Le rayonnement du prieuré Saint Valentin et de son hôpital...
Dans le registre des lettres N°59 du Conseil de Nuremberg, conservé aux archives du district de Nuremberg, on trouve au folio 165 le brouillon (projet) d'une lettre datée du 26 juin 1507, adressée au prieur du monastère bénédictin de Rouffach. Cette lettre, remise à un citoyen démuni de Nuremberg nommé Michel MURNER, avait pour but de lui obtenir l'admission dans l’hôpital rattaché à ce monastère. Cet hôpital, fondé en l'honneur de saint Valentin, accueillait grâce à de pieuses fondations les personnes atteintes d'épilepsie.
Voici la teneur de la lettre du Conseil de Nuremberg, adressée au prieur de Saint Valentin et au Magistrat de Rouffach:
Prieur du monastère de Saint-Ruff de l'ordre de Saint-Benoît,
Révérend et très cher Seigneur, l’homme qui se tient devant vous, nommé Michel MURNER, est depuis plusieursannées affligé par la grave maladie de l'épilepsie, si bien que sa condition nécessite, étant donné que cette maladie ne cesse de s'aggraver chez lui, qu'il mène une existence stable et paisible. Pour obtenir cela, il nous a suppliés avec insistance de lui fournir cette lettre, nous ayant appris qu'il existait près de votre monastère une pieuse fondation et un hôpital où, par la volonté de Dieu et pour l'amour de saint Valentin, de tels malades et pauvres sont accueillis et pourvus de ce dont ils ont besoin. Ce MURNER est issu de parents vertueux, nos concitoyens, qui sont décédés, et il ne possède pas de biens temporels grâce auxquels il pourrait subvenir à ses besoins. C'est pourquoi nous vous prions instamment de vouloir bien accueillir ce bon Murner dans cet hôpital, par amour de Dieu et de saint Valentin, et de lui témoigner toute votre bienveillance, afin qu'il puisse ressentir les bienfaits de notre intercession. Nous nous efforcerons, en retour, de mériter votre amitié avec toute la diligence possible.
Fait le samedi après la Saint-Jean-Baptiste, l'an... septième [26 juin 1507]
Cette lettre a probablement été utilisée comme modèle pour d'autres demandes similaires, notamment pour le Magistrat de la Ville de Rouffach. L'expression "mutatis mutandis der St[adt] Ruffach" permettait ainsi de réutiliser ce modèle en l'adaptant à chaque situation spécifique.
Texte original en allemand:
Ein spätmittelalterisches Epileptikerheim
Isolier und Pflegespital für Fallsüchtige zu Rufach im Oberelsass. Nachgewiesen von Karl Sudhoff
Im Briefbuch N.59 des Nürnberger Rates, das auf dem Kreisarchiv zu Nürnberg verwahrt wird, findet sich au dem Bl. 165 das Konzept eines Briefes vom 26. Juni 1507, der an den Prior des Benediktinerklosters zu Rufach gerichtet ist und einem unbemittelten Nürnberger Bürgersohn, namens Michael Murner mitgegeben werden sollte, um demselben Aufnahme in ein mit diesem Kloster verbundenes Spital zu verschaffen, das auf Grund milder Stiftungen zu Ehren des heilg. Valentin Fallsüchtigen Aufnahme gewährte. Das Schreiben des Rates von Nürnberg hat folgenden Wortlaut:
Prior des Closters zu Rufach Benedickten Ordens
Erwirdiger lieber Herr, dieser gegenwürtiger mit namen Michel Murner ist etliche Jar mit der Schweren Plag des hohen Sichtumbs [1] beladen gewest, darumb sein Notturft wol erfordert, dieweil sich soliche Kranckheit an Abnemen stettigs an Ime mert, ein zimlich [2] bleiblich Wesen zuhaben. Das zuerlangen, hat er unns mit hohem Vleiss [3] ersucht umb diss unnser Furschrifft, unnd so ir bericht, das bey ewerm Closter ein lobliche Stifftung unnd Spital sey, darinne umb Gottes Willen und Verdinst dess heiligen Sanndt Valentins, solche beschwerte unnd dorfftige Menschen angenommen unnd mit zimlicher notturfft enthalten werden unnd dann dieser MURNER von fromen Eltern unnsern Burgern geporen, die Ime verstorben sein, unnd er sunst nicht zeitliche Guter hat, davon er sich mocht hinpringen, Ist an ewer wird unnser vleissig Pitt, Ir wollet den guten MURNER in solch Spital umb Gottes und sant Valtenns Willen einneme, unnd darinn so gutwillig erweysen, damit er dieser unnser Fürpeth genossen haben empfinden mag, das wollen wir, wo es zuschulden langt, umb exer wird mit Vleyss freuntlich verdienen.
Datum Sabatho post Johannis Baptiste Anno… septimo [26. Juni 1507]
Mutatis Mutandis der St. Ruffach
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Michael MURNER, porteur de cette lettre adressée au prieur de Saint Valentin et au Magistrat de la Ville de Rouffach, a certainement effectué le voyage Nuremberg – Rouffach ou tout moins devait être en capacité de le faire au moment de la rédaction de la lettre. Il souffrait d’épilepsie depuis de nombreuses années. Un trajet de près de 400 kilomètres, effectué à pied, … il fallait qu’il soit de solide constitution pour entreprendre un tel voyage. A-t-il réussi ? Les documents dont nous disposons ne permettent pas de répondre.
La renommée du pèlerinage de Saint Valentin a largement dépassé les frontières de la région, et des personnes humbles, disposant de peu de moyens, ont tenté un voyage long et périlleux pour toucher la relique du saint, espérant guérir de leur mal. Dans sa chronique, Materne Berler parle de miracles quotidiens, « miracklen die da selbist teglich geschuhen »
Les quêteurs de Saint Valentin parcouraient tout le diocèse de Strasbourg pour y recueillir des aumônes destinées à l’entretien du prieuré et à la construction de l’hospice qui accueillait les pèlerins qui y trouvaient gîte et nourriture. Progressivement leurs tournées s’étendirent au diocèse de Bâle et même le vaste diocèse de Constance. Bientôt les quêtes s’étendirent à d’autres diocèses germaniques, Eichstätt, Meissen, Würtzburg… Dans leurs sermons les quêteurs rappelaient l’histoire du pèlerinage, racontaient les guérisons par l’intersession du saint et bénissaient « l’eau de saint Valentin » qui devait guérir les épileptiques [4].
Les pèlerins affluaient de Bade, de Wurtemberg, de Suisse, de Bavière, de Thuringe et même de Saxe, aux frontières de la Pologne.
De grands personnages ont fait le pèlerinage à Rouffach, participant ainsi à la notoriété exceptionnelle de l’hôpital : l’empereur Frédéric, et son jeune fils, le futur empereur Maximilien, accompagnés de plusieurs princes électeurs et leur cour…
Cette notoriété s’étendit naturellement à la ville de Rouffach où le prieuré possédait de nombreux bâtiments, vignes, champs et prairies, exploités par des journaliers locaux.
A Rouffach se tenait également le 14 février, le premier des quatre marchés-foires annuels, le marché de Saint Valentin qui accueillait une foule de marchands, saltimbanques, musiciens, acheteurs et curieux, venus des quatre coins du pays. De ces quatre marchés il ne restait il y a quelques années que celui du 15 août, le Johr Markt de la fête patronale, aujourd’hui disparu, lui aussi.
Le pèlerinage, encore florissant au XVème siècle, déclina par la suite. Le prieuré fut incorporé en 1613 au Séminaire épiscopal de Molsheim puis en 1618 au collège des Jésuites de Molsheim. L’église, devenue Bien national, fut démolie en 1804 et le terrain loti et vendu par parcelles à des particuliers.
De sa notoriété, il ne reste aujourd’hui que le souvenir : la rue du Prieuré, un grand vitrail représentant saint Valentin dans l'absidiole du transept sud de l’église paroissiale et, dans la même absidiole, un buste-reliquaire en bois doré du 18ème siècle, représentant saint Valentin, provenant de l'ancien prieuré. Sans oublier une grande toile en attente de restauration, Saint Valentin et l'épileptique, provenant elle aussi du même prieuré.
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Le « Tommelstall » de saint Valentin:
Plan du domaine Saint Valentin dressé en 1793
Sur ce plan, la légende de la parcelle n°2 qui s’ouvre sur la « Grande Rüe », actuelle rue Raymond Poincaré, est la suivante : « N° 2, consiste en Maison appelée Tommel Stall, cour, hangard et étables, 69,3 perches de Colmar ou 3 Schatz de Ruffach. »
Ce plan soigneusement dressé et très précis, confirme, s'il en était besoin, que les vestiges de colonnes et d’arches qu’on peut y découvrir aujourd'hui ne peuvent en aucun cas être des vestiges de l’église du prieuré…
Que signifie ce mot Tommestall:
Grimm note à l‘entrée Tummelstall : der tummelstall, in welchem sich die schulpferde befinden… l’écurie dans laquelle se trouvent les chevaux de manège ?
Tummelstunde est la pause, la récréation des écoliers…
Le point commun entre ces deux usages? Le verbe dummeln / tummeln, s’agiter, bouger, s’ébattre, se bousculer, se défouler… un verbe que les alsaciens connaissent dans l'expression dummel-di ! dépêche-toi !
Dans un article Über das angebliche Turnier von 1194 und den „Tummelplatz“ zu Graz Landesarchiv-Direktor von ZAHN (Pages 40 et suivantes), [5] j’ai trouvé quelques informations supplémentaires :
- Tummelplatz est déjà attesté au XIIème siècle…
- Tummeln heißt eigentlich Pferde zähmen zu reiten. Tummelstall: der Stall für Reitpferde.
Tummeln signifie dresser des chevaux destinés à être montés ou à tirer des voitures. Le Tummelstall est le lieu où sont logés ces chevaux, l’écurie, la carrière où on les éduque, et aussi tout ce qui tourne autour d’une écurie, sellerie, forge des maréchaux ferrants, logement des garçons d’écurie, etc…
Ce plan est de 1793, et sa légende dit pour ce lot n° 1 : appellée Tommelstall… Cet espace avait-il encore cet usage en 1793, ou la tradition avait-elle conservé le souvenir d’un usage ancien ? Les Dominicains de saint Valentin, nous l’avons constaté plus haut, voyageaient beaucoup et se déplaçaient à cheval sur de grandes distances… de plus leurs activités, champs, vignes, prairies, nécessitaient la force de chevaux. Peut-on imaginer que ces quelques pierres de grès jaune qui subsistent soient les ruines des écuries d’un prieuré riche et prospère ? Les textes nous rappellent l’opulence du couvent, à la fin du XVème siècle, sous la direction du prieur Johann Sanzetti, dont le Magistrat de Rouffach a dû calmer la fièvre immobilière : Er was also begirig seyn gotzhuss rych ze machen, das er kouff alle reben, acker, matten, die feil wurden … il est tellement désireux d’enrichir son couvent qu’il achète tout ce qui est à vendre, vignes, champs, prés…
Et le Magistrat finit par interdire aux bourgeois de Rouffach de lui vendre aucun bien, sous peine d’amende : It. wer dem prior zu St. Velten ligend gut verkoufft, der bessert X Pfd. , celui qui vend au prieur de saint Valentin un bien immobilier, sera puni d’une amende de 10 livres !
Une écurie du XVème siècle avec des voûtes gothiques et des clés de voûte sculptées ne doit donc pas étonner : les exemples de réalisations semblables ne sont pas rares, celliers, cuisines, ateliers, granges aux dîmes… Souvenons-nous par exemple de l’architecture magnifique des forges de l’abbaye de Fontenay…
Le prieuré sur la vue de Sebastian Münster 1548
Gérard Michel
Bibliographie (suite):
- Wikersheimer E. 1961 Le prieuré de saint Valentin : son pèlerinage, son hôpital. (Rouffach, Haut-Rhin) Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire
- Paul Adam Charité et Assistance en Alsace au Moyen-Âge Librairie Istra 1942
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Petrus Bertius Städte-Atlas, Amsterdam 1616
Rufacum aspectus ab orientem
Barbier / Chauvin J.A. 1751 Alsatia illustrata Jean-Daniel Schöpflin
Notes:
- [1] Das hohe Siechtum : Siechtum désigne la maladie, Siech désigne le malade, le lépreux, der Vallende Siechtag est le mal « qui fait choir », l’épilepsie
- [2] Ziemlich est ici un « faux ami » : il signifie convenablement, angemessen, geziemend, gebührend, recht und billig, zuständig, ordentlich
- [3] Vleiss : Fleiss = le zèle, l’application, l’assiduité
- [4] Le célèbre prédicateur Jean Geiler de Kaysersberg (1445- 1510) considérait l’eau de Saint Valentin comme bénéfique « für die fallenden siechtage » en cas d’épilepsie.
- [5] Mittheilungen des historischen Vereines für Steiermark. XXXIL Heft Graz 1884
Sant Valentin bit got für uns zu rufach...
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