Nous sommes en 1558... Agnès est l’épouse légitime de Hans WUEST. Ils sont unis par les liens sacrés du mariage et le couple a eu trois enfants dont il ne reste en vie que deux filles. Il y a un an et demi, l’époux quitte le domicile conjugal et disparaît sans laisser de traces. L’épouse, peu de temps après, se fiance et s'installe en couple avec Heinrich Clein, de Florimont. Il y a une quinzaine de jours, l’époux légitime est retrouvé, vivant dans un village proche. Mais ce qui aurait pu devenir le sujet d’une pièce de boulevard, tourne au drame: la justice s’en mêle, prend évidemment le parti du mari trompé, Agnès est condamnée non seulement à la honte et à la réprobation publique mais également à une peine de prison et au bannissement, assortis d'une Urphede.
Dans des articles précédents nous avons utilisé à plusieurs reprises le mot Urphede. De quoi s’agit-il ?
On traduit souvent Urfehde par « caution juratoire », un terme qui ne me satisfait pas et prête à confusion avec son sens actuel:
- l'Urphede est d’abord le serment solennel qu’un condamné fait de ne pas se retourner contre les juges qui l’ont condamné, le bourreau qui l’a amené à ses aveux, les gardiens qui l’ont veillé, etc.
- c’est aussi un serment solennel de respecter à la lettre les termes de la condamnation dont il a fait l’objet : par exemple, pour un bannissement, de respecter l’exclusion dont il a fait l’objet, de se rendre là où on lui a donné l’ordre d’aller, etc. Ce serment précise surtout que s’il devenait parjure il devenait hors la loi, que la loi ne le protégeait plus et que la peine capitale lui serait immédiatement appliquée, sans autre forme de procès et sans grâce possible…
On retrouve ce terme à l’issue de toutes les procédures criminelles (sauf évidemment celles qui se terminent par une condamnation à mort…), en particulier dans toutes les condamnations au bannissement ou dans les cas, très rares, où la justice n’a pas réussi (à l’issue de la troisième séance de torture), à faire avouer l’accusé qui est alors « libéré » ou plutôt placé en résidence « surveillée » à son domicile…(avec souvent chaînes, menottes et barreaux aux fenêtres…)
Traduction libre de l'Urphede d'Agnès:
Le texte original ne comprend aucune ponctuation et pour la compréhension il a été nécessaire de couper quelques phrases trop longues...
Moi, Agnès, de Hirsingen, épouse légitime de Hans WUEST, bourgeois de ROUFFACH, reconnais et affirme publiquement par la présente, que, dans les années qui ont précédé, je me suis liée et engagée par les liens sacrés du mariage avec le susnommé Hans WÜST, mon cher époux, et que nous avons confirmé tous deux ce saint sacrement du mariage par une cérémonie à l’église selon les anciennes traditions chrétiennes, et vécu en ménage plusieurs années au cours desquelles sont nés trois enfants. Mais malheureusement, à mon plus grand regret, j’ai rejeté tout cela dans l’oubli, en particulier le salut de mon âme ainsi que ma bonne réputation aux yeux de tous : il y a de cela environ un an et demi, le susnommé Hans WÜEST, mon cher époux, , m’a quittée et a quitté la ville et le domicile conjugal (par haine, pour l’amour du jeu ou pour d’autres raisons) et nous n'avons plus eu depuis de vie commune. Aussitôt après, dans le temps de la dernière Pentecôte, j’ai recherché un autre homme , je me suis fiancée et remise en couple avec Heinrich CLEIN de Blumberg. En faisant cela, j’ai jeté par mon comportement et ma débauche la honte publique sur mon bien aimé malheureux époux et sur les deux filles légitimes qui nous restent et ainsi j’ai péché contre la sainte et indivisible Trinité et contre toutes les lois et la justice. J’avoue et je reconnais qu’il y a à peine une quinzaine de jours, le maintes fois nommé Hans WÜST, mon époux, a été vu et reconnu à deux ou trois Miles d’ici où il vivait. Ce pourquoi, à cause de la légèreté de mon comportement et de ma mauvaise action, j’ai été jetée et retenue dans la prison de notre très gracieux prince et seigneur où j’ai attendu la justice et le verdict de notre gracieux seigneur (Junker = écuyer), Monseigneur le bailli…
J’ai fait le serment sur les reliques, devant Dieu tout puissant et ses saints, librement et sans contrainte, de quitter sur l’heure cette ville de Rouffach et la seigneurie de l‘Obermundat et de ne plus jamais revenir dans l’avenir dans la ville de Rouffach ou dans la seigneurie de l’Obermundat, d’y habiter ou d’y circuler, ceci avec le consentement de mon gracieux seigneur de Strasbourg, des conseillers et du bailli de Rouffach...
Je dois et je veux également ne jamais chercher à contester, à attaquer le jugement ou à me venger, de quelque manière que ce soit, de mon très gracieux seigneur de Strasbourg, de ses gracieux baillis, membres de ses conseils, sujets, amis et proches, de ma condamnation à la prison et de ce que j’ai enduré pendant mon séjour en prison.
S’il advenait, mais que Dieu m’en préserve, que je m’égare au point que je ne tiendrais pas et que je contreviendrais à l’un ou l’autre article de l’Urphed que j’ai jurée, mon très gracieux seigneur de Strasbourg ou le bailli, ou le magistrat de Rouffach auraient aussitôt le plein pouvoir de me considérer et me traiter comme une personne sans honneur, une parjure et une malfaitrice et rien ni personne ne pourrait m’aider ou me protéger, ni aide spirituelles ni temporelle, quels qu’elles soient et quels que soient leur nom…
Cette Urphed a été rédigée pour attester ce qui précède et comme je n’ai pas de propre sceau, j’ai demandé à mon bien-aimé et bienveillant seigneur, Christoff von Ertmannsdorf, d’appendre son sceau au bas de cet écrit.
Donné le samedi après le jour de la fête de saint Simon et Jude, les saints apôtres, où l’on compte quinze cent et cinquante-huit années après la naissance de Christ, notre bien-aimé Seigneur.
Texte original, en allemand:
Urphed Agnesen, Hanns WÜSTen frauwen, und des von Ertmanβdorf sigel 1558
Ich, Agnes von Hirsingen, Hans WUESTen, burgers
zu Ruffach eheliche husfrow, bekhenn und verjehe hiemit
offentlich, nachdem ich mich verruckter Jaren mit ermelten
Hans WÜSTen, meinen lieben huβwurt, inn stand der
heilligen ehe begeben und verpflichtet, auch wir beide
solches heilliges Sacrament mit dem Kirchengang,
alter christenlicher Odnung und gebrauch nach,
bestetiget mit einander etlich Jar hauβgehalten unnd
in werender ehe drÿ Kinder erporn und überkhommen
haben, daβ aber ich (leider) solches alles, Auch
sunderlich meiner armen seelen heÿl und seligkeit,
deβgleichen guten gemeinen ruff und leumunden in
vergeβ gestelt, dann als gedachter Hans WÜEST,
mein lieben ehegemahell, ungeverlich bÿ
anderthalb jarn sich (uβ widermuth, spilens oder anderer
ursachen halben) von mir uβ dieser statt Ruffach
enteüssert und bitz anhar kein eheliche bÿwonung gethon,
hab ich alβbalt und nemblich umb Pfingsten nechst
verschinen, nach einem andern man getrachtet und mich mit
Heinrichen CLEINen von Blumberg ehelichen verlopt
und eingelassen, und nicht darmit gesettiget
gewesen, sunder erst im schein ehelicher werck, alle
unkeuscheit zu offenlichen schanden meines armen
gelipten Hauβwurts, und unser beider noch leben=
den eelichen docter, geübt und getriben, mit
welchem ich mich gegen der heilligen untheilbaren
drÿfaltigkeit, und wider alle recht und billicheit
gesündiget haben, bekhenne und gesten muβ daβ
erst innerhalb vierzehen tagen, mehr genanter Hans
WÜST, mein Hüβwürt, ungeverlich bÿ zwo oder drÿ
mÿlen weggs von [hümen] bÿ leben, gesehen und
erkhant worden ist, dernhalben ich umb solcher
geübter lÿchtfertigkeit und missethat willen in
deβ hochwurdigen Fürsten, meins gnedigen Herren
von Straβburg gefengknuβ eingezogen und
enthalten worden bÿn (?) villicht der meynung da mein
gnediger Jungker der Amptman alhie daβ gepü=
rend ordenlich recht, von Oberkheit wegen gegen
mir furgenommen und geprucht haben wollte,
diewÿll aber solches recht mir, armen sünderin, zu
schwer hat fallen mügen, so hab ich hieruf frÿes
unbetrengts willens, einen lÿplichen Eÿd, zu Gott
dem almechtigen und seinen heilligen, geschworn mich
von Stund an, von und uβ dieser statt Ruffach und
Herrschafft Obern Mundat zuthuen, und fürderhin weder
inn der statt Ruffach noch inn der Herrschafft Obern
Mundat dheins wegs wider ein zukommen, ze wonen
noch zewandeln. Ich hab dann zuvor mein gnedigen
herren von Straβburg oder Irer f.g., Rädten oder
eins amptmans zu Ruffach gnedig erlaupung,
wissen und willen erlangt und uβpracht, [Ich]
soll und will auch diβ, mein gefengknus und was
sich dernhalben zugetragen, verloffen und begeben
hatt, weder gegen meim gnedigen Herren von
Straβburg, seine f.g. Amptleudten, Rath, Underthonen,
angehörigen und verwandten nimer mehr rechen,
anden[1] noch efern[2] noch solliches zugeschehen verschaffen
inn dheinem Wege. Were es aber sach, darvor
Gott sige, daβ ich an mir selbst so untheur wurde,
unnd diese mein geschworne Urphed in eim oder
mehr articulen nit hielte, sunder breche, so soll
alsdan mein gnediger Herr von Straβburg oder
seiner f.g. Amptleudt oder ein Rhat zu Ruffach, volle
müg und macht haben gegen mir zehandeln alβ
gegen einer erlosen, meÿneÿdigen Personen und
übeltheterin, darvor soll mich auch nichts schirmen
noch helffen, weder geistlich noch weltlich frÿheit,
wie die alle geheisen und wievil dern seindt,
dann ich mich dern aller, sampt dem Rechten,
gemeiner verzihung one vorgunde sunderung
widersprechende deβgleichen auch der
velleÿnischen gutthaten, wÿplichen geschlecht zu furstandt
geordent, wissenlichen verzügen und übergeben habe,
alles getrewlichen und ungeverlichen, und deβ alles
zu warem Urkhundt hab ich (diewÿl ich eigens
insigels nit gebrauch) mit vleiβ erbetten den Edlen,
vesten, Christoffen von Ertmanβdorff, meinen gunstigen
lieben Jungkhern, daβ er sin Insigel, doch Ime
und seinen erben inn elweg one schaden, zu end
dieser schrifft gedruckt hatt, und geben uff
sambstag noch sanct Sÿmon und Judas der heilligen
zwölffpotten tag, noch christi unsers lieben herren
geburt gezalt funff zehen hundert fünnzig und acht Jar (1558)
[1] anden : vindicare, reprehendere
[2] efern: iterare, replicare, gannire, widersprechen, zanken,
Gérard MICHEL juin 2018