiale dévastée…
Rouffach 20 septembre 1797 Coll. particulière
J.M. VOGELGSANG rend l’église des Franciscains au culte après une cérémonie officielle au cours de laquelle fut « ausbenediciert », purifiée, (désinfectée !) l’église sainte Catherine fermée depuis cinq ans...
Rouffach 28 septembre 1800 Coll. particulière
Devant toute la population réunie dans l’église paroissiale, Jean Michel VOGELGSANG, qui en avait reçu l’autorisation de son autorité, l’évêque de Bâle, prête serment à la Constitution, avec cependant d’importantes réserves : il refusera tout ce qui ne serait pas en accord avec sa conscience et avec la religion et déclare qu’il obéira d’abord aux ordres de son autorité avant d’obéir à ceux de la République…
Rouffach 6 mai 1801
Le jour qui suivit, jour de l’Ascension de notre Seigneur, le Curé OSTERTAG remonta en chaire pour l’homélie... le vendredi eut lieu une procession à travers tout le ban : on passa devant la chapelle Saint Sébastien, puis la petite route de Westhalten, la Lang Gasse et on entra dans la ville par la Riss Thor. On y porta le Saint Sacrement...
Rouffach 9 mai 1801 Coll. particulière
Aujourd’hui ce fut la première fois que les cloches sonnèrent à nouveau, dans les deux églises : à 6 heures pour la première messe, puis pour toutes les autres messes et à 8 heures pour le prêche et la grand-messe.
Après les Vêpres on lut le texte de loi sur le Concordat
Rouffach 23 Mai 1801
Le 23 mai eut lieu le premier enterrement selon le cérémonial habituel, c’était un dimanche, presque toute la population de la ville était présente...
Rouffach 10 janvier 1804 collection particulière
18. démolition des portes de la ville…
Le 10 janvier le maire assisté d’un ingénieur, procéda à l’adjudication des travaux de démolition des portes de la ville... démolition qui commença le 18 janvier. Les travaux durèrent 6 semaines mais les matériaux ne furent évacués que bien après...
Rouffach 20 février 1809 MS 860 (Réserve) B.N.U. Strasbourg
19. démolition de l’église des Jésuites. (Saint Valentin)
Le vingt de ce mois on entreprit de démolir l’église des Jésuites. Son propriétaire l’avait vendue pour 3000 livres et les pierres devaient être utilisées pour le nouveau Canal.
Le 3 mars, à 3 heures et demie, la partie supérieure du clocher, qui était recouvert de Holziegel fut tirée à terre à l’aide de longues cordes. On avait au préalable scié les poutres de chêne de la partie inférieure, autant que la sécurité le permettait. Ce travail à lui tout seul nécessita plus de 24 heures. La charpente du clocher était encore comme neuve et comme dit précédemment, en bois de chêne… La charpente de l’église était, quant à elle, attaquée par la pourriture en certains endroits, mais dans l’ensemble encore en bon état. Les murs étaient en moellons de petite taille, hors des moellons d’angle… c’était une église vaste et très lumineuse, mais qui était partiellement enterrée au point qu’il fallait descendre 6 hautes marches pour y pénétrer. La tour du clocher était très particulière: le bas du clocher jusqu’au-dessus de la nef était de section carrée, fait de moellons grossiers, à l’exception des pierres d’angle. Le clocher lui-même était octogonal, en pierres bien appareillées, et sa partie supérieure par contre était circulaire, couverte de Hohlziegeln (tuiles creuses, se dit à propos des tuiles faîtières). Les deux autels latéraux avaient été donnés déjà il y a quelques années à l’église des franciscains. L’acquéreur de l’église aurait toujours aimé donner le magnifique maître autel, avec ses quatre colonnes à l’église paroissiale. Mais on ne prit que le tableau de Saint Valentin et un autre de Saint Xavier qui se trouvait sur un autel latéral.
Cette église était fermée au culte sur ordre du curé.
La ville tout entière regrette la vente et la démolition de cette église, la troisième de nos cinq églises à avoir été détruite.
Un destin identique attend l’église des franciscains…
Rouffach 22 juin 1820 collection particulière
20. la fonte de nouvelles cloches sur la place…
Le 25 commença la fonte des nouvelles cloches : on alluma le feu à 5 heures, à 7 heures 20 fut béni le foyer avec une nombreuse assistance. Après les vêpres de 14 heures on vérifia la coulée : une partie de la coulée était ratée, mais la quatrième et la cinquième cloche semblaient réussies et on en espérait autant de la sixième et de la septième, deux petites cloches destinées à un couvent... Le chantier se poursuit jusqu’au 29 juillet ...
A propos de l’église des franciscains :
Jean Michel VOGELGSANG avait acquis une part de l’église sainte Catherine des Récollets, au moment de la vente des biens nationaux...il rachètera plus tard pour 1200 francs une autre part de cette église à CORBÉ, avec l’intention de céder toutes ces parts à la municipalité. Ce même CORBE, le 22 décembre 1819 offre généreusement ses parts à la ville de Rouffach, oubliant de signaler qu’elles ne lui appartenaient plus et VOGELGSANG note dans son journal, avec un brin de tristesse :
"Tout le monde s’imaginait qu’il offrait sa part de l’église « gratis » à la commune et c’est sur lui que retombèrent tous les honneurs : son nom seul figurait sur l’acte et le mien n’apparaissait nulle part…"
21. la croix FRIEDERICH du Schauenberg
29 mars 1822
Des gens de Pfaffenheim ont cherché aujourd’hui chez le sculpteur FRIEDERICH la Croix de pierre que je destinais au Schauenberg. Mais il pleuvait tant que la croix ne put être érigée. Le travail est très beau et le prix en était de 200 francs, tout compris, le fer, le plomb, la dorure et le vernis, ce qui est un prix très convenable.
2 avril 1822
Aujourd’hui on a dressé ma croix au Schauenberg. Peu de gens étaient venus prêter main forte au sculpteur. Ceux de Pfaffenheim n’étaient pas très enthousiastes pour cette corvée. Leur maire fit dire que ceux qui avaient commandé cette croix auraient dû également s’occuper de trouver des ouvriers pour la mettre en place !...
22. conclusion
Jean Michel VOGELGSANG décèdera à Rouffach le 17 mai 1844, à l’âge de 82 ans. Sa mémoire lui survécut de nombreuses années et WALTER, dans son article de la Revue d’Alsace termine ainsi :
« De nos jours encore nos ainés se souvenaient avec déférence et admiration de l’abbé infatigablement charitable… »
Le journal de Jean Michel VOGELGSANG n’est pas un livre d’histoire : c’est un témoignage d’une grande richesse et d’un intérêt considérable, certes, mais qui reste le témoignage d’un homme, qu’il va falloir confronter à d’autres témoignages et à d’autres sources pour reconstituer l’histoire…
- son regard n’est pas toujours celui d’un témoin direct : il note souvent des événements qui lui ont été rapportés soit par des lettres, soit par des témoins directs, sa famille, des proches, des amis, des fidèles, qui sont du même bord que lui et pas nécessairement très objectifs et impartiaux… il utilise à plusieurs reprises l’expression « Gutdenkende… » et on sait qui sont pour lui ceux qui pensent « juste »…
- son regard est celui d’un alsacien : hormis quelques cahiers rédigés dans un français tout à fait correct, son journal est rédigé dans sa langue maternelle, l’allemand. Même si on ne trouve dans ce journal aucun passage dans lequel il évoque son attachement à la France, il ne se déclare pas allemand : les prisonniers prussiens qui passent sous ses fenêtres sont des prisonniers ennemis et il se réjouit des victoires des troupes françaises.
- son regard est celui d’un prêtre :
- il est d’abord fidèle à sa hiérarchie, en l’occurrence l’évêque de Bâle dont le regard est lui très différent et qui voit d’un œil très méfiant tous les bouleversements qui agitent la France et mettent en péril l’autorité et surtout les privilèges dont bénéficient les princes de l’Eglise.
- il est fidèle à sa foi, il est ancré dans la tradition de l’Eglise, il est fidèle à son engagement auprès de la population. Il fait partie du petit clergé de campagne, qui vit peut-être mieux que beaucoup de ses paroissiens,, il possède des biens, des terres, des vignes et de l’argent… mais il est prêt à mettre sa vie en péril pour eux, pour administrer les mourants, baptiser les enfants, entendre les confessions et surtout consoler et rassurer une population inquiète…
J’ai le sentiment de quelqu’un qui malgré tout reste confiant dans l’avenir : ce qui se passe sous ses yeux lui paraît tellement « surréaliste » que forcément cela doit bien s’arrêter un jour et que tout redeviendra comme avant, ou presque… l’avenir lui donnera raison, en partie du moins et pour un certain temps …
- son regard est celui d’un homme cultivé, ouvert sur le monde.
La prise de la Bastille, la monarchie constitutionnelle, la chute de la monarchie, l’exécution du Roi, la République, sont d’abord des événements parisiens qui émeuvent sans doute assez peu la grande majorité de la population du Rouffach de la fin du 18ème siècle ; le passage de la monarchie absolue à la République ne changera guère sa vie quotidienne, bien au contraire, puisque ce bouleversement profond de la politique entraînera la guerre et les privations, mais aussi et surtout l’émergence de personnalités locales, de Robespierre locaux qui, assurées du soutien de l’administration du Département et de la République, sèmeront dans la population l’insécurité, la suspicion, la délation, la Terreur…
Mais il ne faut pas s’imaginer que cette population vit dans l’ignorance de ce qui se passe dans les autres régions de l’Alsace, en France et en Europe : Jean Michel VOGELGSANG est parfaitement informé des événements, d’abord ceux de Paris qu’il note dans ses carnets, ceux de la Vendée, ceux du sud de la France, de Toulon, mais aussi ceux de Mayence, de Milan, des informations qu’il reçoit par des journaux et par des courriers…
- son regard est celui d’un enfant de Rouffach qui aime sa ville et voit disparaître avec tristesse une partie de ce qui faisait sa splendeur, les grandes portes de la ville, le mobilier baroque de l’église, l’église Saint Valentin…et la folie destructrice de ses compatriotes l’afflige profondément…
rappel
Il existe d’autres chroniques ou éléments de chronique de la ville :
- celle de Materne BERLER
- l’Urbaire de la Ville de Rouffach, rédigé par Jean Simon MÜLLER à partir de 1727...
- la description de la ville dans la Cosmographie de Sebastian MUNSTER, rédigée par Conrad PELLICANUS et son neveu, Conrad WOLFHART
- le journal de Conrad PELLICANUS (Tagebuch...)
- la description de Rouffach par Matthieu MERIAN
- quelques petites notes par Martin MITTERSPACH, greffier de la ville au milieu du XVIème siècle.
- l’ouvrage (disparu ?), en principe conservé aux archives paroissiales de Rouffach, d’ Appolinaire FREYBURGER (08.02.1813 - 11.07.1901) vicaire à Rouffach de 1838 à 1846, auteur d’une chronique de la ville en deux volumes, restés manuscrits, intitulée Documenta collecta dont Thiébault WALTER s’est beaucoup inspiré... et qui s’est très certainement très largement inspiré de l’abbé VOGELGSANG, qui, si l’on se réfère à quelques petits feuillets épars, préparait lui aussi un ouvrage sur l’histoire de Rouffach... qui existe peut-être, quelque part...mais les archives de la paroisse restent inaccessibles, malgré plusieurs demandes restées infructueuses...
- et d’autres sans doute, encore à découvrir…
[1] Les galères avaient été abolies par Louis XV en 1748, mais il y avait des bagnes, placés sous l’autorité de la Marine, à Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Touflon...
[2] Martin ROTHÉ, agent municipal, que Georges BISCHOFF appelle « le Robespierre guebwillérois… »
[3] L’abbé Joseph THOMAS avait lui aussi refusé de prêter le serment à la Constitution du clergé, lui aussi est porté sur la liste de proscription et a poursuivi clandestinement son ministère religieux…
[4] ce 18 février nous sommes le 30 Ventôse... !