Porte Est de la ville, dite Froeschwillerthor ou porte de Brisach
Le préfet Desportes, destructeur des portes…
Nicolas Félix Desportes qu'on avait affublé de ce surnom méprisant, était préfet du Haut-Rhin de 1802 à 1813 et il devait ce sobriquet à l'acharnement dont il faisait preuve auprès des municipalités à faire démolir les remparts entourant les villes fortifiées et leurs portes monumentales. Après avoir fait disparaître celles de Colmar et celles de Ribeauvillé, il relance avec insistance le Citoyen Maire de Rouffach pour qu'il engage au plus tôt la démolition des portes de la ville: la porte Est, dite de Breisach ou Froeschwillerthor, la porte Sud, dite de Cernay ou Reingrafenthor et la Porte Nord, porte Neuve ou porte de Colmar. Son insistance finira par payer puisque ces portes monumentales seront abattues à partir du 18 janvier 1809. Les travaux durèrent 6 semaines mais les matériaux ne furent évacués que bien après, le Maire de Rouffach et la population, dans son ensemble, faisant preuve d'une mauvaise volonté et invoquant toutes sortes de prétextes qui ne sauveront malheureusement ni les remparts extérieurs ni les portes...
Cette fois, on ne pourra pas accuser les rouffachois de saccager leur patrimoine, ils auront tout fait pour le préserver... Quoique... au cours des mêmes travaux devait également être démolie la chapelle-ossuaire Saint Nicolas, un édifice gothique, démolition exigée cette fois par un rouffachois, le médecin Thomas, qui avait qualifié cet antique monument de vieille masure!
Nous reproduisons ci-dessous, (sans en corriger l'orthographe et la syntaxe) quatre lettres du Préfet Desportes au Citoyen Maire de Rouffach, entre juillet 1803 et mai 1804: elles se passent de commentaires...
1. Bureau des travaux publics
Colmar, le 18 Messidor an 11 de la République française (7 juillet 1803)
Le Préfet du Département du Haut-Rhin au Maire de Rouffac
Vous savez, Citoyen Maire, que les tours des villes de Colmar et de Ribeauvillé ont disparu et que ces deux villes offriront une avenue plus agréable et plus facile aux voisins de ces masses antiques.
Je pensais que vous demanderiez l’autorisation d’imiter cette conduite puisque les tours de votre ville sont encore plus étroites et plus malsaines pour l’intérieur. Je vous invite donc instamment à procéder à leur démolition après adjudication préalable ; lorsqu’elle sera terminée, l’Ingénieur vous donnera le plan d’une barrière à établir en place de ces bâtiments
Je vous salue
Nicolas Félix Desportes
2. Bureau des travaux publics
Colmar, le 28 Frimaire an 12 de la République française (20 décembre 1803)
Le Préfet du Département du Haut-Rhin au Maire de Rouffach
Je vous avais invité, Citoyen Maire, par ma lettre du 18 Messidor dernier, à faire disparaître les tours de votre ville pour en rendre l’avenue plus agréable et plus facile, et en même temps pour y établir la circulation de l’air, circulation qui est gênée par ces masses antiques. J’ai appris avec peine que vous ne vous en êtes point encore occupé. J’attribue ce retard aux travaux champêtres qui avoient occupé vos citoyens jusqu’alors.
Aujourd’hui que ce motif n’existe plus, je vous réitère l’ordre positif de procéder dans le plus court délai à cette démolition. Dans l’adjudication que vous ferés de ce travail, vous aurés soin de stipuler que les pierres de taille sont réservées pour la Commune puisqu’elles doivent servir à la construction de nouvelles portes ; vous prescrirés aussi à l’adjudicataire de procéder à la démolition de manière que le passage reste toujours libre. Il s’agira d’établir des couloirs pour faire descendre les matériaux sur les parties collatérales.
Instruisés moi incessamment des dispositions que vous aurés faites pour l’exécution de ce travail
Je vous salue
Félix Desportes
3. Bureau des travaux publics
Colmar, le 22 Floréal an 12 de la République française (12 mai 1804)
Le Préfet du Département du Haut-Rhin au Maire de Rouffach
J’ai reçu, Citoyen Maire, les trois procès-verbaux d’adjudication que vous m’avez transmis avec votre lettre du 17 de ce mois. Je vous renvoye revêtue de mon approbation l’adjudication de la porte extérieure de Brisach ; quant à celle de la démolition de la chapelle Saint Nicolas et du Werckhaus, le citoyen Antoine Hueber, maçon de votre commune offre 250, tandis que le procès-verbal ne porte que 205. Le même Citoyen Hueber, fait un rabais de 40. sur l’adjudication des démolitions qui restent à faire aux portes de Colmar et de Cernay et des reconstructions de ces portes. Avant de statuer sur la proposition de ce Citoyen, il convient de s’assurer de sa moralité et de sa solvabilité. Il est même bon de vous informer s’il n’y a pas eu collusion lors de l’enchère et le sieur Hueber use de ce moyen pour se procurer l’entreprise à des conditions trop avantageuses pour lui. C’est d’après votre réponse que je statuerai sur la proposition du Citoyen Hueber ou que j’approuverai les deux procès-verbaux.
Je vous salue
Nicolas Félix Desportes
4. Bureau des travaux publics
Colmar, le 25 Floréal an 12 de la République française (15 mai 1804)
Le Préfet du Département du Haut-Rhin au Maire de Rouffach
D’après les renseignements que vous m’avez donnés, Citoyen Maire par votre réponse du 24 floréal à ma lettre du 22 sur les adjudications que vous avez soumises à mon approbation, et d’après les détails que je me suis moi-même procuré, j’ai jugé nécessaire de procéder à une nouvelle adjudication pour les deux objets que je n’ai pas revêtu de mon homologation. Je vous renvoie en conséquence les pièces pour vous mettre à même d’y procéder sans délai.
Vous remarquerez que j’ai pris la précaution d’astreindre le Citoyen Antoine Hueber à faire sa soumission par écrit de supporter les frais des deux enchères s’il reste adjudicataire au prix qu’il a offert ; ainsi ce ne serait qu’au cas qu’un amateur surenchérit sur la mise, que le citoyen Hueber seroit déchargé.
Je vous invite à mettre toute la diligence possible afin de terminer ce travail.
Je vous salue
Pour le préfet absent signature illisible
Félix Nicolas Desportes
Félix Nicolas Desportes (1763-1849) : sous le Consulat puis l'Empire, il fut nommé préfet du Haut-Rhin (1802- 1813) et reçut le titre de baron.
dans Wikipédia : Desportes contribue au redressement d'un département bouleversé par la période révolutionnaire. Il réorganise l'agriculture, en réservant les contreforts des Vosges à la viticulture, en favorisant la culture des arbres fruitiers et de la betterave, en organisant des comices agricoles dans chaque arrondissement. Il fait construire des digues contre les inondations, démolir les anciennes fortifications des villes et les portes de ces dernières (ce qui lui vaut le surnom de « destructeur Desportes »), assainir et paver les rues de Colmar. Il contribue à des progrès sanitaires, en encourageant l'inoculation de la vaccine pour lutter contre la variole (1803), et en ouvrant une école de sages-femmes à Colmar
Dans le N.D.B.A.* la notice sur Desportes est bien moins élogieuse : accusé de malversations, il est relevé de ses fonctions en 1812 et destitué en 1813, proscrit en 1815 pour son activité révolutionnaire « Moralité privée médiocre, très peu de considération locale, pas davantage de désintéressement » écrit Fernand L’Huillier.
* N.D.B.A.: Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, édité entre 1982 et 2003 par la Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace (FSHAA)
Gérard Michel