Retable du maître-autel église Notre-Dame de Rouffach: saint Arbogast redonne la vie à Sigisbert
(une œuvre de l'artiste munichois J. Maier. L'autel a été consacré en 1900)
Pour qui s'intéresse à l'histoire de Rouffach, un certain nombre d'ouvrages et d'auteurs sont incontournables. Nous en avons évoqué plusieurs, dans de précédents articles: Materne Berler, Sébastian Munster, Conrad Pellicanus, François de Belleforest ...et bien d'autres encore, et, plus proches de nous, Thiébaut Walter, Hugues Walter et Pierre-Paul Faust...
Je vous propose dans cet article de découvrir l'œuvre de Philippe-André Grandidier qui représente une source importante pour l'histoire de l'Alsace et de l'Obermundat plus particulièrement:
Histoire de l’Eglise de Strasbourg Tome I : Depuis l’établissement du Christianisme en Alsace jusqu’à l’an 817
A Strasbourg, de l’imprimerie de François Levrault, imprimeur de l’Intendance et de l’Université Episcopale
(à découvrir sur Internet, via Google: E-Book-Gratuit)
Philippe-André Grandidier, né à Strasbourg le 29 novembre 1752 et mort le 11 octobre 1787, est un bénédictin, historien et archéologue français. De 1776 à 1778 il publie deux volumes in 4° de L'Histoire de l'Église et des princes-évêques de Strasbourg dont l'auteur nous conduit jusqu'au Xe siècle. Cet ouvrage fut accueilli très favorablement par l'ensemble des érudits Cette histoire de l'église de Strasbourg devait comporter 8 volumes mais Grandidier n'a pu terminer cette œuvre en raison de son décès prématuré, à l’âge de 35 ans. (source Wikipédia)
Dans le premier volume de son ouvrage, Grandidier s'attache à détailler la vie des évêques de Strasbourg, depuis le premier, saint Amand, jusqu'à saint Arbogast, auquel nous nous intéresserons plus particulièrement, puisque c'est à lui que Dagobert, roi d'Austrasie, aurait remis la charte de fondation de l'Obermundat
Les Evêques de Strasbourg jusqu’à saint Arbogaste, 19ème évêque et saint patron du diocèse :
- Saint Amand, 1er évêque de Strasbourg
- Saint Juste Ier ou Justin,
- Saint Maximin Ier
- Saint Valentin
- Saint Solaire
- Biulphe
- Magnus
- Garoin
- Landbert
- Rodobalde
- Magnebert
- Labiole
- Gundoalde
- Gandon
- Uthon 1er
- Alde
- Saint Amand II
- Rothaire
- Saint Arbogaste, 19ème Evêque de Strasbourg et Patron du Diocèse
Dans la biographie de saint Arbogast, l'abbé Grandidier nous offre sa version de la rencontre décisive pour notre histoire de l'Obermundat, entre saint Arbogast, le roi Dagobert, son fils Sigisbert et un vieux sanglier de la forêt d' Ebersmünster, ( dont l'histoire ne dit pas ce qu'il est devenu... ) aux pages 206 à 210 (une erreur typographique a fait de la page 206 la page 106 dans l’édition de 1776):
Dagobert séjourne à Isenbourg…
… Dagobert faisait son séjour, comme nous l’avons dit, près de Rouffach dans le château d’Isenbourg. Il avait épousé pendant son exil en Irlande, une princesse saxonne nommée Bachtilde ou Mathilde ; il en avait cinq enfants, un fils nommé Sigebert comme son grand-père, et quatre filles, Irmine, Adèle, Rathilde et Ragnétrude, dont les deux premières furent reconnues comme saintes par l’Eglise.
Une partie de chasse qui tourne au drame, dans la forêt d’Ebersmünster…
Le jeune Sigebert, fils unique du roi, était allé chasser dans la forêt de Novientum, qui, à ce qu’on prétend, fut ensuite nommé la forêt d’Ebersmünster à cause du malheur qui y arriva à ce prince. Un sanglier d’une grosseur énorme, qu’on avait lancé et qu’on poursuivait avec chaleur, vint en furie à la rencontre de Sigebert, qui avait perdu de vue les chasseurs. Son cheval effrayé, pour éviter la bête, prit le mors aux dents et emporta le fils du roi avec tant de fougue et d’impétuosité qu’il le renversa par terre et le foula aux pieds. Sigebert en fut dangereusement blessé et fut rapporté dans cet état au palais royal.
Et si ce grand solitaire n'avait pas croisé la course du cheval de Sigisbert ? ...
Sigebert victime de la punition du ciel ?
Si l’on veut en croire le chroniqueur d’Ebersmünster, ce malheur fut une punition du ciel, qui voulait venger l’honneur de l’abbaye d’Ebersmünster. Mais que peut-on penser d’un moine tellement passionné pour le mérite de son couvent, qu’il ose dire que Dieu punit sur l’innocent Sigebert l’outrage que les chasseurs de Dagobert avaient fait aux solitaires d’Ebersmünster, en leur enlevant leurs grains et leurs meubles ? C’est ainsi qu’on raisonnait dans des temps d’ignorance, où l’on prétendait expliquer tous les évènements de la vie par la protection et la vengeance immédiate du ciel, sans penser que c’était blasphémer que de débiter de pareilles rêveries.
En 1758, DUBOYS, l’auteur de l’Inventaire des titres des bailliages Tome huitième Obermundat (A.D.H.R) donne dans ses Observations une version de l’événement assez différente, inspirée de cette fameuse chronique d'Ebersmünster que Grandidier accuse d'être blasphématoire:
A défaut du titre de la donation, qui sans doute expliquerait le motif d’icelle, il faut se contenir de ce que la tradition nous apprend à son égard et de ce qui se lit dans certaines histoires de l’abbaie d’ebersheim-munster, sçavoir : que Sigebert, un des fils du roi Dagobert second, lequel demeuroit ainsi que le roi son père dans le château d’Isenbourg à Rouffach, étant allé à la chasse et ayant poussé jusqu’à l’île de Novientum (dans laquelle est située aujourd’hui l’abbaye d’Ebersmünster et dans laquelle il existait déjà un couvent bâti par Saint Materne en l’honneur de Saint Pierre) résolut de passer la nuit dans ce couvent dans lequel il entra avec les siens et y fit plusieurs désordres et dégâts, faisant manger à ses chevaux les grains qui étaient sur les greniers et accablant d’insultes les moines, lesquels passèrent la nuit dans l’église où ils remirent entre les mains de Dieu et de Saint Pierre la vengeance de l’injure qu’ils recevaient ; que le lendemain Sigebert fut attaqué et tué par un sanglier et transporté mort au roi son père qui eut recours aux prières de Saint Arbogast qui gouvernait l’église de Strasbourg ; que celui-ci ressuscita Sigebert et par là excita la reconnaissance du roi, son père, qui pour la témoigner donna au dit évêque et à son évêché l’Obermundat ; et que de là aussi le couvent de Novientum prit le nom d’apri monasterium ab apro à cause du sanglier qui tua Sigebert et de là Ebersmünster.
Un récit qui ternit quelque peu l’image du fils bien-aimé de Dagobert…
Arbogaste rend la vie à Sigebert…
Dans une si triste conjoncture, Arbogaste fut appelé au palais d’Isenbourg. Il y trouva le roi accablé de douleur, la reine mourante elle-même aux pieds de son fils expirant, et les courtisans baignés de larmes. Le saint prélat passa toute la nuit en prières auprès du jeune prince et il ne les interrompit qu’après avoir rendu le ciel propice à ses désirs. Ses vœux furent exaucés, Sigebert échappa au trépas et combla de joie toute la cour. Elle se félicita de posséder dans Arbogaste un autre Elie et les sentiments qu’elle lui témoigna furent ceux de l’admiration et du respect...
La reconnaissance du roi Dagobert…
Le roi d’Austrasie donna bientôt à Saint Arbogaste une marque de sa reconnaissance, en lui offrant des biens et des richesses. Le Prélat généreux crut devoir les refuser, n’osant attribuer à son mérite la vie, ou plutôt la guérison de Sigebert, que ses prières avaient obtenue auprès de Dieu. Mais ne pouvant se refuser aux instances du monarque, il accepta pour son Église ce que son désintéressement lui faisait refuser pour lui-même. Dagobert gratifia vers l’an 675 * l’Église Cathédrale de Strasbourg des meilleures terres de son domaine, savoir, de Rouffach, du palais d’Isenbourg qu’il habitait et du territoire qui l’environnait, auquel depuis on a donné le nom de Haut-Mundat.
* Conrad Pellican et Conrad Wolffhardt datent l'événement en 646 dans la Cosmographie de Sébastian Münster !
Un acte authentique de la donation…
Il fit faire un acte authentique de cette donation et le remit au saint évêque en présence des seigneurs de sa Cour. Celui-ci, de retour à Strasbourg, le mit solennellement en présence du clergé, de la noblesse et du peuple sur le grand-autel de l’Église Notre-Dame. La vérité de cette donation ne fut jamais révoquée en doute, quoique le titre primordial qui l’assure, ne soit pas parvenu jusqu’à nous.
L’acte original disparaît, un faux diplôme le remplace …
Le diplôme de Dagobert existait encore au dixième siècle, lorsqu’Uthon écrivit la vie de saint Arbogaste. Il s’est perdu depuis, peut-être dans l’incendie qui consuma en 1002 la cathédrale de Strasbourg. On prétendit le renouveler à l’onzième ou douzième siècle, mais on ne parvint qu’à faire une pièce fausse, qu’on peut regarder comme l’ouvrage de l’imposture. C’est le jugement qu’on doit porter d’un prétendu diplôme, par lequel le roi Dagobert accorde en l’honneur de la Sainte Vierge à l’Eglise de Notre-Dame de Strasbourg trois de ses terres ou cours les plus riches et les plus considérables de son domaine, dont l’une est située dans le Bischofsgau ou canton de Bischovisheim et le comté de Kirchheim, l’autre dans le Rufgau ou canton de Rouffach et le comté de l’Ill, et la troisième dans le Spesgau ou canton de Spesburg et le canton de Barr. Le style de cette pièce, les formules inusitées dans les chartes des rois de la première race, les contradictions qui s’y trouvent, et la date qu’elle porte de 662 ou 707, auxquelles années aucun des trois Dagobert n’a régné en France ni en Austrasie, sont autant de marques qui doivent faire placer cette pièce au nombre des titres supposés. Une possession consacrée par la durée d’environ onze siècles établit suffisamment les droits des évêques de Strasbourg sur le Haut-Mundat, sans qu’il soit nécessaire de l’appuyer sur des autorités incertaines.
Faux diplôme, mais document utile pour l’histoire…
Ce diplôme, quoiqu’il soit l’ouvrage d’un faussaire, n’est pas moins utile pour la vérité de l’histoire. Ceux qui survivaient la perte de leurs chartes savaient qu’ils jouissaient de plusieurs terres, sans en avoir en main les titres originaux qui leur en avaient transféré le domaine : mais craignant d’en être dépouillés, ils faisaient renouveler ces monuments sur les idées justes qui leur en restaient et sur la connaissance certaine des biens et des droits dont ils avaient conservé la possession. D’après ce principe, il est évident qu’on peut tirer des pièces falsifiées quelques lumières sur les mœurs, les usages, la jurisprudence et l’histoire des anciens temps.
Le diplôme de Dagobert, représenté sur un panneau du maître-autel de N-D. de Rouffach.
Lien utile:
Sur le même sujet, le lecteur pourra lire l'article La Cosmographie universelle de François de Belleforest qu'il trouvera en cliquant ici
Vues Pittoresques de l'Alsace ...
L'abbé Philippe André Grandidier est également l'auteur, pour le texte historique avec François Walter pour les dessins, gravés et terminés au pinceau en bistre, des Vues pittoresques de l'Alsace, publiées en 1785 à Strasbourg. L'œuvre est malheureusement, elle aussi, restée inachevée, seules ont été publiées les notices historiques concernant Ribeauvillé, Girsberg, Dusenbach, Zellenberg, Sainte-Marie-aux-Mines, Echery, Guémar, Bergheim, le Lac noir, Pairis, Kaysersberg et Munster. L'œuvre est un monument historique et artistique inédit et chaque planche apporte un témoignage particulier tant artistique qu’historique sur le regard que l’on portait sur le paysage à la fin du XVIIIe siècle.
Gérard Michel