Dans l'article La consommation des œufs doit-elle être autorisée pendant l’Avent et le Carême du 5 décembre 2017, le lecteur a pu se rendre compte de l'influence considérable que l'église catholique exerce dans le quotidien des gens. Y compris dans leur alimentation: le calendrier religieux fait alterner jours gras et jours maigres, ces derniers excluant toute viande. Pour l’Église, la viande est un aliment dangereux, qui favorise le péché de chair. Dans les périodes dites ordinaires, le vendredi est jour maigre. Le jeûne est obligatoire lors des périodes de préparation aux grandes solennités religieuses, Pâques et Noël notamment, où l'on doit vivre à la fois sobrement et chastement. Il ne reste donc plus, si l'on suit le calendrier religieux, qu'un tiers de l'année où l'on pouvait manger librement! Les graisses animales, lard, saindoux, les laitages et les œufs sont prohibés durant ces temps "maigres". La viande est alors remplacée par le poisson : sa nature « froide et humide » ne risque pas « d’échauffer les sens » du consommateur et de déclencher « l’incendie de la luxure ».
Le poisson de mer est consommé traditionnellement en Alsace depuis le Moyen-Âge, conservé en saumure, salé et séché, transporté par bateaux sur le Rhin. Quant au poisson d'eau douce, il est pêché sur place, dans les rivières, la Lauch, la Thur, l'Ombach (la pêche y reste le privilège du Seigneur) et même les fossés de la Ville...
Il y avait à Rouffach des pêcheurs "professionnels" réunis en une corporation affiliée à la Tribu de la Licorne, sévèrement réglementée par les autorités de la seigneurie et celles de la Ville. Nous proposons dans cet article un règlement de 1564, traduit en français et remis à l'ordre du jour en 1697. Une fois encore, la ville a exhumé de son fonds d'archives un document vieux d'un siècle et demi, pour l'opposer aux nouveaux droits accordés au seigneur de l'Obermundat, après le rattachement de l'Alsace à la France, jugés contraires à l’usage et la tradition, et surtout aux droits et privilèges séculaires qui avaient été accordés à la Ville par les évêques depuis des siècles...
Extrait du règlement des Pêcheurs de la Ville de Rouffach, suivant qu’il doit être observé, en vertu du règlement de la tribune A la Licorne, ainsi que cela est écrit dans un vieux registre de l’année 1564 :
Premièrement, il est défendu à tous les pêcheurs de Rouffach qui sont dans la confrairie de ne point mettre nÿ posser leurs Corbeilles a poïson les samedÿ au soir, comme aussi toutes les veilles des Douze Apôtres et à tous les jours de nopces *, aujour de la fette de Dieu et à toutes les fettes de la Vierge et au jour de la Ste Croix, à moins que le lendemain ce soit un jour maigre, alors ils pourront mettre et tendre leurs corbeilles et celui qui n’observera pas cela, paÿera au Magistrat de la Ville cinq schillings et autant à la confrairie.
* jours de nopces: il s'agit d'une erreur de traduction de l'allemand Hochzeit. Ce mot désigne alors les grandes fêtes religieuses alors qu'aujourd'hui il est réservé aux noces, fêtes à l'occasion d'un mariage...
1. le respect du confrère...
Item, il ne sera pas permis aux pescheurs de se servir des outils d’un autre pêcheur, si ce n’est de son consentement. Qui n’observera pas cela, paÿera aux Magistrats deux schillings et autant à la confrairie.
Item, un pêcheur n’ossera lever les fillets à un autre ; celui qui le fait, paÿera aux Magistrat deux schillings et à la Confrérie autant.
Item, point de pêcheur n’entrera dans la resselle d’un autre dans l’intention de lui nuire ; celui qui le fera, paÿera aux magistrats deux schillings et autant à la confrérie.
2. on ne pêche pas la nuit...
Item, point de pêcheur n’osera pêcher dans le ban de Rouffach avant que le soleil fut levé, nÿ au couché du soleil ; celuÿ qui le fait, paÿera aux Magistrats cinq schillings et autant à la confrairie.
3. ... ni les jours de fête...
Item, si un pêcheur pêche un jour de fette dans le ban de Rouffach, il paÿera aux Magistrats cinq schillings et autant à la Confrairie.
Item, il est deffendu aux pêcheurs de Rouffach de ne point pêcher nÿ entrer en société avec un autre pêcheur étranger *, à peine de dix sols damande pour les Magistrats et une pareille pour la confrairie.
* étranger signifie d'une autre seigneurie: celui qui vient d'Ensisheim ou de Hattstatt est un étranger!
Item, point de pêcheur n’osera faucher dans l’eau après six heures sonnés après midÿ, a peine de deux schillings pour les Magistrats et autant pour la confrairie.
4. pêche à la "corbeille" et au filet...
Item, les pêcheurs pourrons mettre leurs corbeilles depuis le Carnaval jusqu’à la Saint Michel dans l’année, dans le ban de Rouffach, après quoÿ ils oterons et déchireront les haïes pour laisser le cours ouvert à la rivière, et celui qui contrevienda a cela, paÿera aux Magistrats cinq schillings et autant à la confrairie.
5. des cantons réservés à la pêche...
Item, suivent les cantons où les pêcheurs pourront pêcher, scavoir depuis le Böltzbaum jusqu’au Klimmerlé, depuis le Klimmerlin jusqu’au pont dit Ossenbruckhen, depuis ce pont jusqu’à la Croix et de la au dessous du chemin jusqu’au vieux chemin du moulin et depuis ce vieux chemin du moulin jusqu’au long pont, depuis le long pont jusqu’au canton dit le long Gason (Langen Wasen), depuis le long gazon jusqu’au Oberfallen, et depuis là jusqu’au canton dit Lau et Untergrueben, depuis ce canton jusqu’au Niderfallen, et ceux qui voudront pêcher dans les dits endroits avec les fillets, ne pourront posser que defois (sic) par semaines avec leurs fillets, et qui n’observera point cela, paÿera lamande de cinq schillings aux Magistrats et autant à la confrairie.
6. des filets aux mailles normalisées...
Item, il est déffendu au pêcheurs de se servir de fillets étroits, mais en auront un model, lequel leur sera donné par le Magistrat suivant lequel ils feront faire leurs fillets et point d’autres, et ceux qui ne se conformeront pas, paÿerons une amande pour le Magistrat de cinq schillings et une pareille à la confrairie.
7. la pêche dans l'Ombach est réservée au seigneur ...
Item, n’ÿ les pêcheurs, leurs enfans et domestiques ne pourrons, dans la rivière appelé Ohmbach, pêcher, à peine de cinq sols d’amende pour le Magistrat et une pareille pour la confrairie
Item, les pêcheurs se servirons des choses à eux prescrites par la ville et point d’autres, sinon par la permission du Magistrat, à peine d’une amende qu’il paira au dit Magistrat leur imposer.
8. une redevance annuelle...
Item, si un pêcheur ne paÿe pas sa cotte part des droits qui sont dubs annuellement au Magistrat et à la Ville dans la huitaine après qu’il sera tombé dans le cas des amandes, sera ou serons privé du droit de la jouissance de la pêche.
Item il est deffendu aux pêcheurs de Rouffach de ne point aÿder aux pêcheurs étrangers à vendre leurs poissons nÿ de les achepter d’eux à une lieue à la ronde de la ville de Rouffach, à peine d’une livre d’amande.
Item, il ne sera pas permis à une femme de Rouffach de se mettre en place publique pour vendre du poisson, à peine de cinq schillings d’amande pour le Magistrat et autant pour la confrairie.
Traduit de son original allmand en papier, à moÿ présenté par le Sieur LECLERE au nom et receveur de la Ville de Rouffach, paraphé par Monseigneur de MONT SAINT PERRE, député de part le Roÿ, Grand Maitre des Eaux et Forrets d’Alsace, par Moÿ soussigné, secrétaire interprette au Conseil Souverain d’Alsace, le 26 Juin 1697 et certifié le présent translat véritable, a fait rendu l’original au dit Sieur Le CLERE.
Fait à Ensisheim le dit jour et an que dessus, signé SCHEPPELIN avec paraphe…
L’original en allemand de 1564 est également conservé aux archives de Rouffach sous la cote AMR AA 3. La traduction qu’en propose Scheppelin est incomplète et assez peu fidèle.
Gérard MICHEL juin 2018