Les images anciennes représentant l'intérieur de l'église Notre-Dame de l'Assomption de Rouffach sont extrêmement rares: en voici une, peu connue, que l'on doit à Jean-Baptiste Schacre, architecte (Delle 1808 - Mulhouse 1876), conservée au Cabinet des estampes et dessins de Strasbourg. Il s'agit d'un dessin à la mine de plomb, sur papier quadrillé de couleur beige, de 31,5 cm. sur 28,1 cm. (disponible en ligne, Base JOCONDE)
Le dessin ne comporte malheureusement pas de date. Un autre dessin de J.B. Schacre, sur le même sujet et un autre représentant une vue de château, de même facture et de même format, sont eux datés, le premier de 1829, le second de 1827. Des croquis donc de jeunesse de Schacre, réalisés lors de séjours différents à Rouffach.
Cette représentation de l'intérieur de l'église est très intéressante mais elle pose un gros problème: nous serions donc ici autour de 1828, soit 35 ans après le saccage de l'église par les révolutionnaires en 1793.
Rappelons-nous ce qu'en disait Jean-Michel Vogelgsang dans son Journal:
... l'après-midi du 9 décembre, les gardes nationaux procédèrent à la démolition des 10 autels de l'église, qui, bien qu'étant en bois et non en pierre, étaient tous de magnifiques chefs d'œuvre de la sculpture. Les grandes statues, portées par trois ou quatre hommes, furent placées devant l’église où le capitaine des soldats les tourna en dérision, leur posant des questions, crachant sur elles ou les frappant au visage... voilà jusqu’où allait le blasphème...
B.N.U. Strasbourg cote MS 858 (réserve) et collection privée
Le 9 janvier 1794, eut lieu le premier service divin dans l’église transformée en Temple de la Raison :
...Après toutes ces festivités dans le Temple de la Raison, on alluma sur la place un grand feu de joie. On y brûla les tabernacles, les piétements des autels, leurs colonnades et autres parties en bois. Les images des Saints ne furent pas touchées, la municipalité, qui tenait encore à faire preuve d’un peu d’esprit chrétien, les avait fait mettre en sécurité dans une des tours de la ville.
Sur le bûcher étaient également déployés les drapeaux des trois corporations...
La Déesse de la Raison mit le feu à une botte de paille disposée dans le tabernacle, tenant d’une main le flambeau, de l’autre la pique coiffée du bonnet républicain.
Lorsque le bûcher s’enflamma, on forma tout autour une ronde qui dansa au son de la musique.
B.N.U. Strasbourg cote MS 858 (réserve) et collection privée
Jean-Michel Vogelgsang écrit bien que les autels ont été brûlés et il n'évoque à aucun moment qu'un seul ait pu survivre à la fureur révolutionnaire. Le 27 août 1803, lors de la réception du nouveau maître-autel, racheté aux Dominicains de Colmar, il est redit que tout avait brûlé:
L’ancien maître autel de l’église paroissiale de cette ville de Rouffach aÿant été, de même que les autres, non seulement dévastés mais brûlés, par l’effet de la Révolution qui fut en son comble dans les années 1792 et 1793...
Il est temps maintenant de revenir au croquis de Schacre: que voyez-vous ?
Un énorme édifice qui occupe tout l'avant du chœur et occulte la vue vers le fond et les grandes verrières !
- à gauche, un autel, adossé - ou encastré - dans le pilier. La perspective adoptée ne permet pas de voir son pendant, à droite.
- au centre, à la hauteur des deux tourelles, vestiges du jubé, une énorme couronne ou un dais soutenu de part et d’autre par ce qui pourrait être des anges dont on devine les ailes
- de part et d’autre, deux portes, qui donnent accès au fond du chœur et au grand-autel
Sans trop forcer l’imagination, on est là devant un ensemble qui correspondrait assez à ce qu'avait décrit le devis de 1722 d'Anton Ketterer, sculpteur de Colmar !
Souvenons-nous de ce qu'en dit ce devis:
Zwen Ältar in der Pfarkirche alhier, an beidten grossen Saulen Anfang des Chors anzuelegen. Der einte solle das Frawenbildt neben denen H.H. Dominicum und Catharinam von Senensi und der andere den H. Joannem Baptistam praesentieren
… deux autels dans notre église paroissiale, à disposer contre les deux grands piliers de l’entrée du chœur. Le premier figurera la Vierge avec à côté d’elle saint Dominique et Ste Catherine de Sienne, et l’autre saint Jean Baptiste. Le contrat précise qu’ils devront être en place pour la saint Michel 1721.
Damahl das heillig Creütz Altar verdingt zue machen mit Christus am Creütz, darauff ein Cron, zwen Engell welche die Cron heben, undten die Muedter Gottes undt S.Johannes, auch zwen Engell anstatt Liecht Stöckh, versprechen darfür zue bezahlen 90 Pfundt, 6 Schilling 8 Pfennig Tourn.
... l’autel de la Croix, selon le devis signé en 1722, devait représenter le Christ en croix, surmonté d’une couronne portée par deux anges. Plus bas, la Vierge et saint Jean et deux anges (anstatt Liecht Stöck) porte-cierges…
A.M.R. BB 90 du 28 décembre 1719
Mais il n’est pas possible que cet autel existe encore, si Vogelgsang a dit juste !
Alors ?
Joseph Gassmann, chapelain et primissaire, écrit en 1786 dans une supplique adressée à l'évêque de Bâle dans laquelle il s'exprime contre le projet de déplacer l'autel de la Sainte Croix pour le reléguer dans le transept sud, à côté du baptistère:
... l’autel de la Ste Croix se trouve au milieu de l’église paroissiale en entrant au cœur (sic), annexés aux deux côtés à une grille d’un goût achevé qui sépare le cœur et la nef et qui contient deux communications qu’offrent deux portes en fer qu’on ferme et qu’on ouvre selon les circonstances aux deux extrémités...
La requête de Gassmann ne sera pas entendue et l'évêque de Bâle autorisera le déplacement de l'autel.
- l’ancien autel de la Ste Croix a été déplacé le 4 juin 1787 dans le bras sud du transept (était-ce encore celui de Ketterer ?)
- le nouvel autel de la Ste Croix, "fait à Strasbourg", a été installé, à la place de l’ancien, le 11 et 12 mai 1787.
Tout cela a donc disparu dans un énorme feu de joie, allumé par la Déesse de la Raison...
Revenons une dernière fois au croquis de Schacre daté de 1828 / 29: l'autel y est encore figuré ...
Voilà ce qu'écrit le curé Apollinaire Freyburger dans son Documenta Collecta, rédigé à partir de 1845:
Il y avait cinq autels à l’église paroissiale : le maître-autel, deux autels latéraux, le petit autel de la sainte Vierge vis-à-vis de la chaire et l’autel de la Croix, près du baptistère. M. le recteur Fritsch a trouvé qu’il n’y avait pas assez d’autels, que ce qu’il y avait de plus urgent à faire, c’était d’établir deux autels de plus. Il fit dont entailler, à vingt centimètres de profondeur, les deux colonnes, à l’entrée du chœur, colonnes qui forment la base des fondations du clocher. Puis il fit plaquer dans ces entailles deux autels en stuc.
Notons que Freyburger ne parle plus d'autel placé à l'entrée du chœur: l'autel de la Sainte Croix aurait donc disparu! Quand ? Et qu'en est-il advenu?
Pour embrouiller encore davantage cette histoire, voici un autre croquis de Jean-Baptiste Schacre, daté, de septembre 1829:
... la perspective est différente, les autels latéraux sur les piliers dans l'entrée du chœur ont disparu, les passages latéraux ne sont plus visibles, on ne voit toujours pas les grandes verrières, qu'y a-t-il de changé et quand se sont opéré ces changements?
Affaire à suivre...
Gérard Michel
L'auteur remercie M.Florian Siffer, responsable du Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg, qui nous a aimablement autorisé à publier les deux croquis de J.B. Schacre. (Disponibles sur Collections des musées de France, base Joconde du Ministère de la Culture )
Biographie
En 1826, Jean-Baptiste Schacre doit interrompre ses études et entre comme dessinateur dans le service des Ponts et Chaussées du Haut-Rhin à Colmar, où il se fait remarquer par ses talents de dessinateur. Il voyage et découvre paysages et monuments d’Alsace. Réalisant croquis et relevés, marqués du romantisme et des préoccupations archéologiques de son temps, il ne cessera de peindre vieux châteaux et vieilles églises. Jean-Baptiste Schacre est nommé dessinateur et sous-ingénieur de travaux pour l’ouverture des lignes de chemins de fer que Nicolas Kœchlin réalise en Alsace. Il obtient, après concours, le poste d’architecte de la ville qu’il occupera de 1843 à 1876.
Après 1848, Jean-Baptiste Schacre obtient l’autorisation du maire de Mulhouse de réaliser des travaux pour d'autres communes et pour des particuliers. Jean-Baptiste Schacre a touché à tous les domaines. Parmi ses initiatives à Mulhouse : l’église catholique Saint-Etienne (1855-1860), le temple réformé Saint-Etienne (1859-1869), place de la Réunion, la Caisse d'épargne de la rue Sainte-Claire (1867) …. et hors de Mulhouse: reconstruction ou agrandissement des églises de Didenheim (1868), de Gueberschwihr (1870), de la chapelle de pèlerinage de Masevaux (1870), de l‘église paroissiale de Delle (1858) et celle de Brunstatt...
sources : Mémoire Mulhousienne
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