Vue historique de la ville. Gravure sur cuivre 1623-1631. Daniel Meisner. 7,3 x 14,3 cm 15,3 x 18,4 cm (feuille).
Virtus cum pietate fides
Daniel Meisner (ou Daniel Meißner), né à Chomutov (royaume de Bohême) en 1585 et mort à Francfort-sur-le-Main en 1625, est un poète allemand, et probablement également un graveur. Il est le co-auteur du Thesaurus Philopoliticus (Francfort, 1623), une célèbre série de gravures attribuées à Matthäus Merian , avec des paysages urbains. L'Alsace compte dans cet ouvrage six gravures: Strasbourg, Haguenau, Sélestat, Colmar, Rouffach et Mulhouse, chacune précédée d'une devise. Pour Rouffach , au premier plan un obélisque surmonté d'un soleil et la devise VIRTUS CUM PIETATE FIDES.
VIRTUS CUM PIETATE FIDES.
Virtus, Pietas, Fides sont les vertus romaines auxquelles tout citoyen devait aspirer. Elles sont considérées comme les règles de conduite, les valeurs ancestrales qui ont donné à la République romaine la force morale nécessaire pour conquérir et civiliser le monde :
Virtus : ce concept englobe l’ensemble des qualités morales d’un homme : le courage au combat, à la guerre, la maîtrise de soi, l’excellence morale, l’activité politique
Pietas : le devoir aux dieux et à la famille, en particulier au père, la piété, la dévotion, le sens du devoir et de la justice : un homme pieux est un bon citoyen, dévoué à sa famille et à sa communauté.
Fides : la fidélité à l’engagement, le respect de la parole donnée, l’honnêteté et l’intégrité, la loyauté, la confiance et la réciprocité entre deux citoyens
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Cette gravure de Meisner est encore en vente sur des sites spécialisés et elle a eu un certain succès à Rouffach il y a quelques décennies où elle a été commercialisée encadrée, agrandie et aquarellée à la main (sic !), avec, au verso, une traduction complète et une explication des « symboles exotériques *** (sic) »… La devise y est traduite ainsi : La vertu avec la fidélité dans la foi… En attendant le secours d'un lecteur latiniste, je m'en tiendrai à la traduction littérale: "Vertu avec piété, foi."
Mais les mots, comme les langues, évoluent avec le temps. Ainsi, les mots français issus du latin classique, comme vertu, piété et foi n'ont pas toujours conservé la même signification. Du latin classique au français d'aujourd'hui les mots ont glissé de sens, et même s'ils sont issus de la même étymologie, le sens qu'ils évoquent aujourd’hui n’est plus le même.
Traduire une maxime, un aphorisme, un adage, est un exercice hasardeux et le résultat est très souvent décevant: pour les latins, les mots virtus, pietas et fides appartenaient principalement au champ lexical des valeurs morales, civiques et militaires, alors qu’aujourd’hui, en français moderne les mots vertu, foi et piété appartiennent à un champ lexical qui se situe à la croisée de la morale, de la religion et de la spiritualité…
Despicientur opes et stemmata laude carebunt, Doctrina et Virtus si Pietasque deest
qu’on pourrait traduire approximativement par :
les richesses seront sans valeur, les nobles lignées seront dépourvues de gloire,
si la culture, la vertu et la piété font défaut…
Ce qui correspond au texte allemand qui fait suite :
Was hilft groβ Reichtumb, Gut und Geld
Was nutzt groβ Gschlecht in dieser Weld:
Wann Gottsfurcht, Tugend, Zucht und Ehr
Nicht da ist: Mein, welchs hilft dich mehr?
Quel secours peut t'apporter une grande fortune, des biens et de l'argent ?
À quoi te sert une grande lignée dans ce monde ?
S'il te manque la crainte de Dieu, la vertu, la discipline et l'honneur
A ton avis, qu'est-ce que, de tout cela, te sera du plus grand secours ?
Notes:
G’schlecht, Geschlecht : la lignée, lignage, race, extraction…
Mein : est ici la forme impérative présent du verbe meinen : was meinst Du, que penses-tu, quel est ton avis ?
Zucht : est synonyme d’un comportement exemplaire, fondé sur des valeurs morales solides
- la maîtrise de soi, la capacité à maîtriser ses impulsions et ses désirs pour agir de manière responsable.
- le respect des règles : le respect des normes sociales et morales
- l'éducation morale
Plusieurs questions se posent au sujet de cette vue de Rouffach
- Meisner, poète, est-il l'auteur des textes, ou s'agit-il, pour ceux en latin, de citations connues, de l'époque latine ou de son époque, fin seizième, début 17ème siècle? Peut-on les attribuer à un auteur spécifique ou sont-ils largement diffusés? Une recherche sur la base Google Scholar ne m'a pas permis de trouver de réponse.
- S'agit-il, pour VIRTUS CUM PIETATE FIDES, d'une devise familiale, d'une famille noble ou bourgeoise, ayant une tradition d'érudition ou souhaitant afficher des valeurs morales élevées ?
- Si cette devise est une création de Meisner, l'a-t-il créée spécialement pour cette gravure, pour Rouffach?
- Meisner connaissait-il Rouffach ?
Les lecteurs auront constaté que la vue de Rouffach de Meisner et celle de Rouffach de Sebastian Münster (1548) sont "étrangement" semblables, à quelques détails près et que la première est une copie de la seconde, un peu plus étoffée à certains endroits: le procédé est courant à cette époque, il existe de multiples versions de la vue de Münster... En tous cas, la version de Meisner n'est pas un "instantané" pris sur le vif!
Quant au texte, il peut s'adapter à n'importe quel lieu et à n'importe quelle époque: il s'agit de thèmes récurrents dans la philosophie et la religion, la vanité des biens terrestres et l'importance des vertus morales.
Le soldat, la pyramide, le soleil et le chien
Les éléments centraux de la gravure – le soldat, la pyramide, le soleil et le chien – sont riches de symbolisme. Sans entrer dans des interprétations trop fumeuses, il est clair que ces quatre représentations illustrent les vertus fondamentales de l'image : virtus, pietas et fides.
Le soldat romain, campé sur sa stèle pyramidale et paré de ses attributs guerriers, est une allégorie puissante de l'homme parfait à la Renaissance. Il incarne l'idéal humaniste, alliant force physique et vertu morale. Le courage, la loyauté et la force de l'âme sont les qualités qu'il incarne.
La pyramide, quant à elle, est traditionnellement associée à la connaissance et à la sagesse. Ici, elle symbolise l'élévation spirituelle et intellectuelle. Associée au soldat, elle évoque l'ascension de l'homme vers la perfection.
Le soleil, placé au sommet de la pyramide, renforce cette idée d'élévation. Il est traditionnellement associé à la raison et à la connaissance, représentant le point culminant, la source de toute lumière et de toute sagesse.
Enfin, le chien, symbole de loyauté et de fidélité depuis l'Antiquité romaine, complète cette composition. Il rappelle la fides, la fidélité, qui est une des vertus fondamentales mises en avant dans cette gravure.
Gérard Michel
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