Discours astronomique et astrologique des Grandes conjonctions de 1643 et 2020.
Les lève-tôt l’auront remarqué : Jupiter et Saturne occupent en ce mois de mars des positions voisines sur la voûte céleste. Bien visibles avant le lever du Soleil, elles sont installées entre le Sagittaire et le Capricorne, et Mars, la Planète Rouge, se rapproche d’elles pour venir s’intercaler en dernière semaine. Le passage à l’heure d’été nous obligeant à nous lever plus tôt à la fin du mois, le spectacle matinal de leur proximité pourra nous consoler de cette heure perdue.
En avril, Mars s’éloignera, c’est presqu’une évidence ! Jupiter et Saturne se lèveront de plus en plus tôt, tout en cheminant de conserve dans le ciel de l’été. À l’automne, nous les retrouverons astres du soir, et là, de soir en soir, elles se rapprocheront davantage jusqu’au 21 décembre : leur distance ne sera plus alors que de 6 minutes d’angle, soit moins que ¼ du diamètre de la Lune.
Ces rapprochements virtuels des deux planètes supérieures se produisent régulièrement, à peu près tous les 20 ans. On les appelle Grandes conjonctions, les astronomes s’y intéressent depuis la nuit des temps. En 1642, le rouffachois Johannes Remus Quietanus a écrit un opuscule d’une trentaine de pages sur la Grande conjonction qui devait se produire le 26 février de l’année suivante : son Discours astronomique et astrologique de la grande rencontre des deux planètes supérieures Jupiter et Saturne a été, selon ses dires, élaboré avec soin d’après les Fondements (scientifiques et bibliques). Le document original est accessible en ligne sur Numistral, la bibliothèque numérique patrimoniale de l’Université de Strasbourg. Nous nous livrerons dans cet article à une analyse succincte de ce discours qui n’est pas facile à lire, mais souvent instructif et parfois amusant par la grandiloquence de son auteur.
L’auteur se présente comme Docteur Remus Quietnaus, alias Rudrauf de Herda, médecin particulier, conseiller ou mathématicien de nombreux hauts potentats qui reposent en Dieu à présent et maintenant Physicien de la Ville de Rouffach [1].
Le Sérénissime archiduc Léopold, patron de Quietanus, étant décédé depuis une bonne dizaine d’années, l’ouvrage est dédié à Johann Heinrich Mogg, écoutète (Schultheiss) de la Ville de Colmar, où il est imprimé. La dédicace traite du rapport de l’Astrologie à l’Astronomie.
« Gleich wie man das kind nicht mit dem Badwasser ausschüttet, so geht es mit der Astrologia »
L’Astronomie est fille de l’Astrologie, une fille bien plus belle et très grave, avec ses brillantes observations, hypothèses et calculs logarithmiques. Mais pour autant, dit Quietanus, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Ce faisant, il reprend les termes de Johannes Kepler quand il défend le droit de cité de l’Astrologie [2]. D’ailleurs Remus Quietanus évoque ses relations passées avec « le plus distingué des astrologues [3], mon bon ami (qui a été son) collègue à la cour de l’Empereur Mathias », sans doute pour faire valoir le sérieux de ses références auprès de son nouveau protecteur. On verra par la suite qu’il a fait plus que de s’inspirer des écrits de son ami.
Premier Chapitre : des vraies Positions et Calcul de cette Conjonction, etc.
Depuis l’été 1642, Jupiter et Saturne cheminent ensemble sur la voûte céleste [4]. En 1643 elles doivent encore se rapprocher pour réaliser la conjonction, rapprochement virtuel maximal, vers le 26 (ou 16) [5] février dans le signe zodiacal des Poissons [6].
Pour la date et la position de cette conjonction, Quietanus donne un tableau regroupant ses prévisions et celles d’autres astronomes : Tycho Brahé et Longomontanus, Kepler dans ses tables Rudolphines, Éphémérides d’Eichstaedt [7], Origan et ses tables pruténiques.
Toutes donnent des dates voisines (25 ou 26 février) et des positions à peu près égales. On notera que, pour ses propres prévisions, il évoque des « Tables Léopoldines » en cours d’élaboration. Nous ne savons rien de leur éventuelle publication.
Mais il insiste aussi sur le fait que la vraie conjonction ne se produit pas quand l’observateur terrien l’observe, mais quand les planètes se trouvent alignées avec le centre du Soleil, le vrai centre d’entraînement du mouvement des planètes : c’est un point de vue héliocentrique qui confirme que Quietanus est un astronome acquis aux théories modernes. L’observation depuis la Terre est faussée par la parallaxe. Cet alignement Soleil-Jupiter-Saturne doit se produire le 18 mai dans le signe du Bélier, et aussi, dit-il, le 27 janvier [8].
Si ce tableau nous donne bien des prévisions en temps et en lieu, il ne nous dit malheureusement rien de la façon de les calculer. Et dans le texte, l’auteur nous bombarde de chiffres souvent inutiles tels que les distances interplanétaires, par exemple, sans doute est-ce pour impressionner le lecteur. Il compare aussi la conjonction à venir avec celles du passé dont il a une connaissance bien documentée.
Chapitre 2 : des diverses manières de faire des pronostics… et des erreurs
En général, dit Quietanus, les écrits prophétiques annoncent l’ère de l’Antichrist (sic), celui du Turc, de Gog et Magog ou le Jugement dernier et il cite des exemples d’annonce de l’Apocalypse pour 1616 ou 1623…. Les secrétaires de ces prophéties sont morts ou confondus et le jeu continue (…) d’autres visent le mois de mars 1653 pour des raisons liées à l’obliquité de l’écliptique, d’autres encore 1656 à cause de l’égalité avec le déluge ( ?) [9], mais il n’y a pas plus de fondement dans tout cela…
“Endlich findet sich ein grosser Hauff der Praticanten auß den Chaldeischen und Arabischen delicamenten, die dürfften (…) eine Himmels oder praeventional Figur auffrichten, und darauf gleichsamb ex tripone Apollinis wunderliche Einfäll publicieren”
Enfin on trouve une majorité de pratiquants des délectations arabes et chaldéennes [10], ils déduisent par des calculs divers, une figure du ciel au moment de cette Grande conjonction et les idées fantaisistes qu’il y a lieu de tirer du tripode apollinien pour les publier.
Remus Quietanus souligne ici le caractère magique de ces prédictions en faisant allusion au trépied du temple d’Apollon de Delphes, sur lequel s’asseyait la Pythie pour prononcer ses oracles. Il cite en exemple le pronostic d’Origanus (David Tost) qui, annonçant la Conjonction pour le 2 mars dans le signe des Poissons prédit qu’il y aura beaucoup de pluie, et par conséquent de la mauvaise herbe et des parasites, puisque le poisson est un signe d’eau. Un tel pronostic pourrait intéresser les vignerons du cru, mais Quietanus le réfute en rappelant qu’en 1524, les Astrologues pronostiquaient de même la moitié d’un déluge pour la Grande Conjonction dans les Poissons mais c’est un déluge de sang qui se produisit entre les paysans [11], Dieu s’en émeuve, que son courroux ne provoque pas aveuglément un déluge final comme à Pavie en 1525 ou la mise à sac de Rome en 1527 (voir psaume 2, versets 12,13) [12]… » .
Sans doute à dessein, Quietanus veut impressionner le lecteur par l’accumulation de références historiques, astronomiques ou bibliques énoncées sur un ton sentencieux et agrémentées de citations en latin… Le déchiffrage est assez difficile et on attend maintenant que l’auteur nous donne sa propre prédiction.
Chapitre 3 : ce qu’il faut retenir des triangles du Ciel, de leurs influences et opérations.
Dans ce chapitre, Remus Quietanus évoque d’abord la cosmologie d’Aristote et Ptolémée avec son firmament immuable, la sphère des étoiles fixes, « un Ciel qui n’est ni chaud, ni froid, ni humide, ni sec car il n’a en soi rien de désagréable ». Dans cette cosmologie géocentrique, seul le monde sublunaire pouvait être sujet à modifications.
Puis il en vient aux découvertes récentes qui mettent en doute ce bel agencement : l’observation du Soleil a révélé les maculae, taches solaires et des éruptions, au firmament on a assisté à des apparitions, puis disparitions d’étoiles nouvelles : ce sont les supernovae de 1572 dans Cassiopée, (découverte par Tycho Brahé) et de 1604 dans le Serpentaire (découverte par Kepler).
“Meine meynung verharret bey den Uhralten Philosophis, sonderlich Hermete Trismegisto…”
Il reste cependant fidèle au principe des anciens tels que Hermès Trismégiste, qui postulait qu’entre le monde d’en Bas (microcosme) et celui d’en-Haut (macrocosme) existe une Sympathie ou Analogie… l’abandon de ce principe ne détruirait-il pas le fond de commerce des astrologues ? Il donne ainsi des caractères aux planètes : Saturne est mélancolique, Jupiter courageux, Mars guerrier, le Soleil fidèle et mordant, Vénus symbolise la beauté, Mercure est mobile et volubile, la Lune instable ou changeante. Leurs positions relatives, rencontres ou figures qu’elles forment dans le ciel, quadrature, triangle, permettent alors une interprétation astrologique mais elle n’est pas accessible au premier paysan venu : « Das aber nicht ein jeder Bauer verstehen kann », il ne faudrait pas galvauder la profession !
Chapitre 4 : le ciel est une horloge secrète et aussi un protocole secret des histoires remarquables du passé.
Remus Quietanus commence par poser la question de l’âge de l’Univers qui est encore d’actualité de nos jours. Pour lui, elle n’est pas encore élucidée : « es ist noch eine unerörterte Frag », et il fait mention de plusieurs théories, notamment celle d’Albumasar, astronome persan du IXe siècle. Selon ce dernier, le Monde aurait commencé avec une grande conjonction de toutes les planètes dans le Bélier et il se terminera par une grande conjonction de toutes les planètes dans les Poissons. L’Univers est alors comparable à une grande horloge à plusieurs aiguilles qui étaient toutes superposées à l’origine et qui le seront à nouveau à la fin des temps.
Sur l’horloge astronomique de Stralsund (1394) en Poméranie, Albumasar est représenté en bas à droite. (photo J.M.)
Remus Quietanus s’intéresse alors plus précisément à la périodicité des conjonctions des deux planètes supérieures [13] Saturne et Jupiter.
Toutes deux se déplacent lentement dans le ciel au fil des années et chacune parcourt à son allure la ligne dite écliptique, un grand cercle de la sphère céleste qui traverse les 12 constellations du zodiaque. Jupiter met 12 ans pour en faire le tour tandis que Saturne, plus lente, met 30 ans. Ainsi, les Grandes conjonctions ont lieu tous les 20 ans environ [14], chaque fois que Jupiter dépasse Saturne comme des aiguilles d’une montre qui tournent chacune avec sa vitesse propre.
Si une conjonction se produit en un lieu du zodiaque, la suivante recule d’un peu moins de 120°, soit environ 117°. Ainsi, on aura 10 conjonctions qui se produisent dans un signe de Feu, puis 10 dans un signe de Terre, 10 dans un signe d’Air et 10 dans un signe d’Eau.
Et le cycle recommence au bout de 800 ans (40 x 20 ans). Quietanus parle alors de trigones de Feu, d’Air, de Terre ou d’Eau. Malheureusement, il ne donne pas l’illustration ci-dessus, qu’il faut trouver dans le De Stella nova 1604 de Kepler à la page 25…
Ensuite, il met en face de ces cycles de 800 ans des faits marquants de l’histoire de l’humanité avant de les consigner dans un tableau qu’il a également emprunté à Kepler, (même opus, page 29) :
Ainsi, il situe Adam et Ève à 4000 avant J.C., Noé et le Déluge à -2400, Moïse et l’exode d’Egypte à -1600 etc.
Selon cette théorie l’étoile de Bethléem aurait été une Grande conjonction de Saturne et Jupiter… en 800, on retrouve Charlemagne et son Empire d’Occident et en 1600 Rodolphe II, l’empereur du Saint-Empire romain germanique, contemporain de Kepler et Quietanus.
Plus précisément, on est rentré en 1603 dans un cycle de conjonctions dans des trigones de Feu qui durera jusqu’en 1801.
Chapitre 5 : ce qui pourrait se produire en ce Bas-monde dans cette ère du Triangle de Feu… entre les terriens sous influence saturnienne ou jovienne
Remus Quietanus fait une comparaison des temps anciens avec son époque : « Considère le monde du temps de Darius, Alexandre le Grand, Jules César ou Charlemagne, tu trouveras autant de guerres, famines, pestilences et agitation que de nos jours [15], mais ces calamités sont entrecoupées de temps heureux » Il veut insister ici sur le caractère cyclique de l’histoire et les nombreuses références attestent son érudition.
L’ère des trigones de Feu a commencé avec la Grande conjonction de 1603 et Dieu s’est manifesté par trois fois depuis lors : en 1604 on a vu une nouvelle étoile inhabituelle apparaître dans le Serpentaire (il s’agit de la supernova dite de Kepler [16]) ; en 1607 ein feuriger Besen, un balai de feu, était visible dans le ciel nocturne durant toute la fin de l’été : il s’agit du passage de la comète de Halley que Quietanus a observé et commenté dans ses jeunes années [17] et en 1618 une nouvelle comète est apparue, qu’il a également décrite en son temps [18].
L’auteur interprète alors cette accumulation de phénomènes astronomiques en se référant aux Saintes Écritures, notamment aux livres de Daniel (2.21): « (Béni soit le nom de Dieu…) À lui appartiennent la sagesse et la force. C'est lui qui change les temps et les circonstances, qui renverse et qui établit les rois, qui donne la sagesse aux sages et la science à ceux qui ont de l'intelligence. » ou d’Ézéchiel (21.3) « Ainsi dit l’Éternel: Voici, c’est à toi que j’en veux, et je tirerai mon épée de son fourreau, et je retrancherai de toi le juste et le méchant etc.» (21.26) « La tiare sera ôtée, le diadème sera enlevé. Les choses vont changer. Ce qui est abaissé sera élevé, et ce qui est élevé sera abaissé. J'en ferai une ruine, une ruine, une ruine. »
Remus Quietanus pratique cet amalgame astrologico-biblique avec un certain talent, comme il l’avait déjà montré en 1607. Son discours anxiogène présente un Dieu redoutable. La concomitance de la comète de 1618 avec le début de la Guerre qui dure depuis 24 ans confère une certaine crédibilité à son analyse. Et si ça ne suffit pas, il ajoute un argument historique : selon ses calculs, du temps d’Ézéchiel, trois ans avant que le peuple juif ne fut conduit en captivité à Babylone, se produisait une semblable Grande conjonction dans le Capricorne, montrant ainsi que les cycles de l’histoire se répètent.
La déportation des juifs de Jérusalem à Babylone en -586. Wikimedia.org
Mais les Grandes conjonctions ne sont pas les causes directes de ces misères et calamités : rejoignant l’avis de Kepler (Discurs von der Grossen Conjunction 1623), Quietanus affirme qu’elles ne font qu’exacerber ce que les hommes portent en eux en temps ordinaire (ambition, arrogance, insolence…), aussi vaut-il mieux faire preuve de mesure et de sagesse. Citant Jérôme Cardan, il soutient l’hypothèse que lors de ces Grandes Conjonctions naissent des grands hommes, voire des génies (Magnarum conjunctionum tempore magni homines nascuntur). La comédie du (bas-)monde sera dirigée par des natifs de 1603 ou 1604, ceux de la conjonction suivante (1623) sont des acteurs ou politiciens en devenir.
Plus loin, il distingue parmi ses contemporains des gens ou peuples qui sont sous l’influence de Saturne, les saturnistes ou saturniens, alors que d’autres sont joviens (jupitériens, dirait-on de nos jours !). À l’occasion de la conjonction à venir, Saturne et ses créatures trouveront de mauvaises concordances ou sympathies, (…) en revanche tout ce qui est de nature jovienne (connaîtra) succès et bonheur. En effet, dans le ciel, lors de cette rencontre planétaire de 1643, Jupiter se trouvera au-dessus de Saturne d’un bon degré. Et il cite Albumasar : Si fuerit Jupiter transiens super Saturnum, significat quod illae alterationes fient per justiciam & aequitatem ,
Si Jupiter passe au-dessus de Saturne ça signifie que les changements se font par la justice et l'équité.
Qui sont donc les bienheureux jupitériens et les pauvres saturniens malchanceux ? La discrimination est caricaturale et Quietanus ne dit mot de la façon dont elle est établie : selon les Astrologues, sont de nature jovienne, les cardinaux, prélatures, puissances épiscopales, les nobles, preux, généreux et les hommes de bonne volonté. Parmi les saturniens, on compte les solitaires, mélancoliques, besogneux, les envieux, hommes de peu d’esprit, …, juifs, maranes ou maures, …, les paysans, menuisiers (kistler), tailleurs de pierre, tanneurs, mineurs, croque-morts etc. Tous ces malheureux auront affaire à des calamités, notamment autour de la St Georges (19 septembre) et il en donne une liste qui va de la goutte (Podagra) à la toux catarrheuse, en passant par la galle, l’hydropisie, la dépression (schwartze Seelsucht) et la fièvre quarte entre autres. Au passage, il recommande un haut potentat (il est conseillé de ne pas le nommer) à ses médecins particuliers car Saturne sera en mauvaise concordance avec son horoscope lors de cette Conjonction.
Les lieux qui sont (sous influence ?) du Bélier (die unter den Wider gehören) sont (sans plus d’explications) de l’avis des astrologues : l’Angleterre, la France, la Germanie, la Souabe, la Silésie, la Petite Pologne, la Haute Bourgogne, le Danemark et les villes de Capoue, Ancône, Vérone, Bergame, Ferrare, Florence, Lindau, Passau, Utrecht, Marseille, Brunswick, Cracovie etc.
Chacun, dit-il, pourra en retenir ce que son expérience lui dicte, ce ne sont pas des édits prétoriens, mais lui, en son nom propre, souhaite à chaque potentat, quel qu’il soit, des victoires sur ses insurgés, pour lui-même une grande clameur ennemie sans conséquence (ein groß Feindesgeschrey und nichts darhinter), et à nous tous une récolte pleine et riche et une année de bonne santé. Ce qui est, somme toute, fort acceptable.
Plus loin, son discours se place sur un plan moral et religieux, au-dessus des considérations astrologiques : la sagesse et la raison doivent régner en nous au-dessus des astres car la puissance des âmes supérieures vient de Dieu et le ciel est en-dessous de Lui comme un piédestal ou repose-pied (Fußschämel)…. C’est la sagesse et la force divine qui ont permis à Moïse, Aaron, Samson, David etc. de vaincre leurs ennemis…
À la fin du chapitre, il livre quelques considérations météorologiques et œnologiques qui sont censées réjouir les hommes plus communs en ces temps rudes et leur redonner du cœur à l’ouvrage (damit der arme gemeine Mann auch umb etwas in dieser härben rauhen Zeit erquickt) : lors des Grandes Conjonctions passées, les vendanges étaient exceptionnelles en quantité ou en qualité ! Ainsi pour celle de 1484 par exemple, qui se produisit dans le 15e degré du Scorpion, il y eut tant de vin que l’on manquait de foudres pour le stocker et l’on échangeait volontiers un tonneau plein contre un tonneau vide !
« Dieu, ne nous donne pas plus que ce qui est nécessaire et enrichissant pour notre corps et notre âme ! »
Epilogue, enseignements :
C’est sous un titre grec, episagma didaktikon, que Quietanus livre la conclusion de son Discours : ici, le lecteur aimerait lire la prédiction d’une paix prochaine : chacun attend son pain quotidien accompagné d’un bon petit verre (ein kleines Trüncklein), pourquoi pas ! et alors il ne manquerait plus que la paix pour compléter le tableau, mais Remus Quietanus ne se risque pas à cette promesse et nous renvoie vers les Saintes Écritures.
Dieu ne donne pas tout à la fois… chaque année quelque chose et si nous savons manifester notre gratitude, un peu plus. Sa Sagesse et sa Toute-puissance lui permettraient d’envoyer son Ange et d’anéantir une armée entière mais il nous faut d’abord faire preuve d’humilité, laisser la raison prendre le pas sur l’avidité et la convoitise comme Saturne s’adoucit sous l’influence de Jupiter. Mettons-nous d’abord en Paix avec Dieu et notre Seigneur, faisons la paix avec notre prochain, partageons avec les ecclésiastiques et les démunis ainsi nous aurons un héritage éternel et de citer Jérémie (ch.29) [19] avant de donner rendez-vous au lecteur en 1644 pour une expression plus explicite de son art.
Appendice : Des conjonctions de Vénus avec le Soleil à deux reprises pour l’année à venir.
Le Discours s’achève par cette conclusion toute empreinte de sagesse et de religiosité, mais le livret comporte encore un post-scriptum fort intéressant où Quietanus donne quelques prévisions concernant les planètes inférieures. Pour Vénus, l’Étoile du Berger, il annonce les dates des deux rencontres avec le Soleil en 1643 : le 16 février (conjonction inférieure) et le 30 novembre (conjonction supérieure). Pour la première, il conseille une observation à la lunette (niederländische Brillen) qui devrait permettre de déceler un fin croissant ou une faucille. Tandis qu’en novembre c’est sous la forme d’un petit disque que Vénus passera derrière le Soleil. Les aspects bien distincts de ces conjonctions de février et de novembre permettent de réfuter l’hypothèse de Ptolémée d’un monde constitué de sphères de cristal emboîtées.
En Astronomie, Remus Quietanus doit sa notoriété à l’observation du transit de Mercure de 1631 [20]. On apprend ici qu’il aurait aussi pu partager avec les anglais Horrocks et Crabtree la primauté de l’observation d’un transit de Vénus : selon ses dires, il avait prévu le transit du 4 décembre 1639, mais par malheur, il a neigé et le ciel ne s’est pas dégagé ce jour-là à Rouffach. Enfin, il termine son ouvrage en annonçant un transit de Mercure pour le 9 novembre 1644. Ce transit aura bien lieu [21], mais ne sera pas observable en Europe.
La seule lecture de cet Appendice confère déjà un intérêt historique à ce Discours de Remus Quietanus, plus convaincant quand il est question d’Astronomie pour le lecteur du XXIe siècle. On en vient cependant à se poser la question, comme pour Kepler, de son rapport à l’Astrologie, certains historiens estimant que ce dernier ne pratiquait son art que pour pouvoir en vivre. Je pense qu’ils se trompent : de leur temps, on n’assiste qu’aux premiers balbutiements de la science moderne et les frontières entre science et savoirs ésotériques ou entre science et religion ne sont pas celles que nous connaissons aujourd’hui. Dans le cinquième chapitre de son traité, Remus Quietanus prend clairement de la distance par rapport à l’Astrologie, mais ma maitrise insuffisante de son allemand du XVIIe siècle ne m’a pas vraiment permis de lire entre les lignes si son discours était à prendre au premier ou au deuxième degré.
Jacques Mertzeisen mars 2020
Notes:
[1] Voir l’article « Johannes Remus Quietanus, astronome et médecin à Rouffach » sur Obermundat.
[2] Johannes Kepler, Tertius interveniens : Warnung an (…) etliche Philosophos, Medicos und Theologos, dass sie bey Verwerffung der sterngückerischen Aberglauben nicht das Kind mit dem Badwasser ausschütten.
[3] « Der vornehmste in dieser Profession, und Coryphaeus (…), mein guter Freund & collega zu Kayser Mathiae I Zeiten ».
[4] Ce rapprochement virtuel des deux planètes peut être simulé avec le logiciel Carte du ciel d’Olivier Esslinger, par exemple.
[5] Toutes les dates sont données en double exemplaire, le 25 février du calendrier Grégorien correspond au 15 février du calendrier Julien.
[6] Contrairement à ce qui est annoncé sur la page de titre (Conjunction …im Wider, Bélier)
[7] Lorentz Eichstaedt ou Aichstadt, médecin et astronome de Poméranie a publié des éphémérides en 1633, 1636 et 1644, ainsi qu’un pronostic pour la Grande Conjonction de 1623.
[8] Je ne comprends pas bien comment cet alignement peut se produire deux fois dans la même année !
[9] Wegen der Gleichheit mit der Sundflut
[10] Arabische und chaldeischen delicamenten
[11] Voir Deutscher Bauernkrieg, la Guerre des Paysans allemands 1525.
[12] Allusion à la bataille de Pavie, 1525 et la mise à sac de Rome. « Baisez le fils, de peur qu'il ne s'irrite, Et que vous ne périssiez dans votre voie, Car sa colère est prompte à s'enflammer. Heureux tous ceux qui se confient en lui! Etc. »
[13] Au XVIIe siècle, on ne connaissait pas Uranus et Neptune qui n’ont été découvertes que plus tard.
[14] Pour plus de précisions, on pourra consulter l’article Wikipédia Grandes conjonctions.
[15] …en pleine Guerre de Trente ans, ne l’oublions pas.
[16] Voir SN 1604 sur Wikipédia.
[17] Johann Rudrauf, Gründliche Beschreibung des newen Monstrosischen Sternes. Voir aussi 1P/Halley sur Wikipédia.
[18] Observationes et descriptiones duorum cometarum …, Johannes Remus Quietanus, Innsbruck 1619. Voir aussi Léopold de Habsbourg, la grande comète de 1618 sur Obermundat.
[19] « Recherchez la paix en faveur de la ville où je vous ai déportés, et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car de sa paix dépend votre paix…. »
[20] Voir Johannes Remus Quietanus, astronome et médecin à Rouffach sur Obermundat.
[21] Voir Les passages de Mercure 2/2, Jean-Pierre Luminet, Futura-Sciences.