Nous proposons au lecteur une courte promenade touristique, sur la Route de Belfort à Lyon, à la découverte des paysages du dernier quart du XVIIIème siècle, entre Issenheim et Hattstatt, en compagnie de Louis Denis,(1725-1794), graveur, cartographe et géographe français.
Louis Denis est l'auteur d'un guide des Routes du Royaume de France, un ancêtre des guides de voyages actuels:
Le conducteur français, contenant les Routes desservies par les nouvelles Diligences, Messageries & autres Voitures publiques
Un Détail Historique & Topographique des endroits où elles passent, même de ceux qu'on peut appercevoir; des Notes curieuses sur les Chaînes des Montagnes qu'on rencontre Enrichi de Cartes Topographiques, ... dressées & dessinées sur les lieux, par L. DENIS, Géographe
Le projet initial de Louis Denis était de dresser des plans-itinéraires pour chacune des principales routes du royaume, comprenant des cartes d'une grande qualité accompagnées de notes. Commencé en 1776, le projet ne fut jamais mené à son terme, vu l'ampleur de l'entreprise ; 52 cartes seulement ont paru.
Sources: article Louis Denis (cartographe) de Wikipédia en français
Bonne découverte...
Route de Beffort (sic) à Strasbourg
page 35 et suiv.
... Tournant à gauche & ensuite à droite, on remarque un beau côteau au bas duquel coule la rivière de Fogelbach; on voit le village de Gündelsheim à droite, sur la rivière de Lauch.
Un peu plus loin, on se trouve sur un pont bâti sur la Fogelbach, de dessus lequel on apperçoit Bollenberg, à gauche, à l'extrémité de la côte.
Quittant le pont, on tourne un peu à droite en laissant un peu après le chemin de Bollenberg à gauche & celui de Munwiller, village à 1 lieue à droite de l'autre côté du bois.
Après ces chemins, on trouve une route qui conduit à Sultzmatt, que l'on voit à gauche, après laquelle il y a un pont que l'on passe en tournant fort à gauche & en remarquant des vignes du même côté; un peu plus loin, on passe sur un autre pont, de dessus lequel on voit le moulin de Sundheim à gauche, avec la chapelle de Saint Etienne plus loin, parmi les vignes; le village de Westhalden est au-dessus, en deça des montagnes, sur la route de Sulzmatt, qui côtoie la rive gauche de l'Ombach.
Un peu plus loin, on trouve un chemin à droite qui conduit à Oberhentzen, éloigné d'une lieu et demie. De là, on aperçoit plus loin le village de Westhalden, le bourg de Sultzmatt, avec un château appartenant à M. le premier Président de Colmar; il est situé sur la rivière d'Ombach, entre des montagnes, à une lieue au couchant de Ruffach; il est remarquable par ses trois sources minérales de trois différentes qualités d'eau.
Quittant le chemin à droite, du même côté, en remarquant la chapelle de sainte Odille à droite, la ville et les deux flèches de Ruffach; un peu après, on se trouve à la Tuilerie, vis-à-vis laquelle il y a des chantiers de bois & des marais. Après avoir passé devant un calvaire, on laisse le chemin de Sultzmatt à gauche, après lequel on trouve deux maronniers, avec la statue d'un Saint, & à droite, deux autres maronniers, avec les anciennes fortifications.
Après avoir passé sur un pont-levis & sous la porte de Cernay, on entre dans Ruffach.
Cette petite ville de la haute Alsace, est située à la gauche de la rivière d'Ombach, un peu au-dessous de son confluent avec la Lauch, le long d'un côteau couvert de vignes, qui s'abaisse au midi, à 3 lieues presqu'au nord d'Ensisheim, à 5 au couchant d'hyver de Neubrisack, à 4 presqu'au midi de Colmar, à 4 d. 58 m.. 45 s. de longitude orientale, à 47 d. 57 m. 30 s. de latitude, Diocèse de Basle, Conseil Supérieur & Intendance d'Alsace, le siège d'un Bailliage, &c.
Elle renferme une paroisse très ancienne, dédiée à saint Arbogaste, dans laquelle on remarque le maître-autel, qui est estimé des connoisseurs; une horloge très ancienne qui n'a jamais été raccomodée; on y voit une tête qui ouvre la bouche chaque fois que l'heure sonne.
Une table de marbre sur laquelle est écrit l'Histoire des Juifs qui ont été brûlés pour avoir empoisonné les puits dans le tems des guerres (*). C'est pour cette raison qu'ils ne sont plus reçus dans la ville.
(*) L'endroit où les bûchers étaient placés se nomme depuis Le pré des Juifs.
Le portail mérite d'être vu, il est bâti sur le modèle de celui de Strasbourg; on estime aussi les deux flèches, tant par leur délicatesse, que par leur élévation.
Outre cette église, Ruffach renferme un Couvent de Récolets, un Hôpital, &c.
Le château qui domine la ville; on y remarque une grosse tour antique, à la gauche des nouveaux bâtiments, & quelques boulets des Suédois incrustés dans les murs, dans le tems du siège de cette ville.
Le péage appartient, moitié à l'Evêque de Strasbourg, comme Seigneur, & moitié à la ville de Ruffach.
On compte quatre portes à Ruffach, celle de Cernay, de Colmar, de Brissac, & la porte des montagnes. Parmi les principales auberges de cette ville, on remarque la Croix d'Or.
Le commerce est considérable en vin, bled, fer, tôle, chevaux & autres bestiaux, tabac, &c.
Le produit de la dixme des grains va, année commune, à 1000 sacs & celle des vins à 6000 mesures.
La ville a seule le droit de vendre le gros fer & la tôle.
Le marché s'y tient le Samedi; une foire le 14 Février, le Lundi des Rogations, le Lundi après l'Assomption celui d'après la Nativité, & et le jour de saint Simon-saint Jude.
Suite de la Route...
Sortant de Ruffach par la porte de Colmar, on laisse un puits à gauche, après lequel on passe sur un pont-levis; un peu plus loin, on apperçoit le château avec sa grosse tour antique à la gauche des bâtiments neufs
Laissant un chemin avec une belle plantation de marronniers à droite, on suit une jolie avenue de quatre rangées de noyers, en remarquant des vignes à gauche; un peu plus loin, on laisse un calvaire à droite, après lequel on passe sur une arche en tournant à droite; la campagne est remplie d'arbres. Un peu plus loin, on tourne fort à gauche en laissant un chemin à droite & des vignes à gauche.
Arrivez à la chapelle de Hildenbranden...
Quittant cette chapelle, qui est à droite, on remarque deux chemins, un à gauche & l'autre à droite, avec des fossés à droite & une marre à gauche.
Descendant une pente très douce, on laisse un chemin à gauche & un autre à droite, avec une croix et une justice, en remarquant les vignes à gauche & les montagnes.
Arrivez au Petit Pfaffenheim...
Passant le long des maisons, on laisse la chapelle saint Jost à droite, le chemin et le bourg de Pfaffenheim à gauche, entouré de chapelles; il est situé au milieu des vignes qui font son principal commerce.
Un peu plus loin, on trouve un chemin qui va au moulin que l'on apperçoit à droite; on voit bien aussi Schawenberg, le long de la côte, au-dessus des vignes, avec le couvent des Récolets & la chapelle saint Léonard.
Un quart de lieue plus loin, on se trouve sur un pont où coule un petit ruisseau qui passe à Guebersweir, bourg que l'on apperçoit [...] à gauche au milieu des vignes; le château ruiné du Haut Hatstat se voit au-dessus, sur un tertre qui s'élève en pain de sucre au sommet des Voges
Quittant le pont et la croix, on tourne à droite, en remarquant un moulin à droite sur la rivière de Lauch, avec un bois plus loin, derrière lequel se trouve Ste Croix.
Arrivez à Hatstat...
Traversant ce bourg, qui est rempli de juifs, on laisse les halles à gauche, & ensuite un vieux château ruiné, après lequel on voit l'église nouvellement bâtie.
Les auberges principales de Hatstat sont: le Canon, le Sauvage & le Mouton.
...
Comme attraits "touristiques" de Rouffach, Louis Denis retient en premier lieu l'église paroissiale saint Arbogaste (sic) avec son maître autel gothique, "estimé des connoisseurs" et le jacquemart au-dessus du portail ouest, avec sa "tête qui ouvre la bouche chaque fois que l'heure sonne". Il note également la richesse des sculptures du grand portail, qu'il compare à celui de la cathédrale de Strasbourg. On trouve là un des très rares témoignages sur l'importance du décor de ce portail qui ne résistera pas malheureusement à la rage destructrice des révolutionnaires de 1793. Dans son journal, l'abbé Jean-Michel Vogelgsang écrira: "... trois ouvriers maçons s’affairaient à briser les sculptures du grand portail, un chef d’œuvre qui n’avait de pareil que celui du portail de la cathédrale de Strasbourg et qui représentait le Jugement dernier ".
Louis Denis note également la présence dans l'église d'une "table de marbre sur laquelle est écrit l'Histoire des Juifs qui ont été brûlés" : cette table rappelait le massacre des juifs de Rouffach, en 1309 et en 1338. Si l'on en croit un mémoire "instructivé" adressé par la Ville au Conseil souverain d'Alsace cette inscription était encore visible dans l'église en 1723 "à cette époque, la ville de Rouffach s’est débarrassée totalement et définitivement de cette mauvaise engeance juive, comme cela peut se lire dans un Urbaire sur parchemin dont les termes ont été reproduits en peinture en l’année 1444 et visibles sur les murs mêmes de l’église paroissiale."
Pour ce qui est des haltes gourmandes, notre voyageur ne signale que l'auberge A la Croix d'Or, que nous n'avons pas réussi à localiser pour l'instant.
Ci-dessus, le fragment de la Carte de Cassini qui a très certainement servi de base aux travaux de Louis Denis. Ces cartes, des feuilles gravées et aquarellées , ont été réalisées d'après des relevés effectués entre 1757 et 1760 pour cette partie de l'est de la France et éditées entre 1761 et 1763. Louis Dubois, dont le projet date de 1776 les a donc connues et son texte décrivant l'itinéraire entre Issenheim et Merxheim suit très exactement les indications des cartes Cassini
On retrouve sur la carte le ruisseau Fogelbach (Vogelbach), aujourd'hui Quirenbach, qui passe à Orschwihr, puis longe les collines du Bollenberg avant de rejoindre la Lauch, traversant au passage sous un pont la grand route qui mène à Rouffach. Plus loin Sundheim et son église Saint Etienne. Puis, à droite, la chapelle Sainte Odile, dont le souvenir subsiste encore à Rouffach par une rue qui porte son nom. A gauche, avant l'arrivée dans la ville, la "thuillerie". A droite de la ville, la Lauchenmühl, le moulin de la Lauch, qui lui aussi a donné le nom à une rue, la Rue du Vieux Moulin. A gauche, sur la colline, le château d'Isenbourg, puis une chapelle, la chapelle Hildenbrand et le Petit Pfaffenheim. Toute proche, une "justice", le gibet qu'on ne cherchait pas vraiment là: le gibet se trouvait au lieu-dit Gallbuhl, sur la colline au Nord du Château d'Isenbourg, bien en vue à l'entrée de la ville! Puis Pfaffenheim et ses chapelles et le moulin sur la Lauch.
Ami lecteur, nous vous souhaitons un agréable voyage en diligence, sur les routes cahoteuses d'Alsace et les pavés de nos villes, dans l'odeur du crottin et les cris des cochers...
Gérard Michel