Depuis quelques semaines, le Liber Vitæ des Archives de Rouffach est en ligne dans La Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux (BVMM) du C.N.R.S.
Cette bibliothèque virtuelle, élaborée par l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT-CNRS), permet de consulter la reproduction d’une large sélection de manuscrits, du Moyen Âge au XVIe siècle. L’IRHT, avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication (Service du Livre et de la Lecture) et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mission de l’information scientifique et technique et du réseau documentaire), effectue les campagnes photographiques dans des fonds patrimoniaux dispersés sur tout le territoire français.
Le Liber Vitæ des archives de Rouffach qui est actuellement en cours de restauration par Marie Renaudin, étudiante en restauration du patrimoine à l’école de Condé, a été numérisé dans son intégralité et a été choisi pour figurer dans cette collection : il peut être consulté aisément sur :
https://bvmm.irht.cnrs.fr/resultRecherche/resultRecherche.php?COMPOSITION_ID=22415
Qu’est-ce que c’est, le Liber Vitae ?
C’est un obituaire, un livre des Morts, contrairement que laisse supposer le nom qu’on a donné à ce registre à Rouffach ! On appelle obituaires ou nécrologes, des registres, en forme de calendriers, où les communautés religieuses du Moyen âge inscrivaient les noms de leurs membres, confrères, bienfaiteurs défunts, pour lesquels elles étaient tenues de réciter des prières et célébrer des offices religieux pour le repos de leur âme.. Les noms qui servaient à désigner ces livres étaient en latin obituarius, liber obituum, et quelquefois martyrologium, necrologium, calendarium, liber defunctorum, Liber anniversariorum, Liber memorialis. En allemand : Seelbuch, Totenbuch, Totenrolle, Totenrodel, Seelenmessenregister...
L'obituaire se présente sous la forme d'un calendrier perpétuel; en face de chaque jour, l'on inscrivait les noms des défunts dont on devait célébrer l'anniversaire. Les obituaires étaient régulièrement tenus à jour : l'on ajoutait les noms des défunts au fur et à mesure des décès. Ce qui aboutit assez souvent à des pages chargées de ratures et d’ajouts, au point qu’elles en deviennent illisibles. Il n’est pas rare alors qu’on ouvre un nouveau registre, d’où disparaissent malheureusement beaucoup des entrées des années antérieures, devenues caduques. Et, malheureusement, les anciens registres sont rarement conservés! Les plus anciennes formules d'inscription sont très simples : le nom du défunt est précédé du mot obitus : obitus Katherina, ou du mot obiit : obiit Elisabeth…
Une importante source d’informations…
Au cours des temps, les mentions se font plus précises : on y mentionne les titres, les filiations, les legs en terres ou en argent, les constitutions de rentes qui devaient servir à payer les frais des messes célébrées à l'anniversaire du décès, à perpétuité... Toutes ces informations sont extrêmement précieuses pour l’historien. Lorsqu’il s’agit de legs en terre ou de rentes constituées sur une propriété foncière, y figurent presque toujours des indications permettant la localisation précise du bien.
Deux exemples sur les plus de sept cents que compte le registre :
febr.
obiit Agnes, mater Nicolai an der Bunden, de cuius aniversario datur 1 sch. de tribus virgis hinder der Ziegelschuren et dicuntur ein anwender, IIII ad opus, vicario II den., sociis IIII den. et 1 sacriste de IIIIor scadis vinearum sitis in Hohenberge iuxta dictum Steinbach
febr.
obiit Rudolfus am Herwege, qui contulit IIIIor scados vinearum sito am Vogelsange, de quibus dari debet annuatim 1 sch. ad opus ecclesie.
90 lieux dits du ban viticole mentionnés…
Ce dernier détail est d’une importance considérable pour l’histoire locale : ainsi, grâce au Liber Vitæ de l’Eglise Notre Dame de Rouffach on a pu faire un relevé presque exhaustif des lieux-dits du vignoble du XIV ème siècle à Rouffach : 90 lieux dits ! Mis en parallèle avec ceux mentionnés dans les divers livres censiers, ceux de l’église Notre-Dame, ceux de la Ville de Rouffach, de la léproserie, de l’hôpital saint Jacques ou de l’hospice du saint Esprit, etc. , ces lieux-dits permettront, à terme, de dessiner une carte précise du vignoble du ban de Rouffach. Par exemple :
- in alten Gasse juxta bona prioris Valentinii
- in loco dicito ze Halden
- apud fontes Lendelins Burnen
- in Mittelberge in loco qui dicitur am Gere
- apud locum qui dicitur Steingruben
- an dem Vogelsange
Le parchemin est cher…
La lecture n’en est pas toujours aisée, non pas à cause de l’écriture qui reste très régulière et très appliquée, mais surtout à cause des nombreuses abréviations latines utilisées pour gagner de la place : le parchemin est cher et tous les moyens sont bons pour l’économiser! C’est sans doute la raison pour laquelle certaines pages manquent à l’ouvrage, arrachées pour servir de reliures à d'autres registres ou raclées et grattées pour être réutilisées …
Une restauration nécessaire... et attendue ...
le dos de la couverture du registre: parchemin sur le bois d'une restauration ancienne...
Le travail de restauration s’achèvera à l’automne 2019 : le registre pourra alors réintégrer les réserves des archives municipales de Rouffach où il pourra être consulté. Mais les chercheurs préféreront sans doute travailler sur le Liber Vitæ numérisé où chaque page peut être consultée, agrandie et même reproduite, sans risque pour le document original qui reste fragile à la manipulation et à la lumière.
Gérard MICHEL
photos G.M.