Contrepoids de pressoir (chevet de l'église de Rouffach)
Quelques mots relevés dans le compte-rendu d'un procès criminel conservé aux archives municipales de Rouffach ont retenu particulièrement notre attention. Il s'agit du procès de Fridlin Dossenbach, Wiltprätschützen, littéralement tireur de gibier, autrement dit chasseur. Il est accusé de violences et de braconnage, mais, bénéficiant de protections, condamné en premier lieu au bannissement il sera finalement acquitté. Son procès fera l'objet d'un article dans ces pages, ultérieurement .
Mais pour l'heure, nous ne nous intéresserons qu'aux quelques lignes figurant en tête d'une des pièces de cette procédure: quelques mots qui y figurent nous feront découvrir comment d'infimes détails peuvent éveiller notre imagination et nous plonger dans la vie quotidienne du Rouffach d'antan...
Malefitz Recht gehalten
Zinstag vor Mathei Apostoli
A° domini Achtzig ein.
Ist von wegen das man damals
die Neüw Rathstuben gepauwen vor
dem Neüwen Hauss beÿ dem
Trotstein gehalten worden
Traduction:
Procès criminel tenu
mardi avant Mathieu apôtre l'année
quatre vingt un
parce qu'on était en train de construire la nouvelle salle du conseil, ce procès criminel s'est tenu devant le Neuhaus, près du Trottstein...
Analyse:
Malefitz Recht:
Ce mot Malefitz pourrait laisser à penser qu'il s'agit d'un procès de sorcellerie, procès des maléfices, mais Malefitz signifie toujours criminel, et est criminel tout acte pour lequel on peut encourir la peine de mort, comme, entre autres, le crime de sorcellerie ou, ici, le braconnage...
La date:
Elle est donnée par le saint du jour, ici saint Matthieu apôtre, fêté le 21 septembre au martyrologe romain. L'année: 1581.
Le lieu:
L'Hôtel de Ville étant en travaux, le procès a lieu devant le Neuhaus, près du Trottstein. Cette année-là, en 1581, la ville avait décidé d'agrandir l'Hôtel de Ville: elle chargea l'architecte de la ville, Frantz Baur de construire un deuxième corps de bâtiment parallèle au premier. Il conserva le pignon à redents primitif sur le mur d'enceinte au sud mais remania la façade sur la place pour former un seul ensemble à deux pignons semblables. (sources: notice Mérimée)
Nous avons consacré un article au Neuhaus sous le titre Topographie du Rouffach ancien: le NEUHAUS, la nouvelle Maison de Ville. Ce bâtiment était situé à l'emplacement de l'actuelle mairie de Rouffach et son imposante façade donnait sur le massif ouest de l'Eglise Notre Dame, face au portail principal: entre les deux édifices, la Place du Marché, au centre de la Ville ancienne.
Le procès de Fridlin Dossenbach s'est donc tenu devant le Neuhaus, dont le rez-de-chaussée était un espace ouvert, qui servait également de halle de marché.
Cette petite note nous rappelle que les procès étaient publics et que, s'ils ne se déroulaient pas toujours à ciel ouvert comme ici pour le procès de Fridlin Dossenbach, ils se tenaient dans un lieu ouvert, le plus souvent sous une Laube, sous les arcades d'une halle ou dans une salle dont les portes devaient rester ouvertes au public.
Trottstein ?
Il s'agit d'un contrepoids de pressoir, taillé dans un gros rocher, comme on peut en voir actuellement deux exemplaires conservés entre les contreforts du chœur de l'église Notre-Dame de Rouffach. Le document nous rappelle qu'un de ces contrepoids était placé devant le Neuhaus, bien en vue sur la Place du Marché et de la sortie principale de l'église.
Quel pouvait bien être l'usage de cette grosse pierre, juste à cet endroit? Les anciens de Rouffach se souviennent peut-être du temps où, au sortir de la messe du dimanche, l'appariteur de la ville annonçait à la population assemblée les événements de la commune et les instructions de la mairie. Habituellement, un roulement de tambour préludait à l'annonce et l'appariteur se perchait en hauteur, pour être vu et entendu, sur un plot de pierre encore visible aujourd'hui entre le mur de la mairie et le plateau de la bascule publique!
Le Trottstein dont il est question dans le document avait alors la même fonction, celle d'un "podium" du haut duquel étaient prononcés solennellement les actes d'accusations, les sentences ou toute pièce qui devait être entendue par l'assistance.
Un bref moment de la vie quotidienne du Rouffach d'antan...
Ces quelques petites notes dans le titre d'une page de procédure criminelle nous permettent, avec un peu d'imagination, de nous plonger dans la vie du Rouffach d'antan: la place du Marché devant l'église, l'attroupement des badauds devant le Neuhaus, le monde coloré des bourgeois, des conseillers et des juges en costume, les bruits du chantier de l'hôtel de Ville tout proche, quelques accents de musique ou de chant s'échappant d'une porte ouverte de l'église, les cris des charretiers, des animaux en liberté... Un petit moment de vie quotidienne échappé de quelques mots d'un banal document d'archive de 1581...
Gérard MICHEL