Le martelage (sous le second Empire)
in Les bûcherons et les schlitteurs des Vosges, dessins de Théophile Schuler - Paris, 1867.
Urphede de Diebold Schultheiss et Hanns Imelin de Hattstatt, coupables de falsification d'arbres-lisières. (A.M.R. A / FF 12 / 1 -3)
Dans l’affaire évoquée dans les deux documents qui suivent, deux bourgeois de Hattstatt , Diebod Schultheiss et Hanns Imelin ont été condamnés à une peine de prison au château d’Isenbourg pour avoir falsifié des arbres-lisières qui marquaient les limites de pâturages entre les bans de Rouffach d’une part et ceux de Herrlisheim et Hattstatt d’autre part. Grâce à l’intervention du seigneur de Hattsttat, ils ont bénéficié d’une grâce accordée par le seigneur de l’Obermundat mais cette grâce est assortie d'une Urfed par laquelle ils s’engagent solennellement de ne pas se retourner contre ceux qui les ont condamnés, sous peine de devenir parjures et hors-la-loi.
Qu'est-ce qu'une Urphede?
Une Urphede ou Urfed est d’abord le serment solennel qu’un condamné fait de ne pas se retourner contre les juges qui l’ont condamné, le bourreau qui l’a amené à ses aveux, les gardiens qui l’ont veillé, etc.
C’est aussi un serment solennel de respecter à la lettre les termes de la condamnation: par exemple, pour un bannissement, de respecter l’exclusion dont il a fait l’objet, de se rendre là où on lui a donné l’ordre d’aller, etc. Ce serment précise surtout que s’il devenait parjure il devenait hors la loi, que la loi ne le protégeait plus et que la peine capitale lui serait immédiatement appliquée, sans autre forme de procès et sans grâce possible…
Qu’est-ce qu’est le délit de falsification d’arbres lisières ?
Dans le texte, ces arbres lisières sont appelés Loch- ou Lachbaum : comme les bornes de pierre, ils marquent une limite de propriété, la limite d’un ban. Ils ont été marqués par le forestier au moyen d’une Lachaxt, le marteau forestier, qui porte d'un côté une masse sur laquelle est gravée une empreinte, et de l'autre côté un tranchant ou espèce de hachette qui sert à emporter un morceau d'écorce sur l'arbre qui doit recevoir l’empreinte.
Falsifier une telle empreinte, la rendre illisible ou la faire disparaître est un délit grave puni de peines de prisons, et dans certains cas un crime, passible de punitions au corps, mutilation ou peine capitale, lorsqu’il est commis contre une propriété seigneuriale.
Thiébaut Schultheis et Jean Immelin ont été libérés des prisons du château d'Isenbourg par une grâce particulière de l'évêque que leur a valu l'intercession de leur seigneur de Hattstatt et d'autres protections qui ne sont pas précisées dans les textes.
Reversaible (pour reversale ?) de Thiébaut Schultheis et Jean Immelin de Hatstatt de la fraudation des arbres lisières.
Nous, Thiébaut Schultheis et Jean Immelin bourgeois de Hatstat confessons publiquement par ces présentes que comme nous avons esté mis en prison au Château d’Isenbourg de son altesse Rev.me Monseigneur le Prince Albert [1] Evêque de Strasbourg, Comte palatin du Rhin, duc de Bavière et Landgrave d’Alsace, notre gracieux Seigneur, pour avoir commis délit aux arbres lisières qui avaient esté marqués entre ceux de Rouffack (sic) d’une, et ceux de Herlisheim et Hatstat d’autre part pour raison du pâturage et que son Altesse nous auroit bien pû punir au corps, que cependant par l’intercession de Messieurs de Hatstat et d’autres personnes, elle nous a gracieusement relâché et nous a fait sortir de la manière qu’il ensuit tellement que nous avons prêté un serment solennel à Dieu et à tous les saints de ne jamais agir contre son Altesse, nostre dit gracieux Seigneur, ses officiers et ceux de l’Evêché de Strasbourg [rajout en marge : et particulièrement contre ceux qui sont soupçonnés ou intéressés dans cette affaire], ny permettre que l’on agisse en aucune manière en cachet ni publiquement, par nous, ny par quelqu’autre de nostre part, pour raison de ce délit de quelle manière que ce puisse estre et dont Dieu nous veuille garder et préserver longtemps. Mais si nous estions si mal avisés de faillir et manquer en l’une ou l’autre de ces choses susdites, en façon quelconque, notre gracieux Seigneur, les officiers de son Altesse ou celuy à qui il sera ordonné, pourront et seront en droit de nous juger et condamner tant par authorité de Justice que autrement comme vrais parjures dont rien ne nous doit garantir, aucun indult des Papes, constitution des Empereurs ny privilège des Roys que l’on pourrait obtenir présentement ou à l’avenir, rien n’en excepté, fidellement et sans fraude.
En foy de quoy, nous avons supplié le sieur Conrad de Hatstat d’apposer pour nous son propre sceau aux présentes, sans préjudice néanmoins à luy et à ses héritiers
Fait le lundy après le dimanche que l’on chante en l’Eglise au commencement de la sainte Messe Exaudi [2], en l’année mil cinq cent six
La présente copie a esté fidellement collationnée sur son original et à iceluy trouvée conforme de mot à mot, atteste Michel Cleid, notaire apostolique par sa signature
Signé : Michel Cleid, notaire
Traduit d’allemand en langue françoise …par moy soussigné avocat et secrétaire interprète au Conseil souverain d’Alsace
Fait à Colmar, le 8 octobre 1713
signé : Müller
[1] Albrecht von Pfalz-Mosbach (également von Bayern; * 6 septembre 1440; † 20. août 1506 à Saverne)
[2] le dimanche où l’on chante à l’Introït pendant la procession d’entrée, Exaudi Domine vocem meam, qua clamavi ad te… Ecoute ma voix, Seigneur, que j’élève vers toi…
Ce texte est une traduction en français du texte original, par le secrétaire interprète du Conseil souverain d'Alsace, en 1713, soit 207 ans après la signature de l'Urphed de 1506 ! Pour quelles raisons a-t-on bien pu éprouver en haut-lieu la nécessiter d'extraire des archives une affaire concernant un délit somme toute assez banal, jugée deux siècles plus tôt ? On peut imaginer que c'était pour invoquer, dans une affaire similaire, un jugement ancien qui ferait ainsi force de droit ?
Pour le plaisir de la lecture, nous proposons ci-dessous le texte original en allemand de 1506:
Extract Perametenen (sic) Urbars beÿ der Stadt Ruffach (extrait d'un Urbaire sur parchemin, Pergament)
Dieboldt Schultheisen und Hanns Imelin von Hatstat Urfecht der Fälschung der Lohebaumen
Wür Dieboldt Schultheiss und Hanns Imelin, Burger zue Hatstat, bekhennen unss offentlich mit disem Brieff, demnach und wegen umb unseren mutwilligen Misshandel so wür an denen Lauchbaumen die zwischen Rufach an eim und Herrlisheim und Hatstat andteren theils des Viechtribs halb gezeichnet wordten, begangen haben, in des hochwürdtigen, hochgebohrnen Fürsten und Herren, Herren Albrechts, Bischove zue Strassburg, Pfaltzgraven beÿ Rhein, Herzog in Baÿern und Landtgraven in Elsass, unsers gnedigen Herren, Gefängnuss uff Isenburg khommen seind, und uns sein fürstl.gnad. an unserm Leib, wol hätt mögen straffen, und aber durch Firbit der edlen und vesten unseren gnedigen Junckheren von Hatstatt und andter Leith Firbit willen, gnädtiglich herlassen und uns aus solcher Gefäncknus, wie hernach volget khomen lassen, also dass wür einen Aÿddt leiblich zue Gott und den Heÿligen ge/ schworen haben, widter unseren gnedig. Herren obgemelt, seiner gnaden Ampts Verwanten und der Stüfft Straßburg und in sondterheit wider die so in dieser Sachen und Muethwillens halb so wür begangen, nimmer mehrer zue thuen noch schaffen gethan werdten in keinem Weg, heimblich noch offentlich, weder durch uns noch jemandts von unsertwegen, wie sich das füegen möcht, und davon uns Gott lange Zeit wolle verhieten ob wür so Unfur an uns selbst sein wollten dass wür solche abgeschriebene Stückh eins oder
…/…
mehrer übersehen, wie sich das füegte (fiechte) so soll unser gnediger Herr seiner Gnadten Ambtleuth oder wem das befolchen wirdt gueth fuegen und macht haben, ab uns mit oder ohne Gericht als wissenhaffte meinaÿdtige Männer zue richten dar vor uns nichts freÿen, fristen, schützen noch schirmen soll, kein bäbstlich noch kaÿserliche Recht noch Gericht auch weder königliche Privilegen so ietz oder ins khünfftigen Zeiten ussbracht werdten möcht, nichts ausgenommen, alles ungefehrlich, und dess zue wahrem Urkhundt, so hant wür erbetten den Edlen vesten Junckheren Curen (Conrad) von Hattstatt unsern gnädigen Junckhern, dass er sein aigen Insigel /. doch ihme und seinen Erben ohne Schadten ./ getruckht hat für uns an diesen Brieff, so geben ward uff Montag nach dem Sonntag Exaudi in dem fünffzehen hundersten und sechsten Jahr
Bibliographie:
L'usage des marteaux forestiers D. Garrouste - Ph. Pucheu
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/26296/RFF_1992_1_63.pdf?sequence=1
Les bûcherons et les schlitteurs des Vosges : quarante dessins originaux par Théophile Schuler ; texte par Alfred Michiels (1813-1892). Édition : 1878
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57728749/f78.image.texteImage
Gérard Michel