L'ancienne "porte des Morts" (?) ...
La photo ci-dessus représente une porte gothique percée dans le mur sud du transept roman de l'église. Cette porte, face à l'ancien cimetière a été murée et on y a réemployé deux dalles de pierre jaune de Rouffach portant des inscriptions :
- la première provient de l’église - ossuaire Saint-Nicolas qui se trouvait dans le cimetière attenant à l’église Notre-Dame, côté Sud
- la seconde est une épitaphe provenant d'une tombe de l’ancien cimetière
Ce premier article traitera de la première pierre gravée provenant de l'ancien ossuaire. Un article ultérieur présentera la seconde dalle, une épitaphe posée à la mémoire de Theobald WOLFHARD par ses fils Conrad (qui prendra plus tard le nom de LYCOSTHENES) et Theobald.
L’ancien cimetière :
Ce cimetière occupait une grande partie de la place située entre l'église et l'actuel presbytère. Sa suppression a été décidée au lendemain de la Révolution. Le 7 décembre 1793, Jean-Michel Vogelgsang raconte dans son journal :
"...le cimetière avait été, [...] transformé en un immense champ de ruine. Les habitants de Rouffach avaient mis en lieu sûr les pierres tombales et les croix des tombes familiales. Mais tout ce qui n’avait pas été emporté ou n’avait pu l’être fut réduit en morceaux. Il était question d’aménager un nouveau cimetière devant la porte de Froeschwiller..."
Dans le compte-rendu de la délibération de la commune de Rouffach, séance publique du 24 frimaire de l’An 2 (14 décembre 1793) nous lisons :
« Le procureur de la commune a dit qu’en exécution de l’arrêté du département du Haut-Rhin du 6 du présent mois, il a fait disparaître dessus le bien destiné à la sépulture des morts, les monuments choquants inventés par la superstition, propagés par l’orgueil et qui blessaient l’œil de l’homme libre, et qui ayant rempli ce devoir, il importait à ses fonctions de requérir à ce que la municipalité désigne un local pour l’inhumation des morts, que ce local soit à une distance de la ville pour que l’air méphitique, une exhalaison corruptueuse ne porte pas atteinte à la salubrité de l’air », une commission spéciale a été nommée à laquelle furent adjoints les citoyens THOMAS, médecin physicien et DIEDERICH, chirurgien juré de Rouffach ».
Le terrain retenu se situait contre le mur d’enceinte N.O. de la ville, entre le château d’Isenbourg et la porte Riss. Ce terrain ne sera utilisé que provisoirement, sa superficie étant jugée insuffisante pour la ville. On voulut reprendre l’ancien terrain, malgré l’interdiction du décret impérial du 23 prairial (12 juin 1804) interdisant les cimetières dans les agglomérations.
Le médecin THOMAS insista pour reprendre l’ancien terrain qu’il disait pouvoir être agrandi par la démolition de l’ancienne chapelle-ossuaire de Saint Nicolas qu’il qualifie de vieille masure. Son avis fut malheureusement suivi et Rouffach perdit un de ses plus antiques monuments. Le cimetière ne fut plus repris à côté de l’église.
(extraits d’une conférence de Paul Faust)
La chapelle saint Nicolas de l'ancien cimetière de Rouffach
Cette chapelle Saint Nicolas se trouvait dans le cimetière attenant à l'église. Une partie de cette chapelle, un espace voûté, en sous-sol, était l'ossuaire du cimetière et de l'église voisine... Elle disposait d'un autel et était desservie par un chapelain... Pour ce qui est de son architecture, de ses dimensions, et de la date de sa fondation, nous ne disposons d'aucun document. Tout ce que l'on sait, est que la prébende attachée à cette chapelle a été instituée en 1330. On en fait mention dans le Liber Vitae, l'obituaire de Notre-Dame, et nous avons conservé des traces de ses prébendiers jusqu'en 1534 date à laquelle ses revenus furent rattachés à la paroisse Notre-Dame.
Tous les ans, à la Toussaint et le jour des Morts, elle était soigneusement désinfectée, ainsi d'ailleurs que le cimetière, par la fumigation de rameaux de Reckholder... (Sambucus nigra, le sureau noir ou Juniperus communis, le genévrier commun ?) qui devait chasser l’ « air méphitique » ! Rappelons à ce sujet que les exigences relatives à l'inhumation des corps n'étaient pas aussi sévères qu'aujourd'hui: les cimetières, les ossuaires … et les églises… étaient connus pour leurs exhalaisons «corruptueuses »... Sous les dalles funéraires que nous foulons au sol dans de nombreuses églises anciennes, reposaient les dépouilles de défunts, seigneurs, notables ou religieux sous une simple dalle de pierre, incapable de contenir les émanations...
Was Ihr seid, sind wir gewesen - Was wir sind, werdet ihr werden:
Ce que vous êtes, nous l’étions, ce que nous sommes, vous le deviendrez…
Cette inscription traditionnelle qui figure sur la plupart des ossuaires, est celle de la porte de l’ossuaire de la chapelle Saint Sébastien de Dambach la Ville :
La dalle gravée insérée dans la porte de Rouffach, en modifie quelque peu l’esprit et rappelle que devant Dieu il n’y a ni grand ni petit et que sa Justice ne reconnait ni maître ni valet :
GONT HER U. SEHENT
DAS REHT / HIE LIT DER HER BI
DEM KNEHT / NUN GONT FURBAS
IN / UND LUGET WER MAG DER
HERE SIN
Venez et voyez la justice :
Ici git le maître auprès du valet…
Et maintenant, approchez, et regardez lequel peut bien être le maître !
La chapelle saint Nicolas est reconnaissable sur le plan de la Cosmographie de Sébastian Münster daté de 1548, avec son toit à bâtière et un chœur polygonal:
Jean Simon Müller évoque cette chapelle-ossuaire dans l’Urbaire de la Ville (1720) lorsqu’il raconte comment, en mars 1636, la population affamée avait été contrainte de voler et manger des cadavres qui avaient été entassés dans la chapelle saint Nicolas dont ils avaient fracturé les portes…
Le cimetière actuel
Le 14 février 1805, un arrêté préfectoral autorisa la création du nouveau cimetière à l’emplacement qu’il occupe encore actuellement, à l’est de la ville.
Porte des "Morts" ou réemploi ?
Le lecteur aura sans doute remarqué que nous avons prudemment mis " Porte des Morts " entre guillemets et fait suivre d'un point d'interrogation. D'abord parce que cette expression n'est attestée dans aucun document d'archive, ce qui suffit à la rendre suspecte ! Ensuite et surtout, parce que, pour l'instant, rien ne prouve que cette porte soit vraiment à sa place ! Si elle est bien située face au cimetière contigu à l'église, rien ne prouve qu'elle s'ouvrait sur le cimetière. En effet, sans être grand spécialiste de l'architecture religieuse, on voit bien
- qu'il s'agit d'une porte gothique dans un bras de transept roman! (Cette partie du transept a été percée d’une haute fenêtre gothique à réseau flamboyant et voûtée au début du seizième siècle...)
- que cette porte n'est pas centrée dans la façade
- si elle elle semble au niveau du sol actuel de l'église elle n'est pas à celui de la place actuelle... et le socle en dalles de toute cette façade du transept paraît antérieur au "percement" de cette porte...
Alors, pour l'instant la question reste en suspens... peut-être les travaux qui seront entrepris dans l'église permettront-ils de répondre? Que révélera le piquetage du crépi, à l'intérieur, à cet endroit?
Et pourquoi ne serait-elle pas elle-même un réemploi, comme les deux dalles qui y sont insérées? ... de la porte de l'ancienne église Saint Nicolas, par exemple ?
Et pourtant, sur le plan de la Cosmographie de Sébastien Münster de 1548, figure bien une porte, donnant sur le cimetière depuis la façade du transept sud, qui a l'air bien centrée et dans l'axe de la fenêtre, celle-là, et qui semblerait même de plain-pied ! ... et même en plein-cintre ! Donc, il y avait bien une porte des Morts!
Quelques chapelles-ossuaires conservées en Alsace :
- Saint Michel à Wihr-au-Val
- Saint Michel à Kaysersberg
- Saint Sébastien à Dambach la Ville
- Sainte Marguerite à Liepvre…
Gérard MICHEL
photos G.M.