A.M.R. BB 2: protocoles des audiences du Magistrat de 1538
La paléographie, un passage obligé pour le chercheur...
La paléographie - mot composé du grec παλαιός, ancien, et γρα'φειν, écrire - est la science qui traite des écritures manuscrites anciennes et particulièrement de leur déchiffrement. La paléographie allemande est le passage obligé pour qui veut aborder l'étude des sources manuscrites de l'histoire de l'Alsace qui, si elles ne sont pas écrites en latin le sont le plus souvent en allemand, même bien après le passage de l'Alsace à la France en 1648, date de la fin de la guerre de Trente ans et des traités de Westphalie.
En fonction des époques, plusieurs types de difficultés se rencontrent :
- l’utilisation de nombreuses abréviations : le support, papier et surtout parchemin, est cher et il est important de l’économiser
- une façon de tracer les lettres très différente de la nôtre
- une graphie plus ou moins déformée par la cursivité (ligatures entre les lettres), l’habileté du scribe, sa fatigue lorsqu’il s’agit de documents plus longs ou recopiés de multiples fois pour des destinataires différents, ou lorsqu’il s’agit d’aller vite, lorsque le document est dicté ou pour les protocoles de conseils ou les minutes de procès, notés « en live »… Bien souvent la question que se pose le chercheur est de savoir si ces scribes parvenaient à se relire eux-mêmes !
- une absence de ponctuation ou une ponctuation fantaisiste, des phrases dont certaines font couramment plus d’une page…
- l’absence fréquente de majuscules
- l’orthographe : le même mot peut avoir, dans le même texte et parfois dans la même ligne, plusieurs orthographes différentes
Les ratures, les ajouts dans les marges, les taches d’encre accidentelles, les dégâts de l’humidité ou causés par des nuisibles, ajoutent souvent une difficulté supplémentaire dans le travail du lecteur.
Et à tout cela, s’ajoute l’obstacle de la langue : en Alsace, qui veut étudier l’histoire ancienne dans les textes originaux ou faire des recherches généalogiques, se heurte à des problèmes de langue :
- d’abord le latin, dans les registres paroissiaux ou dans les documents médiévaux antérieurs au 14ème siècle. Le latin sera encore utilisé plus tard, dans certaines chartes et dans des documents officiels de l’Eglise.
- ensuite, et surtout, l’allemand, avec une orthographe, un vocabulaire et une syntaxe qui peuvent être très différents de celui de l’allemand d’aujourd’hui
Un exemple: A.M.R. BB 2 Protocole d'une audiences du Magistrat 1540
Le greffier municipal Martin Mitterspach
En 1540 le greffier municipal en titre était Martin Mitterspach et j'ai toujours pensé que c’était à lui que je devais les moments passés à m’arracher les cheveux et à m’abîmer les yeux pour essayer de déchiffrer ses pattes de mouches. Jusqu’au jour où je découvre, dans un autre registre, écrit de la même main, une note qui informe du décès du greffier municipal, Martin Mitterspach : du coup, ce malheureux Martin était définitivement innocenté, et le responsable de mes migraines, N. le jeune, de Schaffhouse, son substitut, restera dans l’anonymat !
Nach Christo gepurt gezelt fünffzehen hundert vierzig fünnff Jar ist Martin MITTERSPACHER stattschriber zu Ruffach, zinstag post Dorothea gestorben und begraben worden / Trostht gott dieser
B.P. der jung vonn Schaffhusen, sein Substitut
AMR BB 3 1542-1549 : folio 338a verso
Devoir de vacances:
Comme devoir de vacances, je propose au lecteur de déchiffrer une page rédigée par ce scribe, que j'ai choisie parmi les plus lisibles du registre. Qu'il se rassure, je lui propose ci-dessous une transcription, imparfaite, qui conserve quelques lacunes et des doutes, qu'il pourra comparer avec la photo du texte original. Je rappelle à ce propos qu'il suffit de "cliquer " une fois et une deuxième fois sur l'a photo pour l'agrandir...
Transcription du texte intégral:
Kilchen verding 1540
Caspar Murer von Richwiler und meister Clausen, bede
ist verdink den grossen thurn was das wetter
schaden gethan, auch was von neten wegen daran
gethan muss werden als einn (an) sparren
oder zwen wie sie anzeig(en) desglichen and[.en] (unden)
zu rings umb wo oben dach oder under
ziglen [oder ort dach] (rajout dans la marge) hienweg gefallen dieselbigen wider
pessren und das gantz dach ersuchen /
auch soll man ime [zieglen] (rajout dans la marge), sant, kalk, stein
an die kirch liffern, alsdan sollen sie den
allen Zeug [ und rustung vyl was sie bedurffen] (rajout dans la marge) hynuff ziehen
alle rustung selbs machen / dazu man
Ime geben soll rustung sta[n]gen,
dielen, nagel oder anders und soll
aber in rusten und de[c]ken
der undern dach soviel immer (innere)
meglichen versche(o)nen / davon
soll mann Ime geben fur alle fer
[dri..?] 40 gulden, 4 f. korn, ½ fuder
wein, und sollen werschafft
machen und geben dafur Clausen
Murer versprochen hafft und
burg zu sein und alle rustung one
schaden herab thun.
A.M.R. BB 2 Protocole des audiences du Magistrat de 1537 à 1541, registre relié de 336 feuillets.
Voyons ce texte de plus près :
Il s’agit du contrat passé entre Caspar Murer et maître Claus d’une part et le Magistrat de la Ville d’autre part, pour des réparations à effectuer à la grande tour de l’église (la tour-clocher octogonale et sa flèche), à la suite de dégâts causés par les intempéries. A noter que ce contrat pour des travaux importants, puisqu’il s’agit de poser des échafaudages, de remplacer des pièces de charpente et de couverture, tient en moins d’une page ! On imagine la quantité de papier, de signatures et de cachets qu’il faudrait aujourd’hui, dans la même situation… L’ouvrage est garanti par une promesse de Caspar Murer et le tout est sans doute scellé à l'ancienne par une simple tape dans la main… dafur Clausen Murer versprochen hafft und burg zu sein Claus Murer se porte garant (sur ses propres deniers et pénalement).
Pour cet ouvrage, il lui (soll mann Ime geben: à lui, mais auquel des deux?) sera donné 40 florins, 4 quartauts de grain et 1/2 foudre de vin (500 litres, tout de même!).
Petit exercice de paléographie pour les amateurs:
Je propose au lecteur de déchiffrer avec moi les 5 premières lignes du document.
Dans ma transcription, entre parenthèses, les lettres qui ne sont pas écrites, le plus souvent des finales de mots, qui sont remplacées par un signe (un « zigouillis » conventionnel, mais pas toujours… qui souvent n'économise ni la place, ni l'encre!). Les points d’interrogation signifient que je n’ai pas su lire et que je sèche… ce qui arrive souvent, avec le "substitut" de Martin Mitterspach ! Je comprends maintenant les angoisses des pharmaciens d'aujourd'hui qui doivent déchiffrer les ordonnances de certains médecins ! Y a-t-il des cours de paléographie dispensés dans les facs de pharmacie?
Allons-y:
dans la marge :
Kilch(en) Verding
contrat au sujet de l’église
kilch désigne l’église, aujourd’hui die Kirche
première ligne :
Caspar Mur(er) von Richwil(er) und Meist(er) Claus(en) bede
à C. Murer de Richwiller et à Maître Nicolas, à tous les deux...
2ème ligne :
... ist verdink den gross(en) thurn was das wetter
...est concédé (par contrat) la réparation de la grande tour
ici Verding, le contrat, est écrit avec un K alors que dans la marge il est écrit avec G
3ème ligne:
... schad(en) gethan, auch was vo(n) net(en) weg(en) daran (?)
...ce que le temps (les intempéries) a causé comme dégâts et également ce qui est nécessaire (was von Nöten ist…)
4ème ligne:
... gethan muss werd(en) als e(i)n sparren
...et doit être fait, comme un chevron ou latte à toit (die Sparre)
les points sur le i sont toujours des repères utiles, ici ils sont souvent oubliés ou se trouvent deux ou trois lettres plus loin!
5ème ligne:
... od(er) zwen wie sie anzeig(en) / desglich(en) und(en) ou und(er)
ou deux (chevrons ou lattes à toit)… selon ce qu'ils jugent utile (?) / de même...
A vous de jouer, je vous laisse attaquer la suite : bon courage !
Gérard Michel
Bibliographie:
1. Elisabeth Clementz et Bernhard Metz:
Initiation à la lecture des écritures manuscrites allemandes médiévales
Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace 2018
2. https://francearchives.fr/article/87410735.
Registre des protocoles du Magistrat (A.M.R. BB 39 de 1626 - 1629), relié avec une couverture en parchemin récupéré d'un antiphonaire ancien... rien ne se perd !
Droit d'auteur et propriété intellectuelle
L'ensemble de ce site relève de la législation française et internationale sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. Tous les droits de reproduction sont réservés. Toute utilisation d'informations provenant du site obermundat.org doit obligatoirement mentionner la source de l'information et l'adresse Internet du site obermundat.org doit impérativement figurer dans la référence.