Malades implorant Saint Valentin Vitrail de l'église Notre-Dame de Rouffach bras sud du transept
Personne n'ignore, au moins l'espère-t-on, qu'il existait à Rouffach jusqu'à la fin du 18ème siècle, au pied du château d'Isenbourg, un prieuré bénédictin fondé au 11ème siècle qui devint rapidement un lieu de pèlerinage célèbre à travers toute l'Europe d'alors: il accueillait les épileptiques et leur famille qui venaient prier et implorer la guérison de leur mal devant les reliques de saint Valentin. Au 15ème siècle, on construisit un hôpital spécialisé pour l'accueil et les soins de épileptiques qui aurait même été le premier de ce type. L'hôpital ferma au siècle suivant et le site disparut avec la Révolution française.Il n'en reste aujourd'hui que le souvenir: une rue, la rue du Prieuré, un grand vitrail représentant saint Valentin dans l'absidiole du transept sud et, dans la même absidiole, un buste-reliquaire en bois doré du 18ème siècle, représentant saint Valentin, provenant de l'ancien prieuré. Sans oublier une grande toile en attente de restauration, Saint Valentin et l'épileptique, provenant elle aussi du même prieuré.
Le "chef" de saint Valentin, rapporté de Rome...
Une partie de ce que nous savons de la fondation du prieuré de saint Valentin à Rouffach repose sur une légende rapportée par le rouffachois Materne Berler dans sa chronique rédigée entre 1510 et 1530. Selon son récit, trois moines de l’ordre de saint Benoît auraient rapporté de leur pèlerinage à Rome en l’an 1001, le « chef », la tête, le crâne de saint Valentin. Ils auraient acquis cette précieuse relique lors de leur séjour dans la ville sainte, offerte par l’abbé du couvent de sainte Praxède dans lequel étaient vénérés les restes du saint, der Liep sancti Valentini. Materne Berler ne s’attarde pas sur la biographie de ce saint. La relique ne rejoindra pas l’abbaye de Chézy *, d’où étaient partis les trois moines, aux rives de la Marne, à quelques lieues de Castra Theodori, l’actuelle Château-Thierry, mais elle restera à Rouffach, où elle a été conservée, partiellement, jusqu’à aujourd’hui.
* d'abord Chézy - l’abbaye et aujourd’hui Chézy-sur-Marne
Que sait-on aujourd’hui de saint Valentin?
La réponse n’est pas simple, pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’il n’y a pas un saint Valentin, mais plusieurs saints à porter ce nom qui sont inscrits dans les Martyrologes : l’église catholique en propose au moins neuf différents, morts entre le 3ème et le 20ème siècle ! L’autre raison, c’est que plusieurs lieux déclarent posséder des reliques de saint Valentin, dont quelques-uns revendiquent la propriété du chef du saint ou tout au moins de la calotte crânienne !
Materne Berler précise que les trois bénédictins avaient acquis la relique à la basilique sainte Praxède * de Rome
*construite au VIIIe siècle sur commande du pape Adrien Ier en 780 pour accueillir les restes de sainte Praxède et sainte Pudentienne mortes en martyres. Le pape Pascal Ier. la fit agrandir et décorer vers 822 et y fit transporter les ossements de nombreux martyrs chrétiens persécutés sous les Romains.
Le seul parmi les quelques autres saint Valentin dont les restes avaient été transportés et conservés à la basilique saint Praxède, est un moine ou prêtre qui vécut au IIIème siècle, sous Claude II. Condamné par l’empereur, il sera roué de coups par les légionnaires romains et décapité sur la via Flaminia, le 14 février 269. Le pape Jules Ier construira une église en son honneur sur la Via Flaminia et ses reliques y furent placées au VIIème siècle avant d’être transférées à l’église sainte Praxède, au XIIème siècle. Ce qui ne va évidemment pas avec la date de 1001 avancée par Materne Berler, date de la translation de la relique depuis la basilique de saint Praxède à Rouffach !
Voici pour le saint Valentin de saint Praxède…
D'autres chefs de saint Valentin...
Au Xème siècle, une tête de saint Valentin est transférée d’Italie à l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa, dans les Pyrénées orientales, où elle se trouve encore aujourd’hui, visible dans un buste reliquaire du XVème siècle à l’église saint Pierre de Prades !
En 1868 une autre relique de saint Valentin est transférée dans la collégiale saint Jean-Baptiste de Roquemaure, achetée à Rome par un riche propriétaire viticole pour protéger son vignoble des ravages du phylloxera ! Le saint est fêté tous les ans, autour du 14 février, pour La Festo de Poutoun (ou la Fête des Baisers !)
En Irlande, l’église carmélite Whitefriar de Dublin, revendique elle, la dépouille complète du saint, chef compris !
Un autre chef, encore : au XIème siècle, le chef de saint Valentin, martyr, fut apporté à l'abbaye bénédictine de Jumièges, dans le diocèse de Rouen; Baudry évêque de Dol vers 1020, a fait le récit de cette translation et des miracles qui l'accompagnèrent..
Alors, auquel de ces Valentin appartient la calotte crânienne de Rouffach ?
Sur toutes les images rattachées à Rouffach, représentant saint Valentin, le saint est représenté avec le vêtement et la crosse d’évêque : une autre Vie des saints, une de plus, nous propose un saint Valentin, évêque celui-là, évêque de Terni dans les Monts Sabin, à une centaine de kilomètres au nord de Rome, mort décapité vers 273 pour avoir refusé de renier sa Foi. Le corps de Valentin fut enseveli à Terni où il est honoré encore aujourd’hui comme le principal patron de la ville. Et son corps n’a donc jamais été à sainte Praxède de Rome !
Buste reliquaire de saint Valentin, évêque et martyr, église Notre-Dame de Rouffach
Au final, une « histoire qui tient du puzzle incomplet, salmigondis de faits et de légendes ».*
* Maxime Lavenant dans : Mais au fait, c’était qui, ce saint Valentin ? Ouest-France 12 février 2016
Mais peu importe si l’histoire, la tradition ou la légende, ont fait de deux, ou plusieurs, saints un seul : authentiques ou pas, ces reliques, celle de Rouffach et toutes les autres, ont soutenu la prière et la foi de générations de croyants et nous n’entrerons pas dans un débat sur leur authenticité, leur commerce et le culte parfois superstitieux dont ils ont été entourés.
Pourquoi saint patron des épileptiques?
Il reste encore une question : saint Valentin de Rouffach est le patron des épileptiques. Et pourquoi ?
Certaines vies de saint Valentin évoquent bien des miracles, guérisons diverses, en particulier celle d’une jeune fille aveugle ou de difformités diverses, mais il n’est pas question d’épilepsie, la maladie aux multiples noms , le haut mal ou le mal caduc, das fallende Weh, die fallende Sucht, die Fallsucht… le mal qui fait choir, qui provoque la chute, en référence à l’un des symptômes fréquents de la maladie.
En 1516 Marthin Luther donne l’explication suivante à cette relation entre le nom Valentin et l’épilepsie:
"...zum dritten haben sie St. Valentin der fallenden Sucht zum Patron gesetzt, nun liest man ja nichts in seiner Legende, daß er mit dieser Krankheit zu thun gehabt; drum wollte ich schier wetten, St. Valentin komme zu der Ehre bloß des Namens halben, da sein Name und das deutsche Wort fallen gleich lauten..."
Selon Luther, Valentin avait été instauré patron des épileptiques alors que rien dans sa vie ne justifiait ce titre, à cause uniquement de son nom : en allemand, la consonne V initiale de Valentin se prononce F, et le nom populaire de Valentin, Veltin en allemand, se dit donc Feltin, comme fällt hin, qui signifie qui tombe… C’est donc à cette analogie que saint Valentin doit d’être devenu le saint patron des épileptiques, de ceux que leur maladie fait tomber (fallen), une explication communément admise aujourd’hui.
Saint Valentin, sur la carte de Sebastian Münster
Nous reviendrons dans des articles ultérieurs sur la légende de la fondation du prieuré de saint Valentin racontée par Materne Berler et sur son histoire, étayée elle, par des documents d'archives, depuis sa fondation jusqu’à sa disparition peu après la Révolution.
Gérard MICHEL, texte et photos