saint Urbain, saint patron des vignerons, bénissant la ville de Rouffach photo G.M.
En parcourant les archives anciennes, les comptes rendus des séances du Magistrat notamment, on découvre rapidement qu’on buvait beaucoup, et surtout beaucoup de vin. Rouffach a toujours été une terre à vignes, les ressources ne manquaient pas, les occasions de boire étaient nombreuses et on ne les manquait jamais !
Les fêtes religieuses étaient beaucoup plus nombreuses qu’aujourd’hui et finissaient souvent par des repas en commun bien arrosés. D’autres occasions donnent lieu à des banquets et à des libations : la reddition des comptes annuels des différents offices de la ville, le jour du Schwörtag, le zwölften Tag , la réception de nouveaux bourgeois, la visite du seigneur ou d’un prince étranger, le repas qui suit l’exécution d’une sorcière, la fête de la dédicace de l’église, toutes les fêtes familiales, etc.
On boit chez soi, soit de sa propre production, soit du vin acheté chez l’un des nombreux Gassenwirth qui vend son vin über die Gasse et chez qui on ne peut pas consommer sur place, ou chez le Schildwirth qui dispose d’un établissement signalé par une enseigne et propose à sa clientèle du vin, mais aussi des repas et éventuellement un hébergement. Mais on boit aussi dans les Zunft Stuben et la , Raths Stube les poêles des corporations, qui elles aussi, débitent du vin, et souvent en grande quantité…
1. une eau impropre à la consommation et nuisible à la santé…
Rouffach est traversé par un cours d’eau, l’ONBACH ou OHMBACH, l’artère qui a donné à Rouffach sa vie, son importance et une grande partie de sa richesse. Ce cours d’eau, les nouveaux habitants de Rouffach en ignorent pour la plupart l’existence, il n’en reste plus guère de traces dans la topographie du Rouffach actuel.
l'Ombach vers 1960 photo G.M.
Après avoir alimenté depuis sa source une série de moulins dans la vallée de Soultzmatt, dont la Herrenmühle, la Sternemühle, la Bodenmühle, le moulin de Suntheim, et la Schliffmühle, l’Ombach entre dans Rouffach près de la Thorlein, la Poterne. Elle alimente un premier établissement de bains publics ou étuve, puis un lavoir, des tanneries, des teintureries, des boucheries, un vivier à poissons, un second établissement de bains, à nouveau un moulin, un abattoir (une tuerie) et encore une teinturerie, avant de sortir de la ville près de la maison Saint-Jacques et de rejoindre la Lauch en passant sous la lange Brücke qui enjambait la Lauch, l'Ohmbach et et un autre canal, le Holtzkanal …
On imagine sans peine ce que devait être la qualité et la couleur de l’eau qui traversait la ville, d’autant plus que la rivière servait également de collecteur aux eaux de ruissellement des rues adjacentes et de tout à l’égout aux riverains… Une eau donc parfaitement impropre à la consommation.
Restaient les puits, nombreux à Rouffach. Le Magistrat rappelle très régulièrement aux habitants qu’ils devaient dégager les tas de fumier die Besserung et d’immondices divers qui se trouvaient devant les maisons et qui parfois encombraient les rues et ruelles ! En plein centre de la ville, près de l’église Notre Dame et autour de la chapelle Saint Nicolas, l’ossuaire, le cimetière de la ville. Et tout autour, des puits, dans lesquels on devait puiser de l’eau potable !
L’eau étant inconsommable, sauf celle des fontaines alimentées par les sources des collines, la population s’est rabattue sur une autre boisson qui, elle au moins avait meilleur goût et meilleur aspect et qui n’entrainait pas les mêmes troubles que l’eau, et cette boisson était le vin.
L’eau est nuisible à la santé, le vin ne l’est pas et de là à dire que le vin est bon pour la santé, il n’y a qu’un pas, franchi très rapidement.
2. le vin, aliment et médicament…
Le vin est devenu, dès l’époque médiévale un aliment, mais aussi une médecine. Ainsi, chez les Antonins d’Issenheim, il servait de base à la fabrication du Saint Vinage qui devait guérir le feu de Saint Antoine. On en proposait des quantités surprenantes à Rouffach aux malades des hôpitaux et de la léproserie…On connaît les quantités de vin mises à disposition des malades de l'hôpital Saint-Jacques et de la léproserie de Rouffach, entre une et deux mesures ! (la mesure = 1,5 litres.) Evidemment, ces vins ne titraient pas ce que titrent nos vins d’aujourd’hui, 12, 13 et même 14°, on suppose qu’ils titraient entre 6 et 8°, ce qui fait tout de même le titre d’une bière bien corsée ! Et trois litres de bière en une journée représentent beaucoup...
3. ivresse et ivrognerie…
Les excès de l’alcool sont donc fréquents, on en trouve de nombreuses traces dans beaucoup de comptes rendus de procès, y compris dans les procès de sorcellerie.
Au sujet de la consommation excessive d’alcool, Martin Luther écrit:
Es ist leider [...] gantz Deudschland mit dem Sauffenlaster geplagt.[...] Es mus aber ein jglich land seinen eigen Teufel haben... Unser Deudscher Teufel wird ein guter Weinschlauch sein und mus Sauff heissen[...]
... Dans toute l’Allemagne règne la plaie de l‘ivrognerie. Mais sans doute faut-il que chaque pays ait son démon. Notre démon allemand doit être une sacrée outre à vin et s’appelle sûrement "Sauff ", soiffard…
Les autorités civiles, le Magistrat ainsi que l’Eglise veillent à limiter les heures d’ouverture des cabarets et tavernes et des Zunft Stuben pour éviter les bagarres et les rixes qui se terminent souvent dans le sang.
L’ivrognerie est endémique et dans toutes les couches de la population. Le Magistrat et les autorités religieuses multiplient les règlements, les interdictions, les menaces et les sanctions, mais rien n’y fait… même le Turnbläser chargé de sonner les heures du haut de sa tour est sermonné à cause de sa propension scandaleuse à la boisson, [sein] schandlich Sauffen !
4. das Zutrinken : "binge drinking" ou biture express avant l’heure…
Une tradition solidement ancrée et qui s’appelle Zutrinken contribue largement à l’ivrognerie « conviviale » et fera l’objet de multiples interdictions. De quoi s’agit-il ?
C’était un rituel qui accompagnait la consommation de l’alcool, au cours duquel, celui qui trinquait buvait en l’honneur d’une personne, vivante ou décédée ou d’un groupe de personnes.
Et c’est ainsi qu’on arriva assez vite à des excès : on ne pouvait pas refuser de trinquer avec quelqu’un et ce geste en entraînait automatiquement un suivant : aussi longtemps que quelqu’un levait son verre, tout le monde devait suivre et personne n’avait le droit de refuser, même si cela devait conduire à l’ivresse jusqu’à l’inconscience. C’est ainsi qu’un homme prouvait sa force et sa résistance. Ne pas répondre pouvait être considéré par l’autre comme une insulte grave qui pouvait avoir des conséquences sociales, l’exclusion du groupe social, et même conduire à des agressions physiques. Evidemment, tout ceci finit par déplaire à l’église qui se mit bientôt à prêcher contre l’alcool satanique : Martin Luther parle de teufflischen Gewohnheit des Zutrinckhens la pratique honteuse et diabolique... Il parut des livres sur le sujet et une réglementation fut mise en place dès 1495, puis en 1497, 1498, 1500, 1512, 1530, 1548, 1577... par les autorités de l’Empire...
En 1565, cette tradition, ainsi que l’ivrognerie dans son ensemble, est considérée comme eine Gotz Lesterung, un blasphème, et est condamnée et sévèrement réprimée par un édit de l’empereur :
Und nachdem auß Trunckhenheit, die dieser Zeit
wesentlich Überhanndt genommen, nitt allein
Gott der Allmechtig zuem höchstenn erzürnt würt,
sonder vil erschrockenliche Sachen, Übel undt
Unradt thäglich entstandenn, deßhalben setzen,
ordnen und meinen Wür hiemit menniglich inn unserer
Oberkheit ernstlich gepiettenn, das Zuetrinckhenn
hinfürter gentzlich zue underlassen undt
meidenn, beÿ Peenen unnd Straffen hernach
gemeltett, die denn Überfarendenn unnachläßlich
abgenommen werden sollen.
et les contrevenants seront sévèrement punis de prison.
Malgré ces menaces, répétées régulièrement par les autorités civiles et religieuses au cours des siècles suivants, cette habitude a perduré jusqu’après la Révolution…
5. pour ceux qui veulent aller plus loin :
A.M.R. FF 59 1565 Ordonnance de sa Majesté l’Empereur sur la Police de l‘Obermundat
Vom Zuetrinckhen (texte complet)
Und nachdem auß Trunckhenheit, die dieser Zeitwesentlich Überhanndt genommen, nitt allein
Gott der Allmechtig zuem höchstenn erzürnt würt,
sonder vil erschrockenliche Sachen, Übel undt Un//
radt thäglich entstandenn, deßhalben setzen,
ordnen und meinen Wür hiemit menniglich inn unserer
Oberkheit ernstlich gepiettenn, das Zuetrinckhenn
hinfürter gentzlich zue underlassen, undt
meidenn, beÿ Peenen unnd Straffen hernach ge//
meltett, die denn Überfarendenn unnachläßlich ab//
genommen werden sollen.
Nemblich, wölcher mitt dem anderen zuetrinckt,
halb oder gar auß, inn wölcher Gestalt des Zue//
trinckhenns Weiss beschähe, mitt Worten, Geber//
denn, Deüten, Winckhenn, und wie das erdacht
werden möchte, derselb soll besserenn fünff
Schilling.
So aber das Zuetrinckenn so fräventlich, gevörlich
und überflissig geschähe, das einer solchenn Tranck
wider gebe, oder sonst auß Trunckhenheit unver//
nünfftige Thaden beging, der soll ferrer nach Ge//
legenheitt seiner Vermessentheit undt be//
gangnen Thadtenn, durch unsre Amptleüth, mit
dem Turn oder sonst Gestrafft werden.
Alß soll es auch gegen denen, so sich usserhalb
zutrinckens für sich selbs dermassen mitt
Wein überladenn, daß sie ungeschickte, unvernünf//
tige Thadten begiengenn, gehaltenn werdenn.
Es sollen auch alle Würt, Weinschenckhenn, Stu//
benn Knecht unndt Hauptkannen [1], zuem Zuetrinckenn
wissentlich khommen, Wein geben oder geben
lassen, auch die frembden, dises der Röm:Kaÿ:Majt:
unser aller gnädigisten Herrens unndt gemeiner
Sennden (?) des heÿligenn Reichs, Verbots, Warnen und
Erinnerenn, unnd wölche darüber, sie seigenn frembd
oder heimsch, zuetrinckhenn würdenn, das sollenn
die gemeltenn Würt, Weinschenckhenn, Stubennknecht,
darzu die geschwornen Beüttell, Stattknecht,
Faßzieher, Weinläder und anndere gemeine
geschworne Diener, so das sähenn unndt gewahr wurdenn,
beÿ Irenn Eÿdenn, unserenn Amptleütten
ahn jeden Ort, fürbrinngenn undt anzeigenn.
Es sollen auch die Gasthalter, Stuben unndt ann//
dere offene Würt, nachdem die Glockh nachmittag, zue
Sommerzeitenn Zehen und im Wünter Nein ge//
schlagen, ausserthalb Irer frembdenn Gesten unndt
derenn so fürnemmen Gesten zue ehrenn, beÿ
Inen erschinen, niemandt inn Irenn Heüseren
halltenn, Wein oder Zehrenn gebenn, sonnder sie
Heim weisenn, beÿ Peen dreissig Schilling, so der
Würt, Gasthalter oder Stubenknecht darumb
unnachläßlich bezahlen sollen.
[1] Hauptkanne, m. das Wort ist aus Strasburg in dem Sinne von Schenkwirt, Gastgeber bezeugt: ein exempel von einem zerer und füller, der gern tag und nacht vol was, und lieber hört sagen von einem guten houbtkannen dann von einem guten prediger