L'Ohmbach, artère vitale de l'activité économique de Rouffach.
Rouffach s'est construit sur les rives d'un ruisseau aujourd'hui détourné , l'Ombach ou Ohmbach, qui, après avoir alimenté les douves du pied des remparts, traversait la ville de part en part, fournissant sur son passage l'eau et l'énergie motrice à un chapelet d'établissements qui le bordent: deux maisons de bains publics, une poissonnerie et son vivier, des boucheries, tanneries, trois teintureries, un abattoir municipal, un lavoir et un moulin, avant de rejoindre la Lauch, par la porte de Froeschwiller.
L'article qui fait suite est consacré à l'histoire de l'un de ces établissements, l'un des trois ateliers de teinturerie de la cité, établi rue de la Poterne. Francis Vuillemin nous livre ici le fruit de son travail de recherche sur cette vénérable institution développée par sa famille au long du XIXème siècle et qui se maintiendra à Rouffach puis à Colmar, sous le même nom jusqu'au milieu du XXème siècle
Merci Francis...
Gérard Michel
CHRONIQUE HISTORIQUE DES TEINTURIERS VUILLEMIN / Francis Vuillemin
L’histoire débute avec Jean-François VUILLEMIN (1767-1848) natif de Saint Vit dans le Doubs.
Son père, Joseph né avant 1745, est originaire d’Arcey (Doubs) où il exerce la profession de maître des Postes avant d’occuper le même emploi à St Vit.
Jean-François est compagnon teinturier en apprentissage dans diverses entreprises de l’Est de la France et peut-être en Allemagne. Au cours de son périple, il s’arrête à Rouffach en 1793 chez le maitre teinturier Fidèle Schroff habitant la Thörlegass (rue de la Poterne). La maison d’habitation et l’atelier de teinturerie sont situés derrière la mairie ; à l’arrière coulait l’Ombach. Cette teinturerie, selon Thiébaut Walter, était détenue avant 1780 par Charles Hubert Frick puis a été cédée à Fidèle Schroff. Deux autres teintureries existaient alors à Rouffach dont celle du Maire Dietrich.
Jean-François Vuillemin épouse en 1797 Marie Hélène Schroff (1778-1844) fille de son maitre teinturier et d’Anne Riegert; neuf enfants naitront de cette union. Le couple s’installe d’abord dans la Metzgergass, rue des Bouchers, avant d’occuper la maison de la teinturerie achetée par Jean-François à son beau père.
Il s’avère être une personnalité très engagée dans la vie de la cité. Il est membre du conseil municipal. Il avait un bon sens des affaires.
Il acquiert en 1812 un grand verger au lieudit Obermatt dans le prolongement extra muros de la rue de la Poterne. Ce verger est resté propriété de la famille Vuillemin jusqu’à la construction du collège Jean Moulin sur ce terrain et ceux avoisinants. L’expropriation à l’époque à vil prix a été ressentie comme une spoliation par le groupe des propriétaires de ces différentes parcelles. Il y avait parmi eux la famille du professeur Robert Linder. Une indemnisation tardive pour chaque arbre fruitier adoucira un peu le ressenti.
Les vergers de l'Obermatt , huile de Jean Caël 1949
Par ailleurs l’aïeul Jean-François achète quelques terres agricoles, jardins et vignes qui seront exploités parallèlement à l’activité de la teinturerie
Il achète aussi pour son fils Eugène, meunier né en 1817, le moulin de Sundheim.
Il décède à l’âge de 81 ans. Ses enfants sont tous installés dans la région. Son cinquième enfant Jean-Pierre (1805 -1852) prend le relais à l’atelier.
Le septième enfant, Jean-Valentin, né en 1807, exerce le métier de tanneur à Soultz et son fils Léon quittera Soultz pour s’installer en Algérie. Les descendants y resteront jusqu’à l’indépendance et ont pris récemment contact avec leurs cousins rouffachois et colmariens.
Nous conservons de cet aïeul un dessin colorisé le représentant très âgé, une chevalière cachet avec le blason de teinturier et les initiales JFV,
...un secrétaire de style directoire décoré du blason de maitre teinturier et de nombreuses planches tampons de teinturerie et peut-être antérieures.
Jean-Pierre Vuillemin fait son apprentissage chez son père et le compagnonnage le mène dans plusieurs villes allemandes de Saxe et de Bavière. Un livret de compagnon attestant de son parcours est détenu par la famille. Il épouse en 1835 Anne Reine Dietrich (1802-1892) et cinq enfants naissent de cette union. Le couple acquiert la maison à l’Eléphant de la Törlegass qui servira d’écurie, étable, grange, cave pour les activités annexes de la teinturerie.
Leur fille Marie Eugénie (1838-1922) épouse le commerçant Jean Baptiste Wittschger (1816-1896). Rose Marie (1875-1961), née de cette union, épousera en 1896 Thiébaut Walter (1867-1936) professeur à l’école d’agriculture, historien et futur maire de Rouffach.
Gustave Vuillemin (1842-1907) son troisième enfant succède à J. Pierre à la teinturerie. Il épouse en 1869 Françoise Biechy née en 1843 à Hattstatt. Cette famille Biechy est bien connue dans la région car un de ses membres, Paul (1887-1960) était vicaire apostolique (évêque spiritain) de Brazzaville. Il avait accueilli le Général De Gaulle dans sa cathédrale en janvier 1944 pendant la conférence de Brazzaville. Un vitrail de la chapelle de Notre Dame du Schauenberg retrace l’édification d’une chapelle à Brazzaville dédiée à ND du Schauenberg dont l’évêque était un fervent adorateur.
Gustave sera le dernier teinturier à Rouffach. Il avait adjoint un commerce de tissus à la teinturerie et que son épouse va poursuivre. L’ensemble aura pour dénomination La main bleue. Une copie d’une facture de 1872 suit en français ce texte.
A la Main bleue, Teinturerie en laine et coton
Une planche tampon avec le blason de maitre teinturier et ses initiales V.G a été réalisée à cette période:
Intercalons ici l’histoire de Jean-Baptiste, né en 1845, frère de Gustave et d’Albert et 5e enfant de Jean-Pierre. Il était pharmacien à Turckheim. Le 8 janvier 1887 il chanta la Marseillaise avec 9 autres amis francophiles dans une auberge. Ils sont arrêtés par la police, jugés le 7 mars, condamnés à 3 semaines de prison et à une amende de 100 marks.
Cette déconvenue le pousse à émigrer à Bienne puis à Zurich et y exercer sa profession de pharmacien.
Revenons aux teinturiers…
Un coupon de tissu provenant de ce magasin a été conservé par la famille. Notre maman, Yvonne Vuillemin Ruolt, en a fait le partage en trois lots donnés à ses enfants Jean-Claude, Francis et Christian. Des reliques ! …
Albert Vuillemin (1844-1919), frère de Gustave, est également teinturier formé dans l’entreprise familiale. Il s’installera après la guerre de 1870 à Colmar et y fonde une manufacture de teinturerie et de blanchisserie. Il épouse Henriette Bergeaud (1848-1907).
Deux cartes publicitaires ont été dessinées par Hansi (Jean-Jacques Waltz) qui était un ami d’Albert:
La blanchisserie Teinturerie H. Vuillemin
Leur fils Henri (1874-1950) poursuit l’entreprise paternelle sous le nom de Blanchisserie-Teinturerie Henri Vuillemin avec la création d’une société anonyme en 1900.
Cette photo regroupe les cousins colmariens et rouffachois devant l’échoppe de la teinturerie familiale
Les deux fils de Henri, à savoir Georges (1917-2002) longtemps président de la chambre de commerce et d’industrie de Colmar et Jean (1921- _ ) poursuivent l’entreprise qui devient une véritable industrie. L’usine est alimentée par une noria de fourgonnettes sillonnant l’Alsace. Elles cherchent le linge à laver dans des sacs, les vêtements à nettoyer à sec et les rapportent dans des dépôts disséminés dans la région. Le linge lavé revient essoré.
Juste retour aux sources, un dépôt est créé à Rouffach dans la cordonnerie-magasin de chaussures du petit cousin Henri, notre père (1915 -2002), au 15 rue du Maréchal Joffre.
Cette blanchisserie industrielle soulageait la clientèle des tâches ménagères du lavage du linge et même du repassage, sur demande.
Plus tard la diffusion au grand public des machines à laver individuelles aura raison de cette activité.
L'usine de Colmar en 1911
L’usine colmarienne, initialement installée chemin de la Niederau par Albert Vuillemin, sera déplacée rue St Josse dans les années 1950. L’ancien site a été acquis par l’entreprise Kiener.
L’activité de teinturerie quant à elle sera maintenue ‘’à petite vitesse’’ jusqu’en 1960-70. Elle transformait surtout les vêtements en habits de deuil, donc essentiellement en noir. En effet l’achat de nouveaux habits noirs, à l’occasion d’un deuil, avait un certain coût et la confection n’avait pas encore pris l’essor que nous connaitrons par la suite.
La Société Anonyme prend fin en 1985. La blanchisserie Vuillemin de Colmar est donc exploitée pendant 121 années.
L’entreprise est reprise par un nouveau propriétaire, la société BTP qui poursuivra, sous la dénomination, INITIAL, principalement la blanchisserie pour les collectivités, hôtels-restaurants, industries … Mais aucun Vuillemin n’en fera plus partie.
Voici, résumée en quelques pages la petite histoire des teinturiers Vuillemin de Rouffach et de Colmar. J’ai eu le privilège de mener à bien mes recherches, facilitées par la transcription de l’arbre généalogique que le cousin Georges avait fait faire par un généalogiste.
Je remercie mes frères Jean-Claude et Christian, et les cousins de Colmar, pour leur contribution à la rédaction.
Notre père, Henri Vuillemin, aquarelle de Jean Vuillemin, dernier teinturier Vuillemin de Colmar
Dans une postface, sera présentée une iconographie de planches-tampons de teinturerie, sauvées après guerre par notre père Henri, au moment de la vente de la teinturerie par les héritiers.
Francis Vuillemin août 2021
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